Témoignage de Jeanne Astre Artemoff
Très épris des grandes époques de l’iconographie russe du XIV-XV siècle qu’il compare à nos plus audacieux peintres modernes, son esprit et sa sensibilité sont naturellement accordés à la vision d’une humanité stylisée, allongée, divinisée. 11 faut y voir la raison essentielle du fait, sans doute unique dans la peinture moderne qu’Artemoff, sans chercher le caractère péniblement acquis par d’autres qui lui sacrifient une beauté académique fade et usée, à quoi ils préfèrent à juste titre, une expression caricaturale.
Mais, Georges Artemoif ne fait qu’exprimer en suivant sa pente, vers les recherches les plus hardies d’une beauté ancienne, surréellement humaine. Le corps et le visage sont ses grands thèmes, la connaissance en profondeur qu’il en possède, étant sculpteur, il l’emploie à reconstruire ce corps suivant les exigences de la géométrie de son tableau. Il dit parfois par orgueil « j’en fais ce que je veux ». Ses compositions sont, la plupart du temps, élaborées en accord avec le seul monde intérieur. Ses femmes, ces marques, ces bateaux n’ont abordés que sur ses toiles… C’est sans doute la raison de son amour pour les costumes de cirque, les treillages d’Arlequin et ce qui rend si obsédants ces visages aux yeux de nuit. « Le regard trouble la forme" dit il, rarement il laisse son pinceau libre de quelque tour d’adresse.
Ce maître de la matière, qui peut faire quelque chose à la manière de, des époques les plus diverses, qui connaît toutes les techniques et qui s’en joue, garde à son oeuvre une austérité de volonté sans défaillance. Ce ne peut être jamais un jeu. Il s’agit bien d’autre chose, c’est le service quasi sacré de la recherche. C’est l’expression presque magique de ce monde intérieur de ces voix qui viennent de son enfance et de sa race. Une telle idée de ]’œuvre d’art ne va pas sans une farouche intransigeance. Artemoif reconnaît les très grands de nos maîtres, parmi lesquels il a compté ses camarades, mais en petit, très petit nombre. 11 devient féroce devant les truquages, les productions systématiques, commercialisées, les snobismes faciles...ll s’enferme donc dans une tour d’ivoire et pratique un isolement sauvage.
La peinture est un langage d’âme à âme que les médiocres n’entendent point, qui y cherchent seulement la représentation agréable d’une réalité aimable. Artemoff qui était avare de discours le savait et manifestait ainsi son mépris pour ceux-là si nombreux dans notre temps qui ont besoin de longues théories pour signaler les intentions de leurs peintures. Lui, se savait riche d’un message le descendant d’une race forte et sauvage. Son œuvre d’Animalier hors concours dans les expositions met en évidence cette filiation, en ce moment où, à Paris, une foule avide se presse au Grand Palais à l’exposition de l’Or des Scythes. C’est bien l’Orient, Byzance, que l’on retrouve chez Domenico Theotocopouli, dans la proportion de ces corps, de ces visages dans leurs yeux de charbon tournés vers vers quelque rêve intérieur. C’est Roublev que l’on peut évoquer devant ces couleurs sourdes et ardentes qui construisent le tableau. Et c’est aux plaques d’or des steppes, que font penser les bas-reliefs et les sculptures de bois qu’Artemoff aime à sculpter et qu’il patine jusqu’à leur donner un aspect précieux.
Mais cette évocation au sol natal ne fait que situer et rendre plus personnelle l’expression très actuelle de cet art qui s’appuie sur cette richesse originelle avec tout ce qu’elle comporte d’intuition, de force, un peu sauvage parfois, pour produire des oeuvres très élaborées, reflets de nos inquiétudes, sources de délectations et de joies ésthétiques neuves....
Artemoff qui avec la sculpture pratique aussi la plus sûre pratique de la fresque, est un passionné de musique, il eut voulu aussi s’y consacrer. Ne trouve-t-on pas ce penchant encore plus clairement dans ses dessins?
Dessins composés comme le fil sonore au bout de l’archet...Dessins de virtuosité, tracé de qui s’épanouit sur la feuille dans une forme parfaite et sans bavure.