Jazz à Toulouse
De briques roses et de notes bleues
Partie 2/2
Christian TonTon Salut
Une église tient debout certainement par la foi mais aussi par ses piliers. Si l’église du jazz se dresse encore à Toulouse, elle le doit au pilier que fut et sera encore Christian TonTon Salut. Du haut des fûts de sa batterie, il lance et relance les foudres de la communication du be-bop et n’exclut personne. Venu d’Ariège où il joue vers 1970, il aura soulevé des montagnes de notes dans notre plaine toulousaine dès 1978. Il a eu le courage insensé de devenir musicien professionnel dès 1980, et de survivre !
Avec ses complices Abdu Salim, Akim Bourkane, Richard Calleja, Philippe Renault ou tous les oiseaux migrateurs du jazz passant dans la région, il assure, un peu comme Art Blakey, le passage et les messages du jazz. Tous les jazz car son langage musical est vaste et sa curiosité immense. Il parcourt le monde (en 1985 aux États-Unis), enseigne en intervenant dans les classes de percussions, découvre les talents. Arrangeur subtil, manieur des bruissements des langues, sa fougue et son énergie forgent la musique. Il a participé à la plupart des groupes qui auront pu pousser la note bleue et dirigé ses groupes (Hip jazz trio, Freedom jazz, ses trios et quartets, Jazz Unit, Drumpact…).
Il sera dans tous les lieux. Il a tant croisé de musiciens, (Sonny Stitt, Georges Coleman, Guy Lafitte, Sonny Simmons, Eric Lelann, Glenn Ferris, Alain Jean-Marie, Siegfried Kessler, Baptiste Trotignon, Emmanuel Bex, Christian Escoudé et bien d’autres), que sa rythmique est devenu un arc-en-ciel. Que serait le Mandala, que furent la Cave des Blanchers, les allées, ou tout autre lieu sans TonTon Salut ? Dans cet âge d’or du début des années 1980 il sera un peu le « vulcain » de ce bel enfer de notre jeunesse. Toujours au feu, il est présent dans la plupart des festivals. Quelques Cd seulement laissent entendre sa flamme « D’ont stop the carnival » et « Round around the trane » et « be hip be-bop », enregistré live le 23 juin 2001 au Mandala, mais on peut l’entendre sur tous les cd des autres.
Toujours passeur, toujours solaire TonTon Salut donne le tempo juste, le tempo sincère. Mais lui a eu aussi besoin de s’éloigner de Toulouse, et il a rejoint Marseille où la scène du jazz est plus vaste. Depuis grâce à ses cours magistraux, dans tous les sens du terme à Marciac, à Music’halle, au conservatoire de Région dans la classe de jazz, à l’école Agostini, il fait se lever les levains du futur du jazz. Tonton Salut et ses jazz Futures retrouve le sel que les Jazz Messengers, Horace Silver, Donald Byrd, Jackie McLean, Lee Morgan, Wayne Shorter, Hank Mobley,... ont su extraire des marais de la vie. Dans les évangiles du jazz hard bop, du funky, des années soixante, se perpétue une musique fraternelle et qui remue, conviviale et swingante.
Richard Calleja
Richard Calleja est notre « little big giant » des nuits bleues toulousaines. Avec son sax bleu, il anime une scène de jazz qui a bien besoin de lui. Venu de son Ariège à Toulouse en 1969, il délaisse vite la clarinette pour le sax ténor, et peu à peu apprend à maîtriser l’ombre envahissante de John Coltrane qui voulait parler par sa bouche. Nous aussi on a notre «petit géant du saxophone» qui lui est resté fidèle à Toulouse malgré les difficultés du métier. Ses activités d’enseignant, d’abord à Music’Halle, puis à Auch, lui auront permis de tenir le coup. Dès 1980 il est l’un des créateurs du quartet Tonton Quartet avec le batteur Christian Tonton Salut.
De festivals en concerts, il s’affirme et crée son propre groupe le Richard Calleja Quartet en 1985. Il joue de plus en plus ses propres compositions et s’aventure aussi bien sur les terres du hard bop, du funky jazz que de la musique brésilienne (groupe El combo bongo).
Il développe une intense activité d’enseignement d’abord et longtemps à Music’halle de 1986 1996, puis à Toulouse aux ateliers Sésame. Il sera artiste résident à la Salle Nougaro où il formera des quartets vocaux (Mr’a Quartet), et animera des jazz sessions. De 1990 à 1995 il est le directeur du « Jazz time big band ». Il a enregistré Happy blues en 1986, Lesotho en 1992, Mauresaca avec Steve Lacy en 1994. Et notre petit faune du ténor et du soprano, reste le doux, le tendre et discret Richard Calleja.
Les transes de la Salsa ou du jazz échevelé entraînent dans un torrent d’énergie débridée. Mais il sait aussi avec son légendaire sax bleu tisser les nuits bleues. Richard Calleja est un passeur de musiques. D’abord au niveau enseignement qu’il dispense avec sagesse, mais aussi par sa musique qu’il a patiemment bâtie. Bien sûr il y a l’apport des maîtres, de Rollins à Coltrane mais aussi son besoin propre de fondre harmonieusement dans la forge de son saxo, toutes les étincelles du monde musical, tous les métaux des traditions - alluvions des musiques du monde, des musiques des peuples, des pulsions africaines et moyen-orientales, des éclats de l’Amérique du Sud. Tout cela serti dans de subtils arrangements, de splendides compositions personnelles, et de libres et audacieuses recréations de standards, tout cela donc fait une musique claire et joyeuse.
Récemment le spectacle « le bruissement de la langue » et son activité fidèle au Mandala témoigne de sa vitalité permanente. Son attrait pour les mots l’amène à se laisser porter par des textes africains ou européens qui revivifient sa musique.
Magali Pietri
Magali Pietri la belle, la féline, n’est pas entrée dans les ordres du jazz. Et pourtant elle chante Monk, le «moine du jazz», dont la musique est une ascèse, une expérience spirituelle. Avec son quartet Guillaume de Chassy piano, Jacques Bernard contrebasse et Pierre Dayraud batterie, elle ose affronter la face nord abrupte d’une grande montagne. Et dans ce répertoire à l’oxygène raréfié, et où si peu de chanteuses se risquent, Magali Pietri, elle, éclate. Magali c’est bien sûr une voix superbe à la tessiture immense, à l’énergie farouche, au rebond perpétuel des phrases, au timbre rare. C’est aussi et surtout une présence magnétique, une réalité physique fascinante. Je me souviens, tard dans la nuit, de ces improvisations échevelée, de ses concerts en première partie, qui nous faisait regretter qu’arrivent les secondes et de ces petits miracles-là, Magali Pietri en a fait beaucoup.
Femme plutôt que sainte, Dieu soit loué, elle a parcouru l’échelle musicale : choriste avec Nino Ferrer, prêtresse de la Salsa, rockeuse à l’occasion, mais c’est dans le fleuve du jazz que ce petit volcan jaillit le plus haut, avec le plus de lumière jusqu’à devenir, non plus un espoir, mais une des meilleures réalités des chanteuses françaises de jazz.
Je me souviens encore de cette nuit brûlante de fièvre au Chantaco, où elle improvisait et alors un gaillard a surgi avec sa trompette et a tissé une danse d’amour autour d’elle. C’était Roy Hargrove. Sensuelle, la voix tendue puis caressante, Magali Pietri danse sur les précipices de la musique de Thelonious Monk et l’envoûtement est là. Elle est «La féline» sur le toit brûlant du jazz. Maintenant revenue à Toulouse elle enseigne le chant et le désir de revenir au jazz la retitille là où il faut.
Et maintenant elle nous redonne sa belle voix de velours noir, merci !
Christian Brun
Comme de nombreux musiciens de jazz toulousains, il aura dû s’exiler pour vivre et être reconnu. Il est en fait le musicien de quatre villes : Antibes où il est né en le 24 décembre 1965, Toulouse où il arrive en 1982, puis New York entre 1992 et 1995 et maintenant Paris depuis 1996.
Comme Jean-Michel Pilc pianiste longtemps toulousain, il est à la fois ingénieur (en 1987) et musicien et ce que la physique a perdu le jazz l’a trouvé dans ce guitariste brûlant. La rencontre avec Tal Farlow fera et son apprentissage et sa vocation. Dans sa période toulousaine, lieu de sa conversion totale et entière au jazz, il fera partie du Jazz-Fusion Kitty Clac, du Big band 31 et monte son premier quartet en 1990 (premier prix du concours national de Radio-France !). Son disque Houseful fait l’état de ses lieux avant que le vent du large ne l’emmène à New York.
Son parcours s’est établi en ce qu’il appelle sa période West Montgomery de ses débuts toulousains à son électro-jazz parisien actuel, le tout saupoudré par ses aventures new-yorkaises. Riche de ses nombreuses rencontres de passage (Dee Dee Bridgewater, Daniel Humair, Christian Escoudé, Sonny Fortune,...).
Il est revenu nous voir soit comme invité carte blanche de jazz sur son 31, soit comme hirondelle du jazz de passage.
Nighthawk
Notre chouette du jazz aura animé bien de nos nuits à la recherche de la note bleue. Claude Rachou, son vrai nom, avait acquis sa connaissance approfondie du jazz au Canada et il nous souvient que les musiciens d’Archie Shepp à Roy Haynes la considéraient comme plus qu’une amie, une confidente. Et après les concerts les souvenirs s’écoulaient en effusions. Depuis sa tanière impasse de la Colombette elle tissait les fils des nuits du jazz à Toulouse.
Par ses articles à la Dépêche, puis ses belles émissions sur Sud-Radio, elle aura contribué à former plusieurs générations au jazz. Toujours présente aux concerts avec son franc-parler habituel et souvent ses chapeaux, elle donnait le juste ton. Longtemps sa programmation à la Salle Bleue qui faisait la part belle aux jeunes musiciens français restera une des dernières lampes du jazz encore allumée à Toulouse.
Signe des temps elle fut chassée de la Dépêche, de Sud-Radio et de la Salle Bleue. Le jazz n’est vraiment pas porteur, n’est-ce pas coco ? Qui va encore parler de jazz à Toulouse avec passion ?
Daniel Antoine
Who’s that man ? Auteur compositeur, Daniel ANTOINE est un artiste complet : Pianiste, organiste et chanteur, il pratique le funk blues avec gaieté et tonus. Il débute la musique dans le milieu des années 1970 et pendant dix ans tourne avec Backstage, groupe de blues précurseur de Paul Personne avec qui il effectue plusieurs tournées et enregistrements jusqu’à l’album 24h/24.Daniel Antoine monte ensuite le groupe Cush, accompagne Pierre Vassiliu, puis, en 1991, il crée à Toulouse le groupe de funk « Marie et les Antoines ».
En mai 1994, il fait la première partie d’un concert de Touré Kunda, dans laquelle il démontra son amour du rythm’n blues. En octobre de la même année, à Jazz sur son 31, le festival de la Haute-Garonne, il présente au Bikini, une salle de concert toulousaine, la première partie d’un concert de Macéo Parker, ancien sax de James Brown. En 1997, l’album live, "Hey you", est enregistré au Bikini. Ce sont ensuite durant trois ans de nombreuses tournées à l’orgue Hammond, avec le batteur texan Uncle John Turner et le guitariste et chanteur brésilien Nuno Mindelis (ami de Muddy Waters et Paul Orta).
Il rejoint ensuite le groupe irlandais soul rock The Commitments. Daniel Antoine partage alors son temps entre les tournées internationales, sa carrière solo, qui, elle, privilégie le funk blues, et son travail de producteur exécutif. À l’occasion, Daniel Antoine donne des concerts avec quelques-uns des meilleurs musiciens de la région : Philippe Bonnet, Aymeric Soula, Jean Philippe Perez, Akim Bournane, et à l’occasion le grand saxophoniste Abdu Salim. Dans la 21éme édition du festival Jazz sur son 31, il lui revint l’honneur de faire la clôture. Daniel Antoine compose également de la techno, du rap (par exemple avec le groupe Prozact en 1994) et des musiques de films publicitaires.
Jazz in Marciac
Voilà depuis 1977 que ce festival fait partie du paysage mondial du jazz. Et ce dans un lieu improbable de 1 500 âmes au cœur du Gers, plus connu pour ses vallons et ses magrets de canard que pour ses notes bleues. Et son fondateur ne venait pas du Gers mais de Saint-Leu la Forêt, mais ses parents habitaient Marciac. Chaque été il venait donc en vacances en ce lieu si retiré. Guy Laffite raconte ainsi cette histoire : « Je n’étais pas là la première année, j’avais du boulot ailleurs. L’homme qui est au départ de Marciac n’était pas d’ici, mais je crois de Saint-Leu La Forêt. Il avait des parents à Marciac, et tous les ans il venait. Un jour, il regardait les lieux et dit à un élu « Pourquoi vous ne faites pas un festival ici, ce serait formidable. ». Il est tombé sur terrain vraiment fertile, les types ont dit « Pourquoi pas ? On va essayer ». Ils ont fait le premier festival en 77 aux arènes. Il y avait Claude Luter, Bill Coleman… et c’est à peu près tout. Bill Coleman venait d’arriver ici, savait que je vivais dans le coin, il en avait marre de Paris et m’avait dit : « Peux-tu nous trouver une maison vers chez toi ? Alors, j’ai cherché, très heureux de l’amener ici, j’ai trouvé une maison à Cadeilhan, juste à côté. Ils sont venus immédiatement et ont adopté le pays. L’année suivante, Bill m’a demandé de jouer et depuis j’y suis… Ils m’ont même mis Président d’Honneur à vie. »
Ainsi la volonté utopique d’un enseignant en lettres aura déplacé les montagnes et le public. En 1977, Jean-Louis Guilhaumon, son fondateur, futur maire de la commune et conseiller régional anime un club de jazz. L’été de cette même année, il a l’idée d’organiser trois soirées de spectacles dans les Arènes de Marciac avec Bill Coleman, Claude Luter mais pas Guy Laffite qui ne viendra que l’année d’après en 1978. Le Festival de jazz est lancé. Pendant plusieurs saisons, il prend ses quartiers d’été dans une usine de meubles locale avant de s’installer sous un chapiteau de 5 500 places sur le stade municipal. La réussite étonnante est bien sûr dans le projet culturel mais plus encore dans le développement touristique qui s’en est suivi par le développement de l’infrastructure touristique, en l’inscrivant dans la spécificité du territoire. Longtemps l’ombre tutélaire de Guy Laffite plane sur le lieu et oriente les choix dans les goûts très tranchés de notre saxophoniste.
Le jazz moderne sera longtemps considéré comme un pestiféré dans cette ambiance conviviale mais bloquée sur les années quarante. En examinant la programmation on s’aperçoit que l’on tourne en rond autour de Claude Luter, Bill Coleman, Memphis Slim, du Golden Gate Quartet. Les concerts deviennent plus proches d’un festival, un petit festival certes, en 1984 avec 14 concerts dont le petit géant Johnny Griffin. Tout cela restait provincial et plus digne d’un cassoulet-jazz que d’un festival. En 1985 l’événement est la venue de Dizzie Gillespie, non pas en tant que créateur du be-bop, mais plutôt comme amuseur. Martial Solal est là comme témoin moderne, mais noyé au milieu des Haricots Rouges et de Claude Luter. La véritable ligne éditoriale pendant les dix premières années a été celle du jazz New-Orleans, ce qui n’est pas indigne. Mais le refus obstiné de reconnaître le jazz vivant de son temps aura longtemps handicapé Marciac. Passer d’une aimable fête de village a un festival reconnu aura nécessité bien des reniements intimes et pas mal de courage, car l’équipe en place, Guilhaumon à sa tête, ignorait les courants du jazz depuis 1945. Le grand mérite sera d’aller contre sa culture et d’avoir suffisamment d’ambition et de visions pour virer complètement de bord. Ce mouvement se met en place dès 1987 avec la venue des Jazz Messengers, de Daniel Humain, Arvanitas et Michelot, du jazz manouche, de Tete Montoliu et de musiciens régionaux. Des 5 premiers concerts de 1978 on passe à une trentaine, la locomotive est lancée. La consécration arrive avec la venue de Sonny Rollins en 1989, le gospel apparaît également avec les Stars of Faith. Les venues de Petrucciani, Stan Getz, Tom Harrell, Hank Jones, Oscar Peterson, Ray Brown, Gerry Mulliganhissent Marciac parmi les festivals d’été. Ce passage du début des années 1990 à un grand festival oblige à tout revoir au niveau organisation et logistique. Marciac y parvient sans perdre son côté convivial et ses repas fins. En 1991 le coup de foudre réciproque entre Wynton Marsalis et le festival a lieu.
Pour moi, la véritable naissance de Marciac en tant que festival incontournable de dimension européenne s’opère en 1992. La programmation devient pléthorique et donne lieu à des affrontements inutiles comme ce soir où Petrucciani et Ahmad Jamal pensent plus à se combattre qu’à jouer. Cette année fondatrice aura fait entendre Roy Hargrove, Roy Haynes, Jon Hendricks, Dee dee Bridgewater, Hank Jones, Jon Faddis, Guy Lafitte, Pat Metheny,..Depuis le rythme est trouvé. On peut mentionner en 1993 la venue de Chick Corea, de Dianne Reeves, de Wynton Marsalis bien sûr. La volonté de faire un plateau exclusif conduit parfois à des pressions sur les producteurs peu élégants afin d’éviter que certaines vedettes passent avant ailleurs. La règle édictée était simple : exclusivité un an avant et un an après. Heureusement que tous ne cédèrent pas à ce chantage. Ainsi la Salle Nougaro put faire entendre avant Marciac, Dianne Reeves, Ornette Coleman, Mehldau, Carrothers, Garbarek, et tant d’autres malgré la tentation d’hégémonisme dont le festival de Marciac n’est toujours pas guéri. Le festival Jazz sur son 31 sut également parfaitement exister avec une programmation en octobre de haut niveau.
Les événements des années quatre-vingt-dix furent en 1994 Herbie Hancock, Abbey Lincoln, Danilo Perrez, Max Roach. En 1996 il faut citer la venue de Jacky Terrasson, Helen Merrill, du duo Hank Jones et Kenny Barron, de Ray Charles, de Mc Coy Tyner, du blues, et l’introduction du concept comme à Montreux des summits. Ce fut une réunion de trompettistes cette année autour de Wynton Marsalis devenu la figure tutélaire succédant à Guy Laffitte, et lui aussi tourné vers la tradition plutôt que l’innovation.
En 1996 l’accent devient latin avec Rubalcaba, Ray Barretto, Eddie Palmieri. Joe Henderson et Joshua Redman apparaissent. En 1997 on retrouve bien des anciens du festival, (Ray Charles, Mc Coy Tyner, Terrasson, Dee Dee, Luter, Lafitte,..), ce qui sera une volonté souvent affirmée. Mais aussi Diana Krall, Arturo Sandoval , Joe Lovano. Le festival va se construire sur le socle d’invités permanents, comme autant de valeurs sûres, (Ahmad jamal, Lafitte, Marsalis, Hank jones, Roy Hardgrove, Oscar Peterson, Lucky Peterson, Petrucciani, Chick Corea, Herbie Hancock…). Chaque année quelques nouveaux cooptés entrent dans le cercle : en 1998 Elvin Jones, Chucho Valdes, Shirley Horn, Brad Mehldau. Cette situation est aussi due à la raréfaction dans le monde du jazz de têtes d’affiches capable de remplir un chapiteau. Le festival de Marciac est avant tout une machine économique et non pas un tremplin de découvertes, excepté dans le « off ». Et les « trompets summits » s’enchaîneront quasiment d’année en année. De glorieuses exceptions à cette politique de prestige se frayent une toute petite place : David Murray et Lester Bowie en 1999. Jeanne Lee en 2000, ainsi que Charles Lloyd. Sinon le fonds de commerce demeure immuable et correspond à la volonté d’un public estival qui veut entendre ce qu’il connaît déjà. La consécration est atteinte quand en 2001 Keith Jarrett et Abdullha Ibrahim daignent venir. Depuis le festival tourne comme un big band bien huilé. Notons qu’il aura fallu attendre 2002 pour inviter enfin Ornette Coleman, Dave Douglas. 2003 pour Steve Coleman, et tout récemment pour John Zorn et Bobo Stenson. Pourtant la phrase célèbre d’Ornette Coleman est toujours vraie : « L’âme du jazz, c’est l’amour de l’inouï. »
Enfin, tel qu’il trône maintenant, le festival de Marciac est devenu une superbe machine touristique et musicale. Le J.I.M, nom pour les intimes de Jazz in Marciac, est devenu un mémorial du jazz avec l’ajout des Territoires du jazz, d’une classe de cycle de formation au jazz sous forme de « Master Class », en utilisant les équipements du collège. Le « in » sous chapiteau ou aux arènes et le « off » sur la place du village se marie dans cette structure associative qui regroupe des centaines de bénévoles (632 !) et souvent l’orage en invité. La taille immense prise par cette manifestation, son budget gigantesque (2,7 millions d’euros) , oblige à des paris renouvelés et souvent réussis chaque été du 1 au 15 août. L’accès est difficile, le logement parfois incertain, malgré l’arrivée d’un complexe Pierre et Vacances, mais le miracle se renouvelle chaque fois. Une programmation exclusive s’ouvrant aux musiques du monde depuis peu, provoque une transhumance de tous les amoureux du jazz. Des concerts en hiver maintiennent la flamme. La mise en chantier d’un pôle régional avec une salle de concert de 400 à 500 places devrait assurer une pérennité certaine à cette aventure qui a bien tourné. Jean-Louis Guilhaumon, devenu depuis quelques années maire de Marciac, puis vice-président de la Région Midi-Pyrénées, a réussi son pari.
Wynton Marsalis a sa statue dans le village, mais les quelque 200 000 personnes par festival auront édifié celle du jazz.
Site Web : http://www.jazzinmarciac.com
Jazz sur son 31
Il peut arriver que le jazz soit non pas soluble dans les institutions mais vivifier par elles. Après « le mai du jazz » qui dura un temps jusqu’en 1983, un projet élaboré à l’ADDA et son directeur d’alors Francis Barrascou, trouva d’abord son vecteur au travers de Philippe Léogé et son quintette avant d’aboutir tout naturellement à un festival de jazz en Haute-Garonne porté par le Conseil général.
Constatant l’existence potentiellement forte d’un public et l’absence d’offres et aussi par le goût personnel d’un élu pour cette musique emblématique de la liberté : La volonté politique est advenue quand Pierre Izard élu en 1988, et amateur de jazz décide de se substituer au privé défaillant pour faire d’un festival de jazz l’instrument d’une politique culturelle. Il relance donc ce festival apparu fort timidement en 1986, et naissant vraiment en 1987 avec rien de moins pour cette édition que Miles Davis, Eddie Louis, Sonny Rollins, Michael Brecker, Eddie Palmieri. L’idée est de faire appel à tous les lieux privés ou publics capables d’accueillir des concerts et surtout de disséminer en Haute-Garonne, ces concerts (Saint-Gaudens, Ramonville, Revel, Portet,...). Le Mandala était le lieu des after-hours. Dès le départ une place est fait aux musiciens locaux ainsi qu’aux photographes de jazz. Comme son frère jumeau « les Jazz pulsations de Nancy » il devra affronter le choix du mois d’octobre peu propice aux tournées des géants américains et l’avènement des mélanges (musiques du monde, scène rock,...) pour élargir un public qui va en s’effritant.
La lisibilité se fait plus opaque mais le festival continue à être l’événement jazz du département. Il a souffert longtemps bien sûr du manquement aux règles d’or des festivals : unité de lieu, d’espace et de temps. Aussi l’ambiance festival s’arrêtait au sortir des concerts malgré tous les efforts possibles. Festival pluriel, il aura connu plusieurs équipes de programmateurs toujours sous l’œil vigilant du conseil général. L’ouverture à des cartes blanches à des musiciens (Didier Labbé, Guillaume de Chassy, Philippe Léogé, Christian Brun, Laurent de Wilde, Pilc,...) a permis l’ouverture à des concerts gratuits et à des rencontres enrichissantes. Puis vint « la résolution d’octobre », qui à l’occasion du somptueux vingtième anniversaire eut l’idée géniale d’installer dans les locaux du Conseil général les chapiteaux du Magic Mirror.
À des tarifs dérisoires on pouvait dans un cadre parfait écouter ce qui se fait de mieux en jazz ; de plus pour boucher le trou béant entre les festivals, le Conseil Général a élargi son offre toute l’année en s’appuyant sur quelques lieux (Salle Nougaro, Halle aux Grains,..).
Tel qu’il est ce festival demeure incontournable et de plus en plus remarquable par ses choix et sa volonté de porter le jazz à tous.
Site Web : http://www.jazz31.com
Le Mandala
À Toulouse, qui connut tant d’heures de gloire en jazz depuis la libération et tant de lieux mythiques (le Tabou, les Allées, le Pharaon, la Tournerie, le Bacchus, le père Léon, le Chantaco,...), il ne reste de vivant qu’un lieu étroit et enfumé, mais passionnant : le Mandala. Entre les commandes tonitruantes de boisson, l’œil jaloux de Jano le gardien de ce sous-sol, les meilleurs musiciens de passage ou les piliers du jazz toulousain (Ton Ton Salut, Calleja, Salim, ...), se produisent chaque jour que Dieu fait ou oublie de faire, sur un embryon de scène, et la musique s’envole large. Dès le festival de jazz 31, il devient l’endroit des après-concerts, « le laboratoire de toutes les musiques improvisées ». De son patronyme indien invitant à la médiation spirituelle et silencieuse, le Mandala aura surtout retenu les transes.
Le Mandala, situé au quartier des Amidonniers, numéro 23, a été créé il y a plus de 21 ans (1er mars 1985), par Jean Cartini, guitariste lui-même. Victime d’un accident de la vie, il décide de la prendre par les cornes et de la dompter , et de se faire plaisir. Plus qu’un club de jazz que sa taille n’autorise pas il fut longtemps le refuge de la musique. Jean Cartini dit Jano en fut l’âme farouche. Faisant de son handicap une force il a su comme Vulcain dans sa forge, agglomérer autour de lui la plupart des musiciens toulousains ou de passage. Son message d’origine était clair : « Préférez-vous répéter en public ou au fond de votre salon (au garage au pire) ? ». Aussi malgré la fragilité des lieux, (piano éraillé, scène lilliputienne, bar bruyant, Jano tonitruant pendant les concerts,..., quelque chose a pris et beaucoup de musiciens ont fait en ce lieu leur premier gig toulousain et pas des moindres (Stefano di Batista, Erik Truffaz, Laurent de Wilde, Julien Lourau, Guillaume de Chassy,...).
Maintenant le lieu est rentré dans les normes, mais pas la programmation toujours excitante et hors-norme. Mais le mérite historique majeur du lieu et de son patron fut d’avoir servi de tremplin à tous les artistes locaux. Quels que soient les vents soufflants sur Toulouse, porteurs ou mauvais, le Mandala est toujours là, parfois club de jazz, parfois club alternatif, mais toujours vibrant.
Un lieu unique où parfois la magie du jazz se déclenche et en tout cas elle s’est réfugiée là étant SDF à Toulouse. Maintenant Jano a passé le relais à une équipe dynamique qui a résolu les contingences matérielles (sécurité du lieu, cachet des artistes,...).
Le Mandala bouge encore et même il marche de l’avant. La mort récente et douloureuse de Jeannot Cartini est aussi l’enterrement de tant de belles soirées que Le Mandala avait su offrir. Mais la nouvelle équipe a la flamme bleue.
Les nouveaux acteurs de la scène toulousaine
Le pire n’est donc pas toujours sûr et après une période d’hibernation prolongée de la scène toulousaine de nouveaux groupes créent une embellie. Après que tant de musiciens aient raccroché entre frustration et solitude, las de jouer dans des lieux improbables ou des repas d’affaire, une nouvelle génération émerge.
Enoz, Lilliput Orkestra, Pulcinella, Monkomarok, Emile Parisien, le Tigre des Platanes, La Friture Moderne entre autres et surtout, apportent un son neuf et revigorant. Didier Labbé et sa compagnie Messieurs-Mesdames poursuivent leur odyssée se renouvelant sans cesse en passant de l’accompagnement de films muets à la danse, puis à d’autres formules. Mais après avoir joué au Mandala, à 31 notes d’été ou à la Salle bleue et à la Salle Nougaro, leur horizon ne s’élargit pas par manque cruel de scènes toulousaines et aussi de public. Le monde étudiant est toujours à part dans son ghetto musical. Souvent on retrouve comme chevilles ouvrières de ce renouveau Christian Ton Ton Salut bien sûr, Piero Pépin, Laurent Rochelle, Matthias Meier...
Des passeurs comme le producteur Freddy Morezon, l’école Music’Halle, qui a gardé intacte sa flamme et son éthique, les initiatives courageuses de Jean-Pierre Layrac (Un pavé dans le jazz), le renouveau du Mandala, maintiennent une raison d’espérer des jours bien meilleurs.
Et puis vivement l’automne pour le festival Jazz sur son 31 ! Et nous reparlerons un jour de tous les fruits qui auront résister à la fois aux fleurs et aux hivers !
Gil Pressnitzer