János Pilinszky
Une légende persécutée
Bien que règne le néant, le monde continue à battre. (Jànos Pilinszky - Damnation).
János Pilinszky (1921 - 1981) est un grand poète et dramaturge hongrois qui commence à peine à être connu hors de sa patrie, qu’il n’a jamais voulu abandonner, même sous le joug totalitaire communiste, car « Personne ne peut être poète en dehors de son pays.»
Plusieurs de ses recueils de poésies sont traduits et publiés en anglais (par Ted Hughes, Kenneth White) et en français (par Pierre Emmanuel, Maurice Regnaut et surtout Lorand Gaspar, son ami proche et qui l’a le mieux compris), mais aussi en allemand, en espagnol et en russe.
Sa reconnaissance internationale se fait également sur le plan musical. En effet, György Kurtag a composé Quatre chants sur des poèmes de János Pilinszky op. 11 ainsi qu’in memoriam Joannis Pilinszky, dans les Kafka Fragmente. Et il lui voue un véritable culte. Bruno Mantovani l’a également mis en musique.
Ses pièces de théâtre sont aussi régulièrement jouées.
Ses œuvres, longtemps interdites, sont maintenant éditées dans leur totalité en Hongrie. En 1980, il a reçu le prix Kossuth.
Pourtant János Pilinszky est peu édité en France, car il est difficilement cernable. Il a connu, comme témoin, l’horreur des camps, il a subi l’interdiction de publier de 1946 jusqu’en1969. Il aurait pu être un héros de la poésie opprimée, mais il s’est souvent tu, humble, hanté par le tragique de l’existence et le silence de Dieu.
« Je ne suis que poète, homme - et non pas un saint. Dans ma situation, chez moi, je suis arrivé au bout de mes forces. Comme celui qui porte un poids trop lourd, et tout d’un coup, il ne sent plus ni le poids ni ses bras. Soudain, il prend peur, comprenant qu’il va tout lâcher. [...]... Je ne vois rien d’autre devant moi que la fidélité de la chute libre et l’espérance vaine de la miséricorde de Dieu. Recueil des lettres de J. Pilinszky.
Ses réflexions sur Auschwitz ont bouleversé Imre Kertesz, ses poèmes sont vénérés en Hongrie, et tout spécialement Apocryphe (Apokrif).
Car János Pilinszky est autre, fondamentalement pessimiste et effacé.
« Je suis un poète et un catholique » est son credo. Mais son rapport à Dieu n’est pas celui du simple catholicisme, mais d’une foi profonde et désespérée, lucide et amère.
« Dieu, de temps en temps, ensanglante le linge de l’histoire » Il est autre, il est celui que son ami Lorand Gaspard définit ainsi :
« Il appartient à ces poètes de l’ombre et du silence, emmurés par la tragédie, l’idéologie politique, et dont les mots redisent avec obstination le droit à "la splendeur illicite". »
Sa grande amie Nema Nagy en dresse le beau portrait suivant :
« Pilinszky est différent. Tout le monde est différent, mais certains le sont plus que d’autres. Pilinszky est plus différent en ce sens dans la poésie hongroise et dans la poésie en tant que telle;.. Cela est, il est différent en fait, il est vraiment différent, profondément déviant, rare et improbable, une antilope blanche, un élément au-delà du tableau périodique. Quand il marchait dans la rue, l’une de ces rues sombres de Budapest des années cinquante, dans son manteau aux épaules étroites, trop serré autour des épaules, il marchait comme une légende persécutée. Il était bien cela, une légende persécutée, lui poussé hors de la littérature et totalement inconnu, peut-être quelques compagnons des catacombes chuchotaient son nom, le passant de bouche en bouche et d’oreille à oreille. » (Nemes Nagy Ágnes).
Ainsi cet homme fut prisonnier de guerre en 1944, où il a vu les horreurs du camp de Ravensbrück et d’autres, et qui en sera toujours hanté. Et sa deuxième expérience fut sa vie dans le régime communiste hongrois, qui sera une survie « comme la pierre », entre « les échardes de la peur et de l’absurdité. »
«Dieu me voit debout dans le soleil. » Et l’ombre portée du mal angoisse ce chrétien tragique.
Mais des ruines il veut faire renaissance, même dans l’obscurité, offrant une sorte de compassion totale par l’art pour sauvegarder la dignité humaine. Il semble vouloir vivre une Passion universelle.
Il a voulu « réparer l’irréparable », car sinon rien n’a de sens et le monde n’est que chaos cruel. Il veut redonner place et vie à toutes les existences perdues, exclues, jetées dans l’oubli et la douleur.
« J’ai voulu faire le premier pas dans l’épaisseur de l’absurde ».
Sa poésie fait tous ces pas et en rendant « la réalité la plus nue possible », nous réconcilie avec l’homme.
Un poète de l’ombre et du silence
Nous faisons ce que nous ne faisons pas
et nous ne faisons pas ce que nous faisons.
Quelque part il fait un silence terrible.
Vers cela nous gravitons. (Hommage à Newton).
János Pilinszky est né le 27 novembre 1921 à Budapest.
Son enfance dans un milieu d’intellectuels ne sera pas simple aux côtés d’un père violent qui très souvent le frappe.
János Pilinszky fait ses études chez les piaristes de 1931 à 1939. En 1939 il s’inscrit à la faculté des lettres de Budapest, et suit des cours d’histoire de l’art, de littérature jusqu’en 1944, et devient rédacteur adjoint de Élet (« Vie »), hebdomadaire catholique. Sa thèse de doctorat a été détruite pendant la guerre. On peut noter qu’il a commencé en 1935, à l’âge de quatorze ans, à écrire de la poésie.
Ses premiers poèmes, parus en 1940, portent déjà sur le destin tragique de l’homme et sa solitude inexorable.
La Hongrie est occupée dans la deuxième moitié de 1944 par l’armée allemande, et les nazis hongrois prennent le pouvoir.
En 1944, János Pilinszky, à 23 ans, est mobilisé dans l’armée hongroise et bientôt évacué avec son unité en Allemagne, puis en Autriche, dans la retraite de l’armée hongroise et allemande. Il n’a jamais combattu, mais dans une Allemagne en pleine défaite, il a été témoin de scènes horribles, parmi eux le traitement brutal et dégradant des détenus des camps de concentration et des prisonniers de guerre alliés, surtout au camp de Ravensbrück, avec ses fusillés ou battus à mort.
Il est d’autant plus bouleversé que sa mère est allemande. Il va en retirer un sentiment de culpabilité qui jamais ne l’abandonnera. Sa dernière année de la guerre a été passée à se déplacer de camp de prisonniers en camp de prisonniers, en Allemagne et en Autriche.
Après la fin de la guerre, affamé, il erre dans les camps de concentration libérés et voit le « scandale », comme il l’écrit, des camps d’extermination. Pour lui aussi se pose la question « d’écrire après Auschwitz », et celui du silence de Dieu.
Imre Kertesz écrit :« Pilinszky parle d’Auschwitz en disant mot pour mot ce que je dirai plus tard en parlant de « l’irréparable réalité ». Le catholicisme officiel, celui de l’Église, rejette le catholicisme profond de Pilinszky de même qu’il refuse de voir Auschwitz. Pilinszky lui vit religieusement Auschwitz… C’était peut-être le poète catholique hongrois, János Pilinszky qui a donné le nom le plus exact à cette situation grave lorsqu’il l’a appelée "scandale" ; de toute évidence, il voulait dire qu’Auschwitz s’était produit dans le milieu de la culture chrétienne et ainsi, il était inexpiable pour l’esprit métaphysique. » (Discours de Stockholm.)
Le prisonnier français, Harbach 1944, Ravensbrück passion, et surtout Apocryphe, écrits en 1947, sont des témoignages saisissants de ces expériences.
Cette expérience a marqué de façon profonde et indélébile sa poésie. :
« Ce qu’il a vécu dans les camps a brisé le septième sceau, a révélé le nouvel homme, l’humanité mise à nu, de sorte qu’il n’en est resté que la ténacité biologique des cellules. » (Ted Hughes.)
Et le monde des camps ne le quittera plus, il sera son intime, son cauchemar.
Il aura longtemps le comportement d’un survivant.
À l’automne de 1945, il est autorisé à retourner dans sa ville natale en Hongrie, et devient un des rédacteurs de l’éphémère, mais importante, revue Ujhold (« Nouvelle Lune »). Il en a été corédacteur en chef de 1946 à 1948.
Son premier recueil, en 1946, Trapèze et barres, lui vaut une reconnaissance immédiate, car il sait exprimer sa haine de la guerre et du fascisme, l’asservissement de l’homme, son angoisse profonde et ses interrogations sur le sens de la vie. Souvent il utilise des images religieuses et des thèmes bibliques.
Mais le nouveau régime stalinien le réduit vite au silence.
Il a longtemps travaillé dans l’édition, puis à partir de 1949 il a été membre permanent, jusqu’à sa mort, de la rédaction de Uj Ember (Nouvel Homme), revue catholique.Il a pensé longuement à émigrer, mais il ne le fit pas.
[...] Je n’ai jamais cherché à jouer un rôle quelconque. Mais comme cela m’est tombé dessus, il faut bien que je l’endosse. Seulement, je crains de ne pas pouvoir l’assumer chez moi, et l’émigration constituerait la seule suite et fin que j’ai encore à ma disposition… L’émigration a ses avantages et ses inconvénients. Ma mélancolie restera intacte. Un sentiment de dérobade me tourmentera aussi, sans aucun doute. C’est avec une angoisse incessante que je suivrai ma famille de loin. S’ils essuient des brimades, pourrai-je leur venir en aide? S’ils sont malades, pourrai-je les soutenir matériellement ? [...].Recueil des lettres de J. Pilinszky.
Il a passé plusieurs mois à Rome en 1947-1948.
Le 12 octobre 1955, il épouse Anna Marcus, peintre, mais seulement après quelques mois leur mariage est rompu, car il avait découvert son homosexualité, mais en raison de ses convictions catholiques, il refoulera cela profondément en lui-même.
Il écrit en 1959 Harmadnapon (Au troisième jour), qui n’est publié que dix ans après, parce que le parti communiste au pouvoir considérait ce recueil comme trop « pessimiste » et démoralisateur.
Ce n’est qu’en 1964 qu’il est autorisé à publier de nouveau.
En 1963, il effectue un premier long séjour en France, où il découvre l’œuvre de Simone Weill qui va désormais influencer en profondeur sa pensée.
Il va traduire toute son œuvre en hongrois.
Puis passe le reste de sa vie entre voyages, Pologne, Suisse, Belgique, Vienne, Londres, Rome, États-Unis. Il passe à plusieurs reprises de longues périodes en France et en Angleterre. Il organise des rencontres poétiques, et s’occupe de publications. Ses poèmes recueillis, Krater (Crater) ont été publiés en 1976.
Il meurt brusquement à Budapest le 27 mai 1981 d’une crise cardiaque. Il s’était marié onze mois plutôt, en juin 1980, avec Ingrid Ficheux, rencontrée à Paris.
Clou enfoncé dans la paume du monde,
pâle comme la mort,
Je suis couvert de sang. János Pilinszky.
L’engagement immobile, ou le dépouillement
« Par la littérature je veux en réalité arriver chez moi…Au fond de tout cela il y a ceci : trouver le chemin du retour. »
Ce qui caractérise la poésie de ce chrétien tragique, c’est une certaine abstraction, une compacité extrême, un certain art du laconisme, un balancement continu entre le réalisme exact et l’énigmatique. Pourtant il avait très tôt su maîtriser les arcanes de la langue hongroise, sa musicalité, sa sophistication, sa richesse. Mais il va la dépouiller, la mettre à nu.
Il va vouloir ainsi renoncer à toute la perfection de la langue pour parler à hauteur d’homme, simplement, avec des « mots quelconques, usés, sans éclat, tiré du grand dépotoir de la langue. »
Il revendique une langue pauvre :
« Je veux faire une poésie pour les horrifiés. »
Sa poésie est exigeante, parfois aride, fuyant les métaphores et même la musicalité de la langue hongroise.
Extérieurement elle peut sembler classique, ordinaire, et simple, en fait elle est limpide, claire, directe.
Profondément marqué par l’existence des camps de la mort, sa poésie inclassable est portée par une existence ascétique où il se veut «simple porteur de témoignage ». Il est pourtant voyant et visionnaire.
Et il demeure un des grands poètes de la Seconde Guerre mondiale, dont il a dénoncé le scandale, et la monstruosité, avec une puissance saisissante, lui qui n’a été pourtant que témoin des camps de la mort.
Pilinszky, le catholique profond, bouleversé par la visite d’un camp de concentration en 1965, sublime « le martyre des prisonniers du camp en l’associant à la mort du Christ, lui assurant ainsi l’éternité.»
Pour lui le scandale du monde, la véritable faute originelle, est Auschwitz, et toutes ses tentatives d’écriture se voudront réparation de ce trou noir.
Il semble représenter une sorte d’existentialisme chrétien, ne croyant plus à la grâce, ni pouvant se résoudre au silence et à l’absence de Dieu. Il est écartelé entre sa foi catholique et son désenchantement envers un monde cruel. Il a vécu l’horreur de la vision des camps nazis et celle de l’oppression en Hongrie par le régime communiste.
N’oublions pas qu’il fut réduit au silence entre 1949 et 1957 et surtout 1959, et qu’il s’y tint sans trop se révolter.
La révolte de Budapest de 1956, auquel il ne sembla pas avoir pris part, a néanmoins un peu desserré l’étau communiste.
Il définit ainsi sa langue poétique :
:« Si quelqu’un demande, ce qui après tout est ma langue poétique, en vérité, je devrais avoir à répondre : c’est une sorte de manque de langage, une sorte de pauvreté linguistique. J’ai appris notre langue maternelle à partir de la sœur aînée de ma mère, qui fut accidentée, j’étais malade, et j’ai à peine dépassé le stade de balbutiement enfantin. Ce n’est pas beaucoup. Nul doute que le monde a ajouté ceci et cela, tout à fait au hasard, par accident, d’horizons très différents... Nous ne devons pas ajouter quoi que ce soit à notre langue maternelle.Ce serait comme si nous avions tenté d’améliorer notre origine. Mais dans l’art même une telle mauvaise inclinaison- peut être rachetée. Dans l’art le sourd peut entendre, l’aveugle peut voir, l’infirme peut marcher, chaque lacune peut devenir une force créatrice de haute qualité. »
János Pilinszky est le poète de la condition humaine et les thèmes de la solitude, des trahisons, du manque d’amour, de la dépossession, de la détresse, du silence de Dieu sont obsédants dans son œuvre.
« L’homme est un atome frileux, et l’univers n’est pas construit d’attitudes, mais d’atomes. » János Pilinszky.
Il passera de la colère à l’expérience mystique.
Son Dieu est le Dieu des absences, mais sa poésie se révèle être presque une activité religieuse.
Sa volonté presque franciscaine de dépouillement fait que souvent sa poésie peut sembler simple, terne. Il la veut « déguenillée », immédiate. Mais elle ne l’est pas, souvent voilée et mystérieuse.
Car elle veut rendre compte de la vie :
« Je ne peux pas faire de différence entre la littérature et la vie. Plus exactement dans la mesure où je peux faire une différence, je n’aime pas la littérature. »
Homme et poète solitaire, János Pilinszky restitue l’angoisse existentielle de son temps. Profondément marqué par Dostoïevski et Simone Weill, il médite dans sa poésie sur la détresse de la condition humaine.
Et pour lui « toute parole habite le silence. », et le malheur des hommes provient de l’abandon de l’amour.
«Je voudrais écrire comme si j’avais gardé le silence. »
Lui même semble osciller entre sainteté et suicide.
Certes il est un poète catholique, mystique aussi, mais ainsi :
« Précisons. Je suis poète et catholique. À mon avis le catholicisme n’est rien d’autre au fond que l’acceptation du fait que l’homme vit irrémédiablement dans le temps et dans l’espace…J’aimerais bien être un poète catholique au sens où cela signifie universel. »
Son combat à lui sera « l’engagement immobile », la compassion absolue vers les autres, l’écoute attentive et fraternelle de la « réalité immobile ». Celle des humbles, des exclus, en oubliant tout intellectualisme, afin de retrouver un regard d’enfant sur les êtres et les choses.
Tel que j’ai commencé, tel je suis jusqu’au bout.
Comme j’ai commencé, je continue jusqu’à la fin.
Pareil au forçat qui, retour
dans son village, continue de se taire,
assis, sans dire un mot, devant son verre.
Il refuse toute tricherie avec les mots, János Pilinszky est un être pur, un innocent. Il n’aura en fait tenté toute sa vie que de retrouver le chemin qui conduit chez soi, vers soi.
Sa conception de l’artiste et de sa responsabilité était la suivante :
« L‘artiste n’est pas un saint, n’est pas un criminel, n’est pas un génie, n’est pas un idiot. Il est tous les quatre à la fois. (Journal d’un lyrique).
À l’heure où la Hongrie vit encore des jours bien sombres, János Pilinszky demeure une force de résistance, de méditation, et sa poésie résonne encore plus fort qu’hier.
Tout comme la terre, où immobile
je m’élancerai et m’effriterai.
Tout comme l’eau,
Si proche la fête des sanglots.
(Tout comme la terre, traduction Lorand Gaspar.)
Gil Pressnitzer
Sources : - Même dans l’obscurité, Orphée/La Différence, 1991, par Lorand Gaspar et Sarah Clair.
- Etude de Ted Hughes.
Choix de textes
Suffit(Elég, 1972)
Si vaste soit la création,
elle est plus étroite qu’une niche.
D’ici à là-bas. Pierre, arbre, maison,
je bricole. J’arrive en avance, en retard.
Parfois pourtant quelqu’un arrive,
et ce qui est, soudain se déploie.
La vue d’un visage suffit, une présence,
et les papiers peints se mettent à saigner.
Suffit, oui, une main suffit
quand elle remue le café
ou «se retire après les présentations»,
suffit, pour oublier l’endroit,
la rangée de fenêtres sans air, oui,
pour qu’en rentrant la nuit dans notre chambre
nous acceptions l’inacceptable.
Éclats (Szálkák, 1972) – Traduit du hongrois par Lorand Gaspar et Sarah Clair. © Même dans l’obscurité, Orphée/La Différence, 1991
Avant que
De l’avenir je sais peu de choses,
mais je vois devant moi le jugement
dernier.
Ce jour, cette heure
exalteront notre nudité.
Dans la multitude personne ne cherche
l’autre.
Le Père retire la croix comme une écharde,
et les anges, bêtes des cieux,
ouvrent la dernière page.
Alors nous disons : je t’aime.
Je t’aime beaucoup. Et dans le tumulte soudain
nos sanglots une fois encore libèrent la mer,
avant que nous nous mettions à table.
© Même dans l’obscurité, Orphée/La Différence, 1991.Traduction de Sarah Clair et Lorand Gaspar.
AGONIA CHRISTIANA
Avec ses brises, avec ses fleuves,
l’aube est si loin encore !
Je mets ma chemise et mes vêtements.
Je boutonne ma mort.
T raduction : Maurice Regnaut.
La passion de Ravensbrück
Il sort du rang.
Dans un carré de silence il s’arrête.
Comme une image projetée vacillent
Une casaque, une tête de forçat.
Il est effroyablement seul,
On voit les pores de sa peau :
De ce qui est lui tout est immense,
De ce qui est lui tout est minuscule.
Et c’est tout, pour le reste,
Ce fut tout simplement ceci :
Il oublia de crier
Avant de tomber à terre.
Traduction : T. Gorilovics
Le troisième jour
Grondent les cieux gris cendre, les arbres de Ravensbrück,
C’est le troisième jour.
Et les racines sentent venir la lumière.
Et le vent se lève. Et le monde se met à la jubilation.
Des mercenaires ont pu le tuer,
Son cœur a pu cesser de battre -
Le troisième jour, il triompha de la mort.
Et resurrexit tertia die.Traduction : T. Gorilovics
La mer
La mer as-tu dit en mourant,
et depuis ce seul mot de toi
signifie pour moi la mer,
et aussi, peut-être, ce que tu es.
Et peut-être aussi qui je suis ?
Crêtes et creux de vagues.
Ton agonie, telle la mer
me libère et m’ensevelit.
Mère, mère. Jours ordinaires.
J’entends ta mort et je t’appelle.
Terrifiants jours ordinaires.
Pauvre, pauvre, pauvre, pauvre.
© Même dans l’obscurité, Orphée/La Différence, 1991.Traduction de Sarah Clair et Lorand Gaspar.
Un beau jour
C’est toujours la cuillère en fer blanc égarée,
c’est le paysage bric-à-brac de la misère que je cherchais,
dans l’espoir qu’un beau jour
m’inondent les pleurs, avec douceur m’accueillent
la vieille cour, le silence du lierre,
notre maison, son chuchotement.
Toujours,
je désirais toujours rentrer chez moi.
Traduction : Maurice Regnaut
Cela existe
Je voulais être domestique. Cela existe.
Mettre et desservir la table.
Comme monte sur l’estrade le supplicié
et en descend le bourreau.
Maintenant, entre les degrés de l’échafaud
darde le soleil, le même soleil,
comme si on n’y avait monté personne
qui ne fût redescendu. Je voulais être silence
et estrade. Monde coincé entre les marches.
Personne et rien. Espoir de fin de semaine.
Même dans l’obscurité, traduit du hongrois par Lorand Gaspar,© Orphée, La différence
Exhortation
Pas la respiration. Le halètement.
Pas la table de noce. Ce qui tombe,
les restes, le froid, les ombres.
Pas les gestes. L’affolement.
Le silence du croc, voilà ce que tu dois noter.
Sois attentif à ce que ta ville,
la ville éternelle jusqu’à ce jour observe :
de ses tours, de ses toits, de ses citoyens, vivants et
morts.
Alors peut-être de ton vivant
tu annonceras ce qui seul ici
vaut la peine d’être annoncé.
Scribe,
alors, peut-être, n’auras-tu pas passé ici en vain.
« Lettres, lignes »
Mériterait une mort paisible
tout scribe qui dans la nuit
prend plume et se penche sur le papier.
Apocryphe (Apokrif, 1959)
Car toutes choses seront alors abandonnées.
Le silence des cieux,
celui des terres du bout du monde,
celui encore des niches à chien
seront à jamais disjoints.
Dans l’air une armée d’oiseaux en déroute.
Et nous verrons le soleil levant,
muet comme une pupille démente,
calme comme une bête sauvage aux aguets.
Mais veillant dans l’exil,
ne pouvant dormir la nuit,
je m’agite tel un arbre de ses milliers de feuilles,
et je parle tel un arbre nuitamment:
Connaissez-vous la marche des ans,
des ans sur les terres fripées?
Et comprenez-vous les rides du périssable,
connaissez-vous ma main meurtrie?
Et savez-vous le nom de l’orphelin?
Et savez-vous quelle sorte de douleur
de ses sabots fendus, de ses pattes palmées
piétine ici les ténèbres éternelles?
La nuit, le froid, le trou,
la tête oblique du forçat,
connaissez-vous les auges engourdies,
et la tourmente des profondeurs?
Le soleil est monté. Gaulis obscur
dans l’infrarouge d’un ciel furieux.
Ainsi je pars. Face à la ruine
un homme va en silence.
Il n’a rien, une ombre.
Et un bâton. Et une casaque de forçat.
2
Voilà pourquoi j’ai appris à marcher! Pour
ces pas amers et tardifs.
Et il fera soir, de sa boue la nuit
se fait pierre sur moi et sous les paupières closes
je garde encore cette marche, ces arbrisseaux,
ces rameaux fiévreux.
Feuille à feuille le bosquet brûlant.
Autrefois ici fut le paradis.
Douleur qui resurgit dans le demi-sommeil:
on entend ses arbres immenses!
Je voulais rentrer, chez moi enfin,
comme aussi est rentré celui de la Bible.
Mon ombre terrifiante dans la cour.
Silence meurtri, parents vieux dans la maison.
Et déjà ils arrivent, m’appellent, les pauvres
déjà ils pleurent, m’embrassent en trébuchant.
L’ordre ancestral m’accueille.
Je m’accoude dans le vent des étoiles.
Si une seule fois maintenant je pouvais te parler,
à toi que j’ai tant aimé. D’année en année
je ne me suis point lassé de redire,
comme pleure un enfant dans une encoignure,
l’espoir qui déjà sait tout,
d’arriver et de te trouver.
Ta proximité bat dans ma gorge
Je m’affole telle une bête sauvage.
Tes mots, le parler humain
je ne les connais pas. Il y a des oiseaux
qui à cette heure se sauvent à se rompre
sous le ciel, sous le ciel en feu.
De pauvres planches fichées dans un champ en flammes,
et des cages qui brûlent immobiles.
Je ne comprends pas le parler humain
et je ne parle pas ta langue.
Ma parole plus que les mots est sans patrie!
Aussi n’ai-je pas de parole.
Poids atroce
déboule dans l’air et sonne
le corps d’une tour.
Tu n’es nulle part. Comme le monde est vide.
Une chaise de jardin, une chaise longue, dehors, oubliée.
Dans les pierres aiguës mon ombre fait un bruit
de ferraille.
Je suis las. Je fais saillie de la terre.
3
Dieu me voit debout sur le soleil.
Il voit mon ombre sur pierre et clôtures.
Sans souffle il voit mon ombre
debout dans le pressoir sans air.
Alors je suis déjà comme la pierre,
ride morte, dessin de mille entailles,
poignée de gravats, tel est
le poids du visage de la créature.
Au lieu de larmes des rides sur le visage,
coule, ruisselle le fossé vide.
Au troisième jour (Harmadnapon, 1959) – traduit du hongrois par Lorand Gaspar et Sarah Clair. Même dans l’obscurité © Orphée, La différence
HÖLDERLIN(à György Kurtág)
Chaleur de décembre, grêle des étés,
oiseau noué à quelque fil de fer,
que n’ai-je été ? Je meurs heureux.
VAN GOGH Ils se sont dévêtus dans le noir,se sont étreints et se sont endormis,pendant que toi, dans la splendeur,pleurais et soupesais.
Tombée du jour.Dans la chaleur près de croulerà proximité du papier est parvenu le soleil.Tout s’est arrêté.Il y avait là aussi une boule en fer.
"Agneau du monde, lupus in fabula,dans la vitrine du temps présent je brûle !"
(traduction Maurice Regnaut)
Cratère (Kráter, 1976)
Nous nous sommes rencontrés. Nous nous rencontrons.
Dans un débit de tabac. À une vente aux enchères.
Tu cherchais quelque chose. Tu déplaces
quelque chose. Je m’enfuirais. Je reste.
J’allume une cigarette. Tu t’éloignes.
Tu descends et tu montes.
Je monte et tu descends.
Cigarette. Tu marches. Je marche.
Nous marchons sur place ; tel un assassin,
je te suis à la trace.
Pépiement d’oiseau quand
tu me reproches ma naissance.
Que nous soyons là debout. Puis dans un bras mort
de la route, mon bredouillement
commence à rouler, roule en bas
de tes membres immenses
et de ce quelque chose
de victorieux et d’aveuglant,
qui n’est plus toi.
Ton refus, ce cinglement lascif,
inscrit dans la pierre me touche
au point que, mon regard – deux cailloux -
ne fait que rouler, rouler depuis
dans un cratère d’un blanc immaculé.
Mes deux yeux crépitent : mon salut.
Traduit du hongrois par Lorand Gaspar et Sarah Clair.. Même dans l’obscurité © Orphée, La différence.
Blessure Des oiseaux ensanglantent le ciel,
les pas d’enfants et de bohémiens
trouent la neige dure, plus vierge
qu’une sérénade. Mais c’est ça qui est beau,
la blessure incessante
faite à la splendeur.
Même dans l’obscurité, traduction de Lorand Gaspar et Sarah Clair, Orphée / La Différence, 1991
Lettre Tu m’as hébergé pour une nuit.
partageant ton oreiller. Évangile.
Tu es splendide. Je ne comprends rien.
Il n’y eut que bonté point de sexe.
Encore et encore je pleure.
Pas à cause de toi. Pour toi. Pour moi.
Heureux ceux qui pleurent.
Tu m’as hébergé pour une nuit. Tu m’habites à jamais.
Trente poèmes traduits du hongrois par Lorand Gaspar et Sarah Clair aux éditions de Vallongues, 1990.
Sur ma pierre tombale
Dessine, dessine pauvre garçon.
Dessine, dessine pauvre fille.
Pauvre, pauvre être indigne
Efface du dos de Dieu, efface
Mon honteux souvenir.
Même dans l’obscurité, traduction de Lorand Gaspar et Sarah Clair, Orphée / La Différence, 1991.
Adaptations personnelles à partir, notamment, des traductions en anglais de Ted Hughes et Kenneth White
Le désert de l’amour (A szerelem sivataga)
Un pont, sur une route au macadam en feu
Le jour a vidé ses poches,
Méticuleusement, il décharge tout
une chose après l’autre et vous-même.
Seul dans le soir catatonique.
Fossé froissé, comme le paysage ;
Cicatrices hébétées dans l’ombre morose.
Tombé du soir. Éclat qui fige
éblouissement du soleil. Je n’oublierai jamais, l’été est là.
C’est l’été et chaleur où tout flambe.
Tout cela est, et je ne sais les ailes des chauves-souris,
les oiseaux, comme anges en combustion
placardés, déchiquetés dans des cages.
Vous souvenez-vous? Au commencement fut un jeu d’enfant;
Et puis la terre et puis la cage.
Feu et excrément. Et de temps en temps
une paire de battements d’ailes, un peu de réflexes vides.
Et de soif. J’ai demandé de l’eau.
Même aujourd’hui, j’entends encore les gorgées fébriles,
Je tolère impuissant, comme une pierre,
et j’étanche les mirages.
Les années passent, les années, et espèrent -
Telle une vieille chose abattue comme de la paille.
Harbach 1944
À Gábor Thurzó
En tout temps, je les vois.
La lune brillante et pleine. Une chose noire surgit.
Sous celle-ci, des hommes harnachés
transportent une immense charrette.
Ils font glisser ce chariot géant
qui grossit comme la nuit grandit
leurs corps sont éparpillés entre
la poussière, leur faim et leur tremblement.
Ils portent la route, ils transportent le paysage,
les sombres champs de pommes de terre,
et tout ce qu’ils savent, c’est le poids de tout,
le fardeau des horizons
et les corps tombés de leurs compagnons
qui poussent presque dans leur propre corps
quand ils titubent, couches vivantes,
marchant chacun sur les pas de l’autre.
Les villages restent à l’écart d’eux,
les passerelles se retirent.
La distance, qui est venue à leur rencontre,
chancelle toujours plus loin.
Titubants, ils pataugent jusqu’aux genoux
dans le très bas, avec le bruit sourd et sombre
de leurs sabots de bois
comme une litière de feuilles invisibles.
Déjà leurs corps appartiennent au silence.
Et ils plongent leurs visages vers le haut
comme s’ils se tendaient vers un parfum
des auges célestes lointaines
car, préparée à leur venue
comme un enclos à bestiaux déjà tout ouvert,
ses portes rejetées sur eux sauvagement,
la mort ouvre au néant ses gonds.
Le prisonnier français
Si seulement je pouvais l’oublier, lui le Français
Je l’ai vu en dehors de nos quartiers, rampant tout autour
près de l’aube dans la densité de jardin
comme s’il avait presque poussé dans le sol.
Il regardait juste en arrière, fixant autour de lui
pour vérifier qu’il avait une cachette sûre et qu’il était seul:
une fois qu’il en fut sûr, son butin était le sien!
Quoi qu’il en soit, ne bouge pas plus loin.
Il mangeait déjà. Il dévorait
un navet chapardé caché dans ses guenilles.
Mangeant de l’alimentation élémentaire pour le bétail.
Mais il avait à peine avalé une bouchée qu’il s’étouffa avec;
et les aliments sucrés rencontrés sur sa langue
d’abord délices puis dégoût, comme pourrait l’être
le bonheur et le malheur, se mélangeaient dans
l’extase dévorante de leurs corps.
Seulement pouvoir oublier ce corps... Omoplates
tremblantes, et une main réduite à la peau et les os,
la paume bourrant sa bouche tellement
qu’il semblait se cramponner à la nourriture.
Et puis la honte furieuse et désespérée
des organes écorchés l’un par l’autre, contraints
d’entredéchirer l’un contre l’autre ce qui devrait les unir enfin
ensemble en une communauté.
La façon dont ses pieds maladroits avaient été repliés
dans la joie sauvage et le tourment ! Et comment
ils étaient écartés et paralysés maintenant sous
la torture du corps et le ravissement féroce.
Et son regard !- si je pouvais oublier cela!
Étouffements, il avalait juste pour manger, encore et encore,
n’importe quoi, rien, ceci ou cela, lui-même !
Pourquoi continuer? Il s’était échappé
du camp de prisonniers proche – les gardes sont venus le chercher.
Je me promène, comme je le faisais alors dans ce jardin,
parmi les ombres de mon jardin intérieur.
Je consulte mes notes, je me rappelle :
«Si seulement je pouvais l’oublier, le Français » -
et de mes oreilles, de mes yeux, de ma bouche, la bouillonnante
mémoire déborde dans son cri :
«J’ai faim ! " - Et soudain, je ressentis
la faim éternelle que cette misérable créature
a depuis longtemps cessé de ressentir, et pour qui,
aucune nourriture terrestre ne saurait apaiser.
Il me mange ! De plus en plus affamé!
Et je lui suffis de moins en moins!
Lui qui se serait contenté de n’importe quelle nourriture,
maintenant il réclame mon cœur.
Epilogue (Angol)
Pour Pierre Emmanuel
T’en souviens-tu encore ? Sur les visages.
T’en souviens-tu encore? Le fossé vide.
T’en souviens-tu encore? Dégoulinant.
T’en souviens-tu encore? Debout face au soleil.
Tu lis un journal de Paris.
Depuis c’est l’hiver, nuit d’hiver.
Tu mets la table à côté de moi,
Tu fais le lit dans la lune brillante.
En retenant ton souffle, tu te déshabilles
dans la nuit de la maison pure.
Tu laisses tomber ta chemise, ta robe.
Ton dos est une pierre tombale nue.
Il s’agit d’une image malheureuse.
Y a-t-il quelqu’un ici ?
Un rêve éveillé :
sans aucune réponse, je traverse sans crainte les chambres
qui traînent dans les profondeurs des lueurs des miroirs.
Alors, est- ce mon visage, ce visage-là?
La lumière, le silence, le jugement est cliquetis,
tout comme mon visage, cette pierre qui vole
du miroir blanc comme neige vers moi !
Et les cavaliers ! Les cavaliers !
Déranger les ténèbres et la lumière est blessée.
Un mince filet d’eau coule vers le bas
sur la porcelaine immobile.
Je frappe à des portes verrouillées.
Ta chambre sombre est comme un puits profond.
Froidure vive sur les murs.
Je barbouille le mur avec mes larmes.
Aidez-nous toits enneigés !
Il fait nuit maintenant. Lueur orpheline
avant le jour du néant
arrive donc. Brillez donc en vain !
J’appuie ma tête contre le mur. De partout autour de moi
comme une poignée de neige tenue dans la main
une miséricorde m’est offerte
par une ville morte à un homme mort.
Je vous aimais! Un cri, un soupir,
un nuage fugitif en cavale.
Et les cavaliers au trot orageux, dense, arrivent
et vous laissent trempés dans la lumière du matin.
La prière de Van Gogh
Une bataille perdue dans les champs de blé
et dans le ciel une victoire.
Les oiseaux, le soleil et les oiseaux à nouveau.
La nuit, que restera-t-il de moi?
Dans la nuit, seulement une rangée de lampes,
un mur d’argile jaune qui brille,
et plus bas le jardin, à travers les arbres,
comme des bougies dans une rangée, les vitres;
là, j’ai habité jadis et je n’y demeure plus-
Je ne peux pas vivre là où je vivais autrefois, bien que
le toit toujours m’abritait comme une mère.
Seigneur, tu me couvrais il y a longtemps.
Là où vous êtes tombé, vous demeurerez.
Dans l’univers tout entier c’est là
le seul endroit, le lieu d’élection
que vous avez fait vraiment vôtre.
Le pays s’enfuit de vous.
Maison, moulin, peuplier- tout
Se bat ici contre vous, comme dans la
mutation du néant.
Mais maintenant, c’est vous qui ne voulez pas abandonner.
Vous avons-nous trompé ? Vous avez grandi riche.
Vous avons-nous aveuglé? Vous nous regardez encore.
Vous témoignez sans paroles.
Introitus
Qui, aujourd’hui, va ouvrir le livre fermé?
Qui doit faire la première coupure dans le temps ininterrompu?
Passant de l’aube à l’aube,
soulevant les pages et les laissant tomber.
Qui d’entre nous oserait atteindre
les flammes de l’Invisible? Qui osera tâtonner
parmi les feuilles denses du livre scellé?
Et comment oserait-il avec sa main nue?
Qui de nous est sans crainte? Qui n’aurait pas peur
quand même les yeux de Dieu sont fermés
et que tous les anges tombent à terre
et que chaque créature s’obscurcit?
Parmi nous, seul l’Agneau n’a pas peur.
Lui seul, l’Agneau qui a été tué.
Et il saute le long de la mer de verre.
Il grimpe sur le trône. Il ouvre le livre.
1961.
Fable
Il était une fois
un loup solitaire
plus seul que les anges.
Il advint qu’il entra dans un village.
Il tomba en amour avec la première maison qu’il a vu.
Déjà, il aimait ses murs
les caresses de ses maçons.
Mais les fenêtres l’arrêtèrent.
Dans la salle étaient assis des gens.
À part Dieu personne jamais ne les avait
trouvé si beaux
comme cette bête enfantine.
Alors la nuit, il entra dans la maison.
Il s’arrêta au milieu de la salle
et ne bougea plus de là, plus du tout.
Il resta toute la nuit, avec de grands yeux
Jusqu’au matin quand il a été battu à mort.
Ensuite, je regarde
Ensuite, je regarde la façon dont l’eau goutte à goutte coule,
d’une manière hésitante et douce,
les mots communs à la douleur et au hasard
leur dessin si long – sur la mort des pierres
les visages de vie -
Je les regarde avant
que je ne mérite l’oubli.
Éternité
Le peigne dans tes cheveux est mort,
caresses arrêtées.
Je prends dans ta main le peigne.
C’est fini. Et nous bras dessus, bras dessous.
Voile
Il n’y a pas de soleil. Il n’y a pas de lune.
Et vous n’avez pas d’enfants.
Et surtout pas de terre-mère.
Il n’y a pas de cercueil et pas de domicile.
Pas de berceau et pas de couverture,
de mort ajustée à nos têtes.
Aiguille, Celui qui vit tourne dans une aiguille
et notre paix n’est pas autre chose que
cette aile retombante, qui défaille,
comme une défroque
ou ce voile de mariée effondré sur un clou
et sans doute même pas ôté.
Balance.
Nous balançons.
Sans cimetière.
attente
Nous dormions. Dans mon rêve, j’étais un arbre,
puis plus rien, puis un petit enfant,
un adulte qui frappe à la porte.
En attendant, toi aussi tu étais un arbre.
La jupe des enfants.
Pas de porte. Frappement. Coup.
Nous frappions ensemble. Nous ne savons plus
si c’est la même porte? Une chose est sûre:
cela peut être le battement d’un ange.
Sur une étoile interdite (Tilos csillagon)
Je suis né sur une étoile interdite,
maintenant j’erre le long de la rive,
la vague du vide céleste me ramasse,
joue avec moi et me rejette.
Pourquoi faire pénitence, on ne le sait même pas.
Tout est énigme de sifflement,
ne fuyez pas pour me trouver sur le rivage,
sur cette rive submergée en contrebas.
N’ayez pas peur non plus, ou courez loin de
moi, au lieu de calmer mes souffrances,
serrez-moi fort yeux fermés, tenez-moi
bravement comme vous tiendriez un couteau.
Osez me réclamer d’être des vôtres, comme en bas
les morts ont leur propre nuit,
votre épaule pour tenir mon épaule affaiblie,
Je ne peux pas continuer plus longtemps!
Je ne voulais pas venir dans ce monde,
le vide m’a eu et c’était mon infirmière,
il m’aime avec noirceur et brutalité, comme
celui qui abandonné aime celui qui s’en est allé.
Poissons dans le filet
Se tordant dans le filet des étoiles
comme le poisson transporté sur terre
nous haletons dans le vide
nos branchies remplies de sable
L’élément que nous avons laissé et perdu
chuchote en vain
nous haletons sur les galets
où nous avons été jetés.
Serrés l’une contre l’autre
nous nous battons pour respirer
nous luttons et tremblons
face à la mort.
De la masse frétillante
montent des cris étouffés,
mais le massacre continue
jusqu’àu moment, que l’un, puis l’autre, meurt.
Expiation et repentance
sont le langage de l’âme,
mais rien ne peut nous sauver
de cet enfer sans espoir -
Nous nous tordons dans le filet
de quelque pêcheur cosmique
et peut-être à minuit
serons-nous dans sa poêle à frire.
Bibliographie
Bibliographie en français :
- Entretiens avec Sheryl Sutton, Le Roman D’un Dialogue, Editions Vallongue, 2002.
- Trois autels et autres récits, Editions Vallongue, 2000.
- Même dans l’obscurité, Orphée/La Différence, 1991.
- 30 poèmes, Editions Vallongue, 1990.
- K.Z. Oratorio, Théâtre, Editions Obsidiane, 1983.
- Poèmes choisis, Gallimard, 1982.
Tous traduits par Sarah Clair et Lorand Gaspar.
Bibliographie en hongrois
Poisson dans le filet (1942)
Trapèze et les limites (1946)
L’Oiseau d’Or (1957)
Troisième jour (1959)
Requiem (1964)
Urban Icons (1970)
Éclats (1972)
Résultat (1974)
La naissance du soleil (1974)
Plan & Contact (1975)
Cratère (1976)
Entretiens avec Sheryl Sutton (1977)
Œuvres choisies (1978)