Pierre Bergounioux

Notre ami d’enfance

Le vent est loquace, comme tous les solitaires. (Hugo).

Ainsi de livre en livre, un homme long, un homme lent en quête de ses mains, en quête de ses mots nous donne des récits, simples, graves.

Homme de Brive, homme de la Corrèze, il avance avec des précautions de héron dans les brins d’herbe de la vie, et avec toutes ces histoires écoutées tard le soir, rejetées dans les gémissements des granges écroulées.

Pierre Bergounioux refusant le lyrisme, les images que l’on dit poétiques, refait la pelote du temps. Cette approche du voisin, du prochain, de l’ancien, cette grande pitié au monde, font des livres de Bergounioux des chemins retrouvés, au milieu des orties des jours. Pour moi, qui étais plutôt du côté du plateau des Millevaches, et des chouettes crucifiées aux portes pour éloigner le malin, il suffit de quelques phrases pour retrouver les châtaigniers qui mangeaient le soleil, les traces de sangliers, la tourbe au milieu des clairières avec des charbonniers vagues locataires des enfers.

Lire Bergounioux, respirer les fougères

Lire Bergounioux c’est respirer des effluves, retrouver les gestes lents des vieux, entendre leurs paroles et leurs mensonges, savoir jouer de l’immobilité, du passé affleurant sous les fougères. Quand on lit Bergounioux, on n’ose plus parler, ni même avancer car derrière les morts, les surprises de l’enfance, les anecdotes de veillées, se dégage ce pouvoir émouvant jusqu’aux larmes, de conteur, de témoin. Avec Pierre Bergounioux, on voit, on sent, on attend, on peut toucher la foudre ou la rosée, faire revivre cette porte qui grince. L’écriture de Bergounioux est profondément physique, tactile, on goûte les mots plutôt que de les comprendre. Dans un curieux livre Le bois du chapitre il écrit tout à la fin de ce pèlerinage mortuaire :

C’est ce qu’on a surpris, du coin de l’œil, entre deux lits de mousse, un large morceau de drap noirci, pourri que la terre bosselle qui nous somme de partir. On est de trop. Ce qu’elle pouvait accepter des hommes, elle l’a subi une fois pour toutes. Elle les a accueillis en son sein, en plus grand nombre qu’il n’en pouvait contenir. Elle en est pétrie, saturée, faite dans l’intime. Il n’y a plus place pour nous, pour rien, pour personne, ici. On ne peut que se taire et se retirer.

Ce passage choisi pour éclairer cette relation, cette étreinte entre la terre et Bergounioux, entre son haut plateau limousin, derrière tous ses morts, et toutes ses vies qui s’ébattent, voudrait nous dire qu’à travers les mots des pauvres gens, Pierre Bergounioux ne vit pas par habitude, n’écrit pas pour un quelconque éblouissement du lecteur. Mort et vie toujours emmêlées, les grands livres de Pierre Bergounioux La Maison Rose, Ce pas et le suivant, La Mort de Brune, Miette, L’Orphelin, C’était nous, La bête faramineuse parmi près de vingt récits, dont l’un d’ailleurs porte plus qu’un titre, mais un art d’être D’abord, nous sommes au monde. Pierre Bergounioux a le culte de l’amitié (Pierre Michon, François Bon, Yves Charnet...).

Son humour tendre, sa patience de pêcheur à la ligne sur les rivières du temps, le font s’échapper dès que l’on veut le cerner.

L’homme du matin des origines

D’ailleurs pourquoi, lui, l’homme du matin des origines, n’a pas besoin d’être célébré, catalogué. Son livre d’images, son livre d’heures, est posé sur des tas de feuilles indécises, dans la brume, comme si cela était déjà le monde.

Pierre Bergounioux est notre mémoire, le seul artisan des mots capable de faire battre à jamais les volets de la maison rose, dans une enfance, la sienne, la nôtre, et qui portera tout le poids de la vie, toutes les paroles murmurées de la mort.

Je ne saurais dire pourquoi l’on circule si librement dans les livres de Pierre Bergounioux - Leur simplicité ? - Leurs mots « infusés de lumière »?

D’où vient ce peu de distance parcourue de livres en livres et qui nous laissent au bord des larmes alors que tout effet, tout attendrissement est rigoureusement banni. Toujours un pays, des vies brisées, des vies retrouvées, un regard d’homme porté sur les bêtes, les arbres, et les humains.

Une fraîcheur intense, compacte, montait de la rivière. (Catherine).

Voilà une lueur pour comprendre pourquoi j’aime Bergounioux : « une fraîcheur intense, compacte, monte de ses livres ».

Ombre merveilleuse d’un grand frère, pain sous le bras, outils sur l’épaule, Bergounioux s’avance aux pas lents de ses phrases d’instituteur généreux, comme un ami d’enfance.

Maintenant que l’on s’extasie sur le « presque rien » de quelques écrivains, il est salutaire de remonter à l’écriture dense, à la vieille odeur de silence de Bergounioux. Cette chandelle somnambule de la mémoire nous dit « c’était nous » et avec Pierre aucun souvenir n’est un mensonge.

Lire Bergounioux est une expérience forte, emplie de terre, et un retour sur le pain noir de nos rêves.

« La maison remplissait le ciel. Le volet filtrait son or pâli. - J’attendais, derrière le tremblement. Peut-être que ce n’était plus de l’effroi, de l’attente : une sorte de paisible certitude. J’ai entendu le bruit clair de la fenêtre, le cliquetis du crochet. - Les volets se sont ouverts sans bruit. - Le temps n’allait pas très vite. Le visage au centre, était le même que cinq ans plus tôt - ou cinquante ou cent mille - et je me suis demandé comment j’avais pu en douter. » (La Maison Rose).

Voici les mots du langage de Bergounioux, qu’il soit le bienvenu dans toutes nos solitudes, lui qui « regarde dedans, dans le coin profond où l’on ne permet à personne de regarder », lui qui réconcilie le granit et la fougère de la mémoire.

Gil Pressnitzer

Bibliographie

Aux éditions Verdier :

Une chambre en Hollande, Verdier (2009)

Carnet de notes. Journal 1991-2000, Verdier (2007)

Carnet de notes. Journal 1980-1990, Verdier (2006)

Back in the sixties, 2003

Simples, magistraux et autres antidotes, 2001

Un peu de bleu dans le paysage, 2001

La Ligne, 1997

Le Chevron, 1996

Le Grand Sylvain, 1993

Le Matin des origines, 1992

Aux éditions Gallimard :

Jusqu’à Faulkner, 2002

Le Premier mot, 2001

La Mort de Brune, 1996

Miette, 1996

La Toussaint, 1994

L’Orphelin, 1992

La Mue, 1991

C’était nous, 1989

L’Arbre sur la rivière, 1988

La Maison rose, 1987

La Bête faramineuse, 1986

Ce pas et le suivant, 1985

Catherine, 1984

Chez d’autres éditeurs :

Agir, écrire, Fata Morgana (2008)

Couleurs, Fata Morgana (2008)

L’invention du présent, Fata Morgana (2006)

La fin du monde en avançant, Fata Morgana (2006)

Le fleuve des âges, Fata Morgana (2005)

Univers préférables, Fata Morgana (2003)

Bréviaire de littérature à l’usage des vivants, Bréal (2004)

Aimer la grammaire, Nathan, 2002

L’Héritage. Entretiens avec Gabriel Bergounioux, Flohic, 2002

Les Forges de Syam, éditions de l’Imprimeur, 2001

L’Eau, le Feu, éditions de l’Imprimeur, 2001

La Demeure des ombres, Art & Arts,1997

L’Empreinte, François Janaud, 1997

Haute tension, avec Bernadette de Boysson, William Blake, 1996

Le Bois du chapitre, Théodore Balmoral, 1996

La Cécité d’Homère, Circé, 1995

D’abord, nous sommes au monde, avec Alain Turpault, éd. du Laquet, 1995

La Casse, Fata Morgana, 1994

Points cardinaux, Fata Morgana, 1994