Sylvia Plath
Chronique d’une stigmatisée
Une main dans la nuit
Sylvia Plath aura toujours eu une main dans la nuit, et ses poèmes ont traîné en eux des traces de sang jamais apaisé. La lune des mots, reflétait surtout son ombre propre, elle qui faisait des journaux intimes dans son écriture.
Comment aller vers ses poèmes simplement, sans le marbre glacé des adorations qui la momifient encore ? Comment éloigner cette légende étouffante qui la masque ?
Sylvia Plath est devenue l’icône du féminisme et elle est considérée comme la grande poétesse du siècle passé. Elle qui a tant mêlé sa vie privée et son écriture est vénérée comme sainte et martyre. Son suicide à trente ans en 1963, l’ambiguïté perverse de son mari Ted Hughes ont consolidé la légende. Il est certainement de plus grands poètes qu’elle, mais à partir surtout de son recueil posthume de 1965, « Ariel », elle émeut profondément. Femme de scandale malgré elle, récupérée comme « suicidée de la société des hommes », il faut parler prudemment d’elle, surtout que tant de dragons jaloux veillent sur son œuvre et intentent des procès à tour de bras.
Comme Virginia Woolf, et d’autres toujours sur le fil coupant de la folie elle suscite des monceaux d’admiration. Sa langue souvent naïve, ductile, hasardeuse, mais qui ne dédaigne pas les mots du banal, est le plus souvent mal rendue en langue française. Valérie Rouzeau s’y est essayée courageusement et souvent avec bonheur, et c’est à partir de son approche que les mots de Sylvia Plath ont pu cheminer un peu plus en France, hors des cercles jaloux du féminisme. On a voulu en faire celle qui a su parler des « Virgin Suicides », des émois et des drames des adolescentes. Esther Greenwood, l’héroïne de « la cloche de détresse », marquera des générations de jeunes.
Une petite sœur de Sarah Kane aussi. Un écho aussi à Ingeborg Bachman au souffle bien plus puissant.
La vie tragique finit toujours par biaiser l’œuvre et sa lecture. Aussi, il faut dire quelques mots sur la biographie de Sylvie Plath.
«... et la neige rassemblant toute sa coutellerie flamboyante »
Ainsi Sylvia Plath a aiguisé, rémouleur désespéré, ses mots de blancheur et de violence.
Elle a tailladé le monde et ses veines.
...cette nuit la lune laisse glisser son sac plein de sang, animal malade, par-delà les lumières du port.
Elle qui n’a pas su ordonner sa vie et ses amours, tissait nuit et jour, - parfois trois poèmes par jour !-, la robe pétrifiée de ses tourments.
Dans ses journaux intimes, caviardés par sa mère et par son mari Ted Hughes « pour protéger sa famille et ses enfants », perce cette personnalité amante de la névrose, toujours dans les corridors de la psychiatrie.
On a préféré dresser la statue de la femme géniale, massacrée par la société phallique tenue par les hommes. Mais se souvient-on que beaucoup de ses poèmes ont souvent été écrits à quatre mains avec son mari, et réciproquement pour ceux de Ted.
Une vie en fracas
Elle était née aux États-Unis, près de Boston à Winthrop, le 27octobre 1932, de parents aisés et enseignants, mais émigrés allemands et autrichiens, ce qui lui évitera tout attachement nationaliste et fera naître des haines violentes.
Son père, vénéré puis haï était spécialiste des abeilles, il meurt le 5 novembre 1940 de gangrène. Ce drame va la pétrifier.
« Je ne parlerai plus jamais à Dieu » écrira-t-elle.
Mais elle va chercher partout ce père, qui glisse comme cette nuit blême en elle et dans ses poèmes.
Ici on peut redire encore une fois ce vers significatif : « cette nuit la lune laisse glisser son sac plein de sang, animal malade, par-delà les lumières du port ».
Violemment indépendante et exigeante jusqu’à la cruauté envers elle –même et les autres, elle va vouloir s’élever à la fois dans la bonne société rigide bostonienne et dans celle des poètes. Elle va vite y parvenir, brillante, belle, fantasque, croqueuse d’hommes. Mais toujours au bord du chaos et de l’abîme. Cette dichotomie entre sa sauvagerie et ses bonnes manières de façade se traduit dans ses poèmes de jeunesse.
Dès vingt ans en 1953, elle tente de se suicider. La vie est alors plus coupable que les hommes. Manque de reconnaissance, impossibilité de vivre de son art, manque d’argent, tristes besognes alimentaires pour survivre et surtout cette façon frénétique d’écrire qui la conduit à une cassure, un surmenage, une disjonction. Sauvée de justesse, bombardée d’électrochocs et contenue dans une camisole chimique, essayant jour à jour de récupérer simplement sa mémoire, elle va redevenir poète et femme regagnant sa volonté d’amazone irrédentiste. « La Cloche de détresse » décrit cette descente aux enfers.
« La plus haute des illusions d’un égoïsme désespéré est de croire que l’on va anéantir le monde en s’anéantissant soi-même. Ainsi la simple façon dont on se brise finalement les ongles contre le petit mur de briques de la mort. Je veux me suicider pour échapper à la responsabilité, pour nager à rebours vers la matrice ».
Bien sûr l’angoisse est à jamais tapie en elle, la psychiatrie l’attend au prochain tournant, patiente et prête aux retrouvailles. Et l’ombre du père est un démon insatiable, Ted Hughes le dira plus tard : « Tu voulais/Être avec ton père/Où qu’il puisse être. Et ton corps/Barrait le passage. Et ta famille/Ta chair et ton sang/Étaient un fardeau ».
Pour le moment elle publie des nouvelles, des poèmes, et surdouée, elle obtient en 1956 une bourse Fullbright pour étudier en Angleterre, à l’Université de Cambridge.
Là elle rencontra l’élu et le bourreau : Ted Hughes.
Il la salua ainsi: « Un grand oiseau -toi/A fait irruption, ton enthousiasme pour plumage/Ton exaltation délirante. Une tension bleutée -/ Cobalt fluorescent, le flamboiement d’une aura ».
Cette rencontre fusionnelle fut belle, d’une intensité fulgurante.
Mariés presque instantanément ils formèrent une fratrie poétique, l’un ensemençant l’autre. Ce jeune poète anglais séduisant et grand poète fut la cristallisation de ses manques.
Pour lui elle se fit humble, épouse au foyer, femme d’intérieur, mère de deux enfants. Elle se noya en lui, endormit ses dragons intérieurs. Elle se nia pour faire éclore les poèmes de Ted.
Comme une autre bien avant elle :
Je ne sais pas pourquoi je meurs et noie
Avant d’entrer à l’éternel séjour.
Je ne sais pas de qui je suis la proie.
Je ne sais pas de qui je suis l’amour (Catherine Pozzi)
Cette dilution dans un autre masquait les houles de ses angoisses, le don total faisait reculer la fragmentation de son identité.
La grande erreur du séjour de deux ans aux États-Unis va replonger Sylvia dans ses misères de survie. Elle sera même obligée de travailler dans un hôpital psychiatrique. Tous ces petits boulots finissent par faire craqueler le beau vaisseau des illusions poétiques. La vie de bohème est encore plus amère aux États-Unis. Et se mettre totalement au service de Ted, en s’oubliant elle-même, copiant, postant, défendant, les écrits de l’autre, l’infantilise.
Ils retournent à Londres en 1959, et c’est alors que se fait une symbiose poétique intense qui va donner à chacun d’eux ses meilleurs poèmes. Deux enfants naissent, Frieda, en 1960, et leur fils Nicholas en 1962 qui va se tuer lui aussi au gaz fin mars 2009.
Puis tout s’écroule, une des liaisons de Ted est découverte, celle avec Assia, épouse du poète canadien David Wevill. Celle-ci se suicidera avec sa fille Shura en 1969, et au gaz bien sûr.
Et Sylvia Plath tout entière comme la vengeance, casse tout, brûle tout et s’en va seule avec ses enfants quelques jours avant le noël 1962, dans un petit appartement londonien. C’est dans cette période à raison de plusieurs poèmes par jour qu’elle deviendra cette poétesse immense qui avait besoin d’être cinglée par un désespoir actif, une sainte colère, des cris de révolte.
« Ariel » recueil posthume et incomplet est publié par Ted Hughes. Tandis que Sylvia, elle, a brûlé bien des manuscrits de Ted.
Mais l’hiver londonien de 1962-1963 est un nœud coulant froid et mortel. La maladie décime sa petite famille, recroquevillée contre elle. Assommée d’antidépresseurs et de somnifères, elle sombre peu à peu. Plus de bougies, tuyaux gelés, plus de lumière.
« Je scintille à peine, coupé, allumé, coupé, coupé-allumé. Les feuilles grossissent comme un baiser de salaud ».
Jamais il n’avait fait aussi froid semble-t-il. Elle griffonne un dernier poème le 5 février 1963,- il s’appelle « Le bord ». Elle est vraiment au bord du néant. Le 11 février, elle va faire garder ses enfants loin d’elle, et ouvre le robinet de gaz de la cuisinière et y glisse sa tête, après avoir avalé toutes les boîtes de somnifères, mais pas l’amertume du monde.
Un arbre mort, sans couleur, un caoutchouc glabre. Castré par la foule – une illusion.
La poésie comme journal de bord
Certes sa vie est tragique, mais seule son œuvre devrait nous importer.
Plutôt que de la comparer à une autre suicidaire comme Virginia Woolf, il faudrait la rapprocher de Dylan Thomas. Ce sens des bruits du monde, cette vision de la finitude humaine, sont proches.
Celle qui a écrit « Cloche de la détresse » a une voix forte et singulière.
Trois recueils posthumes : « La Traversée de l’eau » (1971), « Arbres d’hiver » (1971) et « Ariel » (1965), « Anthologie de Poèmes », (1981) nous parlent encore d’elle qui n’avait publié qu’un seul recueil de son vivant « Le colosse » en 1960. Le prix Pulitzer lui fut attribué en 1982 pour l’édition de ses « Collected Poems » supervisés par Ted Hughes.
Cette brève biographie n’est pas écrite pour tirer des larmes mais comme des repères indispensables à la compréhension de ses textes.
Comment saisir cette violence qui affleure, ces abandons pleins de « lâcher-prise », sans savoir quelques-uns de ses tourments.
Combien de temps pourrai-je être un mur,
protégeant du vent ?
Combien de temps pourrai-je
Atténuer le soleil de l’ombre de ma main,
Intercepter les foudres bleues d’une lune
froide?
Les voix de la solitude, les voix de la douleur
Cognent à mon dos inlassablement. (Trois femmes)
Sylvia Plath vient de courants poétiques américains, nommés « confessionnels », et qui à la suite de Walt Whitman marquent le retour triomphal du « moi » en littérature. Dylan Thomas qu’elle pourchassera en vain de tavernes en tavernes à New York marquera sa poésie.
L’arrière-plan bostonien de puritanisme, l’étouffement du conformisme ambiant, la montée des hurlements de l’âme en elle, sont des éclairages essentiels.
« Il m’arrive de temps en temps, écrit-elle dans une lettre, de voir comment il est possible de vivre dans ce monde même sans avoir avec soi son âme vraie et entière. Je livre au monde ma passion et mon intensité par minuscules cuillerées homéopathiques ».
Prise dans la camisole de son corps et dans celle de la langue qui est impuissante à hurler avec elle, Sylvie Plath va se cogner durant sa courte vie à ses murs capitonnés qui l’enferment. Certes elle fait les délices des psychanalystes qui débusquent dans chaque mot l’histoire de sa pathologie.
Cela ne rend pas l’originalité de son écriture qui par dérision et désespoir, vampirise le quotidien parlé. Celui de la publicité, celui des nouvelles éclaboussées dans les journaux, celui des secrets de famille que l’on doit cacher. Il y a certes des textes fortement « néo-féministes», ambigus aussi (Lesbos par exemple). Il y a des cris mais encore plus de chuchotements. Des comptines comme des slogans odieux. Elle est en morceaux, sa poésie aussi. Fulgurante et parfois volontairement banale. Son journal intime enfin publié est éclairant:
« Si la névrose est de vouloir deux choses à la fois et en même temps, alors je suis infernalement névrosée. Toujours, et pour le restant de mes jours je volerai à reculons et en avant entre l’une et l’autre chose ».
Les poèmes « bleus » des années 1950-1960 seraient à étudier par la part importante de la nature vibrante en eux.
Mais seule la période presque hystérique des dernières années, celle d’Ariel, sera citée. Celui qui mérite le titre de « Cloche de détresse » utilisé par ailleurs.
Le monde de Sylvia Plath est enclos, il est sous cloche et il étouffe. Il bruisse de terreurs archaïques, les vieux mythes remontent et nous étranglent encore. Cette modernité, sa névrose à couper au couteau, cette vision des années 60 en plein cœur de nos interrogations actuelles la rendent toujours contemporaine. Lire Sylvia Plath provoque des malaises.
Son écriture n’est pas celle d’un poète. Ses images sont rares et parfois banales. Ses mots sont simples et faciles à traduire en surface du moins. On semble lire un récit psychanalytique, mais il se passe quelque chose. Sylvia Plath est cachée dans les marais de notre conscience. Elle dérange, elle saisit. Sa quête identitaire est son but, la poésie un moyen seulement. La force de ses textes est d’être ce miroir déformé du monde qu’elle nous tend.
« De plus en plus, sa perception déformée du monde qui l’entoure, le vide de sa propre vie, de celle de ses voisins, vont devenir la seule manière correcte de concevoir les choses », dit-elle d’elle-même. Elle avait vu juste. Elle savait que l’image du monde se déforme souvent « multiplié par les yeux des mouches ».
Mais Sylvia Plath ne cherchait rien, surtout pas à être moderne. Elle criait sa détresse, pas plus, pas moins. Sa seule et grande peur fut, comme elle le dit elle-même :Ce que je redoute le plus, je crois, c’est la mort de l’imagination.
« C’est comme si ma vie était magiquement parcourue par deux courants électriques, l’un positif et joyeux, l’autre profondément négatif et désespéré. Cela envahit ma vie, l’inonde. Maintenant je suis submergée par le désespoir, voire l’hystérie comme si je me noyais. Comme si un hibou gigantesque était posé sur ma poitrine, ses griffes broyant et enserrant mon cœur » écrit Sylvia Plath.
Sylvia Plath morte du froid des sentiments, du froid de l’hiver. En poésie elle voulait transcrire des visions hypnotiques.
Sa poésie est avant tout lyrique, souffle et buée. Les mots semblent être des lèvres qui voyagent. Danses de la nuit. La poésie de Sylvie Plath est austère, ce n’est pas le romantisme à odeur de lilas de « La dame blanche »Emily Dickinson.
Elle ne fuit pas le réel, elle le recrée. Elle sait le monde cruel, la lune cruelle, elle sera aussi cruelle.
Sans le refuge confortable de la foi, « Je ne pense pas que Dieu existe. », elle affronte face à face l’horreur de la vie. Ses journaux et ses poèmes sont la chronique du malheur. Écureuil fou elle ne pouvait que tourner et retourner dans la cage de son histoire. Sylvia Plath prisonnière d’elle-même n’a eu de permission de sorties que par ses poèmes et que pour aller dans les fossés. Elle a écrit une série de poèmes sur l’Holocauste croyant son père nazi et sa mère juive. Son poème « Daddy » du 12 octobre 1962, est cette violente lettre de haine au père, mais aussi au père de ses enfants, « nazi » pour l’avoir trahie.
Les chants de TS Elliot, de Dylan Thomas sont en filigrane, mais si loin. Les framboises amères poussent en elle. La peur panique du calme et du repos la fait écrire en rafales :
« Si je me repose, je m’imagine que je deviens folle »
Ce n’est pas le désespoir et l’appel du suicide qui montent le plus de ses poèmes, mais des éclats de vie, des échardes de vie.
Elle chante comme une berceuse pour ses enfants « ce bleu si calme et qui demeure, cette heure éternelle juste avant les pleurs de l’enfant ».
Commencés en 1962, les derniers poèmes sont ceux d’une femme seule, mais une paix étrange en émane. Enfin elle s’appartient, même en pleine misère, et elle entreprend ce qu’elle n’avait jamais osé : l’immersion en elle-même. Le deuil jamais refermé de la perte du père, la trahison de l’amant, la non-reconnaissance de son talent, tout est derrière désormais.
« Je sais à peu près maintenant ce que j’aime et ce que je n’aime pas, mais ne me demandez pas qui je suis »
L’ombre douce de ses enfants l’accompagne. Ses fantômes font la ronde, ils ne peuvent se résoudre à lui dire adieu.
Le bord, ultime poème est ce bord où elle s’est trop penchée.
« Mourir est un art, comme toute chose » écrit Sylvia Plath.
Sylvia Plath a cherché un passage secret, elle est allée au bord, ce bord fut un précipice. Il semblait n’y avoir que deux moyens pour s’échapper, la poésie ou le suicide.
Les deux d’ailleurs si liés. Elle saura les employer magistralement.
Mais est-elle jamais sortie de sa nuit intérieure ?
Gil Pressnitzer
Choix de textes
230 poèmes sont en ligne sur ce site sous le beau titre de « Un vent d’une telle violence ».
Seule une infime poignée est ici très librement adaptée, les traductions officielles sont bien sûr à lire, laissant un vaste espace encore vierge.
Papa (12 octobre 1962)
Ne fais pas, ne fais pas,
plus jamais, chaussures noires
dans lesquelles j’ai vécu comme un pied
pendant trente ans, pauvre et blanche,
osant à peine respirer ou éternuer.
Papa, j’ai dû te tuer.
Tu es mort avant que j’en ai eu le temps --
Lourd comme marbre, un sac débordant de Dieu,
grand comme un phoque de Frisco
et une tête dans l’étrange Atlantique
où se déverse grain vert ou bleu
dans les eaux hors du si beau bateau Nauset (2)
où se déverse grain vert ou bleu
J’ai souvent prié pour te retrouver
Ach, du. (3)
Dans la langue allemande, dans la ville polonaise
nivelée à ras par les rouleaux
des guerres, guerres, guerres.
Mais le nom de la ville est commun.
Mon ami polonais
Me dit qu’il y en a une douzaine ou deux.
Aussi je ne pourrais jamais raconter
où tu avais mis les pieds, tes racines.
Jamais je ne pus te parler.
La langue était coincée dans ma mâchoire.
Cela coince dans le piège des fils de la barbe.
Ich, ich, ich, ich, (4)
je peux difficilement parler.
Je pensais que tout Allemand était toi
et la langue obscène.
Une locomotive, une locomotive
me déportant comme un juif
Un juif de Dachau, Auschwitz, Belsen.
Je commence à parler comme un juif.
Je pense que je devrais bien être un juif.
La neige du Tyrol, la bière légère de Vienne
ne sont ni pures ni vraies.
avec mes ancêtres tziganes et ma chance bizarre
et mon sac de contrefaçon et mon sac de contrefaçon
je dois être un morceau de juif.
Toujours je t’ai vénéré
avec ta Luftwaffe, ton charabia
et ta moustache si soignée
et tes yeux d’aryen, d’un bleu d’acier
Panzer-man, panzer-man, O toi
Pas Dieu mais une croix gammée
si noire qu’aucun ciel ne pouvait glapir au travers
Chaque femme adore un fasciste,
la botte sur le visage, la brute
le cœur de brute comme une brute comme toi.
Tu es devant le tableau noir, papa
dans cette image que je garde de toi,
une crevasse au menton au lieu de ton pied
Mais pas besoin du diable pour cela, non pas moins
que cet homme noir qui
déchire en deux mon joli cœur rouge
J’avais dix ans quand ils t’ont mis en terre.
À vingt ans j’ai tenté de mourir
et de revenir en arrière, en arrière, en arrière vers toi.
je pensais que les os le permettraient enfin.
Mais ils m’ont chassée du sac
et ils m’ont coincée en moi-même avec de la glue.
Alors j’ai su que faire.
J’ai fait un modèle de toi
un homme en noir avec l’apparence de Meinkampf (6)
Et l’amour de la torture et de la baise
et je me suis dit je le dois, je le dois
Ainsi papa, je suis enfin au-delà.
le téléphone noir est hors des racines,
les voix ne peuvent plus se faufiler au travers.
Si j’avais tué un homme, j’en aurais tué deux
Le vampire qui dit qu’il est toi
et buvait toute l’année mon sang.
Sept ans, si tu veux vraiment savoir.
Papa tu peux te recoucher maintenant
Il y a un pieu dans ton cœur noir et gras
et les gens du village ne t’ont jamais aimé
Ils dansent sur toi et te piétinent.
Toujours ils ont su que c’était toi.
Papa, papa, toi salaud
je suis passée au travers.
1-Le père adoré, haï, était mort d’une gangrène au pied
2-A Boston les bateaux de plaisance s’appellent Nauset
3-Ah, toi en langue allemande maudite par Sylvia
4-Moi, moi, moi en allemand
5-homme de char d’assaut en allemand
6-Livre de Hitler "Mon combat"
Dame Lazare
Je l’ai encore refait
un an parmi dix
j’y suis arrivée -
comme un miracle ambulant, ma peau
brillante comme un abat-jour de nazi
mon pied droit
un presse-papiers
mon linge juif,
sans caractère, magnifique
serviette enlevée
o mon ennemi,
est-ce que je fais si peur ?
le nez, les orbites des yeux, toute la denture ?
le souffle aigre
s’évaporera en un seul jour.
Bientôt, bientôt la chair
le trou de la tombe sera mon chez moi sur moi
et m’aura mangée
Et je suis une femme tout sourire
je n’ai que trente ans.
Mourir
Est un art, comme tout le reste.
Je le fais vraiment très bien.
Je le fais si bien que cela ressemble à l’enfer
je le fais si bien que cela semble réel
j’imagine que vous puissiez dire elle a un appel.
C’est suffisamment facile de le faire dans une cellule
C’est suffisamment facile de le faire et de rester sur place.
C’est le théâtral
retour en scène dans le vaste jour
à la même place, avec le même visage, le même cri
amusé et brutal :
« Un miracle !"
Cela me met K.O.
Il y a une plainte
pour mes cicatrices béantes, il y a une plainte
pour l’audition de mon cœur -
cela ira au bout.
et il y a une plainte, une très importante plainte
pour un mot ou un contact
Ou une goutte de sang
ou une parcelle de mes cheveux sur mes vêtements.
Et oui, et oui, Herr Doktor,
et oui, seigneur ennemi.
Je suis ton opus,
je suis ton objet précieux
le bébé en or pur
qui hurle en fondant en un cri perçant
je me tourne et je brûle.
Ne crois donc pas que je sous-estime ta grande préoccupation.
Cendre, cendre -
tu as fouiné et remué.
Chair, os, il n’y a rien ici -
un gâteau de savon
un anneau de mariage,
un plombage en or.
Seigneur Dieu, seigneur Lucifer
fais gaffe
fais gaffe.
Jaillissant de mes cendres
je m’élève avec mes cheveux rouges
et je bouffe les hommes comme l’air.
Mort et compagnie
Deux, en fait ils sont deux.
Cela semble tout naturel maintenant –
l’un qui jamais ne regarde en haut, dont les yeux sont recouverts
et ramassés comme des balles comme Blake l’était
qui exhibait sa tâche comme sa marque de fabrique –
la cicatrice brûlante de l’eau,
la nudité
Vert-de-gris du condor.
Je suis une viande rouge. Son bec
frappe latéralement : je ne suis pas son encore.
Il me dit comment je photographie si mal
Il me dit comment tendrement
les bébés paraissent dans leurs glacières
à l’hôpital, une simple papillote sur le cou
puis les sons flûtent de leurs robes mortuaires ioniques
puis deux petits pieds.
Il ne sourit pas, il ne fume pas.
L’autre agit comme ses cheveux longs d’un salaud crédible
se masturbant avec éclat.
Il veut être aimé.
Je ne bouge pas.
Le gel fait une fleur,
la rosée fait une étoile,
Quelqu’un s’affaire pour cela.
Ariel
Stase dans l’obscurité
Ensuite le bleu sans substance
se déverse dans le tout ou rien et les distances
Dieu est une lionne,
comment de l’un nous poussons
pivot des talons et des genoux ! Le sillon
sépare et passe, sœur vers
l’arc brun
du cou que je ne peux saisir
Œil de nègre
baies des crochets d’un rôle obscur —
noir et tendre sang plein la bouche,
ombres.
Quelque chose d’autre
me traîne au travers de l’air –
fémurs, cheveux;
flocons de mes talons.
Blanche
Godiva, je t’épelle –
mains mortes, stringences mortes.
Et maintenant je
suis écume de blé, éclats d’océans.
L’enfant pleure
il se fond dans le mur.
Et moi je suis la flèche
la rosée qui vole,
suicidaire, à l’un allant tout droit
dans le rouge
Œil, le chaudron du matin.
verticale je suis (28 mars 1961)
Mais je préférerais être horizontale.
Je ne suis pas arbre avec mes racines dans le sol
suçant à moi minéraux et amour maternel
afin qu’à chaque mars je puisse être éclaboussure de feuilles
Non plus ne suis la beauté d’un jardin allongé
arrachant des ah enthousiastes et peint de façon baroque
sans savoir que je perdrai mes pétales
par rapport à moi, un arbre est immortel
et si petite la tête d’une fleur, mais plus saisissante
et tant je voudrais la longévité de l’un et la hardiesse de l’autre.
Cette nuit, dans l’infinitésimale lumière des étoiles,
les arbres et les fleurs ont déversé leurs odeurs froides
Je marche parmi eux, mais aucun ne me remarque.
Parfois je pense que lorsque je dormais
je devais parfaitement leur ressembler -
Pensées parties dans le sombre.
Cela serait si normal pour moi, de m’étendre.
Alors le ciel et moi parlons franchement,
et je serai enfin utile quand je reposerai pour de bon:
alors les arbres pour une fois me toucheront peut-être, et les fleurs auront du temps pour moi.
Winter trees
The wet dawn inks are doing their blue dissolve.
On their blotter of fog the trees
Seem a botanical drawing -
Memories growing, ring on ring,
A series of weddings.
Knowing neither abortions nor bitchery,
Truer than women,
They seed so effortlessly!
Tasting the winds, that are footless,
Waist-deep in history -
Full of wings, otherwolrdliness.
In this, they are Ledas.
O mother of leaves and sweetness
Who are these pietàs?
The shadows of ringdoves chanting, but easing nothing. »
Arbres d’hiver
les encres mouillées de l’aube accomplissent leur dissolution dans le bleu
Ourson buvard de brouillard les arbres
semblent juste un dessin d’un livre de botanique
Mémoire grandissant, anneau par anneau,
une suite d’alliances
Ils ne connaîtront ni avortements ni saloperies
plus vrais que femmes
ils essaiment sans aucun effort !
Jouissant des vents, les déracinés,
gravés dans la profondeur de l’histoire-
Plein de plumes, hors de tout
en cela ils sont Léda
O mère des feuilles et de la tendresse
qui sont ces piétas?
Les ombres de palombes psalmodiant, mais totalement en vain.
Child (28 janvier 1963)
Your clear eye is the one absolutely beautiful thing.
I want to fill it with color and ducks,
The zoo of the new
Whose names you meditate
April snowdrop, Indian pipe,
Little
Stalk without wrinkle,
Pool in which images
Should be grand and classical
Not this troublous
Wringing of hands, this dark
Ceiling without a star.
Enfant
La seule et absolue beauté est ton œil clair
je veux l’emplir de couleurs et de canards
le zoo de toute nouveauté
tu en méditeras les noms
perce-neige d’avril, calumet
petit
tige froissée
mare dans laquelle les images
auraient dû être grandes et classiques
non pas ces moites
et inquiétantes mains
ce plafond noir sans aucune étoile
Lettre d’amour (1960)
Pas facile de formuler le changement que tu as fait en moi.
Si je suis en vie maintenant, j’étais alors morte,
Bien que, comme une pierre, indifférente totalement,
je restais là immobile suivant mon habitude.
Tu ne m’as pas seulement bougée d’un pouce, non -
Ni même laissé ajuster mon petit Œil nu
A nouveau vers le ciel, sans espoir, bien sûr,
De pouvoir saisir le bleu, ou les étoiles.
Ce n’était pas ça. Je dormais, disons : un serpent
Masqué parmi les roches noires comme une roche noire
dans le hiatus blanc de l’hiver -
Comme mes voisines, ne prenant aucun plaisir
A ce million de joues parfaitement polies
Qui se posaient à tout moment afin de faire fondre
Ma joue de basalte. Et elles devenaient larmes,
Anges pleurant sur des natures monotones,
Mais je n’étais pas convaincue. Ces larmes gelaient.
Chaque tête morte avait une visière de glace.
Et je continuais de dormir, comme un doigt tordu
La première chose que j’ai vue n’était que de l’air pur
Et ces gouttes enfermées qui montaient en rosée,
Limpides comme des esprits. Tout alentour
Beaucoup de pierres compactes et inexpressives
Je ne savais pas quoi faire de cela.
Je brillais, écaillée de mica,
et déroulée pour me déverser tel un fluide
Parmi les pattes d’oiseaux et les tiges des plantes.
Je ne m’étais pas laissé berner. Je t’ai reconnu aussitôt.
L’arbre et la pierre scintillaient, sans ombres.
La longueur de mes doigts a grandi, lucide comme du verre.
J’ai commencé à bourgeonner comme rameau de mars :
Un bras et une jambe, un bras, une jambe.
De pierre au nuage, ainsi je me suis élevée.
Maintenant je ressemble à une sorte de dieu
Je flotte à travers l’air, âme tournoyante,
Aussi pure qu’un pain de glace. C’est un don.
Edge (5 Février 1963)
The woman is perfected.
Her dead
Body wears the smile of accomplishment,
The illusion of a Greek necessity
Flows in the scrolls of her toga,
Her bare
Feet seem to be saying:
We have come so far, it is over.
Each dead child coiled, a white serpent,
One at each little
Pitcher of milk, now empty.
She has folded
Them back into her body as petals
Of a rose close when the garden
Stiffens and odors bleed
From the sweet, deep throats of the night flower.
The moon has nothing to be sad about,
Staring from her hood of bone.
She is used to this sort of thing.
Her blacks crackle and drag.
Tout au bord (poème ultime)
La femme s’est accomplie
son corps mort
porte le sourire de l’accomplissement
l’illusion d’une obligation grecque
coule dans les rouleaux de sa toge
Ses nus
pieds semblent vouloir dire:
Nous sommes arrivés si loin, tout est fini.
Chaque enfant mort est enroulé, un serpent blanc,
Près de chacun une cruche de lait
maintenant vide.
Elle les a repliés contre son corps
comme les pétales
d’une rose refermée quand le jardin
se fige et que les parfums saignent
des douces, profondes, gorges de la fleur de la nuit.
La lune n’a pas à s’en désoler,
fixant le tout de sa cagoule d’os.
Elle a tant l’habitude de cela.
Sa noirceur crépite et se traîne.
Hommage de Ted Hughes
L’oiseau
Sous son dôme de verre, derrière ses yeux,
Ton Oiseau de Panique n’était pas empaillé. Il paraissait en quête
De quelque chose, tu ne savais pas quoi. Je le devinais
Dérouté par le verre, ce mur invisible.
Un gecko de zoo collé contre le néant,
Avec toute la vie battant dans sa gorge,
Comme s’il se tenait sur l’éther....
Tu m’as tout raconté
Sauf le conte de fées. Pas à pas
Je suis descendu dans le sommeil
Dont tu essayais de te réveiller.
[...]Ted Hughes, Birthday Letters, traduction de Sylvie Doizelet, Gallimard, 2002, p. 90.
Bibliographie
Poésie
En anglais
The Colossus (1960)
Ariel (1965)
Crossing the Water (1971)
Winter Trees (1972)
The Collected Poems (1981)
En français
Trois femmes : poème à trois voix (1975)
Ariel (1978)
Arbres d’hiver (1999) Chez Gallimard/Poésie
Choix de poèmes suivi de Le Livre des lits, traduction française et préface de Jean-Pierre Vallotton (1999)
Prose
La Cloche de détresse (1972), roman Gallimard/Imaginaire
Le jour où Mr Prescott est mort, nouvelles La table ronde
Carnets intimes, La Table ronde
Journaux de 1950 à 1962, Gallimard, L’un et l’autre
Deux livres sur Sylvia Plath
Sylvie Doizelet, La terre des morts est lointaine : Sylvia Plath, 1996
Valérie Rouzeau, Sylvia Plath : un galop infatigable, Ed. J.M. Place, 2003 -