Franciam Charlot
Face au néant le cri
Les personnages qui hantent les toiles de Franciam Charlot sont debout et vous regardent de face, en face jusqu’au tréfonds de vous-même. Sans bouche souvent ou alors lippus de rouge, ils sont un cri vibrant. Le néant ne doit pas passer !
Ils se dressent contre la destinée de l’espèce humaine tout entière rassemblée à s’autodétruire, et à nier la seule force vitale qui vaille : la continuité du monde.
Qu’importe la mort, la vie des apparences, par le hasard des rencontres et la ferveur des douleurs ces témoins blafards nous interpellent et nous disent la vie est tragique.
Cri d’alarme contre le gaspillage du temps qui passe et que l’on ne veut pas voir s ‘écouler, cri salutaire comme un miroir coupant face à nous.
Les hommes passeront, leurs traces sacrées non.
Et par des hiéroglyphes proches du magique, par des graffitis essentiels, Franciam Charlot laisse des signes essentiels dans les grottes de nos existences. Un nouvel alphabet de la souffrance s’inscrit sur les parois du monde. Lancinant, répétitif, inéluctable.
Griffures de la nuit à la face des vivants, ces esquisses d’humanoïdes sont une projection d’un chamanisme noir conjurant le tragique des jours.
Fantômes de notre quête du plaisir, ils nous disent l’ailleurs des êtres, plus loin que l’amour, ils parlent de destinée plus forte. Ils sont les masques hurlants de nos peurs paniques. « Le mot terre vient de terreur » dit l’ami Richard Desjardins, c’est devant cette terreur les bonshommes de Franciam Charlot se révoltent. Ce long hurlement muet vous strie les yeux et les oreilles.
Ses personnages sont déjà de l’autre côté de la chair, sans épaisseur, sans visage autre que le regard, ils nous sont reproches vivants dans leur non-être. Ils vont vers le lieu où se recueille la fumée des hommes brûlés par les hommes. Leurs os sont restés en travers de la gorge de la terre. Le vent les fait chanter certains soirs de mémoire et se retrouver sur les toiles de Franciam Charlot dans un interminable colloque des disparus. Leur voix ne peut plus prendre appui sur le fil cassé du temps, alors ils ne peuvent être que des sémaphores du néant. Sans ombre, sans chair, ils ont la nudité d’une feuille de cigarette qui se coince entre l’infini et le néant et maintient une ouverture.
Tous ces morts derrière les fenêtres, tout cet oubli dans les verres du rien, encore du rien s’enroulant autour des gens devenus vieux murs.
Ces personnages sont sous les barbelés :
Il faut mettre ses gants de neige
Pour passer sous les barbelés
Par-dessus les corbeaux
De l’autre côté, un autre monde
Où la vie ne raconte pas la vie
Prendre le chemin des nuages
Avant que d’être fumée.
Les bras des enfants sont épars dans les pièges
Leur sang est derrière eux,
Ils ne se retournent plus
Derniers papillons avant l’horreur
Ce qui fut leurs souffles monte encore
Plus haut que les miradors
Ils n’avaient que leur voix
Ils n’ont plus de visage
Rien de nous, rien que nous
Pour qu’ils ne soient pas inachevés
La terre dans notre mémoire pour les recouvrir
Ne serait qu’un instant
Avec eux
Ce rapprochement avec d’autres horreurs me vient en recevant en pleine face les implorations violentes des tableaux de Franciam Charlot. Eux aussi sont pour moi les derniers baillons blêmes avant l’horreur.
Ne pas se trahir, rester à hauteur d’âme, de grandeur d’âme est la seule revendication formulée par le créateur. Sans dépassement, sans transcendance, nous serions qu’écumes des jours.
Qu’importe alors la technique, qu’importe la peinture elle-même. Qu’importe le matériau. Le hasard apportera un nouveau territoire, une nouvelle route inconnue, des matières non prévues et à combattre. Il ne se veut pas artiste, simple spectateur de lui-même et de ses toiles, il les regarde passer dans les autres, curieux de l’écho étrange que laissent ses marées d’angoisse dans les autres rivages.
La peinture de Franciam Charlot ne s’apprivoise pas, elle est là pour induire le malaise existentiel, la réflexion du pourquoi nous sommes au monde, et comment nous passons vers l’effacement total et irrémédiable.
Pas de larmes ni d’apitoiement.
" C’est au moment même où sa tête rencontra le sol qu’il se rendit compte que son corps était plus lourd que son rêve" écrivait Pierre Reverdy.
La peinture de Franciam Charlot nous fait rencontrer le sol de la mort, le choc de la vie. Nos rêves ne pèsent plus lourds. Ils glissent hors de nous, ils glissent par terre, nous les suivons.
Gil Pressnitzer