Serge Pey
Les mots de la terre fertile
Ce qu’il reste du poème : une tache rouge sur le front de la langue.
Orages, grelots sans la voix, bâton contre la terre pour la faire enfin accoucher de qu’elle sait, Serge Pey s’avance sous son chapeau, les paroles de feu comme flammèches sur la tête.
Oralité, oralité, le monde n’est que paroles souvent enfouies et une voix gueule au milieu de cet enfouissement pour nous les redonner. Au risque d’indisposer les Dieux jaloux. Moïse changeait ses bâtons en serpent pour terroriser les pharaons, Serge Pey transforme ses dragons en bâtons, pour nous rendre libre.
« Va de par le monde, vois beaucoup de choses, reviens et raconte-nous tout » dit une injonction des Indiens Crees, alors Serge s’est levé, et il court le monde, traverse les apparences, côtoie les sorciers et les secrets du Peyotl. Parfois en pleine rue, au fond des bouches d’ombre de la nature, à la Cave-Poésie, il ouvre son coffre de pirates et nous permet de nous accoupler avec ses mots.
Dans un bus, je me souviens qu’un homme s’était levé et devant les passagers de la fatigue du travail et de la vie, de sa voix sonore et rocailleuse, il avait crié « Empalot, Empalot ! ». Empalot est ce quartier de Toulouse dont il vient, et le bus avait souri de son dentier du quotidien. Le voyage pouvait enfin vraiment commencer.
Chemins et bâtons
De ses irruptions dans la vie banale et banalisée, Serge Pey en aura fait des milliers. Performances ? Non nécessité de purifier le monde par l’eau de la parole, de porter simplement témoignage de notre éternelle insoumission aux barreaux des jours et des bourreaux. Sa poésie est acte sacré, purification, rite, célébration. Les histoires ne sont pas faites pour vivre au village, mais pour circuler en nous. Pour cela il faut un voyageur, qui en retournant ses bâtons fait résonner la très vieille chanson du feu et de l’eau.
I l ne faut pas un errant qui ne partage avec personne ses langages d’animaux. Non, il faut un passeur, qui connaisse les métamorphoses et sache en revenir vivant.Il sait parler aux choses, aux bêtes, donc aux humains. Nos sacs de vieux vœux sont posés, tout est accompli.
Il fait quelqu’un qui sache fouetter l’air de ses mots, qui se souvienne de tout. Et nous dise « regarde, tout le monde est de retour dans mes paroles, viens ! ».
En fait Serge Pey n’est que le contrepoint du tellurisme qui secoue la terre qui enfante et l’enfante. Il parle par délégation de verbe. La peur alors nous quitte.
Il tourne plus vite que la toupie folle de notre planète. Son territoire de chasse est la fraternité, la belle utopie couleur écarlate. Il marche simplement vers le Sud, vers le Nord, vers nous. Joueur de tours, chaman de tous les os en terre, il n’a pas les yeux tristes mais rouges des veilles faites pour nous autour du feu des vœux, pendant que nous dormions. Il ne peut vivre que dans le vent, et sa robe de mariée que sont les paroles. Il vit et la lune n’ose pas le faire taire, ni fermer ses yeux.
Il a vu. Il nous pardonne de tous les autres soleils de pacotille de nos vies vaille que vaille. Il a vu, lui, le véritable soleil.
Il a vu.
La marche du poète
Alors il marche, aux marches du monde pour faire vœu de poésie. Quand il reprend sa forme humaine, il nous embrasse.
Jamais il n’aura pris la fuite devant la vie, il nous apprend à faire de même. Alors il marche, et il se remet à marcher. Peu importe qui a créé ce monde, puisqu’il le recrée à chaque fois. Alors il marche. Parfois il porte des masques de magie, parfois il jette des tomates sur le vil aujourd’hui. Alors il se remet en route, et il marche.
Il sort de la rivière pour entrer dans la mer. Alors il marche. Dans ses rêves, dans nos rêves, il marche. Comme le disent les Indiens à un moment, la lune croira qu’il est la lune. Alors il marche. La glace fond, se délivre et se niche en nous.
Il est le tonnerre, il est le voleur de baies noires, de sagesse. Alors il marche.
Les craquements de ses mots, plus fort que tous les craquements d’arbres nous tiennent encore éveillés. Si jamais nous nous endormions, nous dormirions enfin loin de nous, car Serge Pey nous a révélé l’infini.
Alors il marche. Il a attaché un long bâton autour de la terre, elle est obligée de le suivre. Il se souvient de tout.
Alors il marche.
Ses mots le suivent à distance respectable, chiens fidèles. Nous vivons dedans.
Alors il marche...
Le bâton des mots marche devant.
Gil Pressnitzer
Choix de textes
C’était une fois, c’était toujours.
La poésie n’est pas
une solution
Aucune solution
n’est une poésie
Une pierre n’est pas
un phénomène optique
Aucun phénomène optique
n’est une pierre
Une chaise n’est pas
un homme assis
Aucun homme assis
n’est une chaise
Ce cerisier n’est pas
un arbre
Aucun arbre
n’est un cerisier
La neige n’est pas
une lumière
Aucune lumière
n’est une neige
La poésie n’est pas
une solution
Aucune solution
n’est une poésie
En chantant
on découpe sans bouger
les lèvres de ce qui nous embrasse
car nous avons faim
d’avoir faim
et nous vengeons notre bouche
d’avoir été mangée
A force de regarder le ciel
nous faisons boiter
l’infini
qui ne s’arrête pas de marcher
comme un mendiant aveugle
La nuit lui donne parfois
sans nous
la monnaie d’une étoile
La beauté qui se perd
nous aime toujours
de nous
avoir perdu
L’idéal d’une carte
L’idéal d’une carte
du monde
est d’être sans
le monde
(Tout idéal d’une carte
est d’être le contour
d’une terre
qui n’existe pas)
L’idéal d’une étoile
dans le ciel
est d’être sans
la nuit
(Tout idéal d’une étoile
est d’être la lumière au centre
de la lumière)
L’idéal d’un bâton dans le feu
est d’être sans
la main
qui le tient
(Tout idéal d’un bâton
est d’être la main
qui le brûle)
L’idéal d’une aile
est d’être sans
oiseau
(Tout idéal d’une aile
est d’être le ciel
qu’elle vole)
L’idéal d’un soulier
sur le chemin
est d’être sans
le chemin
(Tout idéal d’un soulier
est d’être le ciel
qu’il ne chausse pas)
A l’arrivée
Un centre battait dans les échelles
Parfois l’éternité tombe
plus tôt
sur le monde et se fait un foulard
avec les rideaux des fenêtres
On allume alors les ampoules
en plein midi
On lâche les chiens sur les mauvais morts
La lumière
donne
des lèvres
à l’ombre sur les bouteilles
comme si tout avait besoin d’une bouche
pour parler
Nous nous embrassons
sans nous voir
Nous coupons le couteau avec le pain
Nous remplissons à raz bord
la soupe avec des assiettes
Les mouches font et défont
la nuit d’un seul coup
et avertissent chaque chose
les unes après les autres
Sur la table
l’oiseau suggéré de la rose
regarde ceux
qui sont restés assis
et sont devenus des fleurs
On nous a appris l’hospitalité
Nous invitons aussi les chaises
à manger
Le dehors a toujours un dehors plus loin que lui
c’est pour cela qu’on marche sans arrêt
pour trouver un autre dehors
derrière son vêtement de transparence
et de vitres brisées
Les choses sont parfois
comme des oignons
Elles font des couches de peau
à l’infini qui font pleurer
les yeux et le monde
Nous déshabillons le dehors
jusqu’à nous comme dans l’amour
Dehors la lune ne laboure plus la nuit
Une voix dédouble une lèvre
dans une autre voix
Les muscles de l’air saisissent des cailloux
et bâtissent des barricades d’enfants chauves
On tue le soleil à petits coups
de vautours
sur les poubelles
Le dos au noir
on fusille un ange dans chaque mort
Pour saisir le dehors
il nous faut nous-mêmes devenir le dehors
Le poème n’est qu’une méthode pour s’enlever
la peau et trouver le dedans au plus loin de nous
Bibliographie
Appel aux survenants, Maelström, 2009
Nihil et Consolamentum, édition bilingue, traduit du français vers l’occitan par Alem Surre Garcia, Délit Éditions, 2009
Poésie Publique, Poésie Clandestine - Poèmes 1975-2005 Anthologie Arbitraire De Poèmes Et De Bâtons, Le Castor Astral, 2006
L’Électrification du visage, Peau et sie de l’Adour, 2006
Traité à l’usage des chemins et des bâtons, Le Bois d’Orion, 2006
Principes élémentaires de philosophie directe, Dumerchez, 2006
Nierika ou les chants de vision de la contre-montagne, Maison de la poésie Rhône-Alpes, 2006
La spirale du sanglier, Rencontres, 2005
La direction de la grêle, Bernard Dumerchez, 2005
Le Millier De L’air Poème à L’usage Des Chemins Et Des Bâtons, illustré par Jean Capdeville, Fata Morgana, 2004
Tout cercle est un trou qui regarde la lumière, Hommage à Michel Raji, Cyril Torres, 2004
Extraits du chemin, Trames, 2004
Poèmes hallucinogènes du Peyotl, éd. Lézard, 2002
L’enfant archéologue, éd. Jacques Brémond, 1997
La définition de l’aigle, éd. Jacques Brémond, 1997
La mère du cercle, éd. Travers, 1994
Pour libérer les vivants il faut savoir aussi libérer les morts, éd. Richard Meïer
Traité des chemins et des bâtons, éd. Terre blanche
Notre Dame la Noire ou l’Evangile du Serpent, éd. Tribu, 1988
Poème pour un peuple mort, éd. Sixtus, 1989
Couvre-feu, éd. Tribu, 1986
Prophéties, éd. Tribu, 1984
De la ville et du fleuve, éd. Tribu, 1981
La main et le couteau, Parole d’aube
Editions sonores dont :
Nous sommes cernés par les cibles, Serge Pey/ André Minvielle, 2002
L’évangile du serpent, Tribu, 1995
L’enfant archéologue, Artalect, 1987
Les diseurs de musique, Vandoeuvres
Allen Ginsberg/ Serge Pey/ Yves Le Pellec, éd. Tribu