Brigitte Fontaine
Une sorcière pas comme les autres
Surgie de ma mémoire d’un tas de sable, Brigitte Fontaine dans un rituel plus proche de l’empire de la folie que de l’empire des sens, se détruisait implacablement avec pour compagnon d’enfer le tendre et fidèle Areski.
De ce tas de sable se bâtissaient tous les châteaux hantés, toutes les folles complaintes.
C’était à la Grange aux Belles en une année perdue comme un sou dans la poche.
Il n’y a plus de grange, quelques belles encore tournent autour de ces instants et passent muettes.
Depuis ces moments de crucifixion où la carriole des jours allait à l’abîme, escortée par les fumées et les piqûres de rémission des faux paradis, depuis ces temps de nudité, Brigitte Fontaine est devenue la reine du Kékéland.
Ses dévots, ses serviteurs se pressent, et Brigitte tirée de l’oubli, du néant se laisse faire, étonnée de vivre encore.
Mais avant Daho et d’autres, avant les Japonais qui en ont fait une déesse androgyne, la belle araignée folle repliée dans son logis de l’Île Saint-Louis existait entre chats et paroles.
Ses comptines de la folie ordinaire des hommes et de l’amour se passaient comme philtres magiques, Brigitte la sorcière guérissait du mal, du point du jour qui arrive.
Écrivain aux élans rimbaldiens, Brigitte la renarde, la belle abandonnée, nous avait appris que plus jamais on ne mettrait de la terre dans la bouche de ceux qui parlent.
Higelin, puis Areski avaient mis une ombrelle de musique sur ces prophéties.
Max-Pol Fouchet avait diffusé leur spectacle sur France-Culture, exception non encore transgressée sur une radio publique. Il avait reconnu en Brigitte un grand poète, ce qu’elle est, derrière ses masques de petite fille cruelle ou inconsciente.
Elle aura donc tant parlé, tant déliré que nous ne savons plus qui a dit quoi, mais nous savons que ses mots sont mêlés à notre sang.
Mélange de quotidien fait de poussière et hasard, de dits de petite fille de l’autre côté du miroir, les chansons de Brigitte sont un monde en feu.
Elle, l’étoile noire, nous dit que nous ne serons plus chacun pour soi, mais ensemble dans nos cendres, dans nos utopies, dans nos toupies. Et les saisons en enfer reverdiront, et les festins couleront.
Fusée ironique et fuyante, elle tourne ses bras, ses mots et elle est comprise des chats, des enfants, des girouettes et des hommes de construction non ordinaire. Son public est mystique, je me souviens de ce long rappel où tous chantaient près d’une demi-heure devant la scène vide car elle ne revient jamais.
Rimbaud parlait de la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques. Il devait avoir déjà entendu la voix de Brigitte Fontaine.
Dans ces parties de belote qui remplace les vies, Brigitte dérange et nous rappelle qu’il faut en sortant ne pas oublier d‘éteindre sous les confitures.
Sorte de pythie étrange avec ses incantations, ses mots de mise en garde contre l’engourdissement, le sommeil de plomb des sentiments, elle la féline, elle la somnambule nous dit : « Nous toujours vivants, toujours vivants, toujours vivants ».
Dans sans doute sa plus belle chanson, "Les Vergers", elle n’oublie rien des colonisations qui nous terrassent, mais avec le drapeau noir des délires, des pleurs et des sourires, elle parle de libération. Elle nous dit que dans cette vie, cruelle pourtant, personne ne marche vers nulle part et que personne n’est hall de gare.
Brigitte tant aimée, Brigitte magie et enfance, est sans doute "cet ange qui guidait un troupeau de loups".
Lorsque sa voix de toute petite fille de l’autre de l’ailleurs vous étreint, vous savez que toutes vos déchirures se sont ouvertes, c’est le matin, c’est la nuit, c’est Brigitte.
Une sorte d’éternité d’enfance. Celle "où l’on ne fait que changer d’enfance, de souffrance".
Brigitte jamais ne mourra de raison. Sa déraison est notre rosée, notre liberté. Elle est la fée Mélusine, elle qui a dû être la part magique des rosées des forêts de Morlaix qu’elle foulait enfant. Elle sait les mots de passe et les comptines qui font des herbes des harpes, elle nous apprend aussi que le bonheur ne saurait avoir de mémoire.
Brigitte chante en lévitation, les portes ont des ailes, nous avons tous des grains de sable dans les yeux sans son armoire faite de lavande et de fumées.
On ne doit plus s’éveiller, on doit se souvenir " que le plaisir secret d’une chanson, n’est qu’un dessin de craie sur un mur de tessons".
Nous connaissons dorénavant notre Fontaine, notre Brigitte Fontaine, dans sa douce démence, dans sa folle clémence.
Elle est une fée avec des soupirs de sainte, une sorcière pas comme les autres.
Notre Brigitte, notre araignée noire, nous dit qu’il ne faut plus pleurer, même pas après un morceau de nougat.
Celle qui est momifiée maintenant dans les palaces, reste la petite fille prise dans le palais de glace.
Elle sait qu’encore les étoiles filent du mauvais coton et donnent de bien mauvaises nouvelles.
Mon amie, je sais par le doux Areski qu’il ne fallait pas t’adresser directement la parole. Je me taisais te regardant dans ton anxiété d’araignée blanche t’enfuir du monde.
Aussi j’ai écrit cela uniquement pour te demander : Comment ça va ?
Personne n’a à savoir d’où tu viens avec ces sauvageries de la Bretagne en toi, tes déchirures.
L’orage est fini, les chats ont envahi l’Île Saint-Louis.
Tu es bien
tout est bien.
Gil Pressnitzer
Textes de Brigitte Fontaine & Areski
Comme à la radio
ce sera tout-à-fait
comme à la radio
ce ne sera rien que de la musique
ce ne sera rien
rien que des mots des mots
des mots
comme à la radio
ça ne dérangera pas
ça n’empêchera pas
de jouer aux cartes
ça n’empêchera pas
de dormir sur l’autoroute
ça n’empêchera pas
de parler d’argent
n’ayez pas peur
ce sera tout-à-fait
comme à la radio
ça ne sera rien
juste pour faire du bruit
le silence est atroce
quelque chose est atroce aussi
entre les deux c’est la radio
tout juste un peu de bruit
pour combler le silence
tout juste un peu de bruit
et rien de plus
tout juste un peu de bruit
n’ayez pas peur
ce sera tout-à-fait
comme à la radio
à cette minute, des milliers de chats se feront écraser sur les routes ; à cette minute, un médecin alcoolique jurera au
dessus du corps d’une jeune fille et il dira :
« elle ne va pas me claquer entre les doigts,
la garce, à cette minute, cinq vieilles dans
un jardin public entameront la question de
savoir s’il est moins vingt ou moins cinq ; à
cette minute, des milliers et des milliers de
gens penseront que la vie est horrible et ils
pleureront ; à cette minute, deux policiers
entreront dans une ambulance et ils jetteront dans la rivière un jeune homme blessé à la tête à cette minute, un Espagnol
sera bien content d’avoir trouvé du travail.
il fait froid dans le monde
ça commence à se savoir
et il y a des incendies qui s’allument
dans certains endroits
parce qu’il fait trop froid
traducteurs, traduisez
mais
n’ayez pas peur
on sait ce que c’est que la radio
il ne peut rien s’y passer
rien ne peut avoir d’importance
ce n’est rien
ce n’était rien
juste pour faire du bruit
juste de la musique
juste des mots des mots
des mots des mots
tout juste un peu de bruit
comme à la radio
Cher
Le juke boxe est vicieux
La bière est douloureuse
Le flipper est criseux
La frite est cafardeuse
Le chantier est minant
Le snack-bar est sévère
Le trottoir est ruinant
Et la rue est très chère
Cher très cher
La voix des bétonneuses
Fait craquer les gamins
Le chant des éboueuses
Fait flipper les anciens
Le parking fait très mal
Le pressing est fatal
Le centre commercial
T’envoie à l’hôpital
Cher très cher
Le soleil est triquard
Et le ciel est défait
Le matin est ringard
Et le soir est mauvais
Le soir à la télé
On regarde la guerre
Et on se fait sabrer
Par les vieux militaires
Cher très cher
Le lendemain matin
On peut recommencer
On retourne au chagrin
Chacun dans sa tranchée
Cher très cher
Cher très cher
Les vergers
Tous les jours à midi on rassasie les saints
Le soleil amoureux exerce sa violence
Des ruisseaux de mercure envahissent les mains
Et des oiseaux dorés meurent dans le silence.
Nous sommes tous ici pour pleurer et sourire
Nous sommes tous ici pour choisir nos prisons
Nous sommes tous ici pour tuer nos délires
Nous sommes tous ici pour mourir de raison.
J’aimais trop les vergers lorsque j’avais trois ans
Un jour il y a eu quelqu’un ou quelque chose
Un passant qui a dit quelques mots en passant
Un soldat enterré sous le buisson de roses.
Il ne faut pas pleurer disait l’araignée noire
Et elle consolait les enfants affligés
À l’heure où le soleil descendait pour nous boire
À l’heure où je te parle à l’heure des vergers.
Sommes-nous tous ici pour pleurer et sourire
Sommes-nous tous ici pour choisir nos prisons
Sommes-nous tous ici pour tuer nos délires
Sommes-nous tous ici pour mourir de raison.
Méphisto
Sucrez vos mouchoirs
Quand vous pleurez
Vos larmes du soir
En seront charmées
Vous mangerez
Tous les gâteaux
Au grand goûter
De Méphisto.
Saoulez vos sapins
Quand vient Noël
Ce sont des lutins
Prisonniers du gel.
Ils danseront
Dans vos lits avec la lune
Et des bonbons
Pour chacun et pour chacune
Et le roi seul se bercera dans ses bras
Il aura froid tout en haut de son beffroi
Nous irons tous
jouer du luth
Au grand couscous
De Belzebuth.
Tissez vos habits
Avec du miel
Mangez-les la nuit
La nuit de Noël
Dévorez-les
Avec votre bien-aimé(e)
Savourez-les
Sur son coeur et sur ses pieds
Et le roi seul se bercera dans ses bras
Il aura froid tout en haut de son beffroi
Et nous irons
Faire bonne chair
Au réveillon
De Lucifer.
Sucrez vos mouchoirs
Quand vous pleurez
Vos larmes du soir
Deviendront des fées.
Leila
S tu craques
C’est dans l’lac
les étoiles
filent un mauvais coton
comme une toile
d’araignée au plafond
c’est la guerre
des dieux et des démons
der des ders
des photons des neutrons
si tu craques
c’est dans l’lac
Ma chérie
mon amie
on est là
dans nos peaux élastiques
comme des chats
dans des sacs en plastique
solitaires
avec notre amitié
sur la terre
il n’est pas de pitié
ma chérie
mon amie
Tiens-toi bien
à ce lien
de passion
qui te donnait la vie
petit lion
pris dans les galaxies
en folie
comme dans un piège à con
et aussi
ton propre tourbillon
tiens-toi bien
à ce lien
Intérieur
extérieur
c’est kif kif
dans ce monde imprenable
objectif
inconnu incroyable
ça rend saoûl
ce trip métaphysique
c’est trop fou
ce roman fantastique
intérieur
extérieur
Petite sœur
tu as peur
comme moi
dans ce vol de nuit dingue
qui n’est pas
sorti d’une seringue
tu t’étonnes
de ce sombre mystère
tu mâchonnes
les raisins de la colère
petite sœur
tu as peur
Si tu craques
C’est dans l’lac
les étoiles
filent un mauvais coton
comme une toile
d’araignée au plafond
c’est la guerre
des dieux et des démons
der des ders
des photons des neutrons
si tu craques
c’est dans l’lac
Je t’aimerai
Je t’aimerai un soir que les blés seront mûrs
Je t’aimerai un soir que la mer sera douce
Je t’aimerai un soir que mon coeur sera sûr
Que ma mort attendra assise sur la mousse
Je t’aimerai un soir comme en me réveillant
Comme pour la première fois et la dernière
Je t’aimerai un soir comme on aime un enfant
Un jardin verdoyant brillant parmi les pierres
Le silence viendra rafraîchir ma mémoire
Un oiseau chantera pour moi le dernier chant
Et mes yeux s’ouvriront enfin dans la nuit noire
Où la moisson en feu joue avec l’océan
Sur la berge du fleuve où le linge blanchit
La reine s’est couchée au milieu de son lit
Elle attend la venue de celui qui guérit
De celui qui sera son fils et son mari
Je t’aimerai un soir que les lilas seront mûrs
Je t’aimerai un soir que la mer sera douce
Je t’aimerai un soir que mon coeur sera sûr
Que ma mort attendra assise sur la mousse