Youn Sun Nah

Du matin calme à toutes les nuits bleues du monde

Youn Sun Nah est une chanteuse coréenne qui aura mis des matins calmes au milieu du noir de nos nuits.

Installée en France depuis 1995 elle avait de sa voix limpide et sensuelle émerveillait nos scènes et secouée nos habitudes endormies dans les maigres filets de tant d’autres chanteuses entre minaudements et bâillements. Dès sa première apparition en 1989 le mariage d’amour entre la France et elle s’était cristallisé.

Elle chantait de toute sa tessiture en mordant dans la chair du jazz et la rumeur montait plus haut que les marées pour porter son nom. Puis elle disparut et retourna dans son pays nous laissant orphelin de ses volutes. Et des concerts récents, dont celui du 19 octobre 2009 à Toulouse lors de Jazz sur son 31 et dont sont issues les photographies de François Canard illustrant les retrouvailles nous redonnèrent sourires et effusions des retrouvailles.

Voyage et partage entre deux mondes

« Voyage » est le titre d’un album récent et Youn Sun Nah a remonté bien des fleuves depuis son départ et donné un nouveau cours à son art du jazz. Tom Waits, Marguerite Duras, Nat King Cole sont devenus ses voisins. Et sa technique infaillible, enfin une chanteuse qui chante juste et profond, déroule tout le tapis soyeux de la musique, extrayant le dernier jus mélodique de tous ces fruits d’automne que sont ces compositions.

Mais ce titre est aussi l’histoire de Youn Sun Nah, toujours entre la Corée et la France : « Quand je suis en Corée je pense à la France, quand je suis en France, je pense à la Corée. ».

Née à Séoul en 1969 dans un milieu musical avec une mère cantatrice et d’un père chef de chœur amateur, elle profitera d’avoir remporté haut la voix le concours de chanson française organisée par l’ambassade de France pour chanter en résidence à Lyon en 1989. Elle n’aura de cesse que de vouloir revenir. Et après quelques débuts prometteurs à Séoul en chanteuse classique ou de chansons françaises, elle vogue vers l’inconnu.

Elle aura le courage ou l’inconscience de débarquer sans parents et sans amis à Paris à 27 ans, âge bien tardif pour faire une carrière, après des débuts de chanteuse classique dans son pays. Elle décide de tout réapprendre et s’installe à Paris en pour étudier un univers ignoré en Corée : le jazz.
Elle étudiera au CIM (école de jazz et de musiques actuelles). Thierry Pélèa grand admirateur de Kenny Wheeler et de Norma Winstone sera son professeur.

Puis viendra l’apprentissage des cabarets et des concours. Sa véritable naissance en chanteuse de jazz à part entière en Europe date à peine de 2006, alors que dans son pays elle étonne et subjugue dès 2003. Depuis l’envol est fait sous une pluie de notes.

Elle va continuer à cheminer entre ses deux pays, car pour elle cela exalte sa créativité : « Vous ne pouvez savoir comme c’est enrichissant de vivre dans deux pays ».
Diva du jazz en Corée, chanteuse en devenir en Europe.

Une voix qui voyage dans l’air

Sa voix est la douceur de l’automne radieux avec son timbre légèrement grave de mezzo-soprano parfois, l’instant d’après cristalline soprano. Ce n’est pas une voix de jazz traditionnelle.

C’est en concert que Youn Sun Nah vit vraiment, et chavire la musique et nous aussi. Plus de souci de perfection elle se laisse aller à sa véritable nature qui est d’être nuages flottants sur les cieux musicaux.

Soyeuse et diaphane sa voix s’en va en gerbes et en arpèges devenir un jet d’eau.

Nuances, glissements, frôlements, la voix passe comme herbes qui se plient sous la rosée, puis s’élève de plus de trois octaves quand souffle le vent intérieur.
Elle sait passer de la brume au plein éclat dans un seul souffle.

Elle caresse, elle feule, elle gifle aussi quand les amours disjonctent.

La sensualité exacerbée de sa voix fait grand contraste avec sa tenue de petite fille modèle sur scène et sa timidité naturelle est alors oubliée.

Le plus original est sa science des silences qu’elle sait intercaler et habiter en naviguant de note en note. Elle va jusqu’à la naissance des sons et les fait grandir dans sa gorge comme battements d’ailes. Elle travaille sur les couleurs des notes et le mystère prend l’allure de son chant.

Elle semble ne chanter que pour vous, allongée contre votre oreille, et sur le fil tenu des rêves elle trace des guirlandes d’étoile en étoile.

Sa fascination ne vient pas d’une présence charnelle et charmeuse. Non elle est une sœur qui vous console et non la femme qui vous séduit. Avec une voix fort étrange où traîne le bruissement « du saule aux dix mille rameaux ».

Quand elle reprend dans un murmure étrange, dans un souffle ultime, Shenandoah doucement les feuilles tremblent, et sa voix de porcelaine coule et se souvient des cérémonies des souvenirs. Elle retrouve les nostalgies de la poésie coréenne ancienne faites d’ivresse de brume et de griserie de nuages.

Youn Sun Nah est l’une des rares chanteuses qui sait retenir le silence et capter l’auditoire, le surprendre par sa voix montant tous les barreaux des sons, plus agile qu’un écureuil. Les sauts périlleux de trois octaves sont son pain quotidien, les écarts de dynamique les plus fous sa manière d’être. L’alchimie se fait magie dans le registre intimiste et tendre est la nuit, tendre est sa voix. Mais Youn Sun Nah sait aussi apporter le thé fumant du scat dans la coupe du jazz. Elle continue à chanter les saisons de son pays natal au travers des saisons de la musique. Et pour prolonger les frémissements du temps qu’elle sait arrêter, ou étirer d’un souffle, elle chante parfois quelques airs traditionnels coréens. Et ses mélismes s’enroulent comme lierre autour des chants. La dentelle de sa voix nous couvre du froid, ses murmures sont parfums entêtants. L’ombre de Barbara, qu’elle a tant aimé chanter, passe alors.

Déjà sa fraîcheur est une fontaine dans l’univers du jazz souvent asséché.
Fluide et aérienne Youn Sun Nah a plusieurs visages, plusieurs registres. Souple, elle est une liane dans le monde du jazz. Du cristal qui lui est naturel au rêve rugueux de Tom Waits qui la fascine, elle se fraie un passage.
On verra plus tard pour savoir ce que deviendra Youn Sun Nah.
Elle aura bien le temps de creuser son sillon et de continuer à surprendre avec toute sa palette de couleurs de voix. Il lui reste encore à aller plus haut que les nuages.

Mais déjà sa voix ondoyante est offrande de lyrisme toutes voiles dehors.

Gil Pressnitzer

Discographie

Reflet (2001)

Light for the people (2002)

Down by love (2003)

So I am (2004)

Memory Lane (2007

Voyage (2009)

Site officiel : www.younsunnah.com/