Wolgang Amadeus Mozart
Messe du couronnement, K.317
Un arc-en-ciel d’un portail ancien
Mozart a naturellement et en toute sincérité beaucoup composé de musique vocale religieuse. Près de dix-sept messes entre 1768 et 1783 dont onze sont des messes brèves destinées à l’office ordinaire.
Pour la plupart elles sont des commandes de son maître l’archevêque de Salzbourg et sont donc toutes porteuses de cette période salzbourgeoise entre apprentissage et esclavage.Œuvres obligatoires elles auraient pu être routinières et profanes dans l’âme. Mais Mozart se sert de ces pièces vocales comme champs d’expérimentation de ses futures Œuvres vocales, et les ornements et le lyrisme se déploient sans complexe et sans détournement.
Mozart ne doutait pas et ses sentiments religieux, à cette époque, étaient évidents et simples : il chantait la parole divine sans arrière-pensée et sans vertige métaphysique non plus.
La tolérance était grande à Salzbourg où les parfums grisants de la vocalité servaient de référence, et Mozart qui ne connaissait pas encore la révélation de Bach et donc la transcendance du contrepoint, pouvait néanmoins pleinement se libérer dans ce type de musique.Bien sûr des traits communs avec des Œuvres de l’époque, les sérénades, montrent une caractéristique fondamentale de sa musique d’alors : l’alternance très rapide, parfois abrupte entre les passages de sérénité et soudain des chutes d’angoisse.Parfois l’avant-goût du néant transparaît, comme un appel du vide au milieu de la plus chantante sérénité.
Cette messe K317, datant du 23 mars 1779, est pourtant bien particulière.
Son appellation de Messe du Couronnement semble évoquer la fête annuelle du couronnement d’une statue de la Vierge dans l’église baroque de Maria-Plain, aux portes de la ville.Son effectif important (4 voix solistes, chœur mixte, hautbois, cors et trompettes par 2, trombones par 3, timbales, orgue et cordes) avait pu annoncer une œuvre triomphante à la Haendel.Il n’en est rien, car il s’agit plutôt d’une œuvre d’exorcisme des circonstances très particulières de ce moment dans la vie de Mozart.
Le retour humiliant à Salzbourg pour se faire remettre en laisse par l’implacable Colloredo qui voyait revenir avec une joie sadique l’impertinent qui croyait courir le monde, ce retour Mozart le vivait très mal et reprenait la routine de son service.
Le voyage-catastrophe à Paris avec la mort de sa mère était encore dans sa tête. Comment ne pas faire une relation entre le Brahms du Requiem allemand dans les mêmes circonstances et ne pas imaginer que la voix de soprano s’élevant dans l’Agnus Dei devait être pour Mozart une célébration de cette mère, nid de tendresse.Célébration aussi de sa plus terrible déception amoureuse qu’il venait de vivre.Retour au bagne, deuil personnel, deuil d’amour, deuil de son avenir de compositeur car Paris l’a boudé, tout est bien noir.
Aussi nous nous attendons à une musique également noire et pathétique, pour le moins douloureuse.Rien de tout cela, et trois mois après, cette messe n’est pas le couronnement des peines mais une échappée au travers des épreuves.
Fait-il chaud ? Fait-il froid ?Je n’ai de vraie joie à rien, écrit-il, juste avant.
Quelques mois plut tard sa musique va se tendre, se durcir vers un certain désespoir. Cette messe n’en porte pas de traces encore trop évidentes et le climat de religiosité sert de garde-fou à tout appel vers le vide. Le voyage à Paris a appris à Mozart, la perte de la magie de l’enfant prodige et de ses cabrioles musicales, et donc il se tourne à cet instant vers la pudeur et la concision.
Ses émotions se font discrètes et il ne veut en aucun cas s’abandonner au pathétique ou au sentimental.
« Le goût long des Allemands » pour les plaintes lui fait horreur à cet instant de sa vie. Mais il faut se souvenir que Mozart était né allemand par hasard géographique qui faisait de Salzbourg une terre allemande. Toute sa vie il sera fier d’opposer sa nationalité allemande de fortune à celle des Autrichiens. Qui s’en souvient encore puisque Mozart est l’archétype de l’Autrichien pour la postérité
Au travers de cette messe ample et solennelle, ce qui apparaît paradoxalement le plus dominant est une sorte de musique intime qui se garde de trop se livrer.Sa quête de pureté et de vérité intérieure est en marche déjà dans cette œuvre qui se veut populaire, simple et pourtant complexe pour ceux qui veulent approfondir.Populaire et savante, tout à la fois, comme la Flûte Enchantée, cette œuvre se veut courte et accessible à tous les publics.Elle est remarquable par ses contrastes saisissants entre une masse sonore imposante et la fragilité extérieure d’une voix de soprano, blanche et légère.Cette recherche d’écho entre glaise du chœur et l’aérien de la voix d’ange fait la puissance poétique de cette messe. Moins de vingt-cinq minutes suffisent à Mozart pour capter le temps d’un éclair, la force d’une foi coulant de source, ses affirmations tranchantes, ses ombres aussi.
Messe en ut majeur K. 317 "du Couronnement"
1 – Kyrie
2 - Gloria3- Credo
4 - Sanctus Benedictus
5 - Agnus Dei
Cette grande messe en ut majeur n’est en rien le brouillon de la célèbre grande messe k427 en ut mineur de 1782 et qui reste énigmatique. Celle-ci se coule allègrement dans le monde du style italianisant, exactement comme la cathédrale de Salzbourg pour laquelle elle devait être destinée.Faste baroque, éclat des lumières et pudeur des petites chapelles, cette messe traduit son décor et aussi des pistes plus intimes.
Le Kyrie imposant commence brusquement sans aucune introduction instrumentale par une triple affirmation confiée au chœur et à l’orchestre à l’unisson. Affirmation plutôt interpellation.La soprano semble faire s’effacer l’ensemble et les masses par la pureté de son chant dissipant les ténèbres. Le ténor la rejoint et ce duo se retrouvera dans le Gloria, dont toute une partie importante échappe au cœur pour être laissée aux solistes. La dernière parole du Gloria, l’Amen est le couronnement du mouvement comme pour le tomber de rideau d’un opéra imaginaire et il s’agit bien d’un final imposant.
Le Credo demeure un acte de conviction, plein d’énergie et comme une avalanche de foi, il emporte tout sur son passage.Les rebonds sonores sur les principes fondateurs du catholicisme sont amenés sans arrière-pensée.
Le Sanctus est fait de longues attentes avec le retentissant Hosanna, opératique et flamboyant. Des ornements décorent cette fresque.
Le Benedictus est complètement en rupture avec le passage précédent et il se situe pleinement dans l’esprit baroque et le style galant du milieu salzbourgeois.
Le plus surprenant et le sommet de la partition est l’Agnus Dei final, car au lieu du chœur traditionnel et conclusif que l’on attend à ce moment, celui s’efface encore à un long solo de soprano, haut moment de lyrisme et seule ouverture vers les souffrances intimes de Mozart.Très vite le voile pudique du quatuor vocal et de l’ensemble de l’effectif recouvre ce moment d’abandon et dans la fanfare des cuivres l’œuvre se termine en apothéose, comme pour un réveil, un éveil en tout cas d’une nouvelle naissance après les épreuves.
Cette messe de Mozart est donc à recevoir non pas comme une fresque sonore imposante et allègre mais comme des pistes qu’elle trace vers une pure lumière.
Gil Pressnitzer