Robert Adams
L’endroit où nous vivons, où le désenchantement du réel
« Comme beaucoup de photographes, j’ai commencé à prendre des photos par envie d’immortaliser des motifs d’espoir : le mystère et la beauté ineffables du monde. Mais, chemin faisant, mon objectif a aussi enregistré des motifs de désespoir et je me suis finalement dit qu’eux aussi devaient avoir leur place dans mes images si je voulais que celles-ci soient sincères et donc utiles. » Robert Adams.
Robert Adams est ce photographe américain qui a consacré une partie de sa vie à suivre en images l’évolution du paysage de l’Ouest américain, l’endroit où il vivait.
Son travail a été largement reconnu vers le milieu des années 1970 par le livre The New West (1974) et surtout The Place We Live qui s’étend sur une période de 1964 à 2009. En 1975 une exposition intitulée New Topographics aura un retentissement important, car elle a fait prendre conscience de la modification dramatique des paysages par l’homme et de la disparition de tout un passé.
Et depuis Robert Adams est considéré comme le chroniqueur le plus important de l’Ouest américain.
Splendeur et misère de l’Ouest américain, pourrait être le titre générique d’une grande partie de l’œuvre photographique de Robert Adams, ce photographe américain profondément ancré dans le Colorado et qui a vu tant de paysages, « là où il vivait » se dégrader, se détruire ou plutôt être dévasté par l’homme.
Ses images sont un cri lucide contre les ravages faits par l’homme à la beauté. La beauté des paysages il l’a magnifiée pendant plus de quarante-cinq ans et peu à peu, puis de plus en plus vite il a vu la lèpre industrielle, la brutalité de la main de l’homme anéantir sans un regard toute la magnificence des paysages de l’Ouest américain, par cupidité, par besoin aussi de vivre.
Toujours en noir et blanc il a édifié, comme avant lui Ansel Adams, un véritable monument à ce chef-d’œuvre en péril qu’est le paysage américain, gangrené par le profit.Inlassablement, pendant plus de 45 ans de travail presque sociologique, ethnologique, il a voulu fixer, principalement dans 40 livres, la beauté qui fut et la destruction de celle-ci par pure inconscience et ignorance grasse du passé pour lui substituer un présent mercantile et vide.
Quelque part dans la lignée de Strand et d’Edouard Weston, il est le photographe des paysages, ceux du New West, de l’Ouest Nouveau. Ce qu’il a voulu transcrire est en fait la mutation des paysages, l’empreinte souvent nocive de la main de l’homme. Robert Adams a photographié l’évolution du paysage de l’Ouest américain, pour y exalter « sa beauté fragile qui perdure en dépit de notre relation troublée avec la nature, et avec nous-mêmes ».
Ses photographies se distinguent non seulement par leur économie et leur lucidité, mais aussi par leur mélange de douleur et d’espoir.
Et Robert Adams photographie ces agglomérations suintantes d’ennui, sans beauté particulière, si ce n’est d’abriter des gens, et il semble s’en dégager une forme de rédemption, malgré les transgressions humaines et le progrès dévastateur. La ruée vers l’Ouest a accouché d’un paysage blafard.
Ses paysages de l’Ouest, surtout du Colorado ou de cette ville tentaculaire de Denver, semblent vouloir faire ressurgir les souvenirs des terres d’avant, non socialisés, sauvages, permettant encore un contact réel avec la nature, dans les confins de la terre à l’air libre.
Robert Adams installe ses images entre l’imaginaire que nous pouvons encore posséder, et ce qu’est devenue la réalité dégradée.
Cette oscillation perpétuelle finit par nous faire prendre conscience du poids du jadis.
Robert Adams est le grand témoin de la mutation des paysages, des empreintes humaines posées comme des tags obscènes sur la nature.
L’endroit où nous vivons, l’endroit que nous vivons (The Place We Live), est pour lui notre seul paradis à sauvegarder.
Et ce « croisé de la beauté » aura réveillé bien des consciences.
L’homme de l’Ouest
Y a-t-il des jours ou des lieux consacrés dans notre monde dévasté? Y a-t-il des scènes de la vie, là maintenant, pour que nous puissions en théorie en être reconnaissant? Y a-t-il un socle pour la joie ou la sérénité, même occasionnellement? Y a-t-il des raisons de temps en temps pour un sourire qui ne soit pas ironique? Robert Adams.
Robert Adams est né le 8 mai 1937 à Orange, dans le New Jersey.
En 1940, sa famille déménage à Madison, aussi dans le New Jersey, où naît sa jeune sœur Carolyn.
Puis en 1947, la famille s’installe à Madison, dans le Wisconsin pendant cinq ans. Il contracte la poliomyélite à 12 ans qui l’atteint au dos, au bras gauche, et à la main, mais il en guérit et récupère toute sa mobilité.
Un dernier déménagement l’amène en 1952 à Wheat Ridge, Colorado, dans une banlieue de Denver, où son père a obtenu un emploi.
Les problèmes chroniques des bronches dont il souffrait avaient aussi motivé le déménagement.
Mais il va continuer longtemps à souffrir d’asthme et des problèmes d’allergie.
Durant son enfance, Adams a souvent accompagné les dimanches après-midi son père dans des promenades et des randonnées à travers les bois.
Ils ont fait plusieurs voyages en radeau dans les parcs nationaux.
Il aimait aussi faire des excursions à cheval et il a pratiqué l’alpinisme.
Il a aussi beaucoup fréquenté l’Église méthodiste.
Au cours de ses années d’adolescence, il a participé activement comme scout à des camps de garçons au Rocky Mountain National Park dans le Colorado.
Il va en contracter un intense amour de la nature et de ses paysages sauvages qui influencera son choix de devenir le photographe des grands espaces.
Robert Adams s’est inscrit à l’Université Boulder du Colorado, en 1955, puis l’année suivante à l’Université de Redlands en Californie, où il a reçu son diplôme en anglais en 1959.
Il a poursuivi ses études supérieures à l’Université de Californie du Sud et il a reçu son doctorat en anglais en 1965.
En 1960, à Redlands, il rencontre et épouse Kerstin Mornestam, originaire de Suède, liés tous deux par le même intérêt pour les arts et la nature.
Après avoir séjourné longuement dans l’Oregon, ils partent en 1962 pour le Colorado, et Robert Adams commence à enseigner l’anglais au Colorado College de Colorado Springs.
En 1963, Adams a acheté un appareil photo reflex 35mm et a commencé à prendre des photos surtout de la nature et de l’architecture.
Cependant, il n’a pas suivi immédiatement une carrière de photographe.
Il se forme par des lectures et des influences diverses et apprend la technique photographique.
Tout en terminant sa thèse, il a commencé à photographier en 1964.
En 1967, Adams a commencé à enseigner à temps partiel afin d’avoir plus de temps pour sa nouvelle passion, la photographie.
En 1969, il a ensuite rencontré John Szarkowski, alors conservateur de la photographie au Musée d’Art Moderne, et enfin, en 1970, il a commencé à travailler comme photographe à temps complet.
Et il se lance comme désigné pour une mission de témoignage par la photographie pour immortaliser l’éphémère vétusté du monde. Il s’installe dans le Colorado où il va vivre trente ans et mener à bien son travail de moine bénédictin de la photographie documentaire.
Adams vit et travaille dans le nord-ouest de l’Oregon, le Nord-Ouest Pacifique.
Le topographe du jadis et de la vie qui va
« Les photographies diffèrent souvent de la vie plus par leur silence que par l’immobilité de leurs sujets. Les photos de paysage ont tendance à converger avec la vie, comme ainsi, les soirs d’été, lorsque les sons de l’extérieur sont faibles, après que nous avons rappelé les enfants et fermé les portes du garage - le bruissement des papillons, le claquement de bâton ». Robert Adams
Robert Adams est tout autant le photographe qui a documenté l’étalement urbain dans le paysage de l’Ouest américain, le rétrécissement de la nature sauvage, que les soirs d’été au crépuscule.
Dans ces deux travaux c’est un crépuscule qui est montré, celui qui s’étend aussi bien sur les paysages de la série Nuits d’été le long de la bordure orientale des montagnes Rocheuses dans le Colorado, où il vit, que sur l’espoir qui pouvait nous rester face à la destruction de la nature par l’homme.
Mais il continue à croire en l’homme et à la faculté de la nature à survivre.
Alors il dresse comme un arpenteur, un topographe, une sorte d’état des lieux.
Ses photos en noir et blanc sont sobres, lucides, fuyant l’anecdote et le sentimentalisme.
Il aime les paysages vides que seul habite le silence, l’espace où résonne tout un passé.
Mais il photographie aussi les nouvelles constructions des hommes qui empiètent sans s’en apercevoir sur la nature.
Ses travaux paraissent simples, des granges, des fermes, une vieille église, une petite ville, des gens à peine entrevus et placés dans l’espace comme êtres anonymes.
Face à son cher Ouest américain : son immensité, sa rare beauté et sa fragilité écologique, il fait œuvre de lanceur d’alerte et de pionnier de « l’écoconscience ».
Il crie comme les arbres décimés crient.
Avec rigueur, un sens aigu du cadrage, un art qui s’inspire de Walker Evans, il mélange son amour éternel pour les grands espaces de son travail, ainsi que la rigueur formelle de l’œil de l’architecte.
Il veut rendre vivant sans aucun romantisme le paysage, le vent, les nuages.
Et aussi le nouveau paysage américain avec ses autoroutes, ses panneaux, ses maisons de banlieue ennuyeuses sorties de terre, les devantures de magasins, les centres commerciaux, les traces donc d’une « nouvelle civilisation. »
Il a donc photographié sans cesse ce qui a été perdu et ce qui reste encore.
Pour cela il utilise une grande palette de gris et des cadrages très composés.
Il travaille souvent en petit format soignant méticuleusement ses tirages.
Ses images sont presque architecturales, très contrastées, et la lumière est omniprésente le plus souvent.
Il semble vouloir aussi fusionner avec l’espace infini et le silence.
Robert Adams a une forte éducation religieuse, et il est proche de l’église méthodiste.
D’ailleurs son premier livre a été consacré à une série de photographies d’églises White Churches of the Plains, en 1970.
Et il a une approche quasiment sacrée du paysage et de l’espace. Donc aussi de la profanation, ainsi il est obsédé par l’intrusion « créatrice » de la main de l’homme au sein de la création de la Nature.
Il est aussi persuadé de la possibilité de rédemption, et donc ne sombre pas dans le désespoir.
Tout pour lui peut encore être sauvé.
Robert Adams travaille le plus souvent par série ou projets majeurs, et il veut que ses images prennent leur sens au travers de livres qui permettent de montrer toute une suite d’images qui se répondent l’une à l’autre. Aussi c’est par les livres que l’on peut approcher ce photographe.
« Vous avez une visionet pas seulement un peu de chance. En outre, bien que les photographes travaillent une image à la fois, un livre vous permet de mettre vos photos en même temps de sorte que dans certains cas, elles amplifient et peuvent rendre plus complexe le sens de ce que vous faites..... Une image sur le papier, en supposant qu’elle est bien reproduite, est plus proche de l’expérience du rendu d’une impression que de voir une image sur un écran. Il y a aussi une grande satisfaction en tenant un livre bien fait. C’est un bel objet avec une forme qui elle-même suggère la plénitude. Le plaisir de l’objet, de la matière est encore fondamental... »
Parmi ses grands projets déjà effectués, on peut citer le livre fondateur The New West (1974), montrant une vision désenchantée de Denver, ville tentaculaire et pécheresse sans doute à ses yeux.
Summer Nights (1985), est une série de nuits aux allures oniriques de scènes de nuits d’été prises à la lumière du crépuscule. Également Time passes, sur la fuite du temps, Tree Line sur son attachement fusionnel aux arbres. Our Parent, Our Children (1979-1983) montrent le quotidien de gens ordinaires. I Hear the Leaves and Love the Light (1999), exalte son approche panthéiste du monde. Listening to the River (1996) est une ballade lyrique dans les saisons de l’Ouest Américain.
Robert Adams aurait pu n’être qu’un moralisateur, une sorte de prêcheur rousseauiste de l’état de nature. Il s’en défend, ne voulant n’être qu’un témoin, un documentaliste qui dresse scrupuleusement un état de la planète, sans fard, sans condamnation aussi.
Il veut monter les empreintes, les traces, même ténues, de la présence humaine : une maison, une trace de pneu, un puits qui brûle, des maisons abandonnées, un poteau électrique, des tags, stations-service vides.
Là l’homme est passé, et la nature blessée.
Même au sein du vide, du désert, de l’immensité semble planer l’intrusion des hommes.
Et une malédiction semble s’être abattue sur les villes dépeuplées, les églises vides, les commerces et les parkings délaissés.
Les hommes aussi sont passés et oubliés.
Et le temps semble figé, la poussière triomphante. L’Eden est perdu.
Tout n’est plus que traces. En fait Adams n’est pas vraiment objectif ni neutre, car il dénonce la façon dont certains paysages, jadis sauvages, ont été transformés au contact de l’homme. Babel a triomphé.
Mais lui poursuit sa quête vers la lumière et la beauté entre dénonciation désolée et espoir jamais vaincu.
Il est le peintre de la relation tragique entre l’homme et la nature, mais il croit que la lumière et la sagesse sauveront le monde.
À jamais photographe humaniste il a plus fait œuvre de plaidoyer que d’accusateur : il donne simplement à voir toute la complexité du monde, et nous demande d’être citoyens de la nature.
Aussi « il a arpenté et photographié sans relâche les mille visages de l’Ouest en quête de beauté rédemptrice.
Des montagnes majestueuses du Colorado jusqu’aux terrains vagues de Denver, le photographe se livre à un plaidoyer impassible en faveur d’une prise de conscience collective, celle de protéger l’environnement naturel. », comme le dit la présentation de sa rétrospective au Jeu de Paume, à Paris.
Dans les images de Robert Adams, même si peu d’humains apparaissent, règne une tension sous-jacente, dans ses photos généralement en noir et blanc. On dirait un inventaire de derniers vestiges de l’humanité.
C’est un cri contre la folle consommation humaine, comme son livre What We Bought (1970-1974) le dénonce.
Cette grande dissonance entre la lumière des paysages et la salissure des empreintes humaines aurait pu le conduire à n’être que prédicateur de désespoir. Mais il a l’espoir chevillé au corps.Il a fait sienne cette citation d’Anna Akhmatova qu’il cite très souvent. «Le miraculeux est si proche des ruines sales.»
Et il croit en la rédemption de la nature et le bain purificateur du silence.
« Partout est le silence - un silence dans le tonnerre, dans le vent, dans l’appel de colombes, même un silence dans la fermeture de la porte d’un pick-up. Si vous êtes de passage dans les plaines, laissez l’autoroute et trouvez un petit chemin sur lequel. Vous apprendrez à marcher, à écouter ».(Adams)
Gil Pressnitzer
Un site Robert Adams:
The Place We Live http://media.artgallery.yale.edu/adams/landing.php
Les photographies de Robert Adams sont toutes sous copyright de Fraenkel Gallery.
Bibliographie partielle
Robert Adams s’est surtout exprimé en publiant des livres, plus de quarante, aussi seule une bibliographie succincte est donnée ici.
Time passes Fondation Cartier pour l’art contemporain 2008
Denver - A Photographic Survey of the Metropolitan Area 1973-1974 Yale juillet 2009
White Churches of the Plains (Colorado Associated University Press, 1970)
Tree Line : Hasselblad Award 2009, Steidl Verlag 2010
I Hear the Leaves and Love the Light, Nazraeli 1999
Still Lives at Manzanita, Nazraeli Pr 2006
Pine Valley, Nazraeli 2005
A Portrait in Landscapes, Nazraeli 2006
The New West: Landscapes Along the Colorado Front Range, Aperture; 2008
Photographs and Conversations, Aperture 2006
Beauty in Photography: Essays in Defense of Traditional Values, Aperture; 2006
What We Bought - The New World, Scenes from the Denver Metropolitan Area 1970-1974, Yale University Press 2009
What Can We Believe Where? - Photographs of the American West, Yale University Press 2010
Summer Nights, Walking: Along the Colorado Front Range 1976-1982, Aperture; 2009
Gone?, Steidl Verlag 2010
Skogen, Yale University Press 2012
California: Views by Robert Adams of the Los Angeles Basin, 1978-1983, Fraenkel Gallery,US 2000
Perfect Times, Perfect Places, Aperture 2000