François Canard
Cabanes sur pilotis des rêves
Des mains d’enfant ont tressé des refuges, des ventres d’autres mères plus secrètes, où revenir les jours de grandes tempêtes.
Puis l’hiver est tombé, la pluie du réel a fait dériver les branches. Le vent, la neige ont affaissé les utopies. Les cabanes patiemment construites sont peu à peu éparpillées, et le temps a passé comme grêle.
Quelques traces entre lierres, fougères et orties, comme une clairière dans le flou des jours. Et rien d’autre.
Mais les chants d’oiseaux des jeux ne sont pas envolés.
Certaines s‘accrochent encore aux branches du rêve, et des arbres tendant leurs bras les soutiennent encore au-delà des heures grises.
Tout ne doit pas tomber dans l’oubli, le jadis se raccroche à l’épaule des forêts, la mousse des bois recule.
Plus personne ne sait jusqu’où auraient pu naviguer ces barques d’innocence, ces repères de cris et de chuchotements.
Disloquées par l’incurie de nos imaginaires, de l’égoïste repli de nos ailes, elles sont là merveilleuses et pitoyables.
Huttes ou branches nouées contre le froid, parfois on dirait aussi des squelettes de baleines échouées des mers vidées par les marées des absences.
La terre n’ose pas de suite descendre en elles, qui attendent suspendues à l‘hiver et ses doigts de malheur. L’espérance les protège encore. La conscience des choses qui aurait pu être vécues sous la cachette de ces bouts de bois, assemblés en faisceaux de contes de fée, sert encore de toit.
Bois sur bois, bulles de songes sur bulles de songes, ces cabanes sont amarrées sur les pilotis des rêves.
Elles sont ouvertes de tous côtés, et passe le vent pressé de faire ses courses, et vient la neige comme tendre couverture pour leurs épaules fragiles.
Et le toit rudimentaire fait se faufiler le ciel. Le ventre vide de la cabane contenait pourtant toutes les nourritures de l’ailleurs.
Parfois une pancarte devient la langue abrégée des peurs anciennes. « Attention enfants », dit l’une d’elles. Et entre les racines et les troncs d’arbre cette mise en garde tente d’endiguer la houle des choses imaginées. Oui des enfants sont passés ici, ont rêvé, ont bâti.
Les rires sont envolés, mais l’enfance continue à jouer à cache-cache sous les branchages.
Les feuilles mortes demeurent encore fidèlement, faisant tapis entre la terre ouverte et le ciel fuyant.
François Canard, sur la pointe des pieds de la photographie, recueille les traces et la rosée de ce qui fut. Sa chambre photographique devient la chambre des enfants. Ses photos chuchotent, tracent à mi-voix des moments débusqués, des chemins perdus, des châteaux de sable élevés à jamais.
Parfois il faut savoir lire au travers de quelques branches dressées contre l’oubli et adossées au tronc du temps, les ruines du silence. Parfois aussi la neige semble tombée des flacons secoués de la mémoire.
Le photographe sait lire cela, il sait faire tomber la neige, il appelle la mémoire.
Nous semblons suivre la marche d’un Grand Meaulnes à la recherche de la porte d’entrée du jardin magique des cabanes enfuies.
Dans un monde sans soleil, aux couleurs souvent froides qui estompent les formes mais laissent affleurer les mémoires, ces ruines de cabanes montent la garde. Le gris du temps, le vert oublié par l’automne, n’effacent pas les bras dressés des branches des cabanes.
Ces cabanes marquent encore les frontières des utopies, des pilotis des rêves.
Gil Pressnitzer