Carlos Pradal
Notes de Garance Thouzellier
Carlos Pradal naît en 1932 à Madrid. Tout jeune, il est entraîné dans l’exode face à la montée du franquisme et arrive à Toulouse. Il suit des études de lettres et de philosophie,
mais souhaite profondément être peintre et s’y consacre pleinement à partir de 1960.
Dès 1956, il expose au Salon des Artistes Méridionaux et au Salon Art Présent.
Ses premières oeuvres correspondent à la tendance majeure de la peinture figurative à Toulouse, à cette époque, mais il va très vite s’en détacher.
C’est grâce à ses lectures qu’il acquiert une connaissance meilleure de la peinture espagnole, ancienne ou plus récente, et il se nourrit également des expositions novatrices qui ont lieu à Toulouse.
Autodidacte, il cherche et travaille seul, en regardant autour de lui dans la nature ou les musées.
Il rencontre Raoul Bergougnan qui lui suggère de moins s’attacher à la représentation de l’objet mais davantage à l’espace dans lequel il évolue, aux lumières qui changent la perception des choses et des êtres, ce que Carlos Pradal recherche à faire dans ses peintures.
Outre les expositions collectives, en 1960 et 1963 à la Galerie Maurice Oeuillet et en 1967 et 1970 à la Galerie Andrieu, le public a l’occasion de voir ses oeuvres lors de ces expositions personnelles.
Les thèmes qu’il présente sont issus de la culture espagnole (les tauromachies) et il réalise même des séries.
Quatre aspects importent à Carlos Pradal pour sa peinture: la couleur, la surface, la matière et la franchise de la facture. Pour lui, c’est la quête du visible par l’invisible.
« Les couleurs, en des palettes toujours réfléchies et limitées pour chaque tableau, sont livrées à un travail des valeurs apposées en dégradés ou en contrastes, confrontées, dissoutes, afin de figurer gestuellement les effets de la perception des choses et des figures, par leur lumière conçue comme leur matière, leur espace et le moment de leur vision"’. »
Il travaille la matière directement et l’applique « en couches diluées et diaphanes ou en strates denses et superposées, en lavis ou empâtements, par aplats maigres, plages onctueuses ou grumeaux de touches nourries ».
Par la forme, il organise et compose l’équilibre de sa toile, en faisant en sorte qu’il n’y ait jamais de rupture sur la surface par le fondu de la forme dans le fond.
Avec la rapidité d’exécution, il crée une représentation dynamique.
Quant à la franchise de la facture, Carlos Pradal explique lui-même son attachement:
«Le dynamisme de la touche est très important pour moi. Je cherche la franchise du geste. Je cherche à rendre sensible l’élan qui a donné à la toile, parce que c’est cet élan qui donne vie à la couleur. »
Les natures mortes - Bodegones - sont un thème très ancré dans la culture picturale espagnole et tous les grands maîtres en ont réalisé.
Carlos Pradal se reconnaît dans cette tradition et considère qu’à travers ce moyen il peut exprimer toute sa gravité intérieure.
Il peint des objets de la vie quotidienne : des cruches, des fruits et des légumes.
La palette utilisée est relativement restreinte, on y retrouve souvent le noir, le blanc, les couleurs terres et un ocre tirant sur le rouge.
Le bleu n’est représenté que dans Nature morte à la bouteille bleue.
Ces natures mortes se composent sur un fond sombre, les objets sont utilisés pour leur forme, leur volume, leur matière et l’éclat de lumière qu’ils donnent.
Michel Roquebert commente son tableau "Cruches" de la manière suivante : « Son regard sait "piéger" les formes, sa peinture sait donner aux plus anodines une présence quasi charnelle. »
"Mannequins" est un tableau un peu plus fantaisiste de Carlos Pradal. Michel Roquebert déclare alors:
«Ses mannequins pour vitrines de corsetière, sans bras, sans jambes ni tête, affublés de soutiens-gorge et de gaines, ressemblent fort à ses cruches: leur indécence hébétées en fait presque des objets surréalistes. [...} La vraie peinture est toujours un strip-tease de l’objet. »
Les auto-portraits et les portraits sont également un exercice de style.
Son Auto-portrait de 1974 correspond à sa création parisienne et traduit une certaine souffrance qu’il porte en lui, à travers l’aspect squelettique du corps et les yeux noirs et tristes.
Le fond est neutre, seule la chemise blanche et le côté gauche du tableau apportent de la luminosité.
L’arête vive du nez plonge le côté droit dans une ombre.
À travers "Les macaques’ Carlos Pradal fait référence au nom que l’on donne aux Espagnols réfugiés.
Ils sont trois, placés derrière le box des accusés, coupés à mi-corps.
Leurs visages sont marqués et cernés de noirs, traduisant une certaine tristesse et dureté.
« Dans toutes ces oeuvres les organisations de plans géométriques verticaux ou obliques, signifiant le lieu de la vision prise au filet de l’immédiat, jouent un rôle analogue à celui des horizontales des natures mortes, sans cependant jamais définir précisément [...} une situation exacte, un décor, un environnement contenant.»
Enfin, en 1970, Carlos Pradal présente sa première série de toiles à la Galerie Andrieu, intitulée "Les Beaux Quartiers":
« Un jour, Carlos pénètre dans une boucherie. Aussitôt, il est frappé par la beauté plastique et la très picturale saveur des quartiers de viande qui s’offrent à ses regards". »
Le peintre a saisi la richesse chromatique que possèdent ces morceaux de viandes encore crues et sanguinolentes, et cette thématique qu’il développe en 1969 lui permet de travailler la matière et la couleur d’une palette de roses, violets, orange, rouges et noirs.
Les nuances sont apportées par le traitement à la fois des vaisseaux, des nerfs, de la chair ou de la graisse. Chaque pièce de viande brute, parée ou à parer, est entourée d’une lueur blanche pouvant représenter les murs d’appuis des étals ou des chambres froides.
« On devine, au départ, chez Pradal, un vif plaisir à restituer la saignante vérité du sujet: rouges denses des viandes, transparences roses et blanches des peaux cristallines qui les revêtent. [...J Mais tous les succulents "beaux quartiers", peints par Pradal, possèdent une réelle dimension poétique. [...] Sous le pinceau de Pradal le morceau de viande, sans cesser pour cela d’être identifiable pour le regard du spécialiste, perd de sa pesanteur et de son opacité. Il acquiert une transparence qui lui confire le caractère fantomatique et hallucinant d’une apparition. Très plastiquement transposé et isolé dans le silence du tableau, le morceau de viande, sous la main magicienne de Pradal, subit une analogique et très métaphorique transmutation. »
Carlos Pradal réalise ensuite d’autres séries, comme "Passantes" en 1970 qu’il saisit en plein mouvement. D’un pas empressé, elle s’avance vers le spectateur.
Pradal utilise un contraste d’ombres et de lumières, celles-ci provenant de la droite du tableau et mettant en valeur la robe et la cuisse de la femme.
Dans cette série, Carlos Pradal souhaite traduire la richesse d’expression d’un corps féminin en mouvement, qu’il saisit sur le moment de disparaître à nouveau.
Plus tardivement, il réalise des séries sur le thème du "Billard" ou du "Flamenco".
Carlos Pradal part en 1972 pour Paris. Il souhaite s’émanciper et entre dans le groupe des artistes peintres espagnols de l’École de Paris.
C’est un peintre fidèle à la représentation des choses interprétées de façon libre, précise, sensible et picturale. Par les thèmes qu’il traite et la palette qu’il utilise (souvent composée de roses et de noirs), Carlos Pradal montre l’attachement qu’il porte à son Espagne natale et à sa culture picturale.
Garance Thouzellier