Christian Schmidt
Le peintre ébloui
Du 24 au 23 de la rue Croix-Baragnon, il n’y a qu’ une rue à traverser.
Mais peut-être, aussi, tout un monde à franchir.
Au moment même où Christian Schmidt, après six années de gestion, quitte le fauteuil directorial du Centre Culturel de la Ville de Toulouse, de l’autre côté de l’antique carriera, [où, voici sept cent cinquante ans, les libertés toulousaines se jouèrent sur les barricades dressées contre les cavaliers venus du Nord], réapparaît le peintre Schmidt.
On ne l’avait certes pas oublié, pas plus qu’il ne s’était perdu lui-même.
Mais six ans durant, Schmidt, ce fut surtout la peinture des autres.
De Lapoujade à Hélion, de Magnelli à Sarthou, de Tapiès à Pignon, il nous a donné à voir, à profusion, des choses qu’il aimait, et d’autres dont il était fort éloigné mais qu’il savait importantes. Sa mission - cette mission-là du moins - est terminée : il retourne à sa vocation, et, le temps d’une exposition, renoue le dialogue interrompu.
Il suffira de voir ces toiles pour s’assurer que la peinture n’a jamais cessé de l’habiter, et qu’il n’y avait de silence que pour nous, pas pour lui.
Au Schmidt qu’on retrouve. au peintre du plaisir de voir et du plaisir de peindre. le temps a patiemment ajouté le SCHMIDT qu’il est devenu : le peintre d’une sorte de violence ou de puissance concentrée, à la vision toujours aussi avide à savourer le réel, mais à l’expression plus complexe, plus subjective, et plus proche peut-être d’une « idée » des choses que des choses elles-mêmes.
Il ne s’agit point d’une idée abstraite : mais d’une transfiguration poétique, à la limite parfois de la fantasmagorie ou de l’apparition, où le peintre pousse jusqu’à l’extase le plaisir que donne la re-création d’une couleur, d’une matière, d’un mouvement, d’un jeu de lignes. Une peinture aussi heureuse que jadis, mais qui paraît intérioriser le bonheur, et, se placer à cette frontière ambiguë et fragile où le spectacle se fait rêve.
C’est cette ligne qu’en traversant la rue, Schmidt nous invite à franchir.
Michel Roquebert, texte pour la galerie Protée
Schmidt : le peintre ébloui
Il est des peintres que le spectacle du monde inquiète et d’autres qu’il émerveille; des peintres que leurs rêves torturent, et d’autres qu’ils enchantent.
Du Gréco à Tapiès, l’art peut être plainte, prière chargée d’angoisse, ou cri de révolte.
Il peut être aussi, de certains gothiques à Renoir, ou à Matisse, un chant ébloui.
Christian Schmidt est depuis toujours, je crois, de ceux qui chantent.
Le fait-il simplement pour le plaisir - le sien, et celui de ceux qui regardent ?
Ce serait trop vite dit.
De toute façon la beauté est multiple, pour la conquérir les chemins sont nombreux et tous très difficiles.
Peindre, c’est toujours chercher à voler le feu.
J’imagine celui de Schmidt comme un grand soleil intérieur inondant paysages et villes, êtres et choses, personnages de la vie et figures nées de son imaginaire, et en même le temps le temps qui passe sur le ciel et les saisons.
Car rien n’est moins passif, bien sûr, que cette "peinture spectacle" - et quel riche spectacle!- née de la double alchimie du rêve et du geste de peindre.
Au point que le réel et la mythologie personnelle se confondent ici.
Car quelle différence, au fond entre tel guitariste croqué sur le vif, et Nyctimène,- la fille à tête d’oiseau du roi de Lesbos?
Un alliage souverain de violence et de douceur raffinée, et les vibrations de la touche et les chatoiements de la couleur, et l’art des glacis, tout concourt à matérialiser un univers second surgi au carrefour de ce que le peintre voit avec nous, et de ce qu’il voit pour nous.
Venise ou parasols, envol de flamants ou grand nu couché, vigne ou musiciennes, comme si l’âme était un prisme ou un vitrail, Schmidt projette sur le monde une lumière à la fois physique et spirituelle d’une intense magie poétique; elle ne le brise pas, ni le fragmente pas, le condense au contraire en le transfigurant avec une savoureuse liberté et une puissance magnifique: la peinture aussi a un plain-chant.
Michel Roquebert, article paru dans la Dépêche du Midi