Christine Valcke
La nuit ne se fait pas nuit à travers mes yeux
c’est mon idée de la nuit qui se fait nuit à travers mes yeux
Alberto Caeiro
Le rituel de la vie
Pour la toute entière beauté
ne risquerai quoi que ce soit
sinon pour un je ne sais quoi
que d’aventure on peut trouver
St-Jean de la Croix
Les rives de l’œuvre de Christine Valcke sont les rives du rituel de la vie. Sa peinture, ses lithographies, en forment les empreintes. Par des formes élémentaires, des traits dont la force sépare le courant des choses, des cercles comme autant de ronds sur la surface de la vie. Sa maison est la lumière. "Sa maison apaisée" acceuille la lumière comme un hôte cher, et la laisse repartir, reposée sur le chemin de ses toiles.
Et ses œuvres apportent la lumière à la surface. Peindre pour exister, peindre pour se transmettre et transmettre. Peindre pour révéler les traces invisibles. Témoigner de notre passage dans le monde qui passe en nous. Capturer au vol ces filaments d’éternité. S’appuyer contre l’épaule du temps. Ce temps lent qui va du stable au mouvant.
Il n’y a aucun visage perceptible, que des surfaces comme des paupières, et pourtant l’on se souvient de tous les visages en regardant ses Œuvres.
La mémoire se cache alors dans l’élémentaire, entre les rubans du vide, les entrelacs de la matière du papier. Dans la coulée des pinceaux sans retour en arrière possible, du hasard fécond des pierres à lithographie, des corps à corps des couleurs, du mariage des gris, du doux tombeau des noirs en repos se tissent des signaux et des signes. Mémoire plus loin que la mémoire, surgissements entre les instants.
Christine Valcke travaille le plus souvent sans esquisse, frémissante au hasard qui souffle d’où il veut, pourvu qu’il soit fidèle.
Ses tableaux, ses lithographies naissant de l’ouverture des pierres et de toutes les autres une à une, sont le signe d’un passage vers un monde conjoint où des forces élémentaires, presque cellulaires, fraternisent pour aboutir à la fluidité de la vie.
"Ouvrir la pierre" dit-on en lithographie, les papiers de Christine Valcke ouvrent l’écoulement intemporel des traces, de l’eau. Des pierres semblent posées comme bornes d’éternité aux quatre coins du monde. Elles respirent, elles attendent. Des écharpes de couleur couvrent de tendresse le vide. Des feuilles tombées d’arbres translucides passent sur la toile. Des lettres venues d’ailleurs nous apprennent l’alphabet du jadis et nous désapprennent celui des jours enchaînés. Des hiéroglyphes de traits font un nouvel abécédaire où se trouve le mot de passe pour franchir le seuil. Une douce végétation a recouvert les jours assis devant la porte. Traînées de bleu, poids de l’essentiel.
Christine Valcke semble avoir passé un pacte avec le fluide. Les tensions et les brisures se joignent au fleuve établi sur la toile. Sous les doigts des passages s’ouvrent.
Un cercle et des planètes tournent.
Un trait et le ruissellement du temps se divise. Christine Valcke n’a pas besoin de la figuration pour aller loin. Les forces primitives, presque cellulaires suffisent à recréer le monde ou le donner à voir.
Les desseins invisibles du dessin visible font la trame d’un autre monde sensible, tout près, là, on l’entend palpiter. Des profondeurs naissent les yeux ouverts des formes.
Que devenons-nous après avoir regardé une œuvre de Christine Valcke ?
On reste muet comme la neige, puis on entrevoit ce cheminement brûlant de la démarche de vie appuyée sur le courage d’affronter le vide et le plein. Ce tutoiement du vide, du blanc terrible, inscrit la volonté,comme le besoin, de l’occuper pour faire place à l’irruption de la peinture. Le vide n’est pas inhabitable, comme la tristesse. Il devient l’auberge des apparitions.
Le regard du temps se transmue en cette mémoire visuelle. Le temps qui ouvre des brèches, le temps qui passe et qui s’attarde, et dans cette attente surgit l’œuvre. Elle se vêt de l’évidence. Elle est éblouie de tout l’étonnement au monde qui l’a fait peindre, coller, assembler..
Peu consentent à convier l’inaccompli dans leur travail, Christine Valcke en a fait un compagnon fidèle qui sait quand il est temps de clore sous peine de surcharges.
Une lenteur archaïque sourd des choses qui se sont posées en douceur sur le blanc. Une œuvre à voix basse. Les ronds sont des oiseaux qui traversent les yeux. Et ces yeux ne crient pas, ils nous invitent « dans la maison apaisée ».
Le passage est là, au fil au fil de l’eau lente il y a nous. Des troncs d’arbre d’ailleurs,
des messages secrets de la neige. Au fil de l’eau lente il y a la montagne en morceaux qui donnent ses traits et ses cercles et vient les regarder, étonnée de la ressemblance.
Au fil de l’eau lente, il y a la mer vidée par distraction.
Au fil de l’eau lente de l’œuvre de Christine Valcke il y a nous, il y a l’artiste qui nous fait hospitalité, il y a le passage. Une voix qui prend appui sur le fil renoué du temps. Une voix ourlée d’impatience mais que la sagesse de la pierre initie à l’attente.
Si on se penche l’on entend le ciel. La lenteur des pierres ouvre le temps du passage. Tout respire et attend. L’espace est prolongé.
« J’apprends à voir. Je ne sais pas à quoi cela tient, mais tout pénètre plus profondément en moi, sans s’arrêter à l’endroit où d’ordinaire tout s’achevait. J’ai un intérieur, que j’ignorais. Tout y entre désormais. Je ne sais pas ce qui s’y passe. » (Rilke, Cahiers de Malte)
Gil Pressnitzer
Sur la lithographie, par Christine Valcke
La lithographie, par sa technique, ouvre des possibilités très singulières.
Depuis plusieurs années, l’ensemble des Œuvres que je réalise avec le lithographe Philippe Parage, dans son atelier aux Pujols en Ariège, me permet d’en explorer quelques unes.
Le temps de la pierre est rythmé par des nécessités techniques ( les diverses préparations de la pierre et du tirage).
La lenteur de cette mise en œuvre, où il faut savoir attendre et respecter tous les passages dont la pierre a besoin, crée des conditions particulières pour “voir”.
La décomposition de l’image en différentes pierres, une par couleur, est d’autant plus complexe que l’intervention sur la pierre se fait au noir et à l’envers.
Au fond, c’est tout un processus alchimique qui se met en œuvre, le vocabulaire technique en témoigne lui-même :
ouvrir la pierre, fermer la pierre, la passer au noir.
Le tirage, avec le choix de la couleur pour chaque pierre, est le moment où l’image va commencer à se constituer.
Je n’utilise jamais le papier report pour que le contenu d’une pierre coïncide parfaitement avec une autre. J’aime guetter l’imprévisible qui surgit dans le croisement des pierres.
C’est pour moi une des joies du tirage.
Lors de mon dernier passage dans l’atelier de Philippe Parage, j’ai essayé d’amener plus loin ce travail de composition.
Je désirais construire l’exposition que j’ai présentée à Toulouse, à la librairie Ombres Blanches, en septembre 2007, autour de “la Noche Oscura”, poème de st Jean de la Croix. Comment entrer dans la nudité de cet immense poème écrit en captivité et comment
exprimer dans un langage plastique la traversée de la Nuit ?
Il me semblait nécessaire de réduire le vocabulaire et de développer une mise en œuvre la plus simple possible.
J’ai donc décidé de ne faire que deux pierres, de ne pas modifier la couleur choisie pour chacune en cours de tirage et d’en explorer toutes les possibilités : superposer les tirages pour densifier l’encrage, décaler le papier pour que la pierre encre une surface plus large, inverser le papier, toujours pour modifier la position d’encrage du papier par rapport à la presse. Celle-ci n’autorise qu’un déplacement latéral du papier et c’est évidemment la presse qui fixait les contraintes.
Chacun des papiers amenés aux tirages avait déjà reçu trois interventions :
un fragment du poème écrit au calame, un passage furtif avec un pinceau encré et le collage d’un morceau de papier chinois pour modifier la valeur et la surface du papier.
La fluidité de ces interventions éphémères, de ces instants, allait se heurter avec la fixité de l’image sur la pierre. Il s’agissait donc là non du croisement des pierres mais du croisement du temps lent de la pierre avec la volatilité de quelque chose toujours en mouvement. Le processus de transformation alchimique est toujours lent et souvent, dans l’alchimie, sous l’influence de Saturne, dieu du temps.
Apparemment, pendant ce temps “mort”, il ne se passe rien. Et pourtant, en-dessous du couvercle de l’athanor (vase alchimique), tout lutte et cherche à prendre forme. C’est ce processus que j’ai essayé de suivre jusqu’au bout, en acceptant les risques du tirage. Beaucoup de “ratés”, de tentatives n’ont pu voir le jour et parfois aussi, il y a eu la
joie de quelques surgissements. Mais l’œuvre est sans cesse à recommencer et la forme n’est toujours qu’un temps suspendu d’un processus.
La peinture de Christine Valcke est un haïku, un "ravissement soudain dans l’imprévisible" ; elle contient la puissance aérienne de l’élan vital. Une peinture qui révèle sans discourir et c’est dans son dépouillement qu’elle trouve son amplitude.
Une création dans la fraîcheur, dans l’effleurement, le ténu, le presque rien. Des peintures qui n’imposent rien, qui font chanter les choses : un hommage au moment présent. (Galerie Fusion)