Jean-Émile Jaurès
Jean-Emile Jaurès est un peintre et un sculpteur en évolution constante. Hanté par le saccage du monde moderne envers la beauté - sa série récente de la Vénus de Praxitèle mise en barbelés par le réel d’aujourd’hui, le démontre-. Il est né le 24 mars 1932 à Paris, et vit retiré près de Rabastens où il poursuit son œuvre.Nous avons voulu revenir vers le passé par les textes sur une exposition de novembre 1964 à l’Atelier, et de 1982 à l’Éclectique, afin de monter la pertinence visionnaire des écrits d’Henry Lhong et du regretté Robert Aribaut.
Une sténographie du réel
Jean-Émile Jaurès appartient bien à une génération qui tente de renouer, à haute voix, un dialogue avec le visible. Et les remous qui agitent la peinture actuelle montrent qu’il n’est pas si simple de réintroduire dans le langage pictural de notre époque un « sujet » devenu encombrant.
Pour les peintres travaillant dans la voie d’une « figuration différente », il s’agit beaucoup moins d’une prise d’empreinte de la réalité tangible que d’une effraction pour s’installer dans son cœur, beaucoup moins d’une approche superficielle que d’une pénétration profonde ; en un mot : de la restitution d’une intériorité par des moyens plastiques.
C’est la démarche même de Jaurès. Il s’attaque d’emblée au problème majeur de la peinture : celui du personnage. Et on le voit tenter, de toile en toile, une réinvention plastique, ramassée dans une grande liberté d’écriture où l’essentiel est livré seul pour devenir poésie. Pour l’instant, s’il aborde l’Homme par le biais de la foule, c’est par humilité.Le choix d’un lieu pittoresque, la Foire aux puces, (d’ailleurs débarrassée de tout pittoresque ici) sert de prétexte à une grande réunion de gens, de personnages, évoluant à la fois dans un paysage et dans un monde d’objets. Ce monde est fait de liens, de connexions subtiles entre l’homme et les choses.
Dans cet univers où règne constamment la plus grande sûreté des formes et des couleurs, on peut suivre le passage, la projection des silhouettes, comme une sorte de vibration humaine s’attachant au décor, aux objets. Mais déjà quelques portraits témoignent de la suite que prendra la démarche : l’homme seul, le peintre aux prises avec le personnage, puis le peintre installé, aux aguets, à l’intérieur.« Dialogue avec le visible » disions-nous. Dialogue aussi avec le lisible. Dans la peinture actuelle, tout se passe avec JAURÉS et avec quelques autres, comme si une sténographie du réel était en train de s’inventer.
Henry Lhong
Un espace occulte
Les œuvres récentes de Jaurès sont peintes dans une matière souple et ductile, basée sur un mélange (crayon, feutre, pastel), qui est personnel à l’artiste.
Elle lui permet de restituer la sensation première dans toute sa fraîcheur.
Ces œuvres-là n’offrent pas de rupture avec les toiles inspirées par le « Vendredi » de M, Tournier, si elles en sont sensiblement différentes.
Jaurès, dans ses compositions, nous paraît pousser plus loin son exploration du réel. Il confère à l’espace une importance décuplée, en tirant efficacement parti de larges zones de blanc.
Il vise, semble-t-il, à extirper de sa gangue un espace occulté il aspire à créer un espace plus libre et plus habité, où son monde s’inscrivait avec une autorité et une force nouvelles.
Subtilement et intensément suggestive, sa vision se déploie en de souples et nerveuses architectures et des chromatismes vifs et nuancés.
Très attachants et d’une facture racée, les « jeux très pastels » de Jaurès illustrent pour leur auteur une recherche qui, à ses yeux, devra porter ses fruits et ses beaux fruits, en de futures réalisations plus étoffées et plus ambitieuses. Mais cette recherche est déjà création.
En son genre, une des plus belles expositions du moment. Elle mérite la visite de tous les amateurs exigeants et passionnés. Elle ravira particulièrement tous ceux qui pensent, depuis longtemps, comme nous, que Jaurès est l’un des plus authentiques parmi les talents créateurs de notre peinture méridionale qui a toujours eu vocation d’universalité.
Robert Aribaut