Max Cabanes
Les années « Patte d’eph »
Cabanes est apparu dans les villages fortifiés de rêves des lecteurs de BD avec des créatures délirantes : Jole, Anti-Jole, et autres Crognote rieuse.
Un grand vent de folie douce et tendre a soufflé alors sur l’univers en carton-pâte de la BD Les bulles sont devenues irisées et sont montées au ciel en zigzaguant.
Une intolérable envie de rire pourtant, au milieu d’une drôle de réalité plutôt rêvée que subie, nous avait rendus attentifs et familiers à tous les petits lutins glissés dans les mailles du quotidien.
Le Max Cabanes est "aisément repérable" avec son univers de fables, de rencontres du troisième sale type, et aussi de Contes fripons.
Sa patte d’écrivain se glissait dans une mémoire d’éléphant avec pêle-mêle Lovecraft, Kafka, Tolkien, mais aussi Breughel, et mille autres clins d’œil.
Aussi, pas étonnant qu’il en arrive aux pattes d’Eph’.
Au lieu de revenir mourir dans des ossements familiers comme un éléphant fourbu, le Cabanes assure un Max en redéroulant ses amours d’enfance à Béziers.
Preuve qu’il y a une vie même après un Grand Prix à Angoulême, le beau Max (demi de mêlée à Béziers), revient démêler la mêlée des verts paradis des amours adolescentes.
Déjà, "Colin Maillard" avait décrit les premières " pamoisons-bandaisons" du garçonnet et la Roberta, la Demoiselle, la Marie-Ange se mêlaient aux rêves forts des bandes près des barques et des cabanes de pêcheurs.
Maintenant, dans les "années pattes d’Eph", nous sommes dans les années soixante à Béziers avec les échos d’alors : twist, rock, vespa, et jeunes filles qui affleurent et dont les ombres parfumées vous frôlent à hurler de plaisir, les interminables montées et descentes du boulevard principal, les dragues, les fantasmes, les émois et les déceptions. Max Cabanes trouve des accents aussi authentiques qu’un film de Jean Eustache, lui aussi natif de Béziers, et on retrouve dans cette langue rocailleuse et chantante, dans les situations plus vraies que vraies, tous nos tâtonnements amoureux.
En 62, c’était pas comme aujourd’hui, putain !
Tu l’as dit Max, mais, au moins on était tendre et on ne craignait pas alors d’apporter son coeur au rendez-vous, même si la drôlesse avait fait faux bond. Ou pire descendait ce boulevard des rencontres avec un autre gars.
"Nous soixantions" dit Cabanes, et les fantasmes des futals dernier cri, des chaussures à la mode, des twists dégueulés par les Anges Noirs, remplissaient la soif de vivre.
Avec,bien sûr, un peu de "Pento", la gomina des"quéques" pour que les papillons-filles viennent s’y coller.
Fou des filles, les jeunes de Province, vivaient en bande pour se tenir chaud, avaient des amours furtives de porte cochère, des rêves à hurler dans la tête, et du désir à dessaler la mer.
« J’avais passé la fin des années soixante à dévaler les escaliers sur la pointe des santiags, à reboutonner en catastrophe mes pantalons à pont, à griller les "P4".
Ainsi se déroule une enfance à Béziers, comme ailleurs sans doute mais sans la mer, et sans l’accent.
Cabanes par son dessin entre rêve et réalité, ses mots plein de là-bas, nous donne son Amarcord à lui, sa jeunesse buissonnière.
Et ce qui reste après avoir refermé cette BD, c’est une grande impression douce-amère de pureté, de rires frôlés, de parfums de filles non conquises.
Rares sont les écrivains ou les cinéastes qui ont su rendre aussi palpables ces moments.
Les Années Pattes d’Eph’ (Éditions Écho des Savanes) est un grand livre, un beau livre initiatique qui sait rendre simplement, vraiment nos amours de jeunesse.
C’étaient les années soixante, Max, merci pour cette goulée de souvenance.