Tal Coat
« La forêt, la pierre, l’âme celte »
…Voilà ce qui m’habite ! aurait pu ajouter Pierre Tal-Coat à cette phrase en formed’autoportrait, qu’il cita lors de son exposition au Grand-Palais à Paris en 1976.
Elle le définit pleinement, à la fois par sa simplicité et par ce qu’elle évoque de la relation d’un peintre avec ses racines profondes. Jusqu’au, pseudonyme choisi par Pierre Jacob :Tal-Coat, (qui en breton signifie : Front de Bois) pour éviter toute confusion avec le poète Max Jacob, également natif de Bretagne.
Je n’ai pas, au cours de ma vie, rencontré d’artiste qui par la peinture, se soit engagé aussi pleinement dans un lien vital avec la nature. Dans mon film L’Atelier ouvert, il a cette phrase : « Je ne peux pas définir mes rapports avec la nature, étant donné que je suis en plein dedans. »
La prise en compte de cet attachement, est indispensable à toute approche de son œuvre. Car l’émoi suscitant l’acte de création trouve toujours son origine dans ce que la nature, à un moment singulier, de couleur, lumière et forme, aura su éveiller chez l’artiste dans le tréfonds de sa sensibilité. Depuis les traces dans la terre humide, jusqu’aux failles dont le temps a scarifié les roches. De la couleur vive des colzas, aux verts infinis qui dessinent les collines. Du mauve des lointains couchants, au brun proche des écorces de châtaignier… Sans fin, Tal-Coat, s’applique à recevoirla nature comme un autre lui-même.
La multiplicité infinie des mondes
vous souvenez-vous de cette face comprise entre les montants face d’une montagne, face d’une peinture comme on se souvient, si cela se peut, de l’oubli, eau incluse dans le volume où elle surgit, comme le griffon des sources
André du Bouchet, Un jour de plus
C’est dans cette multiplicité infinie des possibles du monde des champs, des grands horizons, et même des petits, que l’artiste a sans fin puisé ses sources. Possédant ainsi un territoire sans limites à investir. Quelle que soit la saison, qu’il soit dans la Drôme ou en Normandie, le rapport avec ce qui l’environne est d’évidence. Indispensable et total. Le peintre l’affirme lui-même très simplement:
« Je dois essayer d’ètre là où je suis et travailler à partir de ce que je vois. » A ses débuts, pendant les années Parisiennes qui précédèrent la guerre, fort de son amitié avec les artistes de Montparnasse, et surtout les frères Giacometti, Tal-Coat connut une période figurative, alternant portraits et natures mortes. Mais dès la fin des années quarante l’appel atavique de la nature reprendra le dessus et viendra presque exclusivement nourrir sa veine créatrice.
On connait par les textes et même quelques dessins, les relations que Victor Hugo entretenait avec les Pyrénées. Il y a aussi les superbes aquarelles que Delacroix a faites quand il venait ici prendre les eaux au milieu du 19° siècle. On connait moins le lien qui un temps, a uni Tal-Coat à nos montagnes. Lors de ses différentes villégiatures à Cauterets, où sa première épouse Broncia Lewandowska tenait une petite auberge, « La Soulayte »,le peintre venait ici chercher une autre forme d’immersion. Celle qu’offrent les Pyrénées quand, depuis la vallée, nous sommes confrontés à ces gigantesques volumes sombres qui au fil du jour entrent en lumière. Marcheur invétéré, Tal-Coat ne se séparait jamais de son carnet de dessins. Celui qui est reproduit ici pour la première fois, grâce à la complicité de Françoise Simececk,atteste d’un regard fragmenté sur les masses d’ombres des versants, ou sur les franges de crêtes éclairées, si étrangères aux horizons lointains qu’il voyait de son atelier Normand. Ces dessins nous montrent également la capacité infinie de l’artiste à isoler du monde, un pan de nature, pour le transcrire sur la page, et peut être plus tard sur la toile. Fragment d’espace, relevant toujours d’une totale amplitude du regard attentivement déployée, entre le proche et le lointain.
Rien ne sépare la terre de son souffle, du frémissement journalier qui trace la lisière.
Un point d’adhérence, aussitôt oublié, englobe ici toute la peinture. (Tal Coat).
’il fit ses aquarelles Pyrénéennes, Eugène Delacroix confronté à ce même choc visuel écrivit dans son carnet : « Tout cela est trop gigantesque, et on ne sait par où commencer au milieu de ces masses et de cette multitude de détails. » Lorsqu’un promeneur audacieux l’abordait et s’étonnait de l’apparence, abstraite, de ses dessins, Tal-Coat expliquait que son but n’était pas de faire des paysages, mais d’appliquer sa vision à une portion d’espace, et d’essayer de la rendre d’une façon juste. C’est ce que Baudelaire estimait être le plus grand honneur du poète :
« Accomplir juste, ce qu’il a projeté de faire. »
Au fond la lumière est à la base de tout
Je ne suis pas devant la nature, je suis dedans...
Être là dans ce qui ne cesse de venir. Cette présence seule importe.
Tal Coat
L’autre composante essentielle de cette peinture, procède de la lumière. Dans ce même film, évoqué plus haut, Pierre me disait encore :
« Au fond la lumière est à la base de tout. Peut-être que derrière la lumière il y a encore autre chose ! Mais enfin restons-en à la lumière… »
Violente ou diffuse, froide ou chaude, elle est captée puis transcrite par le peintre,
et sera convoquée à nouveau par le spectateur devant la toile, pour faire vivre l’épaisseur de la matière. Si relief obtenu fait partie de l’émotion de l’artiste, la lumière reste à part égale, indispensable à la perception que nous aurons ensuite de l’œuvre achevée. Entre ces deux données fondamentales, fragment de réel et incidence de la lumière, se développe toute l’œuvre d’un homme qui aura entièrement vécu à travers le prisme de la peinture, sa relation avec le monde sensible.
Tal-Coat nous laisse une expression plastique singulière, et sans équivalent dans l’histoire. Elle doit cette place à la combinaison, d’une perception aiguë de la lumière, mêlée à l’acuité d’un regard fragmenté sur la nature. Dans cet échange indispensable que le peintre a toujours su garder, vif, tendu et fusionnel.
A l’image d’un Georges Bernanos, qui jamais ne vécu en ville, et sa vie durant rechercha cette même immersion, jusqu’à écrire dans Les enfants humiliés:
« Pourquoi évoquerai-je avec mélancolie l’eau noire du chemin creux, la haie
qui siffle sous l’averse, puisque je suis moi-même l’eau noire et la haie. »
Le lien est sans faille. Physique et entier. Sensible et nourricier. D’une plénitude réciproque, nourrissant l’art du peintre, il donne à cette œuvre dense et sans concession rôle de décaler légèrement la perception que nous avons de notre relation au monde. Par le fragment choisi, la touche, la matière, et souvent l’audace de la palette, Tal-Coat a su transformer ce Réel qui l’inspirait en un autre qui nous émeut. Pour nous montrer du doigt ce que, épars ou divertis, nous ne parvenions à voir…
michel dieuzaide, Castelvieilh, Mai 2009.