André Hardellet
Le promeneur des jardins cachés des rêves
Chacun lutte comme il peut contre l’angoisse de la mort et la solitude ; tracer des mots pour les écarter ne constitue pas l’un des plus mauvais moyens inventés par l’Homme. (Donnez-moi le temps)
On ne lit pas Hardellet, on va se promener dans les ruelles et les passages de ses mots. On guette la trouée vers la Cité Montgol, on suit le souffle lourd et lent de Germaine, sa douce initiatrice. On suit ses promenades dans les coins de Paris les plus cachés. Comme le Brassens de « Porte des Lilas », Brassens son grand ami, il sera passé dans les portes cochères de l’incertain, les bistrots de l’amitié, les accordéons de la fraternité. On apporte en cachette de quoi nourrir ses chats des rues, maintenant qu’il nous a quitté, douce ombre dans la mousse des jours. Il doit être encore assis dans un square contemplant la fin de l’automne, et puis doucement sur la pointe des pieds il quitte le paysage.
« Il sortait pour rattraper le présent au passage » et avec un peu d’herbe cueillie dans ses lourdes mains, il va vers son sommeil.
« La plus belle récompense de l’homme - c’est encore son sommeil ».
L’homme, qui aimait paraît-il les fleurs de myosotis, aura cheminé au bord du rêve, dans les rues défoncées des apparences, avec un tendre sourire. Il cherchait la douce compagnie des ombres en chômage sous le bitume des jours.
« Le rêve - c’est l’instant où tombe enfin la robe des clairières. » (La cité Montgol.)
Cet homme des banlieues, sera demeuré dans les banlieues de l’écriture.
Les lectures des livres fervents de Françoise Lefèvre (Consigne des minutes heureuses et Les larmes d’André Hardellet), les noms des amis proches de Hardellet : Brassens, René Fallet, Julien Gracq, André Breton, Mac Orlan..., tout cela nous a signifié de pousser la porte du souvenir vers cet écrivain et poète. André Breton, dès 1958, le désignait comme « le conquérant des seules terres vraiment lointaines » qui vaillent la peine.
Et ces lignes si belles de Françoise Lefèvre, elle qu’André Hardellet appelait « la marchande de la boutique des minutes heureuses » :
« Mais moi je vous ai vu pleurer. Dans ce café de la place Desnouettes, j’ai vu couler les larmes d’André Hardellet. Je les ai essuyées ainsi qu’une brusque sueur qui s’est mise à perler à vos tempes, marquant sans doute le début de votre agonie. Je ne suis pas certaine d’avoir trouvé les mots de la consolation. Je craignais un peu cet attachement que vous me manifestiez. Je vous ai juste pris les mains. Je suis la dernière personne à vous avoir donné des fleurs et un baiser. La dernière aussi à qui vous avez demandé de vous accompagner pour une longue promenade que nous projetions de faire le lendemain, au bois de Vincennes, sur les lieux de votre enfance. À la pensée de votre échappée belle, votre visage s’est éclairé. Mais la nuit même, vous êtes parti en solitaire pour une tout autre promenade et dans celle-là, je n’y suis pas ».
Son procès révoltant pour son beau livre de tendresse "Lourdes et lentes" (pour ce récit dont l’érotisme choqua le flic en chef de l’époque, Raymond Marcellin, André Hardellet fut condamné en 1973 pour outrages aux bonnes mœurs par la 17° Chambre correctionnelle de Paris), sa chanson « Le Bal chez Temporel », et sa façon de cheminer au milieu des énigmes du quotidien, auront fini de nous le rendre à jamais attachant. Lui l’amoureux du peintre Magritte savait lire dans l’écorce des choses, il voyait l’éternité humaine dans chaque visage, « dans chaque ombre de contrebande ».
Et puis il y a eu ce texte :
Vous raconterai-je la jeunesse des roseaux et des mares ? Vous dirai-je les déambulations nocturnes des statues qui changent de socle au clair de lune ?
Nous explorions les balcons et les toits où l’on pénètre dans des flaques de musique inexprimable. De haut et de loin, nous apercevions le Guet, si ridiculement pesant qu’il devait renoncer à l’espoir de nous atteindre jamais. Le vin puissant de la tristesse nous faisait chanter. Nous mettions les filles à mal en exigeant l’Olympe dans leurs yeux, dans leurs reins. Puis, redescendus sur le pavé, nous nous battions au poignard contre les assassins de l’aube, les peaux-rouges surgis de coupe-gorge atroces.
Mais le plus souvent, nous nous contentions de regarder ; n’importe quoi - des promesses par exemple. C’est un art subtil où nous étions passés maîtres.
Et l’envie de lire ce passant considérable ne nous quittera plus.
Traces de Hardellet ou le temps qui fuit
Il est dit dans les savants recueils : André Hardellet est un écrivain français né le 13 février 1911 à Vincennes et mort à Paris le 24 juillet 1974.
Il faut donner plus de lumière à son passage terrestre. Faire en sorte une sorte de quatrième de couverture du type :
André Hardellet est né à Vincennes, où il passa ses six premières années.
Son enfance et son adolescence sont heureuses auprès de ses parents. Il déambule longuement dans Paris et sa banlieue où il traque la vie aux carrefours des vies. Les jardins et les cimetières, les chats et les ombres. La chair des femmes le fascine sous la tombée des robes.
Lourdes, et lentes. Prenant bien leur temps pour reluire et faire reluire. Nourrices, mères, sœurs. Pleines de lait, de sécrétions, d’organes mous. Les autres, les maigres, les rapides, retournez à vos enfers étroits. Germaine était lourde, lente. Germaine au grand cœur et au sexe tendre, Germaine archétype des femmes. Il mène bien sûr une double vie, et lit férocement.
Il découvre les grands auteurs américains, mais aussi Borges, Proust, Nerval dont il aimait tant le livre Sylvie. Mais c’est sa rencontre, en 1947, avec Pierre Mac Orlan qui sera décisive pour l’écriture. Après avoir commencé des études de médecine, il prit en 1933 la direction de l’entreprise familiale, une joaillerie « Les alliances Nuptia » !
Mais il menait une double vie et c’est comme un écrivain qu’il se réalisait : poèmes, récits, chansons, romans, nouvelles)...
Son œuvre, qui reçut à ses débuts la bénédiction de Pierre Mac Orlan, fut globalement couronnée par le prix des Deux-Magots en 1973.
Il publie des recueils de poèmes : La Cité Mongol (1952), Le Luisant et la Sorgue (1954) et Sommeils (1960). Des romans : Le Parc des Archers (1962) et Le Seuil du jardin (1966) qu’aimera passionnément André Breton. Puis vinrent Les Chasseurs (1966), et son chef-d’œuvre Lourdes, lentes (1969), condamné pour pornographie.
Dans Donnez-moi le temps, (1973), André Hardellet se livre puis dans La Promenade imaginaire (août 1974) qui sera publiée un mois après la mort du poète (juillet 1974).
André Hardellet est également l’auteur de nombreuses chansons.
Et cet homme lent, qui disait humblement : « J’ai mis vingt ans pour savoir écrire une phrase... », cet homme aura passé incognito. Dans les jardins de nos vies à l’abandon, il savait trouver les visites furtives, les chemins cachés. Il connaissait l’endroit humide où se créent les jardins statuaires, les grandes salles de bal qui vont accueillir les statues. Chut il ne faut pas les déranger !
André Hardellet aura chanté aussi les ombres fuyantes et errantes des amours, les fausses rues de Londres, comme son ami Mac Orlan, et voyageur immobile il voyait défiler les points du jour et les rues réelles de son Paris. Il contemplait « les heures qui font virer lentement les tournesols ».
Homme lent, qui n’ose bouger de peur de faire se détaler les mystères comme lapins apeurés. Qui se résigne à ne pas être compris : « Mais allez donc convaincre tous ces tristes cons... », disait-il. La vitesse le paniquait, la technologie qui vous traque, la course à la consommation qui vous abrutit, Hardellet les fuyait.
« Ne t’égare pas dans la mélancolie... Souviens-toi du bonheur. Un jour tu sauras toi aussi consigner les minutes heureuses. »
Pourtant Hardellet était hanté par le temps qui s’enfuit, qui jamais ne se rattrape et vous met à mal, vous fait tant mal.
On passe du vin blanc à la bière Stella et du banc au banc.
« J’ai marché aussi sur les routes tracées entre la bonne terre grasse des labours, chaussé de lourds godillots, foulant un sol indiscutable. J’ai déjeuné de pain, de camembert et de gros rouge - et parfois couché avec des servantes un peu maternelles, aux cuisses solides. Je ne regrette rien, sinon le temps qui m’a pris de vitesse et s‘est bien payé ma gueule ».
La promenade des rêves
Bien sûr pour bien le comprendre il aurait fallu l’accompagner dans ces longues marches dans Paris, le voir marcher au milieu des gravats de son cher Paris qui changeait de peau et d’âme. S’attabler dans ces "café-hôtel-restaurant", ces troquets hors du temps, derniers lieux de rencontres, tutoyer les fantômes autour d’un vin qui tâche et de l’odeur salée des femmes.
« L’amour - c’est ce pays à l’infini ouvert par deux miroirs qui se font face. »
André Hardellet vers la fin de sa vie pleurait sur sa jeunesse enfuie :
Aujourd’hui, alors que mon capital de sable a dangereusement baissé dans le haut du sablier, il m’arrive de sentir avec une acuité poignante cette incessante hémorragie de temps vivant qui s’écoule de moi ; je perds mon temps comme un sang précieux, alors que je n’en ai jamais eu autant besoin.
J’ai oublié l’auteur des lignes suivantes, et pourtant elles disent l’essentiel :
« Avec lui, c’était toujours le seuil du jardin : le passage en plein jour de l’ange imperceptible, le parfum d’herbe à l’orée d’une innocence intacte. Procession de petites filles à travers un terrain vague, vieux pots de terreau dans l’ombre, corsages séchant au soleil, gouttes argentines, les pas secrets sur la mousse. L’étrangère sans pesanteur déshabillée derrière la haie. La porte poussée sur le rêve du loir, sur l’enfance de Fantômas, la trappe du cellier une féerie pour adultes qui n’ont jamais renoncé, une nostalgie qui muse yeux clos, la lanterne sourde des incurables.
Qui fut plus que lui, dans ce crépuscule, le fontainier de la fraîcheur ? »
André Hardellet se voulait solaire, écrivain « réaliste ». Il était plutôt écrivain populiste au sens où le serait également Brassens. Et plutôt un écrivain de la nuit tombante ou du tout petit matin. Cette nuit qui « distribue à ses figurants leurs rôles et leurs couteaux ». Cet anarchiste au cœur tendre n’a pas rencontré le public, il aura préféré son bistrot. Tendrement subversif, il regardait l’herbe se répandre, et les gens parlaient. Il aura tant aimé la terre lourde craquer, les truites fuir comme un ventre de femme, les châtaignes éclater sous le feu. Hardellet a promené longuement ses longues rêveries enfantines de par les rues et les chemins.
…………..
Ô vous nos amis de toujours
Embarqués vers le crépuscule
Et disparus au point du jour,
Quand viendra l’heure à la pendule
Priez pour nous, pour nos amours.
Ô vous amis de toujours
L’aube va chasser le silence
Rassemblant ses oiseaux de feutre,
Maintenant la ville apparaît
- Et voici demain qui commence
entre deux nuits et leurs secrets.
L’aube va chasser le silence.
(Le Luisant et la Sorgue)
Gil Pressnitzer
Choix de textes
Les textes d’André Hardellet sont édités chez Gallimard (copyright)
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Ô mes amours jamais comblées,
Rappelez-vous, chemin faisant,
La nuit des vertus envolées,
La nuit des neiges de senteurs
Et le sourire au palpitant.
Quand les rosiers étaient fleuris
Dans le vieux jardin de Touraine
On rencontrait à sa fontaine
La tourterelle et la perdrix,
La servante et la châtelaine...
Revient le mois d’Anne-Marie
Voici la saison des bosquets,
Des gaufres et des balançoires.
La belle a perdu son bouquet
Mais, déjà plus, ne s’en soucie
S’en va le bon temps qu’on se donne :
Toute la clarté des Printemps
Pour y baigner sans fin mes yeux
- Et tous les pavots de l’Automne
Pour guérir du mal des adieux.
Lily of Laguna (cité Montgol)
Le Tremblay
Si tu reviens jamais danser
Chez Temporel, un jour ou l’autre,
Pense à ceux qui tous ont laissé
Leurs noms gravés auprès des nôtres.
Souviens-toi : quand tu l’as choisie
Pour tourner la valse en mineur,
La bonne chance enfin saisie,
Deux initiales dans un cœur.
Pense à ta jeunesse gâchée,
Sans t’en douter, au fil des jours,
Pense à l’image tant cherchée
Qui garderait son vrai contour.
Des robes aux couleurs de valse
Il n’est demeuré qu’un reflet
Sur le tain écaillé des glaces,
Des chansons - à peine un couplet
Mais c’est assez pour que renaisse
Ce qu’alors nous avons aimé
Et pour que tu te reconnaisses
Dans ce petit bal mal famé
Avec d’autres qui sont partis
Vers le meilleur ou vers le pire,
Avec celle qui t’a souri
Et dit les mots qu’il fallait dire.
Oui, si tu retournes danser
Chez Temporel, un jour ou l’autre,
Pense aux bonheurs qui sont passés
Là, simplement, comme les nôtres.
Poème
Le mystère - c’est la voix étouffée des ramoneurs derrière les murs et le parcours de la Grange- Batelière sous l’Opéra.
La peur - c’est un roulement de tombereau, la nuit, dans un bois où ne passe aucune route.
La douceur - c’est un vol de chouette, sous le taillis, au crépuscule.
Le contentement - c’est l’odeur d’une blonde qui, lente, efface ses bas noirs.
L’angoisse - c’est la congestion, comme une émeute violette, sur le bitume où bouge un soleil
ahurissant.
L’été - c’est l’ombre de la jarre qu’emperle son frais et cette parole qui traverse encore le dédale de vacances.
L’Île-au-Trésor - c’est la touffe de parfums entre tes cuisses - salées.
Le désir - c’est la flèche de rubis qui voie par-dessus 1’Orénoque en flammes et décochée sans bruit.
L’amour - c’est ce pays à l’infini ouvert par deux miroirs qui se font face.
L’enfance - c’est la clef rouillée que cachent les buis - celle qui forcerait toutes les serrures.
Le rêve - c’est l’instant où tombe enfin la robe des clairières.
La plus belle récompense de l’homme - c’est encore son sommeil.
Et le mien tarde bien à venir.
"Qu’exigeons-nous du ventre d’une femme, sinon le plus somptueux dérivatif à notre misère d’être au monde ?" (Lourdes et lentes)
Clair de lune
Le mitron somnambule, entrevu par un soupirail, vanne un peu de farine et le Grand Gardénal
surprend en flagrant délit trois plâtriers qui n’en mènent pas large.
Ce tapis de lessive - tu n’as qu’à le suivre - te conduira bien vers les forêts d’écrevisses ou le moulin pétrifié. Tout devient cassant comme aiguilles de verre. Il faut de la patience, de la ruse et des pas légers.
Quelques criquets briquets s’allument dans les foins. Voici l’heure des gendarmes à bicornes et des
voleuses en dentelles - elles dorment encore contre la grosse jument pie sous la faux suspendue, violettes vertes.
Chalands nonchalants, quelqu’un parle au fond des écluses, dans le bois qui joue. Ne bouge plus le pavillon de chasse vient à ta rencontre.
Une belette rôde.
Et dire qu’elles dorment encore, Lune - et l’autre !
Sommeils
Bibliographie
Son œuvre est publiée chez Gallimard, collections L’Arpenteur et l’Imaginaire.
La Cité Montgol1952, poèmes
Le Luisant et la Sorgue 1954, poèmes
Sommeils1960, poèmes
Le Parc des Archers 1962, roman
Le Seuil du jardin 1966, roman
Les chasseurs1966, poèmes
Lourdes, lentes... 1969,
Lady Long Solo 1971, avec des illustrations de Serge Dajan
Chasseurs II1973, poèmes
Donnez-moi le temps 1973
La promenade imaginaire posthume 1974
Oneïros ou la Belle Lurette 2001
Œuvres complètes, 3 tomes