Attila József
Un cœur pur sous les rails de la vie
Je ne veux qu’un lecteur pour mes poèmes :
Celui qui me connaît - celui qui m’aime -
Et, comme moi dans le vide voguant,
Voit l’avenir inscrit dans le présent.
Car lui seul a pu, toute patience,
Donner une forme humaine au silence.
car en lui seul on peut voir comme en moi
S’attarder tigre et gazelle à la fois.
« Aimez-moi, aimez-moi » semble encore hurler cet éternel orphelin au monde, qui ne s’aimait guère. Un de ses recueils s’intitule « Je n’ai ni père, ni mère ».
Seul peut devenir un homme, celui
qui est orphelin de cœur et de corps,
qui sait que la vie déposée en lui
est un simple supplément à la mort.
L’Unesco a décrété 2005 comme « l’année mondiale d’Attila József » à l’occasion du centenaire de sa naissance. Qu’en reste-t-il après quelques vaguelettes médiatiques ? Le grand oubli l’a encore recouvert. Et pourtant on ne peut comprendre la poésie européenne sans avoir lu et relu Attila József.
Un livre « somme » chez Phébus donnant à lire l’œuvre poétique et quelques articles épars pour le saluer, voilà tout. Mais pas d’autres remous dans l’océan dompté des lettres, avec ses rochers poreux qui affleurent et ses fausses vagues. Attila József est encore un territoire ignoré en France, plus vaste que toutes les vastes plaines de Hongrie. Là il respire encore et le 11 avril (la date d’anniversaire d’Attila József) est la Fête de la Poésie en Hongrie. Le 11 avril 2005 fut un moment intense de veillées, de célébrations, de récitations sans trêve dans toute la Hongrie.
Pour ce « pays froid de la solitude » dont parle l’écrivain Peter Esterhazy, et qui vécu sous le couvercle noir de l’oppression, d’abord ottomane pendant 150 ans, puis celle de la dictature communiste à partir de 1949, avec cette flambée insensée d’espoir de 1956 et ensuite de féroce répression, il fallait des héros. Ce ne pouvait être Bartok, esprit trop pur et indépendant, ce ne pouvait être Imre Kertész car juif, ce sera donc Attila József honteusement récupéré et décrété poète national. Affolé par la vie aux dents coupantes, par la solitude aveuglante des jours, Attila József, fragile et lucide jusqu’à la blessure, ne pouvait trouver le repos que dans la grange ouverte des mots et de son idéal de faire « œuvre de vie ». Son refuge contre le soir qui va tomber, contre les idéaux qui sentent déjà la rouille et le mensonge, avant même que de se réaliser, son auberge devait être le territoire de la langue, de sa langue.
Un dicton, sans doute inventé, dit que pour les Hongrois « le bonheur du monde se trouve sur le dos de leurs chevaux ». Celui d’Attila se trouva sur le dos des mots, qu’il faisait galoper et hennir, se cabrer et fendre le vent.
Il choisira pourtant la mort en 1937, prenant un soin méticuleux, lui le grand négligent, à bien se placer pour ne pas échapper à la locomotive, belle mort au galop dans toutes ces mornes plaines. L’impossible toujours le tourmentait, le possible du sang jeté sur toutes les voies tranchera son impossible consolation. Ses quatre cents poèmes cheminent plus loin que lui, parlant jusqu’à la chair de l’intime de sa vie et de sa foi en l’humanité.
Il aura écrit l’étrange supplique d’un homme couché sur les rails :
M’entends-tu ? Me voici
Abandonné gisant ainsi
J’étais le Christ : je suis à terre
je meurs narcisse solitaire
Voici le train
il vient de loin.
Tout à coup semble éclore,
en un plus bel éclat que celui de l’aurore
l’instant festif, fringant comme un beau destrier
Œil rouge inscrit pour moi dans le calendrier
Ni vapeur ni brume ne le nourrit, mais l’amertume...(vers 1925?) (traduction Georges Kassai édition Phébus)
La poésie d’Attila József est inondée de musiques, il attache un sens profond à transmettre dans sa langue des sonorités qui convergent vers l’obsession de la rime ; ses vers sont des battements d’eau qui se joignent en convergence sonore des mots. Il est difficile de rendre toutes ses assonances qui en hongrois semblent une douce marée qui engloutit le temps. Une musique de György Ligeti sur les Fragments d’Attila József, Töredekek, pour soprano solo (1981-82) lui rend justice. Vouloir rendre par des rimes en langue française sa musique n’est pas pourtant satisfaisant, il a glissé ailleurs. Ondoyant et profond comme la musique de Bartok qui tant l’aimait, il est un oiseau de feu qui ne se laisse pas accrocher au mur de la traduction.
Il se voulait le plus proche possible des réalités quotidiennes, il ne fut vraiment proche que de son malheur intime.
Trajectoires d’un météore
Troisième enfant d’un ouvrier savonnier Aron József et de Borbála Põcze, ancienne domestique, Attila József naît dans une famille pauvre le 11 avril 1905. Sa mère est sans le sou lorsque son père quitte sa famille et s’expatrie en Roumanie, ne pouvant pas aller aux États-Unis. Attila est confié à des parents adoptifs puis revient vivre dans l’indigence auprès de sa mère. À l’âge de onze ans, le jeune garçon commence à écrire des poèmes. Après la mort de sa mère à noël 1919, d’un cancer, il devient mousse à bord d’un chaland sur le Danube, puis suit des cours dans un lycée d’une petite ville du Sud de la Hongrie, Makó. Le « Mendiant de la beauté », son premier recueil de poèmes, paraît en 1922. En janvier 1924 « Le Christ révolté » lui vaut un procès, le premier d’une longue série, pour blasphème à 19 ans !
Il rejoint la Faculté des Lettres de l’université de Szeged et se spécialise dans le hongrois, le français et la philosophie. Son poème célèbre « Cœur Pur » est de cette époque. Il s’installe à Vienne à l’automne 1925 et s’inscrit à l’université en faisant des petits boulots ( crieur de journaux, marchand de limonade dans les cinémas, garçon de café à la célèbre brasserie Emke,...) tout en découvrant Hegel et Marx. C’est là qu’il rencontre des exilés hongrois ( Georg Lukács) et fait son éducation sociale à leur contact. En automne 1926 il part à Paris et s’inscrit à la Sorbonne jusqu’en 1927. Il y découvre Villon et les surréalistes.
Il se cherche politiquement et flirte un temps avec l’ Union Anarchiste Communiste. Toujours aussi pauvre il doit ses études à l’Université de Budapest. C’est alors que sa légende de voyou et de barbare s’installe, il traduit en effet François Villon et s’identifie à lui. Son premier et grand amour, Márta Vágó se brise sur la séparation. Il sombre alors dans les bras de la dépression nerveuse, qui plus jamais ne cesseront de l’enlacer. Il comprend que sa vie ne se fera pas dans le quotidien visqueux de la vie et décide de quitter son emploi dans l’export pour se consacrer à sa seule passion, l’écriture. Il devient orphelin du monde, mais enfin lui-même (recueil « Je n’ai ni père, ni mère » en 1929). Sale gosse il restera, plutôt gamin timide ne sachant pas aimer. Son esprit anarchiste et libertaire proclamait Ni Dieu, ni Maître, et pourtant la beauté de l’être humain, sa fragilité seront ses adorations. Pour les célébrer il aura fait de sa langue une arme.
Je n’ai ni père, ni mère, ni Dieu, ni patrie, ni berceau, ni linceul, ni baisers, ni amour. je n’ai pas mangé depuis plus de trois jours, même pas une miette. Mes vingt ans sont un pouvoir, ils sont à vendre! si personne ne les veut, le diable devra les acheter. Je m’interromprai avec un cœur pur ; s’il le faut, je tuerai quelqu’un. Je devrai être arrêté et pendu et enterré dans une terre sacrée, et l’herbe qui apporte la mort poussera par-dessus mon cœur magnifiquement juste.
Sa vie sauvage, rimbaldienne commence alors. Il est le grand insurgé, le blasphémateur, mais aussi le poète de la misère humaine. Il se veut indépendant de toutes chaînes, sa pensée roule hors de tous les chemins. Il veut cracher son suicide à la face blême du monde qui ne l’a pas compris.
Dans la clandestinité, il devient membre du parti Communiste hongrois en 1928, mais il ne s’implique vraiment qu’en 1930. Sa rencontre avec Judit Szántó, militante communiste, le stabilise pendant cinq ans.
Ses recueils deviennent des machines de guerre politiques (Abats les chênes, mais sans murmure). Il est de nouveau inculpé pour atteinte à la pudeur à cause de la traduction, publiée dans le recueil, de la « B allade de la grosse Margot» de Villon, mais en fait il est persécuté surtout pour son combat politique (il proteste en 1932 contre l’exécution de deux dirigeants du parti Communiste). Souffrant de dépression, de paranoïa aussi, il fait plusieurs séjours dans des sanatoriums. L’ombre noire des fascismes commence à se poser sur la Hongrie (Gömbös Gyula devient président du Conseil des Ministres et se rapproche de Hitler). Attila commence à ne plus croire au combat du Parti Communiste qui ne saurait admettre un tel poète qui ne se plie pas au moule du réalisme soviétique. Le recueil « Nuit des faubourgs » marque le fossé immense de l’incompréhension de « ses amis communistes ». Il sera exclu en 1933 par les staliniens du Parti Communiste pour « opinions fascistes »car il prônait un front commun avec les sociaux-démocrates. Il sera aussi exclu du Congrès des écrivains soviétiques à Moscou.
Il préfère écrire sa vie, ses odes à l’amour, et se retire en 1934 en province, auprès de sa sœur cadette. Il ne militera plus et découvre l’œuvre de Freud qui le fascine. Il choisit Freud à la place de Lénine ! Lui-même suivait des analyses et sa vaine tentative de marier freudisme et marxisme, le laissera amer.
Regarde, là à l’intérieur de ta souffrance
Hors de là, sûrement est l’explication. (1934)
En mars 1934 il collabore à des revues de gauche, il largue ses amarres amoureuses, et surtout rencontre un de ses plus fervents admirateurs en 1936, Béla Bartók qui le connaissait grâce à son ami librettiste, le marxiste Béla Balázs. En décembre il publie son dernier recueil « Cela fait très mal ». La maladie de l’âme et du corps prend alors possession de lui.
Mes yeux sautent hors de ma tête. Si je deviens fou, s’il vous plaît ne me frappez pas. Juste tenez-moi à terre dans vos mains puissantes.
Il tente de se soigner en clinique pendant l’été. Quelques lueurs encore lui font rendre hommage à Thomas Mann " Vous le savez bien, jamais ne ment un poète ; le réel n’est pas suffisant, car il travestit ; Dites nous la vérité qui puisse remplir de lumière la pensée. Car sans chacun de nous, tout est nui t."
Il va surtout écrire son poème le plus célèbre Ma Patrie. La traduction de Guillevic le fera un peu connaître en France. Alarmées par son état, ses sœurs le prennent avec elles à Balatonszárszó, en novembre, espérant l’apaisement de la nature.
Le 3 décembre 1937 dans la soirée, à l’âge de trente-deux ans, Attila József se couche sous un train de marchandises en ayant méticuleusement préparé son suicide en se mettant contre les roues d’un wagon prêt à démarrer pour être sûr de ne pas se manquer. Pour seuls témoins il y eut le fou du village de Balatonszárszó, un représentant de commerce, et un conducteur.
Sur la table de sa chambre, ouvert, un livre de poèmes de Victor Hugo.
« Nous l’avons laissé s’effondrer devant nos yeux» écrit Arthur Koestler quelques jours après.
Son poème Cœur pur nous disait déjà toute sa trajectoire.
Une poésie inondée de musique et de désespoir
Dessus la branche du néant,
mon cœur grêle tremble en silence,
et les doux astres le voyant,
les doux astres vers lui s’avancent.(Sans espoir)
On retient maintenant de lui sa précocité poétique digne de Rimbaud, mais lui, à la maturité, ne vendra pas des armes, mais son âme. Il passe ainsi improbable comète, les poings dans les poches, et plein de chevaux blancs qui cascadent dans sa tête. Il ne craignait point l’oubli, qui le lui rendit bien. Il était un révolté, un cœur pur qui saigne, et la gloire il s’en fichait.
Chevalier de l’apocalypse contre l’injustice et le monde cruel et indifférent, il entretiendra une relation complexe avec la vie. Amoureux passionné, militant de l’utopie, il ne pouvait pourtant pas s’en accommoder et sa première tentative de suicide il la fait à 9 ans ! Feu brûlant, il se consume et consume autour de lui.
Maudit, il se croit, maudit il se fait. Ses tentatives de suicide se succèdent pitoyablement, échecs parmi d’autres échecs. Sa fascination pour sentir le train le disloquer, le poursuivra toujours jusqu’à sa réalisation finale et théâtrale.
La poésie d’Attila József appartient à une tradition poétique hongroise qui nous est fort inconnue. Sachons qu’elle célèbre la nature et l’homme et que le lyrisme l’imbibe. Qu’elle est porteuse de rythme et de musique.
L’influence du poète Endre Ady et de Dezsô Kosztolányi (1885–1936), fut forte sur lui. Ce qu’apporte d’original Attila est cette torsion du lyrisme qu’il précipite dans la tourmente de l’être, cette distorsion de l’âme. Effroi et foi, espérance et noir désespoir s’enchevêtrent chez lui. Il se jette dans la vie comme dans un combat perdu d’avance, mais qu’il mène au bout. Il a en lui cette mission prométhéenne de dire la beauté du monde et de sa contemplation.
Célébration ardente, combat cruel, Attila aura vécu sur ces deux versants, marchant de plus sur le fil de rasoir de sa folie.
De ses gouffres amers et intimes il tente de secourir tous les déshérités de la terre. Il était présent au monde, ardemment. Il est profondément solidaire. Sa célébration de la classe ouvrière est aussi une ode d’amour pour sa mère, pauvre blanchisseuse des quotidiens des jours. Dans un poème autobiographique qu’il se dédie, il écrit : « Crois-moi, je t’aime vraiment. Cela, je l’ai hérité de ma mère ».
Son amour pour sa mère est aussi une clé pour pénétrer dans ses textes. Mère et humanité laborieuse, mère et patrie, mère et amour, tout cela irrigue sa poésie. Cette mélancolie qui se fraie un chemin en nous comme les méandres du Danube ne doit pas faire oublier sa modernité.
La place de l’homme dans le siècle nouveau était une de ses grandes interrogations. Cette harmonie du monde qu’il contemplait, était sa foi panthéiste. Lui la crécelle bariolée, il a repeint le monde. Sa poésie porte autant d’images que le Danube en crue.
Sa poésie gueule, interpelle, secoue. Elle déchire les habitudes et nous plonge dans la modernité. Lire la poésie d’Attila c’est lire le livre de sa vie, pas à pas, des brisures aux espoirs fous. Il écrit très peu en vers libres, car il est tout entier dans les vers rythmés et rimés.
Aura-t-il été vraiment un homme engagé dans les combats de son siècle ? Je ne le crois pas, il passait en flânant, sincère mais déjà ailleurs. Il était une sorte de dandy en loques des utopies, de l’amour, de la psychanalyse. Il était un papillon de l’infini. Il avait dû se faire un serment intérieur de mourir le plus jeune possible, et tous les adjuvants de la vie, sexe, nature, nobles causes, ne le détourneront pas de sa promesse initiale. Comme un héros de Kleist ou une incarnation de Hölderlin, il traverse la vie en rêvant. On a voulu le récupérer, l’embrigader, le momifier, après sa mort. Lui le sauvage, « le veuf, l’inconsolé » marqué au sceau de la mélancolie. Sa poésie brasse les thèmes de la pauvreté, de la souffrance, de la sauvagerie, mais aussi de l’amour et de l’espoir, de l’humanité à sauver aussi.
Il disait de lui qu’il était assis sur la « branche du néant ».
Seul l’impossible est à sa portée.
Ses derniers vers furent ceux-ci:
Souvenez-vous de moi, vous aussi, et pas seulement en vous moquant
de moi qui ai vécu parmi vous et que jadis vous aimiez.
Attila József est à tout jamais irrécupérable, un désastre obscur chu d’une étoile étrangère. Un très grand poète qu’il nous faut lire et relire pour saisir la complexité de l’univers. François Fejtõ a le mieux défini la poésie de son meilleur ami: « la poésie d’Attila József est cosmique. »
Sois libre pour manger, boire, faire l’amour et dormir!
Confronte-toi avec l’univers!
Jamais je ne plierai mon tourment intérieur à ramper
et servir le fondement des pouvoirs briseurs d’os.
Ars Poética 1934
Gil Pressnitzer
Choix de textes
Dans le livre chez Phébus « Aimez-moi » l’on trouve la traduction presque complète de son œuvre. Traduction parfois fort cavalière avec le sens des textes. Ici il sera donné juste quelques extraits de ce livre pourtant indispensable, et aussi de quelques autres traductions faites à partir de la langue anglaise pour proposer un autre éclairage, une autre interprétation de sa parole en ne privilégiant pas le rendu de sa musique intérieure, exceptée dans la traduction faite par une amie hongroise possédant les deux langues.
Ma patrie
(Extraits)
VI
Devant le pauvre un riche est tout tremblant d’effroi,
Un pauvre est tout tremblant de peur devant le riche,
Car notre vie, c’est la crainte qui la dirige,
L’astuce également, mais l’espoir n’y est pas.
Aux paysans jamais il n’accorde de droits
Celui qui se nourrit du bon pain de leurs miches,
Et quant au journalier, maigre comme les friches,
Plutôt que de revendiquer, il se tient coi.
Un pauvre baluchon sur son dos se balance,
Lorsque l’enfant du peuple émerge et qu’il s’élance
Hors du sentier foulé pendant mille ans, dit-on.
Il cherche en quel bureau il peut faire l’affaire
Comme planton, lui qui devrait de son bâton
Frapper la tombe où sont les restes de son père.
VII
Hongroise malgré tout, mais exilée chez elle,
Mon âme forme et clame un suprême dessein :
Que ma douce Patrie m’accueille dans son sein
Et que je puisse enfin être son fils fidèle.
Qu’un ours pataud traîne à la chaîne qui le pèle,
Je n’accepterai pas que ce sort soit le mien.
Je suis poète. Enjoins au procureur au moins
De ne pas m’arracher ma plume dans son zèle.
Tu as donné des paysans à l’océan.
Donne le sens humain aux hommes maintenant,
Donne au peuple magyar le génie de sa terre.
Qu’il ne soit pas la colonie des Allemands,
Ce pays. Que mes vers soient d’une beauté claire.
O ma patrie, fais qu’ils soient plus heureux, mes chants !
(1937.)
Adaptation de Guillevic
Dernier fragment
Ô ma chère mère toi seule tant aimée
Virginale et maintenant fleur éclatée !
De tant de peines et d’extases : tu souffrais
partout en ce monde je te suivrais
J’ai reconstruit Dieu, ma profonde douleur en mon cœur,
Pour que tu puisses vivre, les cieux je l’ai laissé édifier sans peur
et qu’après tout, cela fut bien -
dans son divin dessein
(traduction personnelle)
le chien
Il était si débraillé et gluant
jaune flamme était sa fourrure
efflanqué par la faim,
chaviré par le désir.
par sa taille attristée
le vent de nuit si froid
allait comme fumée au loin.
Il courait, mendiait.
dans ses yeux vivaient
des églises prisonnières et en soupirs
et il cherchait intensément
un quignon de pain ou son équivalent.
Tant de pitié est montée pour lui
en moi, comme si ce pauvre chien
sourdait de moi-même.
Et, le monde m’ayant épuisé
je voyais alors enfin toute chose.
Nous allons au lit,
car nous sommes censés le faire
car la nuit arrive,
et la misère nous précipite enfin
dans le noir sommeil.
Cependant, avant cela,
gisant comme la ville,
sans parler sous la couverture froide
de fatigue et de pureté
tous ensemble,
de cette cachette quotidienne,
du dedans de nous,
cela monte hors de nous,
lui ce chien, si affamé
si débraillé et gluant,
et cela cherche
une litière de Dieu
des fragments de Dieu.
(traduction personnelle)
Personne ne me relèvera
Personne ne me relèvera jamais
je me suis fait aspirer par la boue.
Un orphelin désespéré le prie Lui
pour se faire adopter comme ton fils, Seigneur.
Ô, forme moulée, fais-moi tenir ensemble
et dans mes nécessités aide-moi à ne pas pleurer
mais à supporter la honte quand
je suis forcé de le reconnaître Lui, ou le nier.
Mon cœur tu le sais, je ne suis qu’un enfant
ne me renvoie pas mon déni mais parfois seulement
permets à mon âme d’être moins aveugle
et autorise-la à voir Son royaume.
Vous pourriez m’éviter les heures de nécessités
quand je surmontais sa torture
dans les fosses de la vallée de larmes
s’il te plaît, veille sur moi dans l’avenir.
ordonne-leur à tous de se comporter
envers moi avec juste un peu de gentillesse
d’examiner mon cas soigneusement
avant que je ne me sacrifie moi-même.
Février-Mars 1937 « Nem emel fel »
Traduction Linda & Tebinfea
Que ça fait mal !
La mort rôde derrière
dehors, à l’intérieur du trou
tu t’enfuis comme petite souris apeurée
vers les femmes
tant que tu peux rayonner ainsi
protégé par leurs bras, leurs genoux et leurs girons.
Ce n’est pas seulement l’attrait
de leurs doux et tendres genoux, et ton désir,
tu es poussé là par nécessité.
Quiconque peut
trouver une femme, l’embrassera jusqu’à
ce que ses lèvres tentantes deviennent blanches.
le trésor est double
la peine de celui qui aime aussi.
Qui aime et pourtant reste sans trouver compagne
il est comme sans abri
aussi impuissant que pourrait l’être un animal
dans la forêt quand il fait ses besoins.
Aucun autre lieu
ne peut cacher ton visage même si tu pointes
-bien courageux - un couteau contre ta mère.
Elle comprenait -
personne d’autre ne le pouvait - ce que ces mots signifient
et pourtant elle m’a rejeté loin d’elle.
Ma tête se fend
et parmi les vivants il n’y a aucune place pour moi
je ne puis endurer les ennuis et les douleurs.
Comme un bébé
qui devient fou et secoue son hochet
mais personne ne vient
tout est en vain.
Devrais-je l’aimer,
pourrais-je la haïr ? cela n’a aucune importance
je n’ai pas honte d’avoir découvert cela
car celui qui est
apeuré par ses rêves, hébété par le soleil
dans tous les cas sera jeté.
Comme les vêtements des amoureux
dans les heures heureuses où ils font l’amour
ma culture tombe par terre.
Mais d’où viendra-t-elle
pour voir la mort me ballotter ;
pourquoi devrais-je endurer seul ces douleurs ?
la douleur est double
pas seulement la femme en gésine
ce que l’humilité peut apaiser cela ;
mais dans mes chants
l’argent s’y colle, aussi ma peine
n’attire sur moi que la disgrâce.
Je vous supplie de m’aider !
Ô, vous chaque chiot dans la rue là
faites éclater vos yeux partout où cette femme va.
Ô innocents !
dans les camps de travail gémissez sous vos bottes
et dites-lui Que ça fait mal !
Vous chiens fidèles,
dans l’épais brouillard mettez-vous sous les roues
et aboyez vers elle Que ça fait mal !
Femmes avec bébés !
avortez donc et venez vers elle
pour lui sangloter Que ça fait mal !
Vous gens sains et saufs
si vousz rencontez n’importe où
défaillez, et briser vous
marmonnez-lui Que ça fait mal !
Jeunes gens qui pouvez
vous entre déchirez pour une femme
ne lui dissimulez pas Que ça fait mal !
Chevaux et taureaux !
castrés pour se tenir calme
mais hurlez-lui Que ça fait mal !
Et vous poissons muets !
accomplissez le rituel du pêcheur
et d’un souffle dites à l’hameçon Que ça fait mal !
À tous les vivants
avec toute chose, maison, ferme, paysages,
laissez-les brûler autant que le feu peut les toucher.
De ces cendres
allons vers elle et quand elle s’assoupit
gueulons ensemble Que ça fait mal !
Ainsi elle l’entendra
sa vie durant, ce qu’elle niait
dans la seule valeur de ses plaisirs.
Elle a déshérité
le dehors, le dedans faisant fuir la vie
de l’ultime chance de renaissance.
Octobre-Novembre 1936
(traduction personnelle)
Hiver
Hier, j’ai marché sur un chemin de pierre.
Il aboyait dans le garage,
J’ai hurlé au chien :
- Chien, dévore ceux qui te possèdent !
Voilà la vérité nue,
Sur sa peau, l’ombre et la lumière
Racontent, d’incroyables histoires.
Plus tard, j’ai écrit ces mots pour dénoncer la misère.
Elle dévore le ventre d’ici, sans bruit,
C’est comme si l’hiver
Avait figé les cris des condamnés.
Voilà un millénaire d’hiver,
Uniforme et totalitaire,
Un monde pourri d’argent.
Demain, je me réveillerai assassiné,
Par ma propre main, de désespoir.
(texte paru dans Œil de la réalité, traducteur inconnu)
On dit...
Je naquis un couteau dans la main. On s’étonne,
On dit que ce sont là des mots...
Puis je pris une plume : encor mieux qu’un couteau !
Je naquis pour devenir homme.
Si la fidélité errante pleure pour toi,
On dit que tu es amoureux.
Tendresse aux yeux mouillés, sans crainte enlace-moi !
Simplement, nous jouons, tous deux...
Je me souviens de tout, mais en moi tout s’efface.
On dit : Comment se peut-il faire ?
Ce qui choit de ma main, au sol qui le ramasse ?
Si ce n’est moi, c’est toi mon frère.
La terre m’emprisonne et la mer me déchire
On me dit : Un jour tu mourras...
Mais que de choses ici-bas l’on entend dire !
J’écoute mais ne répond pas.
(texte paru dans Œil de la réalité, traducteur inconnu)
Dehors, dedans, je sens mes yeux se mettre en danse.
Si la folie me vient, ne soyez pas méchants :
De vos bras musculeux tenez-moi sans violence...
Si tout mon être regarde, à travers, à ce moment,
n’exhibez pas vos poings, je ne les verrais guère...
Ne venez pas m’arracher au néant !
Réfléchissez plutôt : je n’ai sur cette terre
personne, rien. Ce que j’appelais moi
n’est plus. J’en vais mâcher les miettes dernières
dans le temps que ce poème s’achèvera...
Un regard nu, phare au milieu du vide,
scrute dans moi : manquai-je à quelque loi...
que nul ne me réponde en dépit de mes signes,
que me refuse celle même à qui j’ai droit !
N’accordez pas créance à ma faute incomprise :
que je ne sois absous par la terre d’en bas !
(texte paru dans Œil de la réalité, traducteur inconnu)
Ode
je suis assis
sur ce mur de rochers qui luit.
Vole autour
le tendre vent de l’été juvénile
comme la chaleur d’une bonne soupe.
Je laisse mon cœur croître enivré dans le silence,
ce n’est pas si difficile,
- le passé flotte autour de moi -
la tête s’incline
et la main pend vers le bas.
Je contemple la crinière des montagnes,
chaque feuille reflète l’éclat
de ton front.
La route est vide, vide.
Maintenant je peux voir
comment le vent fait voleter ta jupe
sous les branches
fragiles de l’arbre.
je vois une boucle de tes cheveux
s’incliner vers l’avant
tes seins si doux frissonner
- comme le fleuve Szina sous nos pieds s’en va au loin -
À nouveau je vois fixement
comment les ondulations de l’eau en rondes de blancs galets
font sortir de ta bouche le rire de fée.
(traduction personnelle)
maman
huit jours déjà que je ne pense qu’à toi, maman...
à chaque pas je te vois et m’arrête,
par-dessus moi vivement tu emportes le linge au grenier
et grince le panier lourd.
En ces temps-là j’étais encore frustre
je hurlais fort, je trépignais
pour que ce soit moi qui soit dans tes bras
à la place du linge gonflé et humide que d’autres prendraient.
mais malgré mes pleurs, tu montais le linge
sans un mot, sans un reproche, sans me voir
et tu l’ étendais
et le linge et le panier sans moi tourbillonnaient
et volaient au loin comme des ailes luisantes
je ne vais plus pleurer maintenant
il est si tard, trop tard
mais je te vois immense
avec tes cheveux gris qui flottent plus haut que le ciel pur
toi avec ta boule bleue tu repeins l’azur
(traduction personnelle)
Un Homme ivre sur le rail
Étendu sur le rail, un homme ivre repose
Son poing gauche est crispé sur la gourde qu’il tient
Il ronfle et dort baigné dans le petit matin
La nuit sur le chemin fuit et se décompose.
L’humble brise nocturne a paré tendrement
Ses cheveux dispersés de cendre et d’herbe grêle
La rosée irisée l’éclabousse de ciel.
Il gît : son torse seul palpite par moment.
Son bras droit est pareil à la traverse dure.
Il est comme blotti sur le sein maternel,
Ce jeune gars est vêtu de pauvres déchirures.
On pressent le soleil dans le cadre du ciel,
Un homme ivre repose et le rail, tout à coup,
D’un tremblement qui gronde et grandit, le secoue.
Août septembre 1922
Traduction Linda & Tebinfea
Je ne savais pas
J’écoutais tous ces gens disserter du péché,
C’était pour moi autant de fables. Et le pire,
J’en riais: le péché, quelle idée insensée!
En parler, c’est être trop lâche pour agir.
J’ignorais que mon cœur abritait la tanière
De tant de monstruosités! Moi qui croyais
Qu’il battait pour offrir du rêve, à la manière
D’une maman berçant l’enfant qui s’endormait!
La lumineuse vérité m’apprit bientôt
Que la méchanceté, datée du premier temps,
Se dresse noire dans mon cœur, obscur tombeau.
Moi muet, que ma bouche, en un gémissement,
Dise: je suis pécheur, soyez-le tous sur terre!…
Et je ne serai plus tout à fait solitaire.
(Attila Jozsef) 7 août 1935
Traduction Linda & Tebinfea
Berceuse
Le ciel ferme ses grands yeux bleus,
La maison ferme tous ses yeux,
Le pré dort sous son édredon,
Endors-toi, mon petit garçon.
Sur ses pattes la mouche a mis
Sa tête et dort. La guêpe aussi,
Avec elles dort leur bourdon.
Endors-toi, mon petit garcon.
Le tramway rêve doucement
Endormi sur son roulement.
Dans son rêve il sonne à tâtons.
Endors-toi, mon petit garçon.
Sur la chaise la veste dort
Et son accroc dort corps à corps.
Il n’en deviendra pas plus long.
Endors-toi, mon petit garçon.
La balle est vaincue, le sifflet
Somnole comme la forêt.
Et même il dort le gros bonbon.
Endors-toi, mon petit garçon.
Tu auras l’espace et la terre
Comme tu as ta bille en verre.
Tu seras géant pour de bon.
Endors-toi, mon petit garçon.
Tu seras pilote et soldat,
Berger des fauves tu seras.
Ta maman dort et sa chanson.
Endors-toi, mon petit garçon.
Jamais je n’irai
Aussi loin que me conduit
Le chemin d’amour
2 février 1935.
Traduction Linda & Tebinfea
Ce n’est pas moi qui crie
Ce n’est pas moi qui crie, c’est la terre qui gronde.
Attention, attention, le diable est devenu fou!
Blottis-toi au creux des sources,
colle-toi contre la vitre,
cache-toi derrière les feux des diamants,
sous des pierres, parmi des insectes,
oh, cache-toi dans le pain à peine sorti du four,
0 toi, mon pauvre,
pénètre dans la terre avec l’averse fraîche
C’est en vain que tu plonges ta face en toi-même,
tu ne peux la laver que baignée en une autre.
Sois la mince nervure d’une herbe,
et tu seras plus grand que l’axe de ce monde.
0 machines, oiseaux, frondaisons, étoiles,
notre mère stérile, en suppliant, réclame des enfants.
Ainsi, ô toi, mon pauvre,
que ce soit terrible ou bien merveilleux,
ce n’est pas moi qui crie, c’est la terre qui gronde.
(A ttila Jozsef) Premier semestre 1924
Traduction Linda & Tebinfea
COMPLAINTE TARDIVE
Trente-six degrés de fièvre : je brûle
Et sans tes soins, maman,
Comme on fait allonger les filles sans scrupules,
la mort t’a étendue contre son flanc.
D’un doux automne et de femmes chéries
je tâche, maman, de te recréer ;
mais on n’échappe pas au temps qui fuit :
je brûle, ardent brasier.
J’allai en province (on était à bout
au cours de l’après guerre)
Budapest était sens dessus dessous
et même du pain ne s’y trouvait guère.
Sur un wagon, à plat ventre couché,
je t’apportai des vivres, fils têtu :
du millet blanc, même un poulet entier ;
et toi, tu n’étais plus.
Tu as donné aux vers tes doux tétons !
Tu m’as échappé, mère !
Tes réprimandes, tes consolations
si chères se révélaient mensongères !
« Mange, c’est pour moi que tu grandiras ! »
Tu soufflais sur mon potage brûlant.
Vide, ta bouche mord dans l’humus moite et gras –
tu m’as trahi, maman !
J’aurais dû te manger !... Toi – non pas ton dîner !
L’ai-je demandé, moi ?
Pourquoi avoir lavé, le dos courbé ?
Pour qu’au fond d’une caisse il redevienne droit ?
Si une fois encor tu pouvais me rosser !
Je me rebifferais saisi d’un bonheur fou :
méchante, tu t’essaies à ce non-exister !
Ombre, tu gâtes tout !
Ah, tu es plus gredine que ces femmes qui
nous mènent par le bout du nez !
Tu as de tes amours, en fraude, omis
ta foi vivante en des cris enfantée !
Tzigane ! Tu me fis, me cajolant, des dons
pour les reprendre à l’heure la dernière !
L’enfant a forte envie de pousser des jurons –
M’entends-tu ? Fais-moi taire !
…Mon esprit brouillé peu à peu s’éclaire,
la légende est passée.
L’enfant à jamais épris de sa mère
reconnaît d’avoir été insensé.
Toujours nous serons fils insatisfaits ;
même en leurrant les autres on se leurre :
qu’on lutte ou bien qu’on choisisse la paix,
il faut que l’on en meure.
Décembre 1935/1936
Traduction Linda & Tebinfea
Un hommage d’un chanteur Dick Annegarn
ATTILA JOSZEF - paroles et musique de Dick Annegarn
Qu’est-ce que je sais de ce poète-là,
Sauf qu’il avait le verbe bref,
Et qu’il s’appelait Attila, Attila József
En ancienne Transylvanie
Un pauvre jour il naquit.
Son père était déjà parti, l’amour était bref
Pauvre magyar, t’aurais voulu valider ton
histoire,
Tu n’aurais pas mieux fait.
Ses deux petites sœurs et sa mère
Vivaient dans le même deux pièces,
Avec d’autres locataires peu avares de
leurs fesses.
Ils l’ont changé de famille,
Qui l’ont changé de prénom.
Ami en terre ennemie, enfant sans ballon.
Pauvre magyar, t’aurais voulu valider ton
histoire,
Tu n’aurais pas mieux fait.
Il a grandi puis vieilli,
Lisant tout ce qui se lit,
Vivant du peu de répit que lui laisse sa
chance.
On lui refuse son diplôme
Pour une fausse indécence
Et sans détour il nous prône le délit
d’innocence.
Pauvre magyar, t’aurais voulu valider ton
histoire,
Tu n’aurais pas mieux fait.
Il a quitté le Parti,
Qui ne l’a pas accepté.
Il a pris part et parti pour l’éternité.
Il a quitté la maison
Pour faire un tour pour toujours.
Il a quitté le perron aller sans retour.
Pauvre magyar, t’aurais voulu valider ton
histoire,
Tu n’aurais pas mieux fait.
Traductions de Margit Molnar
Maman
Huit jours déjà que je ne pense qu’à maman,
tout le temps, en m’arrêtant,
son panier grinçant dans les bras,
elle montait au grenier, montait de vifs pas, décidés.
A l’époque, l’homme sincère que j’étais,
je hurlais, je trépignais
qu’elle laisse le linge lavé à d’autres,
qu’elle me prenne moi dans ses bras et, au grenier, qu’elle me monte.
Impassible, en silence, elle allait tendre,
sans me gronder ni m’adresser un regard
et le linge éclatant, en fendant l’air,
voltigeait, s’envolait vers le ciel.
Je ne pleurnicherai plus mais c’est trop tard,
désormais, je vois comme elle grandie sans fin–
ses cheveux gris frôlent le ciel haut,
ainsi diluent-ils du bleu dans son eau.
Etre honnête, à quoi bon ? Ils me crèveront de toute façon !
Ne pas être honnête, à quoi bon ? Ils me crèveront de toute façon !
Enfant, tu m’as rendu
Enfant, tu m’as rendu. La peine a eu beau
me grandir durant trente hivers glacials.
Je ne sais pas marcher, tranquille, je ne peux pas rester assis.
Vers toi, mes membres me poussent, me tirent.
Je te tiens entre mes dents, la chienne son chiot
et je m’enfuirai pour éviter qu’ils me nouent la gorge.
Les années qui ont brisé mon sort,
sont déversées sur moi par chaque seconde.
Nourris-moi, regarde – j’ai faim. Couvre-moi – j’ai froid.
Je suis stupide – instruis-moi.
Ton absence me traverse, comme courant d’air la maison.
Dis - que la peur m’abandonne.
Tu m’as regardé et j’ai tout oublié.
Tu m’as écouté et ma parole s’est coupée.
Fais que je ne sois plus aussi intraitable ;
que je sache vivre, mourir, seul capable !
Ma mère m’a chassé – je couchais sur le seuil –
je me serais empeloté mais impossible –
en dessous du rocher et en dessus du vide.
Oh, envie de dormir ! Je viens frapper à ta fenêtre.
Nombreux vivent insensibles, autant que moi,
de leurs yeux, quand même, des larmes s’écoulent.
Je t’aime très fort, puisque même moi,
j’ai appris à m’aimer beaucoup avec toi.
Ils étaient nombreux, ils m’encerclaient,
dans mon rêve, ils se moquaient :
« Ha ha, c’est lui qui a l’or
qui dort ? »
J’ai posé mon âme dans ma paume :
regarde, quel beau caléidoscope !
Mais Lui, il a sorti des diamants !
parce que Lui, il ne peut nous comprendre.
Je serai jardinier
Je serai jardinier, de beaux arbres, j’en planterai.
Avec le soleil, je me lèverai.
Je ne me ferai aucun souci
que de mes fleurs à entretenir.
Toutes mes fleurs soigneusement greffées
deviendront mes bien-aimées.
Tant pis, si elles sont des orties,
elles seront mes fleurs authentiques.
Je boirai du lait et je fumerai,
de ma renommée, je m’en préoccuperai,
je ne me mettrai pas en danger,
je me serai déjà planté.
Il nous en faut, oh, et comment,
à l’ouest et au soleil levant –
s’il doit mourir ce monde,
qu’il ait des fleurs à sa tombe.
Avril 1925.
Mystères
Au son des mots mystérieux,
je monte la garde des contes vieux.
Tu m’as vêtu de la tête aux pieds
de lourde prison de fidélité.
La brise le dit, l’eau le dit,
si tu les comprends, tu rougis.
Les yeux le disent, le coeur le dit,
par leur requête ils te prient.
J’écris mes rimes à mon tour,
elles te chantent mon amour.
Alors, rends-moi donc plus légère
cette lourde prison de fidélité.
Bibliographie
Aimez-moi. L’œuvre poétique Attila József, traduit du hongrois sous la direction de G. Kassai et J.-P. Sicre. Editions PHEBUS 2005