Casimir Prat
Une poésie de rares instants
Le vent, aux fleurs, arrache quelques voyelles, compulse
le livre des branches et tombe à la renverse sur la maison.
Comme toujours, la mort conclut les vagues affaires
menées rondement par la haine
Les enfants apprennent des poèmes consciencieux qui ne
parlent plus de choses quotidiennes nécessaires :
solitaires. Et nous, toujours, l’essentiel nous préoccupe.
L’horreur et la merveille
Dans la grande Métropolis qu’est la FNAC quelque part en province, il existe un petit homme doux et lumineux qui a dressé une forteresse, une forteresse de livres de poésie. Et contre vents et marées, on y trouve bien des merveilles même quand beaucoup de mers d ‘espérance se sont retirées.
Cet homme est Casimir Prat qui est avant tout poète. Il aura lancé les rendez-vous d’Escaladieu, en tant que poète d’Escalasud et animateur infatigable de ce phalanstère de poésie. Il a publié dans l’exigeante maison d’édition de l’Arrière-pays bien des mots qui réchauffent encore. À la question qu’il a mise en tête d’un de ses recueils « peut-on dans un verre vide, boire le souvenir du vin ? » il aura lui-même apporté la réponse positive et sa poésie est souvenir de la vie, du vin, des ombres laiteuses, même dans un monde vide.
Il aura fait partie de bien des aventures, depuis la belle revue Texture avec Michel Baglin et Georges Cathalo, en passant par Multiples le jardin inépuisable de l’ami Heurtebise, jusqu’à de nombreuses animations pour faire aimer la poésie.
Même si longtemps il avait pris le parti de se taire, sa marche de poète vers nos rencontres se poursuivait indispensable, légère, tendrement triste. Parfois sur sa presse à bras germaient quelques recueils furtifs.
En relisant ses recueils, monte alors une voix troublante, attentive aux êtres et aux objets du quotidien, à la séparation, aux souvenirs entêtés qui continuent à grandir en nous.
Petits cailloux blancs
Casimir Prat est né le 29 mai 1955 à Toulouse. Il vit toujours à Toulouse où il est libraire. Il est aussi fondamentalement fils de réfugiés politiques espagnols, avec cette soif de révolte et de justice qui lui font tant aimer Léo Ferré et souffrir devant l’injustice. Et aussi cette farouche volonté de maîtriser et de galoper sur la langue française. Mais en la faisant translucide, élémentaire, simple, familière. Il est tout entier dans son engagement poétique et politique, sans grands cris sonores, mais avec une flamme vive et discrète.
Après quelques publications dans quelques revues, et l’obtention d’un prix au concours de poésie de la ville de Nice pour son recueil Herbier, il fait la connaissance de Francis Ponge.
Il se fera vraiment connaître au printemps 1983 en publiant dans la revue Multiples dirigée par Henri Heurtebise, un recueil « L’Horreur ou la Merveille » préfacé de Francis Ponge qui dit notamment : Je retrouve les qualités qui font de lui un vrai poète : sensibilité extrême, justesse et retenue de l’expression, simplicité de la langue, beauté des images… Je suis tout à fait sûr de l’avenir de sa littérature.
Christian Saint-Paul résume ainsi la trajectoire de Casimir Prat : Depuis, une quinzaine de recueils ont suivi qui lui ont valu d’être lauréat du prix Antonin Artaud en 1989 pour « Elles habitent le soir » (L’Arbre éditeur) et le prix Max-Pol Fouchet en 1995 pour « Tout est cendre » (Le Dé Bleu éditeur).
Réflexion sur la poésie, doutes sur son pouvoir à changer la vie lui font écrire un livre confession « Journal d’un ancien poète (Revue Texture de Michel Baglin) et aussi traverser de longues périodes de silence.
Car « le silence est une vrille qui, lentement, tourne et pénètre la mémoire et l’espoir ».
Il anime aussi des ateliers d’écriture à Toulouse.
Une poésie d‘instants à odeurs de quotidien murmurant et de glycines
« Que deviendrions-nous sans la solitude ? » se demande Casimir Prat.
L’ombre pâle de sa voix nous parle de ces descentes au fond, de la recherche d’autres mains, de l’oubli. De cette profonde mélancolie d’être au monde. La vie c’était hier sans doute. Comment revenir ?
Ses mots appellent l’oubli et le rejettent comme une confession.
Sa poésie semble venir après bien des années après la pluie, après la lumière qui s’efface.
Le silence est toujours aux aguets, sa poésie semble bleue et transparente, comme vent qui passe sur la pointe des pieds, comme eau à peine ruisselante.
Elle est une douce insomnie, une fenêtre embuée sur le monde.
Elle est hantée par le temps suspendu, en équilibre précaire.
Limpide elle se perd en gouttes d’eau, familière et déjà ailleurs.
Par une langue élémentaire, cristalline et simple, Casimir Prat creuse et recreuse le quotidien, les êtres et les objets. Il se fait le complice des évidences qui tissent tendrement la vie. Parfois la tristesse s’enroule sur elle-même en ses mots. Lyrisme à fleur d’ombres qui passent.
Pour certains cette poésie sera décrétée mièvre et trop sentimentale. Tant pis pour eux, pour d’autres elle est fraternelle, « chemin de la menthe et du brouillard ».
Qui aime Milosz ne peut qu’aimer Casimir Prat, je suis de ceux-là.
Casimir Prat fait une poésie vulnérable, hésitante au bord du silence, fragile car attentive au souffle des brins d’herbe, et des secrets enfouis, des petits riens qui nous regardent, du temps qui doucement cogne et nous efface. Sous la pluie des jours sa poésie ne courbe pas la tête.
En fait elle sonne humble et juste, fraternelle et nostalgique. La poésie de Casimir Prat a un son bien à elle, son embué déjà dans le lointain, déjà enfui loin de nous. La vie rare faite de rares instants semble se tapir dans ses mots. La poésie de Casimir Prat est une attente un peu résignée, tentant de ravauder l’inachevé. Discrète et rare elle se fraie un chemin familier au milieu de nous.
Gil Pressnitzer
Choix de textes
L’horreur ou la merveille
Cette ombre d’oiseau froissée entre mes doigts,
tu l’as reconnue.
On ne peut pas dire que j’ai tout compris,
retenu. J’essaie encore de me souvenir… Parfois,
j’attends longtemps :
un nuage passe,
et les chiens reviennent du soir
(lorsque tout va presque disparaître) ; alors,
arrive un silence épouvantable
qui nous éloigne
prend flamme…
Alors, nous revoyons
ce que nous n’avons jamais pu dire : toute
l’histoire,
les morts, sales, à visage découvert,
le rideau sans étoiles ;
et la charrette qui revient, pleine de nuit et
de branches,
sans un bruit est-ce l’horreur
ou la merveille ?
L’horreur ou la merveille Multiples
(À une journée de barque d’ici…)
À une journée de barque d’ici,
il y a l’autre terre, notre serment.
La solitude ici est une femme avare
et elle ne compte pas. Sa voix
est une belle fenêtre qui ne s’ouvre pas.
Les fruits longtemps sont lourds de pensées
et de mal, les lèvres des fleurs
ne séduisent même pas. Cet hiver, à l’étable,
les bêtes connaîtront la patience et l’orgueil.
À une journée de barque d’ici,
il y a l’autre terre, notre serrement.
Et nous rentrons dans la maison à tâtons,
à voix basse, parce que le vent et le retard
ont éteint toutes nos lumières...
L’horreur ou la merveille Multiples.
douze
Dans la nuit,
quand mère a éteint sa lampe la dernière,
remontés tous les réveils de l’immensité;
l’obscurité s’étant enfin toute dépliée, étoffe rêche au froid parfum de pluie:
un reflet sur le parquet ressuscite une crainte longtemps étouffée,
le dossier menaçant d’une chaise se hausse, puis revient à sa place;
et des aboiements comme des pierres lancées d’un jardin l’autre s’épuisent,
écume vite retombée... Et, entre les craquements intermittents de l’armoire, du buffet,
s’ouvre un passage que comblent toujours
le froissement d’un drap, une quinte de toux, le saut d’un chat clandestin...
Leurs bras se déroulent un à un hors des draps,
hors du sommeil, offrant, vide,
une main rouge. Dans la chambre
tapissée de sombres chèvrefeuilles...
« Vois-tu, jamais ne meurent les choses anciennes.
Ne refroidit pas la tisane dans le bol laissé au chevet;
ne se plaignent as plus les bêtes aveugles - et leurs yeux,
penchés de biais,
semblent encore sculpter une rose, là-haut,dans un de tes rêves... »
Elles Habitent le soir, L’arbre.
Nous regardons la terre puis, assis,
les mains croisées sur d’infimes
nouvelles,
nous regarderons nos ombres frémir contre
le mur comme des feuilles d’acanthe.
Nous regarderons nos ombres
et celles aussi des chaises qui attendent
derrière nous
(cachées derrière leur propre attente) ;
la cime orange du cyprès s’endormira dans
le ciel bleu, laiteux et plein de précautions :
nous oublierons, en nous taisant, ce que
nous avions dit - que nous nous étions quittés.
Au moment de partir Édition L’arbre
Mais tu pourras rester, toi, si tu es triste,
Si tu espères encore.
Tu garderas ici l’ombre de nos mains
sur les rideaux,
la lampe allumée, ces quelques étoiles
fatiguées (elles ne nous suivront pas…).
0, garde toujours le silence (le silence,
tu le sais, est un masque si calme,
intangible, invisible : ne le perd pas !).
Tu garderas ta main bleue posée sur la vitre,
sur la rougeur des roses qui tombent,
sur l’épaule austère du temps.
Et derrière la vitre, c’est la mer
qui recommencera peut-être,
ou le printemps déjà: il n’y aura plus
un nuage, il n’y aura que le ciel
et les cris d’oiseaux que tu ne reconnaîtras pas.
Et la tristesse qui reste (qu’on le veuille
ou non) toujours la même.
Au moment de partir Édition L’arbre
Pour finir, on laissa le lit défait
et les armoires fermées à clefs, pour toujours.
N’était resté que ce médaillon en argent avec
sa chaîne sur la commode vide
(le vide lui-même, comment l’emporter, il était
si lourd!)
Alors, les fenêtres n’avaient plus parlé que de
mars et des brumes du large,
des ronces où les outils se cramponnaient, de
gravier poudreux...
La pluie avait laissé ses chaussures crottées à
l’entrée
et, sur la table - une cuillère était restée seule
dans sa tasse,
droite, aveuglante, absolue - comminatoire -
tel un ancien (et inutile) sarcasme de la mer
(déjà bien rouillés, aussi, les triomphes de la mer
frappant aux volets!),
comme une autre excuse prononcée à voix basse
avant d’éteindre la dernière lampe
en partant.
Le figuier Rougerie
Et nous nous sommes levés devant l’entrée
de la maison sourde,
sur la dernière marche rouge
et, pour la première fois,
nous avons remarqué que la lune était là,
posée sur un trottoir de nuages
comme un soulier clair.
Au-dessus des dahlias, s’entendaient
les profondes inspirations de la nuit
(comme avant un aveu nécessaire).
*
« Il y a des choses que nous ne pouvons
comprendre - qu’il faut quitter.
Regardez: l’herbe sur la falaise n’est plus qu’un souffle,
un rire fatigué
qui s’arrête et s’écroule dans un sifflement...»
À la même heure, L’arrière-Pays
Encore quelques saisons
Encore tournera le vent
sans rémission toute la nuit,
et le matin, tournera encore,
s’enroulera autour de la cafetière
(autour de l’odeur frileuse du café),
autour du fruit qui tombe de l’arbre,
autour du message que l’on vient d’apporter,
autour du silence -
des pages du calendrier
qu’on a oublié d’arracher :
mais combien de mois sont passés ? Quelles saisons, à notre insu ?
Tellement,
nous avons attendu :
nous sommes-nous trompés de jour, de mort, de chanson,
en arrosant les géraniums ?
Tellement,
nous avons mangé du pain froid
des questions.
Sait-on jamais : poèmes 1995-2004. - L’Arpenteur Gallimard, 2005
À l’entrée de l’hiver,
aux heures plus longues et incertaines,
on se demande pourquoi
telle chose n’est pas arrivée,
qu’est-il advenu de celui-là?
que nous appelions Frère jusqu’à hier.
Sous la pluie les roses trémières baissent la tête
comme si elles voulaient s’excuser;
et puis c’est un frémissement de joie brève
qui viendra se glisser sous la robe des dernières
feuilles
et qu’on laissera dehors, avec tout le reste,
en fermant la porte.
Sait-on jamais : poèmes 1995-2004. - L’Arpenteur Gallimard, 2005
Celui qui s’en va
laisse toujours quelque chose :
des lunettes, un stylo,
un peigne noir sur le rebord du lavabo -
ou ce vieux poste de radio
qui grésillera encore quelque temps,
posé par terre au coin de la chambre vide,
jusqu’à ce que quelqu’un, montant à l’étage,
s’en aperçoive et,
après l’avoir débranché, le descende avec précaution
dans la maison,
(et mesure, à cet instant,
en le transportant jusqu’à la remise,
tout le poids exact – inavouable -
de l’absence).
Celui qui s’en va
ne donnera plus, après son départ, de nouvelles ;
ce qui est juste et ne doit pas nous étonner
? il est loin, il est là-bas : quelque chose
d’indéfini,
autre chose,
quelqu’un de différent -
comme le vase que l’on déplace au matin
d’une extrémité à l’autre de la table
(et toute la pièce elle-même s’en trouve inversée).
Tout est cendre Le dé bleu 1995
Regarder en arrière
Ainsi peu à peu, nous faut-il toujours laisser
quelque chose
et parler avec précaution d’hier ( de ce que nous
avions abandonné dans notre sommeil) :
parfum d’herbes brûlées derrière les persiennes.
lumière aride des lampes
avec la fumée de cigarettes qui vient les
envelopper;
la paire de lunettes restée, droite, sur un livre
ouvert, continuant seule la lecture
(cherchant toujours l’explication)
Tout est cendre Le dé bleu 1995
Lettre à Léo
Cher Léo,
Il y a dix ans que tu n’écris plus de musique.
Il y a dix ans déjà que tu vis là-haut avec la musique des anges – ou de Lucifer
(oui, je préfère…)
Il y a dix ans, au moins, que moi, je n’écris plus de poésie (mais cela n’intéresse personne…)
« À la galerie j’farfouille, dans les rayons d’la mort », disais-tu…
Là, pour le coup tu y es !
Cher Léo,
Sous le pont Mirabeau coulent toujours les cadavres de verre de Paul Celan et Ghérasim Luca ;
De là-haut, qu’est-ce que tu vois ?
Le poignard gris de Baudelaire planté en plein cœur de mes vingt ans.
Ta guenon qui fait ses pompes dans le bois de Vincennes.
L’épaule bleue de la mer navigue dans le brouillard.
Qui a fumé le drapeau noir ?
Où se sont envolés nos poings levés ?
La BMW d’Alain Juppé roule à nos frais sur le périph de nos baisers.
Les lunettes noires de Pinochet flottent dans l’évier crasseux de la France d’En Bas.
Le pistolet à billes de Sarkozy fait le tapin à la sortie des collèges.
Mais que fait Guillaume Apollinaire ?
Qui donc encaissera le chiffre d’affaires de Mallarmé ?
Et la jambe coupée de Rimbaud, dans quel caniveau de Marseille ?
François Villon est-il passé aux 35 heures ?
On n’a pas retrouvé la pince à épiler les métaphores dans l’appartement d’André Breton.
Madame Misère n’a plus rien à voler dans les rayons de la Fnac. Il n’y a plus rien,
d’ailleurs
moi, je t’écoute encore : « oh mon amour mon orpheline et je te dis de vivre et d’avoir
un enfant… «
Sous le pont Mirabeau rouillent les voix de Paul Celan et Ghérasim Luca.
Aujourd’hui on rit, on pleure, on boit -- sans soif.
Flottent les cheveux de Sulamith dans la soupe d’Ernest Antoine Sellières.
Coca-cola a mis sur le marché sa version light de Garcia Lorca.
Mais que fait Guillaume Apollinaire ?
Bibliographie
Herbier, vagabondages n° 25, 1980.L’horreur ou la merveille, Multiples, 1983.
La lampe et le ravin, Le Dé Bleu, 1984.
Au-dessus, Le Pré de l’Age, 1988.
Elles habitent le soir, L’Arbre, 1988 (Prix Antonin-Artaud, 1989).
Aujourd’hui encore, Rougerie, 1989.
Trois scènes, L’Impatiente, 1989.
Gouttes de pluie Carnet de libellules, 1989.
Aujourd’hui encore, Rougerie 1998
Au moment de partir, L’Arbre, 1993.
Le figuier précédé de L’horizon, Rougerie, 1993.
S’éloigner de la flamme, suivi de A la même heure, L’Arrière-Pays, 1993.
Navires dans la brume, Clapas, 1994.
Tout est cendre, Le Dé Bleu, 1995 (Prix Max-Pol Fouchet 1995).
Vers la nuit, L’Arrière-Pays, 1996.
De temps en temps, Rougerie, 1998.
Sait-on jamais, L’Arpenteur, 2005.
A coordonné Une ferveur brûlée : anthologie de poèmes de Jean Malrieu (L’Arrière-Pays, 1995).