Christian Bobin

Notre part manquante

Pourquoi lire, puisque tout est là ?

Je n’écris que dans ce seul dessein : accroître - par le chant et l’amour.

Pour présenter Christian Bobin, écrivain solitaire à la pureté franciscaine, autant avoir aux lèvres ses propres devinettes:

D’où vient le vent ? d’un livre ancien qu’on a oublié de refermer.

Qui ne vient chez nous qu’en notre absence ? l’amour.

Qui rit après sa mort ? la pluie dans le feuillage.

Si cette écriture si simple, au risque de paraître simpliste vous touche, poursuivons l’approche d’un homme en retrait, dont les lettres sont devenues livres, ou le contraire, et ont peu à peu apporté jusqu’à nous leurs orbes de tendresse, leurs petites robes de fête. :

« Un jour, dans cette absence égale, chronique, vous recevriez ces lettres.

L’apparence d’un livre. L’auteur, ce serait vous, c’est-à-dire un autre. Un passant. Une Ombre, lointaine. Personne ».

Christian Bobin coule comme l’eau. Sans mémoire autre que celle de l’amour. Il écrit une langue orale, musicale, qui vient d’abord dans sa bouche, avant de se réfugier dans sa patrie, la page blanche. Lui il se tient à l’intersection de la solitude et de l’amour des autres. Lenteur et patience sont à son chevet.

« Il n’y a pas de connaissance en dehors de l’amour. Il n’y a dans l’amour que de l’inconnaissable ».

Christian Bobin a publié une vingtaine de très courts livres, mais ces livres sont des lumières allant vers la meilleure part de nous-mêmes. Curieux écrivain que l’on ne semble connaître que par ses citations, d’ailleurs il semble construire ses textes comme un vivier d’où écloront quelques phrases à graver dans l’herbier des mémoires.

La longue haleine ne le concerne pas. Il parle doucement, et par ondes concentriques, il arrive à la phrase, cernée, polie, qui va s’incruster en nous.

Bobin est un grand conférencier qui sait envoûter son auditoire avec sa voix lente, qui semble tâtonner, découvrir en même temps que nous les mots sur lesquels il trébuche. Ses confidences à la radio sont pour le creux et de l’oreille et de l’âme. Ses incantations christiques sont la foi du jeune enfant et sont désarmantes de naïveté, mélange de foi du charbonnier et de Saint-François d’Assise. Il prie mais pour « prier, parler au vide pour que le vide nettoie votre parole ».

Sa simplicité au doux sourire peut donner envie de claquer la porte de ses livres, elle peut aussi donner l’envie de rêvasser infiniment sur quelques phrases tout de rosée irisée. Lui il cherche le Christ aux coquelicots, la jeune fille enfuie. Parfois nous sommes en recul par une fadeur qui s’insinue, des sauts dans la mièvrerie qui nous désenchantent. L’eau bénite monte des pâles ailes de ses images et vous fait parfois ardemment souhaiter le feu et la cendre d’autres écrivains.

La voie du cœur se doit d’exclure la sainteté, les véritables illuminations sont dans l’incendie de la vie. La bonté de Bobin devient parfois accablante car elle s’étale. Mais cela doit être sans doute le prix à payer pour la transcendance, et Bobin nous désarme toujours d’une simple phrase, juste, parfaite, au milieu de nous :
Nous ne sommes faits que de ceux que nous aimons et de rien d’autre.
Et il nous prévient : On n’est jamais contemporain de l’invisible.

La douce lumière de Bobin

Blanche, paisible, étale, une lumière douce monte de sa prose. Sa prose qui songe, se miroite, semble avoir pris le deuil des choses pour mieux les voir. Le silence et le vide sont perchés sur son épaule, avec des hémorragies de silence dans la parole, pour lui qui dit : « La joie va toujours avec la frayeur, les livres vont toujours avec le deuil. »

Il nous faut mener double vie dans nos vies, double sang dans nos cœurs, la joie avec la peine, le rire avec les ombres, deux chevaux dans le même attelage, chacun tirant de son côté, à folle allure. Ainsi allons-nous, cavaliers sur un chemin de neige, cherchant la bonne foulée, cherchant la pensée juste, et la beauté parfois nous brûle, comme une branche basse giflant notre visage, et la beauté parfois nous mord, comme un loup merveilleux sautant à notre gorge.

Très peu de vraies paroles s’échangent chaque jour, vraiment très peu. Peut-être ne tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à parler. Peut-être n’ouvre-t-on un livre que pour enfin commencer à entendre.

Simple phrase où Bobin ajoute cette paraphrase de la Bible « l’enfant partit avec l’ange et le chien suivit derrière ».

Les mots de Bobin sont faits de rosée, de bonté, de douleurs aussi, il est difficile de s’en approcher sans briser un mystère. L’enchantement d’un simple, de « l’idiot de tous les villages ». Il écrit à quelques mots du silence, avec ses histoires d’enfants, des aphorismes aveuglants, des comptines, des pays d’enfance retrouvée en larmes.

Et il touche à l’essentiel. « L’écriture c’est le cœur qui éclate en silence.»

Nous sommes à un niveau de pureté, ou curieusement les mots ont encore cours et ces mots s’enroulent comme du lierre autour de l’âme. Ce sédentaire endurci aura voyagé autour de sa chambre. Il va vers les contrées de la pureté.

Je suis fou de pureté. Je suis fou de cette pureté qui n’a rien à voir avec une morale, qui est la vie dans son atome élémentaire, le fait simple et pauvre d’être pour chacun au bord des eaux de sa mort noire et d’y attendre seul, infiniment seul, éternellement seul.

Bobin tente de retrouver « le royaume où l’adulte et l’enfant vont d’un même pas, d’un même sourire ».

Abandon, générosité, absence et amour, tout cela finit par sourdre de ses livres, « boîtes à musique remplies d’encre ».

Ce qui ne peut danser au bord des lèvres, s’en va hurler au fond de l’âme.
Alors il dit et laisse la vie mener sa vie, il est proche et il s’éloigne, sur le chemin des fous, des saints, des enfants.

Souvent chez Christian Bobin le mot amour s’entend solitude car le mot amour ne se dit pas.

La pensée de Bobin a la force et les limites des herbes simples, mais l’évidence de ses mots est révélation.

L’infini est en lui comme chez lui. Parfois un journal de celle qui est morte, Geai ou l’autre et qui le hante :
«Geai était morte depuis deux mille trois cent quarante-deux jours quand elle commença à sourire. Ce sourire, au début, personne pour le voir. Que deviennent les choses que personne ne voit ? Elles grandissent. Tout ce qui grandit, grandit dans l’invisible et prend, avec le temps, de plus en plus de force, de plus en plus de place. Donc le sourire de Geai, noyée depuis deux mille trois cent quarante-deux jours dans le lac de Saint-Sixte, en Isère, commença à donner de plus en plus de lumière. »
Alors il parle doucement.

Ce n’est pas un journal que je tiens, c’est un feu que j’allume dans le noir. Ce n’est pas un feu que j’allume dans le noir, c’est un animal que je nourris. Ce n’est pas un animal que je nourris, c’est le sang que j’écoute à mes tempes, comme il bat - un volet ensauvagé contre le mur d’une petite maison.

Il est pour lui des morts qui donnent de la lumière, il est pour lui des présences plus fortes que l’oubli, et qui vous laissent dans cette grâce de la solitude où Bobin se tapit. Parmi les gens du Creusot, parmi l’encre et le vin. Tel un chat noir de l’habitude, il attend au bout de son septième étage, moustache dorénavant rasée, que le vent entre, ou une fleur, allongé des heures durant. Dolent, triste, il attend d’avoir la même légèreté que l’oiseau qu’il regarde longuement par sa fenêtre.

Que fait Bobin sinon « attendre le passage de Dieu ou d’un insecte, ou de rien ».

Il regarde le lilas maintenant, puis un petit nuage blanc dans le ciel bleu. Il a un regard d’enfant. Il connaît la limite de l’écriture. « Un livre, c’est un échec. Un amour, c’est une fuite. Nous ne pouvons entreprendre que de biais, nous ne pouvons vivre que de profil. Nous ne sommes jamais où nous croyons être. Notre désir est voué à l’errance. Notre volonté est sans poids. Parfois quand même, on approche quelque chose. Parfois quand même on reçoit des nouvelles de l’éternel. Le battement des lumières sur un visage. La tombée de la foudre dans une encre.»

Il sait qu’ « aimer quelqu’un c’est vouloir se pencher sur sa solitude, sans vouloir ni la comprendre, ni l’accompagner ».

Les histoires de Christian Bobin

Vouloir trop rendre compte des mots de Bobin est lourdeur, car il a la fragilité colorée des ailes de papillon. Simplement, lisez Bobin, l’enchantement d’un simple dont la fable à vous dire sera celle-ci :

Un homme arrive au paradis. Il demande à un ange, à son ange, de lui montrer le chemin qu’ont dessiné ses pas sur terre, par curiosité.

Par enfantin désir de voir et de savoir.

Rien de plus simple, dit l’ange.

L’homme contemple la trace de ses pas sur cette terre, depuis son enfance jusqu’à son dernier souffle.

Quelque chose l’étonne parfois, il n’y a plus de traces.

Parfois, le chemin s’interrompt et ne reprend que bien plus loin.

L’ange dit alors parfois votre vie était trop lourde pour que vous puissiez la

porter. Je vous prenais donc dans mes bras, jusqu’au jour suivant où la joie vous revenait, et alors vous repreniez votre chemin.

Souvent Bobin nous prend dans ses bras, et le chemin redevient possible.

Un autre conte encore :

Il était une fois une souris qui vivait avec ses petits dans une vaste maison, elle avait bien sûr souffert et souffert de solitude et d’abandon mais maintenant les tourments s’étaient calmés, et cette joie immense de ramener des morceaux à manger et surtout des jouets pour ses petits la faisait vivre et vivre.

Ce jour comme tous les dimanches elle quitta son trou car les maîtres de la maison sortaient à la messe et à la campagne. Alors elle traversa le salon pour atteindre la cuisine, et là surprise et merveille : des morceaux de fromage et des bobines de fil pour les jeux de ses enfants. Puis elle revient vers sa tanière.

C’est alors qu’elle le vit, lui énorme, immense et noir, lui le gros chat noir, juste au milieu du salon entre la cuisine et son refuge. Elle n’osait plus respirer attendant la mort. Un long silence et rien. Elle rouvrit les yeux et se dit : il dort sans doute. Elle longe alors les murs lentement sans lâcher ses trophées.

Doucement, doucement. Toujours rien et là du bout du pied elle reconnaît son trou et les cris des souriceaux. Encore quelques pas elle sera sauvée. Rien toujours alors elle lance ses cadeaux dans le trou, les enfants glapissent de joie. C’est alors qu’elle l’entendit, lui le chat noir.

Sa voix roulait le long des murs et il disait : douce dame ne croyez pas que je sois là par hasard, tous les dimanches je vous guette et vous regarde, je vous sens et vous respire. Madame je vous aime. C’est elle qui ne bouge plus.

Un très grand silence tombe, puis lentement à reculons après avoir jeté un dernier regard sur ses souriceaux, lentement très lentement, elle revient vers le chat noir. Maintenant elle peut le sentir contre elle. Alors elle ferme les yeux et dit d’une voix fluette : chat, grand chat noir, faites ce que vous avez à faire, mais faites le vite.

Ce conte adapté de Kafka je l’ai entendu de la bouche de Bobin.

Le jour de notre mort traverse chaque jour de notre vie comme une eau sombre dans l’eau limpide, mais nous sommes trop agités pour le voir et saluer comme il convient notre proche disparition dans toutes les présences du monde.

Ainsi tournent ses pages, et les jours.

Gil Pressnitzer

Choix de textes

On butine plutôt Christian Bobin que l’on ne le lit.

Aussi il vient vers nous surtout par ses citations, ses aphorismes. Certains sont lumineux ou foudroyants. D’autres frisent la banalité, ou la mièvrerie.

Il a été ici fait un choix de mots pleins de lumière.

La vraie littérature m’apparaît comme un village dans la nuit. Un village qu’on apercevrait d’un chemin de campagne surélevé. Il y a des feux qu’on voit briller, certaines maisons sont éclairées. Elles sont habitées par Armand Robin, Francis Thompson, Emily Dickinson, Jean Grosjean, André Dhôtel, Gerard Manley Hopkins, Dominique Pagnier, Jean Follain, Jacques Réda. Ces maisons sont dans la même nuit, mais leurs liens sont secrets et aussi beaux que ceux des étoiles dans le ciel.

La Lumière du monde

Je ne connais pas d’apôtres du néant sinon par imposture. Ce qu’on veut nous faire croire aujourd’hui, ce que clame cette littérature de la nuit, c’est que la vérité est toujours plus du côté du mal que du bien. Une croyance comme celle-là signale la disparition d’une personne. C’est une disparition bien plus profonde que la mort. Celui qui pense que la vérité est du côté du mal s’assoit très profondément dans le fauteuil de l’air du temps, et il n’est pas près d’en sortir. C’est pire qu’un lieu commun.

La Lumière du monde

Celui qui attend est comme un arbre avec ses deux oiseaux, solitude et silence. Il ne commande pas à son attente. Il bouge au gré du vent, docile à ce qui s’approche, souriant à ce qui s’éloigne. [...] dans l’attente le commencement est comme la fin, la fleur est comme le fruit, le temps comme l’éternel.

Avec le temps bien des gens lâchent. ils disparaissent de leur vivant et ne désirent plus que des choses raisonnables.

La plus que vive

On lit comme on aime, on entre en lecture comme on tombe amoureux: par espérance, par impatience.... trouver le sommeil dans un seul corps, toucher au silence dans une seule phrase.

Une petite robe de fête

Pour s’éprendre d’une femme, il faut qu’il y ait en elle un désert, une absence, quelque chose qui appelle la tourmente, la jouissance. une zone de vie non entamée dans sa vie, une terre non brûlée, ignorée d’elle-même comme de vous.

La part manquante

Mon dieu, protégez-nous de ceux qui nous aiment.

Geai

Avant les livres, la nature ou l’amour, vous êtes comme à vingt ans: au tout début du monde et de vous.

Une petite robe de fête

Avec la fin de l’amour, apparaissent les rois mages: la mélancolie, le silence et la joie.

Une petite robe de fête

Il n’y a pas de connaissance en dehors de l’amour. il n’y a dans l’amour que de l’inconnaissable.

Une petite robe de fête

On n’apprend que d’une femme. on n’apprend que de l’ignorance où elle nous met quant à nos jours, quant à nos nuits.

La part manquante

On peut s’éprendre d’une femme pour une manière de ramener ses cheveux sur sa nuque, pour la négligence dans sa voix, ou la lumière sur ses mains. pour une raison aussi simple, on abandonne le tout de sa vie.

Lettres d’or

Dans la mort le chemin devient d’un seul coup si étroit que, pour passer, on doit se laisser tout entier.

Une petite robe de fête

Aimer quelqu’un, c’est le lire. c’est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l’autre, et en lisant le délivrer.

La lumière du monde

L’écriture c’est le cœur qui éclate en silence.

L’épuisement

Mon pays fait vingt et un centimètres de large, sur vingt-neuf de long: une feuille de papier blanc.

La plus que vive

La mort ne change pas une vie en destin. mourir ne referme pas le livre à sa dernière page, texte enfin déchiffrable.

La plus que vive

à part les saints et quelques chiens errants, nous sommes tous plus ou moins contaminés par la maladie de la tristesse.

La plus que vive Nous n’habitons pas des régions. nous n’habitons même pas la terre. le cœur de ceux que nous aimons est notre vraie demeure.
La plus que vive

... Si éclairants soient les grands textes, ils donnent moins de lumière que les premiers flocons de neige.

La plus que vive

ceux qui savent nous aimer nous accompagnent jusqu’au seuil de notre solitude puis restent là, sans faire un pas de plus. ceux qui prétendent aller plus loin dans notre compagnie restent en fait bien plus en arrière.

L’éloignement du monde

Aimer et mourir sont deux lueurs qui ne font qu’un seul feu, et sans doute est-ce pour cela que nous aimons si peu, si mal: il nous faudrait consentir à notre propre défaite.

Le huitième jour de la semaine

Tu sais ce que c’est la mélancolie? tu as déjà vu une éclipse? eh bien c’est ça: la lune qui se glisse devant le cœur, et le cœur qui ne donne plus sa lumière.

La folle allure

... Qu’avons-nous à nous dire dans la vie, sinon bonjour, bonsoir, je t’aime et je suis là encore, pour un peu de temps vivante sur la même terre que toi.

La folle allure

Mourir doit ressembler à ça: nager dans le noir et que personne ne vous appelle.

La folle allure

... Les rires ce sont les larmes qui se consolent toutes seules...

La folle allure

Le plus beau don que l’on puisse nous faire dans cette vie ténébreuse est celui de la clarté - quand bien même cette clarté nous tue.

Mozart et la pluie

... Ce qui meurt ne méritait pas de durer.

L’autre visage

Un livre, un vrai livre, ce n’est pas quelqu’un qui nous parle, c’est quelqu’un qui nous entend, qui sait nous entendre.

Autoportrait au radiateur

... écrire c’est ne rien oublier de ce que le monde oublie.

L’épuisement

C’est une chose fragile que la lumière du jour. on y grandit. on y marche. on y attend quelque chose, on se sait trop quoi. oui, mais voilà: où trouver la force d’attendre, quand le visage aimé est recouvert de terre?

La femme à venir

Il y a ainsi des gens qui vous délivrent de vous-même - aussi naturellement que peut le faire la vue d’un cerisier en fleur ou d’un chaton jouant à attraper sa queue. ces gens, leur vrai travail, c’est leur présence.

Tout le monde est occupé

J’ai trouvé dieu dans les flaques d’eau, dans le parfum du chèvrefeuille, dans la pureté de certains livres et même chez des athées. je ne l’ai presque jamais trouvé chez ceux dont le métier est d’en parler.

Ressusciter

L’amour est le miracle d’être un jour entendu jusque dans nos silences, et d’entendre en retour avec la même délicatesse: la vie à l’état pur, aussi fine que l’air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse.
Ressusciter

écrire et voir, c’est pareil, et pour voir il faut la lumière. le paradoxe, c’est qu’on peut trouver la lumière dans le noir de l’encre. c’est comme de la nuit sur la page, et c’est pourtant là-dedans qu’on voit clair.
La lumière du monde

Marcher dans la nature, c’est comme se trouver dans une immense bibliothèque où chaque livre ne contiendrait que des phrases essentielles.
La lumière du monde

Je t’aime - cette parole est la plus mystérieuse qui soit, la seule digne d’être commentée pendant des siècles.

La plus que vive Un grand livre commence longtemps avant le livre. Un livre est grand par la grandeur du désespoir dont il procède, par toute cette nuit qui pèse sur lui et le retient longtemps de naître.
Une petite robe de fête

À quoi ça sert de lire. À rien ou presque. C’est comme aimer, comme jouer. C’est comme prier. Les livres sont des chapelets d’encre noire, chaque grain roulant entre les doigts, mot après mot. Et c’est quoi, au juste, prier. C’est faire silence. C’est s’éloigner de soi dans le silence.
Une petite robe de fête

Un homme sain d’esprit c’est un fou qui tient sa folie dans une poche de sang noir - entre le cerveau et le crâne, entre sa famille et son métier. C’est un fou furieux qui ne saura jamais guérir, n’étant jamais malade. Un fou c’est un homme sain d’esprit, qui n’a plus les moyens de sa folie, qui perd les eaux de sa folie, d’un seul coup.
Une petite robe de fête

Qui n’a pas connu l’absence ne sait rien de l’amour. Qui a connu l’absence a pris connaissance de son néant - de cette connaissance lointaine qui fait trembler les bêtes à l’approche de leur mort.
Une petite robe de fête

La musique, ce qu’elle est: respiration. Marée. Longue caresse d’une main de sable.
Souveraineté du vide

Il y a un temps où ce n’est plus le jour, et ce n’est pas encore la nuit. [...] Ce n’est qu’à cette heure-là que l’on peut commencer à regarder les choses, ou sa vie: c’est qu’il nous faut un peu d’obscur pour bien voir, étant nous-mêmes composés de clair et d’ombre.
Lettres d’or

Comment sortir de soi? Parfois cette chose arrive, qui fait que nous ne sommes plus enfermés: un amour sans mesure. Un silence sans contraire. La contemplation d’un visage infini, fait de ciel et de terre.
Lettres d’or

Aimer quelqu’un, c’est le dépouiller de son âme, et c’est lui apprendre ainsi - dans ce rapt - combien son âme est grande, inépuisable et claire. Nous souffrons tous de cela: de ne pas être assez volés. Nous souffrons des forces qui sont en nous et que personne ne sait piller, pour nous les faire découvrir.
Lettres d’or

La solitude nous amène vers la plus simple lumière: nous ne connaîtrons jamais d’autre perfection que celle du manque. Nous n’éprouverons jamais d’autre plénitude que celle du vide, et l’amour qui nous dépouille de tout est celui qui nous prodigue le plus.
Lettres d’or

[...] nous ne sommes faits que de ceux que nous aimons et de rien d’autre.
L’inespérée,

Très peu de vraies paroles s’échangent chaque jour, vraiment très peu. Peut-être ne tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à parler. Peut-être n’ouvre-t-on un livre que pour enfin commencer à entendre.
Le Très-Bas.

Quelques mots pleins d’ombre peuvent changer une vie. Un rien peut vous donner à votre vie, un rien peut vous en enlever. Un rien décide de tout.
Le Très-Bas

Peu de livres changent une vie. Quand ils la changent c’est pour toujours, des portes s’ouvrent que l’on ne soupçonnait pas, on entre et on ne reviendra plus en arrière.
La plus que vive

Celui qui attend est comme un arbre avec ses deux oiseaux, solitude et silence. Il ne commande pas à son attente. Il bouge au gré du vent, docile à ce qui s’approche, souriant à ce qui s’éloigne.[...] dans l’attente le commencement est comme la fin, la fleur est comme le fruit, le temps comme l’éternel.
L’autre visage

Vos paroles sont douces. Vos mains sont ouvertes. Vous dites que vous venez nous aider. Nous avons toujours craint ceux qui parlaient comme vous. Celui qui nous veut du mal est comme un loup: un feu suffit à l’écarter. Celui qui nous veut du bien est comme un frère. Son bien n’est pas le nôtre. Il nous le fait manger à notre insu dans le pain du partage.
L’autre visage

L’enfance est ce que le monde abandonne pour continuer d’être monde.
Mozart et la pluie

La beauté est une manière de résister au monde, de tenir devant lui et d’opposer à sa fureur une patience active.
Autoportrait au radiateur

On croit aimer des gens. En vérité, on aime des mondes.
Geai

Bien peu de gens savent aimer, parce que bien peu savent tout perdre. Ils pensent que l’amour amène la fin de toutes misères. Ils ont raison de le penser, mais ils ont tort de vivre dans l’éloignement des vraies misères. Là où ils sont, rien ni personne ne viendra. Il leur faudrait d’abord atteindre cette solitude qu’aucun bonheur ne peut corrompre.
La femme à venir

Le bout du monde et le fond du jardin contiennent la même quantité de merveilles.
Tout le monde est occupé

Par instants je pense que nous ne mourrons jamais. À d’autres instants je pense que nous sommes plus perdus que des jouets dont un enfant ne se sert plus. La vérité, qui peut la dire ?
Ressusciter

Mourir, c’est comme tomber amoureux : on disparaît, et on ne donne plus de nouvelles à personne.
Le Christ aux coquelicots

... Il y a une chose plus redoutable encore que la mort : une vie sans amour.
Le Christ aux coquelicots

Le temps est la toupie de Dieu. Les saisons sont peintes sur son tour. La toupie tourne de plus en plus vite, jusqu’au jour où, comme si elle avait heurté un invisible obstacle, elle sort de son axe, bascule sur le côté, s’arrête : quelqu’un vient nous sortir du tourbillon de nos soucis et de nos peines.
Prisonnier du berceau

La mort est un clou en or dans le bois de la vie.
Une bibliothèque de nuages

Il n’y a pas de plus grande joie que de connaître quelqu’un qui voit le même monde que nous. C’est apprendre que l’on n’était pas fou.
La dame blanche

Bibliographie

- Les Ruines du cie l Gallimard 2009

-Prisonnier au berceau, Folio 2007
- La Dame blanche Gallimard 2007

- Louise Amour, Gallimard, 2004

- Autoportrait au radiateu r. Gallimard, 1997, Gallimard/folio, 2000

- Geai. Gallimard, 1998, Gallimard/folio, 2000

- La Lumière du monde Gallimard, 2001, Gallimard/folio, 2003

- Le Christ aux coquelicots Lettres Vives, 2002

- Ressusciter Gallimard, 2001, Gallimard/folio, 2003

- Tout le monde est occupé Mercure de France, 1999, Gallimard/folio, 2001

-La Lumière du monde Gallimard, 2001, Gallimard/folio, 2003

- Mozart et la Pluie, suivi de " Un désordre de pétales rouges"

- La Merveille et l’Obscur, suivi de "La Parole vive" La passe du vent 1999
- La présence pure, Gallimard 1999

- La Grâce de solitude: Dialogues avec Christian Bobin, Théodore Monod, Jean-Michel Besnier, Jean-Yves Leloup de Marie de Solemne

- La Part manquante. Gallimard, 1989, Gallimard/folio, 1994

- La femme à venir. Gallimard, 1990, Gallimard/folio, 1999

-Une petite robe de fête. Gallimard, 1991, Gallimard/folio, 1993

- Le très-bas. Gallimard, 1992, Gallimard/folio, 1995

- L’inespérée. Gallimard, 1994, Gallimard/folio, 1996

- La folle allure. Gallimard, 1995, Gallimard/folio, 1997

- La plus que vive. Gallimard, 1996, Gallimard/folio, 1999

- Donne-moi quelque chose qui ne meurre pas (En collaboration avec Edouard Boubat). Gallimard 1996

- S ouveraineté du vide Fata Morgana, 1985, Gallimard/folio, 1995

- L’homme du désastre Fata Morgana, 1986

- Lettres d’or Fata Morgana, 1987

- L’inespérée Gallimard, 1994, Gallimard/folio, 1996

- L’épuisement Le Temps qu’il fait, 1994

- Éloge du rien Fata Morgana, 1990

- Le colporteur Fata Morgana

- La vie passante Fata Morgana, 1990

- Un livre inutile Fata Morgana, 1992

- L’enchantement simple. poésie, Lettres Vives, 1989, Gallimard, 2001

- Le huitième jour de la semaine. Lettres Vives, 1988

- L’autre visage. Lettres Vives, 1991

- L’éloignement du monde. Lettres Vives, 1993

-Isabelle Bruges. Le Temps qu’il fait, 1992, Gallimard/folio, 1999

- Quelques jours avec elles. Le Temps qu’il fait, 1994

- L’épuisement. Le Temps qu’il fait, 1994

-L’homme qui marche. Le Temps qu’il fait, 1994

- L’équilibriste. Le Temps qu’il fait, 1998
- Tout le monde est occupé Mercure de France, 1999, Gallimard/folio, 2001