Félix Castan

Le monde ouvert de Félix Castan, ou la nation comme un amphithéâtre

On n’est pas le produit d’un sol, on est le produit de l’action qu’on y mène.

Le grand Félix-Marcel Castan aura été l’incarnation de l’humaniste occitan ouvert au monde et à toutes les différences.

Jamais il ne se sera laissé empaler sur le clocher occitan et visionnaire, il a tracé les horizons de la " Linha imaginot" dépassant tous les barbelés des frontières et des égoïsmes.

Né à Labastide-Murat, en Haut-Quercy, le 1er juillet 1920, il a passé dans le Bas Quercy la plus grande partie de sa vie.

II nous aura quitté le 22 janvier 2001... pour aller plus loin avec son foulard et sa casquette vissée sur ses idées et ses longs cheveux au vent.

Contesté parmi les siens, lui l’anti-chauvin occitan, il aura laissé des fils spirituels (Claude Sicre, Jacmé Gaudas, André Benedetto, Bernard Lubat, Alem Surre-Garcia…) qui rendent encore vivante et debout sa belle parole d’homme. Chantre de la décentralisation culturelle et pourfendeur du parisianisme jacobin il aura « remis la tour Eiffel à l’endroit » et à partir du cosmodrome de Montauban tutoyer les étoile s.

L’homme au centre du monde

« Chaque homme est un centre du monde », disait ce merveilleux conteur.

Et le centre du monde il l’avait touché dans sa glèbe et au travers de ses mains.

Il a conscience que la force de la terre ne doit pas s’en aller, se disperser dans la fausse assimilation des différences.

La force est dans la force de la langue, non plus la langue déterrée qui a survécu à tous les gels du centralisme nivelateur a raison des fossoyeurs du réel.

Ceux qui par la honte et l’exclusion colonisent les porteurs de la "langue des cochons", en leur interdisant tout parler, tout conte, toute poésie, sous peine d’excommunication et de mise en quarantaine.

Mais la langue qui palpite et porte en elle les reflets de la vie.

« Aujourd’hui, la langue occitane s’éteint. Mais la littérature reste vivace. Chaque génération d’écrivains occitans croit être la dernière. Pourtant elle travaille inconsciemment à la construction d’une identité. »

Contre ce jacobinisme étatique il brandit la décentralisation, la liberté d’être autre.

L’homme doit toujours naître dans le vent de la langue, dans le souffle des vieux, des rencontres, et non pas de l’inféodation au caporalisme administrat if.

« Le centralisme est une névrose. Il faut lutter contre nous-mêmes : notre tête est centraliste. Le malade prend parti pour sa névrose. »

Lui se bat pour une France plurielle, sans recettes toutes faites, mais par des morceaux bout à bout d’expérienc es.

« La notion de diversité et de confrontation régnera sur le culturel. L’Occitanie est faite d’union et de désunion. Ainsi propose-t-elle de combiner en France l’un et le multiple. »

On ne devient soi qu’après plusieurs aventures, plusieurs identités. Dans le tout petit qu’il nous faut réapprendre, doit être aussi le grand vaste, l’immensité des autres, des étrangers.

Cet ancrage dans un coin doit contenir toute la planète entière en regard. La célébration de la langue occitane doit pour lui irriguer la langue française et non pas permettre un repli stérile et nationaliste :

« Je suis convaincu que la littérature occitane a une mission en France, ce que beaucoup de militants occitans ont du mal à admettre. Ils ne veulent pas que leur langue, que leur littérature, que leur culture, ait une mission pour la France. Ils veulent qu’elle ait une mission pour eux. Cette sorte de pensée nationalitaire occitane est une impasse totale. Je pense plutôt que la littérature et la culture occitane, sont des leviers pour transformer la nation française. »

La République dans sa soif de noyade des identités régionales aura commis un véritable carnage de mémoire.

Et ce drame des déracinés de la langue, de la perte de la langue, donne ces amputés du passé.

Avec une langue surimposée, collée de force sur leur imaginaire, une langue qui n’est pas la leur, qui n’est pas enracinée dans leur corps. Une langue qui n’est pas issue de leur profondeur archaïque, intime, immémoriale, ils ne la manient que comme objet de passage, outil de communication, et non pas vecteur de culture.

Lui, Félix Castan est l’homme d’une vision globale :

« Il me semble qu’il faut que chacun apprenne à ne pas se sentir tributaire, enfermé comme sous une cloche, ni dans son village, ni dans sa ville, ni dans sa capitale. Il ne faut pas que l’endroit d’où l’on est devienne un mythe. »

L’espérance du passé, la folie de l’avenir

Aux sans racines Félix Castan a voulu redonner l’espérance du passé, la folie de l’avenir par un « retour aux sources de l’occitanisme, une littérature et sa langue ». Et il le fait dès les années 1940, mais sans l’abject retour à la terre pétainiste.

« J’ai découvert l’occitan par hasard après une classe préparatoire à Paris. J’ai dû arrêter mes études parce que j’étais tombé malade. À 19 ans j’ai donc été obligé de revenir à Montauban. La mort dans l’âme. J’ai pris conscience subitement qu’en n’étant plus à Paris j’étais coupé de la vie culturelle centrale. Je l’ai mal vécu. Puis j’ai rencontré la littérature occitane. Cette littérature et cette langue m’ont paru mythiques et cosmiques. J’ai pensé alors que la motivation principale des écrivains occitans était, inconsciemment, de faire échec au centralisme. Sinon ils auraient écrit en français ! »

Il se fait de son plein gré ouvrier agricole en 43-44 pour mieux nouer ses racines et comprendre "le monde d’en bas", puis instituteur jusqu’en 1968, puis professeur de collège.

Créateur du festival baroque à Montauban, un festival de peinture au Larzac - la mòstra del Larzac -, les éditions Cocagne, le Centre International de Synthèse du Baroque, le forum des identités communales, Montauban Caméra, les Assises Nationales de la Décentralisation Culturelle !

Il dit non à une France virtuelle qui gomme toute différence dans une bouillie servile (Manifeste Multiculturel et anti-régionaliste publié en 1984 et complété par Le vouloir d’une ville en 1998).

Cette idée novatrice attend toujours sa véritable réalisation.

Lui véritable militant de la décentralisation culturelle, de la désincarcération des esprits a imaginé une région qui n’est pas celle du régionalisme et nous permettons de citer ces paroles de Castan, socle de nos futurs :

Si j’étais régionaliste, cela voudrait dire que je suis enfermé et replié sur moi-même. Je dirais : je suis chez moi, dans ma région, en France, dans une France elle-même close, étrangère à l’étranger. Parler de nation et de régionalisme est suicidaire. Regardez ce qui advient en Yougoslavie, où s’exprime l’ethnisme le plus violent.

Être d’une région, se sédentariser, c’est se donner les moyens de voir le monde dans sa totalité. Il ne doit pas y avoir de chauvinisme occitan.

Nous mettons au service de tout le monde nos valeurs. Ces principes doivent nous empêcher de tomber dans l’ethnisme ou dans le nationalisme. Je suis contre l’identitarisme mais pour l’identité, contre le nationalisme mais pour la nation. C’est en opposant les singularités qu’on comprend la richesse de l’universel.

L’humanité n’est pas une fourmilière mais l’expression d’une diversité. La sédentarité n’est pas exclusive du mouvement. Elle est même plus universelle que le nomadisme. Le fait d’être de quelque part donne conscience que chaque homme est un centre du monde.

Quand je parle de décentralisation, ce n’est pas au nom d’une revendication locale, mais au nom de la nation. La nation exige qu’on prenne en compte la créativité dans chaque lieu. On confond décentralisation et régionalisation. Je suis totalement d’accord avec la régionalisation du point de vue socio-économique. Mais, culturellement, la décentralisation est tout autre chose. Le grand péché du Félibrige et du mouvement occitan est d’avoir posé les problèmes en termes de revendications locales, régionales, ou occitanes. Nous allons ensemble vers l’abîme, si ça continue. Si notre apport n’est pas fécond pour la nation française, il ne sera pas fécond pour L’Occitanie. L’erreur a été de poser le problème de l’Occitanie en tant qu’entité. L’Occitanie est une culture.

Castan part dans ses réflexions du plus profond de la littérature occitane, celle des troubadours et de ceux qui ont suivi le sillon. La fondation de l’Institut d’Études Occitanes avec Ismaël Girard et Max Rouquette permettra cette quête.

Dorénavant il sera fidèle à son engagement de tous les instants dans une lutte pour l’émancipation des individus et des cultures.

Il ne va pas à l’occitan par idéologie mais par amour absolu. Celui envers une littérature authentique et qui est un grand pôle culturel.

Il en a douté, puis il l’a expérimenté: « Ça m’a paru surprenant et j’ai mis longtemps à me persuader que je ne me trompais pas. »

Patiemment, humblement il va étudier, fouiller, rechercher, ressusciter les écrits occitans qui étaient alors à l’encan des mémoires.

« J’ai passé ma vie à chercher à comprendre ce qui s’était passé. Par exemple, à faire émerger une littérature du 17ème siècle que personne, même parmi les occitans, ne lisait plus. Seule, la littérature des troubadours avait été exhumée dans les débuts du siècle comme ça. On disait que la littérature des troubadours était importante sans qu’on puisse comprendre comment ils avaient transformé la vie de l’amour, comment ils avaient constitué la poésie occidentale. »

Poète, historien, comédien, penseur visionnaire depuis plus de cinquante ans, polémiste redoutable, il aura subi le dédain des imbéciles.

Sans éditeur, il deviendra artisan de ses pensées.

Lui aura toujours la jeunesse des troubadours, et la passion amoureuse pour les belles dames du temps jadis (Olympe de Gouges).

Ses recueils de poésie en occitan et en français balisent les routes.

Ses essais très nombreux (argumenteri, Olympe de Gouges, les manifestes de la décentralisation, ses carnets de route, ses villes sur la ligne y ) font de lui avec Bernard Manciet le grand orateur de l’occitanisme.

Il a écrit notre feuille de route :

« l’État est au service de l’homme. Je pense que ce doit être la conception du 21ème siècle. »

Il aura été l’homme de l’un et du multiple.

Gil Pressnitzer

Choix de textes

La déclaration de Nérac

Conscients du rôle qu’a joué la littérature en langue d’oc dans la tradition littéraire occidentale ;

Attentifs aux problèmes que pose sa renaissance en ce qui concerne notamment la réadaptation de la littérature traditionnelle de langue d’oc aux tendances de la littérature universelle d’aujourd’hui ;

Les écrivains de langue d’oc soussignés déclarent :

1. - L’importance d’une langue et d’une tradition de civilisation se mesurent non aux politiques de préservation (du type de Félibrige) qu’elles suscitent, mais a leur efficacité dans la pensée moderne, l’œuvre littéraire gardera toujours pour les écrivains d’Oc la prééminence par rapport à la langue d’oc comme fin en soi, ainsi que par rapport aux recherches philologiques qu’elle provoque comme telle ;

2. - Le culte et l’étude scientifique des traditions tels que les conçoit le folklore constituent des activités dignes d’intérêt, mais par nature distinctes de l’activité littéraire ;

3. - Les efforts visant à restituer à la pensée occitane son atmosphère d’unité, comme à normaliser et épurer tant les dialectes ou les graphies que les traditions populaires, trouveront en général l’appui et la confiance des écrivains de langue d’Oc ;

4. - Les cadres étroitement nationaux, régionaux, ethniques, se confirmant comme insuffisants à assurer le plein épanouissement spirituel des groupes humains et de leurs civilisations,

le nationalisme à base littéraire doit être déclaré révolu

la littérature de langue d’Oc devrait cependant trouver une source permanente d’inspiration dans une meilleure prise de conscience de l’héritage occitan ;

5. - Tenant compte, d’autre part, de l’appartenance politique, administrative, économique, sentimentale, des populations de langue d’Oc à un ensemble national complexe, et reconnaissant comme un fait d’évidence l’épanouissement de la littérature occitane à la période actuelle, en dépit d’une concentration accrue des activités nationales, les écrivains d’Oc renoncent, en tant qu’écrivains, à toutes revendications économiques ou politiques, qui ne tiennent pas compte des intérêts plus généraux que ceux de leur pays ;

6. - Étant bien précisé que les libertés actuelles de la littérature en langue d’Oc doivent être défendues et élargies par le pouvoir central comme part intégrante du patrimoine national, au même titre que toutes manifestations de la civilisation occitane ;

7. - Le régionalisme esthète ne correspond plus ni à l’interdépendance culturelle des pays de langue d’Oc, ni à la ruine aujourd’hui consacrée des mythes littéraires du Verbe et de la Beauté, le formalisme académique constitue en général une atteinte aux traditions de la langue d’Oc ;

8. - En revanche, par une interrogation constante des littératures françaises et étrangères, sans distinction de siècle ni de situation, et par l’interprétation des créations littéraires d’avant-garde, les écrivains d’Oc espèrent trouver en toutes circonstances une solution au renouveau de leurs traditions et un mode d’expression de valeur universelle ;

9. - Les écrivains d’Oc se déclarent, en outre, des plus sensibles, dans leur cœur et dans leurs œuvres, aux manifestations de tout groupe humain qui trouve dans sa conscience populaire une originalité d’ordre spirituel.

Soucieux avant tout du réalisme nécessaire au développement de leur littérature, les écrivains de langue d’Oc estiment que ce développement repose uniquement sur une contribution utile à tout le mouvement littéraire moderne.

Félix CASTAN

Bernard MANCIET

À Nérac, le 15 novembre 1956

Bibliographie

Manifeste multiculturel et anti régionaliste (Cocagne, Montauban 1984)

Argumentari (IEO, Tolosa 1994).
Œuvres complètes de Félix-Marcel Castan, Cocagne, Montauban

Photographie Patricia Huchot-Boissier, © phb.me