Henrich Heine
La modernité du lyrisme,
la couleur du sang
Avec moi se referme la vieille école du lyrisme allemand, et en même temps s’ouvrent les voies de la modernité du nouveau lyrisme allemand. Heine.
Heine n’a pour véritable égal et contemporain que Baudelaire. Tous deux sont des chantres de la modernité poétique. Tous deux admiraient et écrivaient sur les peintres de leur temps surtout Delacroix. Chacun d’eux était plongé dans l’amertume et le besoin, et haïssaient pareillement les bourgeois. Chacun d’eux ne se faisait guère d’illusion sur l’amour. Chacun d’eux maudissait les hommes et aimait avec passion l’humanité.
Chacun est mort en exil. Heine sera interdit en Allemagne, Baudelaire s’enfuira en Belgique. Leurs poèmes ne seront véritablement compris que bien après, et par eux deux le scandale est arrivé au milieu des panses bourgeoises et nationalistes. La beauté vénéneuse de leur poésie n’en finit pas de nous hanter.
Heine est un écrivain politique qui croira au bonheur de la révolution. Il est aussi l’enfant de la société industrielle naissante. Comme Baudelaire à partir de la médiocrité du présent, il transfigure la poésie. Il fait rendre gorge à la banalité du quotidien. Il est, dans la même source, baigné d’amertume, d’ironie, de joie parfois et aussi de pathos. L’art de Heine est là dans son extrême simplicité des mots, par ses résonances et ses rimes. Heine est déjà totalement chant dans ses poèmes. Dès les premiers poèmes, écrits alors qu’il avait 16 ans, l’écriture de Heine est portée par les ailes du chant.
Et c’est en 1821 qu’il marque d’une pierre blanche l’histoire de la poésie occidentale.
Heine est plus connu comme l’ange noir inspirant les musiciens romantiques allemands que par ses propres œuvres. Il aura été, et de loin, le poète allemand le plus mis en musique, bien avant Goethe. Car son chant est le Chant.
Schubert, - le Chant du cygn-, Schumann, -les Amours du poète et divers lieder-, Brahms, (dans la mort est la fraîche nuit), et tant d’autres ont suivi la musique chantante des poèmes de Heine. Mendelssohn, Grieg, Reger, Richard Strauss, Liszt, Cornélius,... Peu, très peu, et surtout pas Schumann peu enclin à l’ironie vénéneuse du poète, ont compris que derrière le lyrisme fluide de Heine se lovait une amertume absolue, un mal d’être de l’exilé. Sa Lorelei a des larmes amères et elle engloutit le corps de cette Allemagne qui voulait flotter dans l’inconscience. Heine, en faisant semblant de reprendre des formes poétiques populaires, dynamite en fait de l’intérieur l’imaginaire allemand : « Avec moi se referme la vieille école du lyrisme allemand, et en même temps s’ouvre les voies de la modernité du nouveau lyrisme allemand ». Là où l’on se réjouissait d’entendre les beaux chants d’un nouveau rossignol de la langue allemande se dissimulait un merle persifleur.
Sous le miel le fiel sourdait.
Ainsi:
« -Wenn ich in deine Augen seh’,
So schwindet all’ mein Leid und Weh ;
Doch wenn ich küße deinen Mund,
So werd’ ich ganz und gar gesund.
Wenn ich mich lehn’ an deine Brust,
Kommt’s über mich wie Himmelslust ;
Doch wenn du sprichst : ich liebe dich!
So muß ich weinen bitterlich.
"Quand je regarde au fond de tes yeux
toutes mes peines et mes douleurs s’évanouissent
Mais quand j’embrasse ta bouche
Là je deviens tout à fait guéri
Quand je me repose contre ta poitrine
il vient sur moi comme la joie céleste
mais quand tu dis : je t’aime
alors je dois pleurer amèrement. »
On peut croire à première lecture qu’il s’agit d’un poème d’amour heureux, mais le sens profond qui est l’éternel mensonge en amour apparaît et les larmes viennent de ces mots « je t’aime » qui sonneront faux jusqu’à la fin du monde.
« J’aime la mer comme une maîtresse, et j’ai chanté sa beauté et ses caprices. » et Heine qui souvent passe ses automnes près de la Mer du Nord a fait de sa poésie une marée d’images. Le flux et le reflux des eaux des origines. Ses amours malheureuses avec ses cousines Amélie puis Thérèse lui apprendront que l’amour cachait la mort et le mensonge (Buch des Lieder, 1827- Livre des chants)
Il reste le mouton noir de la germanitude, l’inclassable, le trop doué pour la musique absolue des mots, en fin l’être double : juif et converti, allemand et parisien, saint-simonien et bonapartiste, poète et journaliste. Il ; est aussi le poète dans une société mercantile, le pauvre au milieu d’une famille riche, vivant de l’aumône d’un parent, aristocrate par goût et démocrate par principe. « Allemand de naissance et Français d’éducation, rêveur et sceptique, amoureux et libertin ». Il ne sera que contrastes et il savait tout cela. Sa lucidité est bien « la blessure la plus rapprochée du soleil » dont parlait René Char.
Il doit assumer ses élans de révolutionnaire, sa condition de converti, lui le juif qui de Harry deviendra Heinrich.
Jalons de vie
Il était né à Düsseldorf le 13 décembre 1797, ville presque française à l’époque car occupée depuis 1806 jusqu’en 1814 par les Français, mais sa ville véritablement natale sera Hambourg où il vécut malheureux de 1816 à 1819, puis de 1825 à 1827. Délaissant son diplôme de docteur en droit, alors qu’il voulait exercer à Hambourg comme avocat, il préférera devenir européen allant dans diverses régions d’Allemagne, en Angleterre, en Italie, en France, en Pologne. Haï parce que juif, détesté parce que porteur des idées nouvelles, parce qu’internationaliste et progressiste, il sera l’homme à abattre des nationalistes allemands. Et il deviendra le poète le plus détesté de l’Allemagne surtout dans les années 1930 : le " « cochon de Montmartre », est l’artisan de la « désagrégation de l’art allemand », « il a déversé des baquets de purin nauséabond sur le christianisme. » et « trahi et outragé l’Allemagne de la façon la plus ignoble ».
Que Dieu me le pardonne ! Depuis douze ans, je suis discuté en Allemagne ; on me loue et on me blâme, mais toujours avec passion et sans cesse. Là, on m’aime, on me déteste, on m’apothéose, on m’injurie. Depuis presque quatre ans, je n’ai pas entendu un rossignol allemand.
Hitler lui-même interdira personnellement son œuvre et tous les livres de Heine furent jetés dans les brasiers allumés le 10 mai 1933. Près de quatre-vingts ans après sa mort. Mais même maintenant son œuvre suscite bien des réticences en Allemagne, sauf les poèmes ânonnés dans les écoles (Lorelei,...) et les cycles de lieder.
Il faudra attendre 1988 pour que l’université de Düsseldorf porte le nom du fils le plus célèbre de la ville. Mahler a connu un sort analogue avec Vienne. Dès son époque Heine fut vomi, ainsi par son contemporain Grabbe : « Heine est un petit juif maigre et laid, qui n’a jamais connu de femme, et compense tout cela par son imagination. Sa souffrance, aussi peu naturelle puisse-t-elle sembler, est peut-être réelle. Mais ses vers ne sont pas des poésies. De la masturbation ». Un juif ne pouvait pas faire de la beauté.
Cette haine pathologique du juif et du lyrisme sera le terreau du nazisme, le basculement du romantisme vers l’obscur précipitera la chute de l’Allemagne dans la barbarie qui était sous-jacente. Il prédit le noir à venir, la réalité de ce qu’il appelle « la misère de l’Allemagne », et donc la chute dans les forces obscures.
Curieusement l’état d’Israël ne le célébrera que récemment (2002), ne lui pardonnant pas sa conversion, lui le fils d’un juif orthodoxe et d’une mère issue d’une longue filiation de juifs érudits et libéraux. Le nationaliste et l’intégrisme n’ont pas de frontières, et les lumières disparaissent dans la fumée de l’intolérance. Pourtant Heine est l’un des grands poètes juifs avec Celan, Brodsky, Sachs,…
Sa conversion obligatoire le 28 juin 1825 au protestantisme, afin d’accéder à une fonction publique, sera une épreuve pour lui qui ne croyait qu’en l’avenir radieux de l’homme par les idées. Il devait échapper au ghetto du pays- Des villes comme Frankfort avaient bel et bien des ghettos en 1820. Le 18 août 1822, le roi de Prusse interdit toute présence de juifs dans l’enseignement et les sciences. Comme le dit Heine « leur patrie d’adoption allemande ne veut même pas autoriser les juifs à devenir fonctionnaires du roi de Prusse ou avocats, pour les changer du commerce de vieux pantalons ! »
Mais l’ironie ne sauve pas de la bêtise et Heine doit ruser. Il se convertit au baptême chrétien (allemand luthérien), mais cela ne servira à rien car il restera « le juif » aux yeux des autres. Et rejeté par sa communauté comme traître. Il finit par se haïr d’être juif, et aussi d’être allemand. « Tout ce qui est allemand me répugne [...] agit sur moi comme un vomitif. La langue allemande me déchire les oreilles. Parfois mes propres poèmes me dégoûtent quand je prends conscience qu’ils sont écrits en allemand. »
« Pour les teutomanes, ces vieilles Allemagnes, dont le patriotisme ne consistait que dans une haine aveugle contre la France, je les ai poursuivis avec acharnement dans tous mes livres ».
Voyageur il fut, attentif aux craquements des absolutismes, lui l’admirateur effréné de la révolution française. De cette révolution il ne voyait que les drapeaux et les tambours, pas la guillotine. Napoléon était la liberté incarnée, et de fait l’Allemagne en sera bousculée. Installé en France, car banni d’Allemagne dès 1831, il écrivit pour plusieurs journaux allemands. Il était devant cette marmite qu’était la monarchie de Juillet, et qu’il croyait être un laboratoire des idées à venir, une préfiguration de la modernité, dont il rêvait lui l’enfant des Lumières.
Il se disait le fils et l’amant de la Révolution Française sous laquelle il aurait été certainement guillotiné, lui l’oiseau libre et impertinent. Comme un papillon épris de liberté il venait se poser sur Paris où semblait se redéfinir la politique et le social du monde à venir, loin de ces Teutons pris dans leur haine baveuse issue du nationalisme.
Ses rares amis furent George Sand, Balzac, Musset. Il va épouser en 1843 après sept ans de liaison « une servante au grand cœur », petite vendeuse de son état, la très bigote catholique et très illettrée Eugénie Crescence Mirat, qu’il rebaptisa " « Mathilde ».
Je ne sais si elle a été vertueuse, mais elle a toujours été laide, et, en fait de vertu, la laideur, c’est la moitié du chemin.
Frappé de paralysie (une douloureuse sclérose latérale myatropique), dès 1848, il se traînera miséreux, presque aveugle, sans jamais avoir revu l’Allemagne sauf pour deux brefs séjours en 1843 et 1844. Prisonnier de son « lit tombeau », de son sarcophage il était figé dans la douleur. Mais cloué au lit, il écrivait surtout de la prose lucide et profonde, puis son ultime recueil Romancero (1851), qui semblait montrer un retour au Heine des années lyriques de 1822. Le corps était mort, mais son esprit scintillait encore. Le 17 février 1856 il mourut.
Il est enterré au cimetière Montmartre. Amer, en colère contre les hommes :
Le monde compte plus d’imbéciles que d’habitants.
Heine, le poète déchiré de l’Allemagne
Il a vu venir la plongée dans l’obscur de l’Allemagne et aussi de l’Europe.
Nous ne comprenons guère les ruines que le jour où nous-mêmes le sommes devenus.
Sans arrêt dans ses écrits reviennent par auto-citations, par thèmes récurrents, les fondements de son idée fixe : l’Allemagne est sur la voie de la régression, la France sur la voie de l’émancipation. Dans Germania, conte d’hiver, Lettres de Helgoland et Louis Börne, il condense ses idées et ses rancœurs. Une véritable obsession du sang et de la guillotine parcourt son œuvre. Sang non pas des victimes, dont il aurait fait partie, mais sang libérateur, émancipateur. La couleur du sang chez Heine a les couleurs d’un drapeau tricolore.
Son premier amour, Josepha était la rousse, très rousse, fille du bourreau de Düsseldorf !
Ces têtes coupées semblaient être le sacrifice nécessaire à la mort historique d’un monde pourri. Le tambour Legrand reprend cette imagerie d’Epinal de la révolution française et napoléonienne, comme le ferait un film de propagande des premières années soviétiques. Élève de Hegel il croyait que l’histoire a un sens. Mais il avait compris qu’une révolution ne ferait pas la révolution politique et sociale qu’il appelait de toutes ses forces. Les écrits du jeune Marx sont contemporains (1848) et moins pénétrants. Heine le lisait depuis 1843, il était son ami.
Friedrich Engels traduira ses poèmes en anglais.
Violemment anti-nationaliste allemand dans ses paroles et ses écrits, Heine a un rapport déchiré et déchirant avec son pays natal. Il aurait tant voulu être le médiateur entre les deux peuples allemand et français.
Profondément en lui, comme d’autres ont mal à l’âme, lui avait mal à l’Allemagne.
O Allemagne, mon lointain amour,
Quand je pense à toi, les larmes me viennent aux yeux.
La gaie France me paraît morose,
Et son peuple léger me pèse.
Seul le bon sens froid et sec
Règne dans le spirituel Paris.
O clochettes de la folie, cloches de la foi,
Comme vous tintez doucement dans mon pays !
Il me semble que j’entends résonner de loin
La trompe du veilleur de nuit, son familier et doux.
Le chant du veilleur vient jusqu’à moi,
Traversé par les accords du rossignol.
Il sera donc le poète de l’écartèlement, celui qui voit le mensonge et la trahison même dans les yeux embués de l’amour. Il est aussi la fermeture du monde romantique face à un pays en route vers son industrialisation et qui n’a pas de penchant pour les fées, plutôt pour le charbon. Heine assiste à la fin d’un monde, à la crispation des consciences, à la montée des fanatismes. Son lyrisme cristallin ne pouvait qu’être compris de travers, surtout que dans un deuxième sens toujours présent, Heine exprime son désespoir devant la comédie des apparences que sont les sentiments humains.
Heine, le poète visionnaire
Ne croyez pas que la lecture de Heine soit facile. Ses poèmes semblent se présenter comme des chants populaires, les enfants s’en emparent. Mais cela n’est pas lisse, derrière le cristal et les mots qui sonnent l’un contre l’autre se trouvent des fontaines bien étranges. Pour saisir sa magie ondoyante seule la lecture en allemand permet d’entendre sonner sa langue que le français alourdit.
Certes certains de ses poèmes semblent de nouvelles chansons populaires gorgées de lyrisme. Mais la plupart sont tissés d’allusions historiques, de légendes à connaître, de sous-entendus, et de doubles sens amers. C’est pourquoi Heine est délaissé, car sa lecture exige beaucoup de son lecteur. Et les nuages noirs des préjugés accumulés sur sa pauvre tête le rendent encore plus difficile à fréquenter. En plus il écrit dans des formes comme lui inclassables. Reisebilder- images de voyages - en est un exemple parfait, mélangeant la confession intime, le roman d’apprentissage, les haines et les amours dévoilés, la satire corrosive. Il faut bien connaître les recueils de chansons populaires allemandes comme le « Knabenwunderhorn » (le cor merveilleux de l’enfant), qui influença tant Mahler, dont Heine est si proche.
Cortège funèbre où l’on voit soi-même ou l’aimée, chasseurs, oiseaux qui vous comprennent, fleurs qui parlent.
Si l’on n’a pas en soi cette naïveté première Heine vous sera à tout jamais fermé.
Il est dans le romantisme finissant mais son rire amer retentit souvent au milieu des effusions lyriques.
Il dynamite en fait le romantisme littéraire, autant que le classicisme. Ses rapports plus qu’ambigus avec Goethe montrent son isolement et son originalité. Il reprochait aux romantiques l’impuissance de la forme, et la perpétuelle indétermination de leurs pensées. Les formes structurées, canonisées, du chant populaire, des légendes d’antan, mettaient ses mots en flots cohérents.
Il tord le cou au vaporeux romantisme en lui faisant prendre les droits chemins des vieux chemins oubliés. Il le ramène vers la lumière du classique. "Vous y verrez quels sons nouveaux je fais entendre et quelles nouvelles cordes je fais vibrer. J’ai subi de très bonne heure l’influence du chant populaire allemand et les mystères de la métrique". Heine va ressourcer, rafraîchir la poésie allemande en la trempant dans la rivière fraîche de la simplicité, de la simple musique des mots. Il voulait être pur et clair, cristallin et enfantin. Il avait sous estimé son amertume profonde qui va colorer ce bleu du ciel avec les zébrures de l’ironie. Il n’avait pas sous estimé sa passion profonde qui font retentir vrais ses poèmes.
Il préférera les formes brèves, les rimes qui sont bruit doux, les visions qui sont magies. Bien sûr il n’évite pas le lourd héritage du romantisme et il sombre parfois dans la mièvrerie. Mais il a des ailes et il s’envole toujours.
Heine réintroduit le paganisme et le Jadis dans le consensus chrétien de la culture occidentale. Ses poèmes seront sources d’influence pour le jeune Rilke. L’intrusion des bruits du monde réel dans la poésie, sa lutte pour la démocratie, en font un homme de la modernité, un frère cadet de tous les hommes.
Heine avait une philosophie de l’histoire, des pensées précises sur le monde à venir, l’amour du progrès et les nécessités presque messianiques des douleurs de l’enfantement de la modernité. Il savait aussi la faiblesse des hommes :
Je suis fermement persuadé que les ânes, quand ils s’insultent entre eux, n’ont pas de plus sanglante injure que de s’appeler hommes.
Heine représente l’honneur du poète et de l’intellectuel moderne.
Fils des lumières il les a fait monter parmi les autres :
« Mais quelle est la grande tâche de notre temps ? C’est l’émancipation, non pas seulement celle des Irlandais, des Grecs, des juifs de Frankfort, des noirs d’Amérique et autres populations également opprimées, mais celle du monde entier, et spécialement de l’Europe, qui est devenue majeure, et qui rejette aujourd’hui les lisières de fer des privilégiés, de l’aristocratie. Quelques renégats philosophiques de la liberté ont beau forger les chaînes des syllogismes les plus subtils, pour nous démontrer que des millions d’hommes sont créés pour être les bêtes de somme de quelques mille chevaliers privilégiés ; ils ne pourront nous convaincre, tant qu’ils ne prouveront pas, comme dit Voltaire, que ceux-là sont nés avec des selles sur le dos et ceux-ci avec des éperons aux pieds ».
Ce texte est de 1830 !
Émancipé il sera émancipateur. Il aurait pu rester un grand poète romantique, il sera un écrivain visionnaire :
Ceux qui brûlent des livres finissent tôt ou tard par brûler des hommes. Heinrich Heine
Gil Pressnitzer
Choix de textes
Traduire Heine c’est accepter de perdre la musique et l’amertume qui lui est propre, il faut bien s’y résoudre dans ces adaptations personnelles.
Der Tod, das ist die kühle Nacht,
Das Leben ist der schwüle Tag.
Es dunkelt schon, mich schläfert,
Der Tag hat mich müd gemacht.
Über mein Bett erhebt sich ein Baum,
Drin singt die junge Nachtigall ;
Sie singt von lauter Liebe -
Ich hör es so gar im Traum.
La mort voici la fraîche nuit
la vie est le jour lourd
Déjà il fait sombre, je m’endors
le jour m’a tant fatigué.
Au-dessus de mon lit se dresse un arbre,
un jeune rossignol y chante ;
il chante d’amours éperdus et sonores -
je les entends à peine dans mon rêve.
Fragen
Am Meer, am wüsten, nächtlichen Meer
Steht ein Jüngling-Mann,
Die Brust voll Wehmut, das Haupt voll Zweifel,
Und mit düstern Lippen fragt er die Wogen :
"O löst mir das Rätsel,
Das qualvoll uralte Rätsel,
Worüber schon manche Häupter gegrübelt,
Häupter in Hieroglyphenmützen,
Häupter in Turban und schwarzem Barett,
Perückenhäupter und tausend andere
Arme schwitzende Menschenhäupter -
Sagt mir, was bedeutet der Mensch?
Woher ist er gekommen ? Wo geht er hin?
Wer wohnt dort oben auf goldenen Sternen ?"
Es murmeln die Wogen ihr ewges Gemurmel,
Es wehet der Wind, es fliehen die Wolken,
Es blinken die Sterne, gleichgültig und kalt,
Und ein Narr wartet auf Antwort.
Questions
Près de la mer, prés de la mer déserte, nocturne,
Un jeune homme est debout,
La poitrine débordant de chagrin, l’esprit plein de doute ;
il interroge les flots avec ses lèvres assombries :
"Oh ! expliquez-moi l’énigme,
L’antique et douloureuse énigme,
Sur laquelle tant de têtes se sont penchées:
Têtes à calottes de hiéroglyphes,
Têtes en turban et barrettes noires,
Têtes coiffées de perruques et mille autres
Pauvres fronts humains baignés de sueur.
Dites-moi, la vie humaine a-t-elle un sens ?
D’où vient l’homme? Où va-t-il ?
Qui habite là-haut dans les étoiles d’or ?"
Les flots murmurent leur éternel murmure,
Le vent souffle, et les nuages s’enfuient,
Les étoiles scintillent, indifférentes et froides,
Et un fou attend une réponse.
In weite Ferne will ich träumen !
Da wo Du weilst.
Wo aus den schneeig hellen Räumen
Die Bäche in die Seeen schäumen !
Da wo Du weilst, da wo Du weilst !
Will mit Dir durch die Berge streifen !
Da wo Du weilst.
Wo auf dem Eisfeld Gemsen schweifen,
Im warmen Tale Feigen reifen !
Da wo Du weilst, da wo Du weilst !
Und heimlich will ich weiter lieben !
Wenn Du heimkehrst !
Es soll die Zeit mich nicht betrüben,
Wir sind dieselben noch geblieben !
Wenn Du heimkehrst, wenn Du heimkehrst !
Dans le loin lointain je veux rêver !
Là où tu demeures.
Là où surgis des lieux clairs
se jettent en écumant les ruisseaux dans la mer
Là où tu demeures, là où tu demeures !
je veux rôder avec toi dans les montagnes !
Là où tu demeures !
Là où sur les glaciers divaguent les chamois,
où dans les chaudes vallées mûrissent les figues !
Là où tu demeures, là où tu demeures !
Et en secret je veux continuer à t’aimer encore !
Dès que tu retournes !
Le temps ne devrait point m’affliger,
Nous restons les mêmes, inchangés !
Dès que tu retournes, dès que tu retournes !
Am Kreuzweg wird begraben
Am Kreuzweg wird begraben
Wer selber sich brachte um ;
Dort wächst eine blaue Blume,
Die Armesünderblum’.
Am Kreuzweg stand ich und seufzte ;
Die Nacht war kalt und stumm.
Im Mondschein bewegte sich langsam
Die Armesünderblum’.
Au carrefour sont enterrés
ceux qui se sont suicidés
Là pousse une fleur bleue
la fleur des pauvres pêcheurs.
Au carrefour je me tiens et soupire ;
la nuit était froide et muette.
Dans les reflets de la lune se balance doucement
la fleur des pauvres pécheurs.
Du bist gestorben und weißt es nicht,
erloschen ist dein Augenlicht,
erblichen ist dein rotes Mündchen,
und du bist tot, mein totes Kindchen.
In einer schaurigen Sommernacht
hab ich dich selber zu Grabe gebracht ;
Klaglieder die Nachtigallen sangen,
die Sterne sind mit zur Leiche gegangen.
Der Zug, der zog den Wald vorbei,
dort widerhallt die Litanei;
die Tannen, in Trauermänteln vermummet,
sie haben Totengebete gebrummet.
Am Weidensee vorüber gings,
die Elfen tanzten inmitten des Rings;
sie blieben plötzlich stehn und schienen
uns anzuschaun mit Beileidsmienen.
Und als wir kamen zu deinem Grab,
da stieg der Mond vom himmel herab.
Er hielt eine Rede. Ein Schluchzen und Stöhnen,
und in der Ferne die Glocken tönen.
Tu es morte et tu ne le sais pas
éteinte en un instant, pâlie ta belle bouche rouge,
et tu es morte, mon enfant morte.
Et dans une nuit d’été lugubre
je t’ai moi-même porté en terre,
les rossignols ont chanté des chants funèbres,
les étoiles sont venus avec moi sur ton cadavre.
le cortège, qui passait devant la forêt,
a repris les litanies;
Les pins encagoulés de tristesse,
ils ont bourdonné les prières des morts.
En passant par les prairies du lac
les elfes dansaient en rond;
ils se sont soudain figés et semblaient
portaient des visages de douleur.
Et quand nous arrivâmes à la tombe,
la lune se leva depuis tout le ciel,
et elle tint un discours. Un sanglot et un gémissement
et au loin les cloches résonnaient.
Wie kannst du ruhig schlafen
Wie kannst du ruhig schlafen,
Und weißt, ich lebe noch ?
Der alte Zorn kommt wieder,
Und dann zerbrech ich mein Joch.
Kennst du das alte Liedchen :
Wie einst ein toter Knab
Um Mitternacht die Geliebte
Zu sich geholt ins Grab ?
Glaub mir, du wunderschönes,
Du wunderholdes Kind,
Ich lebe und bin noch stärker
Als alle Toten sind !
Comment peux-tu dormir en paix
Comment peux-tu dormir en paix
et savoir que je vis encore?
La vieille colère revient encore,
et brise mon joug.
Connais-tu la vieille chansonnette:
comment jadis un garçon mort
a attiré dans sa tombe son aimée
à minuit?
Crois-moi, ma toute belle,
enfant merveilleuse,
je vis encore
et je suis plus fort que tous les morts !
Ich grolle nicht, und wenn das Herz auch bricht
Ich grolle nicht, und wenn das Herz auch bricht,
Ewig verlor’nes Lieb ! Ich grolle nicht.
Wie du auch strahlst in Diamantenpracht,
Es fällt kein Strahl in deines Herzens Nacht.
Das weiß ich längst.
Ich grolle nicht, und wenn das Herz auch bricht,
Ich sah dich ja im Traume,
Und sah die Nacht in deines Herzens Raume,
Und sah die Schlang’, die dir am Herzen frißt,
Ich sah, mein Lieb, wie sehr du elend bist.
Ich grolle nicht.
Je ne te maudis pas, mon coeur dût-il se fendre
Je ne te maudis pas, mon cœur dût-il se fendre,
mon amour perdu à jamais ! Non, je ne te maudis pas.
Tu as beau resplendir de l’éclat du diamant,
Aucun rayon ne perce la nuit de ton cœur.
Je le sais depuis si longtemps.
Je ne te maudis pas, mon cœur dût-il se fendre
je t’ai pourtant vu en rêve
j’ai vu la nuit dans l’espace de ton cœur
et j’ai vu le serpent qui te dévore le cœur,
j’ai vu mon amour, combien tu es tant misérable
Je ne te maudis pas.
Wenn zwei von einander scheiden,
So geben sie sich die Händ,
Und fangen an zu weinen,
Und seufzen ohne End.
Wir haben nicht geweinet,
Wir seufzten nicht Weh und Ach !
Die Tränen und die Seufzer,
Die kamen hintennach.
Quand deux se séparent l’un de l’autre,
ils se donnent la main,
et commencent à pleurer
et soupirent sans fin.
Nous n’avons pas pleuré,
nous n’avons pas soupiré de douleur et de peine!
Les larmes et les soupirs
sont venus dans le fond des nuits
Am fernen Horizonte
Am fernen Horizonte
Erscheint, wie ein Nebelbild,
Die Stadt mit ihren Türmen,
In Abenddämmrung gehüllt.
Ein feuchter Windzug kräuselt
Die graue Wasserbahn;
Mit traurigem Takte rudert
Der Schiffer in meinem Kahn.
Die Sonne hebt sich noch einmal
Leuchtend vom Boden empor
Und zeigt mir jene Stelle,
Wo ich das Liebste verlor.
La Ville
À l’horizon lointain
apparaît comme une image de la brume
la ville avec toutes ses tours
enveloppée dans l’ombre du soir.
Une brise humide frise
la nappe grise des eaux;
le batelier dans ma barque
rame en triste cadence.
Le soleil une fois encore
s’élève, éclairant le sol,
et me montre la place même
où j’ai perdu l’Amour.
Wo ich bin, mich rings umdunkelt
Wo ich bin, mich rings umdunkelt
Finsterniß so dumpf und dicht,
Seit mir nicht mehr leuchtend funkelt,
Liebste, Deiner Augen Licht.
Mir erloschen ist der süßen
Liebessterne goldne Pracht.
Abgrund gähnt zu meinen Füßen.
Nimm mich auf, uralte Nacht.
Là où je suis, me voici encerclé par le noir,
des ténèbres si sourdes et épaisses,
car pour moi, bien-aimé, tes yeux de lumière
ne donnent plus d’étincelles.
Pour moi se sont éteintes les douces étoiles d’amour
dans la nuit dorée.
L’ abîme s’ouvre sous mes pas
Nuit éternelle engloutis-moi!
Ein Jüngling liebt ein Mädchen,
Die hat einen andern erwählt;
Der andre liebt eine andre,
Und hat sich mit dieser vermählt.
Das Mädchen heiratet aus Ärger
Den ersten besten Mann,
Der ihr in den Weg gelaufen;
Der Jüngling ist übel dran.
Es ist eine alte Geschichte,
Doch bleibt sie immer neu;
Und wem sie just passieret,
Dem bricht das Herz entzwei.
Un jeune homme aimait une jeune fille
qui en épousa un autre
l’autre en aimait une autre,
et s’était fiancé avec.
De colère la jeune fille épousa
le premier venu
qui lui plut en chemin
Le jeune homme en est meurtri.
C’est un bien vieille histoire là,
mais elle est toujours nouvelle; et quand elle vient juste de vous arriver
votre cœur éclate en deux.
Schöne Wiege meiner Leiden
Schöne Wiege meiner Leiden,
schönes Grabmal meiner Ruh’,
schöne Stadt, wir müssen scheiden, -
Lebe wohl ! ruf’ ich dir zu.
Lebe wohl, du heil’ge Schwelle,
wo da wandelt Liebchen traut;
lebe wohl! du heil’ge Stelle,
wo ich sie zuerst geschaut.
Hätt’ ich dich doch nie gesehen,
schöne Herzenskönigin !
Nimmer wär’ es dann geschehen,
daß ich jetzt so elend bin.
Nie wollt’ ich dein Herze rühren,
Liebe hab’ ich nie erfleht ;
nur ein stilles Leben führen
wollt’ ich, wo dein Odem weht.
Doch du drängst mich selbst von hinnen,
bittre Worte spricht dein Mund;
Wahnsinn wühlt in meinen Sinnen,
und mein Herz ist krank und wund.
Und die Glieder matt und träge
schlepp’ ich fort am Wanderstab,
bis mein müdes Haupt ich lege
ferne in ein kühles Grab.
Joli berceau de mes souffrances
Joli berceau de mes souffrances,
Belle tombe de mon repos,
Chère ville, nous devons nous séparer-,
je te dis adieu pour toujours !
Adieu, ô seuil sacré
Que passait ma tendre amie
Adieu, lieux sacrés,
Où je la vis la première fois.
Ah! si je pouvais ne t’avoir jamais vue,
Belle reine de mon cœur !
Jamais cela ne serait advenu
que je sois si misérable maintenant
Jamais, je n’ai voulu toucher ton cœur
Jamais, je n’ai imploré ton amour ;
Je ne demandais qu’à vivre en paix,
Là où passe ton souffle.
Mais tu me chasses de ces lieux,
Ta bouche me jette des mots amers,
La folie vient s’enfouir dans mes sens
Et mon cœur est malade et blessé.
Avec mes membres si las et endormis
je me traîne appuyé sur mon bâton de voyageur
jusqu’enfin je puisse poser ma tête
loin dans une tombe froide
Der Doppelgänger
Still ist die Nacht, es ruhen die Gassen,
In diesem Hause wohnte mein Schatz ;
Sie hat schon längst die Stadt verlassen,
Doch steht noch das Haus auf demselben Platz.
Da steht auch ein Mensch und starrt in die Höhe
Und ringt die Hände vor Schmerzensgewalt;
Mir graust es, wenn ich sein Antlitz sehe -
Der Mond zeigt mir meine eigne Gestalt.
Du Doppelgänger, du bleicher Geselle !
Was äffst du nach mein Liebesleid,
Das mich gequält auf dieser Stelle
So manche Nacht, in alter Zeit ?
Le double
Silencieuse est la nuit, les rues se reposent
dans cette maison vivait mon amour,
elle a depuis longtemps quitté cette ville
mais la maison se dresse encore à la même place.
Là aussi est un homme, il regarde vers le haut
il tord ses mains avec la force de la douleur;
L’horreur me saisit quand je vois ces traits
la lune me montre mes propres traits.
O toi, mon double, mon camarade blafard!
Qu’as-tu donc à singer ma peine d’amour,
qui m’avait tant torturé sur ces lieux mêmes,
tant et tant de nuits, dans les temps anciens ?
Das ist ein Brausen und Heulen,
Herbstnacht und Regen und Wind;
Wo mag wohl jetzo weilen
Mein armes, banges Kind?
Ich seh sie am Fenster lehnen
Im einsamen Kämmerlein;
Das Auge gefüllt mit Tränen,
Starrt sie in die Nacht hinein.
Quel bruit quel hurlement,
nuit d’automne et pluie et vent;
où peux-tu maintenant demeurer
mon pauvre enfant apeuré?
Je la vois appuyée à sa fenêtre
dans la petite chambre solitaire;
les yeux emplis de larmes,
fixant le fond de la nuit.
Aus meinen Tränen sprießen
Viel blühende Blumen hervor,
Und meine Seufzer werden
Ein Nachtigallenchor.
Und wenn du mich lieb hast, Kindchen,
Schenk ich dir die Blumen all,
Und vor deinem Fenster soll klingen
Das Lied der Nachtigall.
De mes larmes sont écloses
beaucoup de fleurs fleuries
et mes soupirs sont devenus
un choeur de rossignol.
Si tu m’aimes, petite enfant,
je t’offre toutes les fleurs
à ta fenêtre va résonner
le chant du rossignol.
Bibliographie
Bibliographie sommaire en français
Poèmes et légendes, Seuil (1997) Collection : L’école des lettres
Autres titres plus ou moins trouvables
De la France
Livre des chants
Ludwig Börne suivi de Ludwig Markus
Nuits Florentines
Poèmes Tardifs
Romancero
Tableaux de voyage
Les nuits florentines - Suivi de Le rabbin de Bacharach et de Les mémoires de M. de Schnabéléwopski
Nouveaux poèmes -
L’intermezzo