Jacob Glatstein
Celui qui témoigne pour le témoin
Qu’est-ce donc la poésie ? En face de la destruction totale d’un peuple, de la mise en œuvre systématique et froide des chambres à gaz, du massacre de toutes les familles juives, l’effacement de l’ensemble d’une généalogie de juifs, de toute l’histoire des familles - que peut alors la littérature ?La poésie est la tentative de combattre cela, de le conjurer en quatorze lignes d’un sonnet ou de crier, de hurler, de rugir pas à pas pour faire s’ouvrir toutes les fenêtres fermées.
(Jacob Glatstein « Ada Jackson »)
Avec ses « mots qui dansent dans la nuit », Jacob Glatstein a désavoué la terrible parole de Paul Celan « Nul ne témoigne pour le témoin ». Lui a témoigné pour ceux qui réduit en cendres ne parleront plus jamais.
Jacob Glatstein émigré très tôt en 1914 aux États-Unis et parfaitement intégré à la vie sociale et littéraire américaine, animateur d’un mouvement poétique yiddish, a lors d’un voyage en Pologne en 1934 entrevu la profonde détresse des juifs polonais. Lui le natif de Lublin a compris très vite la mise en marche de la machine de mort.
Aussi il va abandonner sa poésie personnelle et formaliste pour devenir « seulement une voix », celle des victimes de l’atrocité de la Shoah.
Délaissant ses introspections il devient la parole prophétique, puis le grand témoin du Génocide, celui qui a écrit les lamentations pour les millions de morts juifs.
Grâce à la merveilleuse et infatigable Rachel Ertel un recueil de 58 poèmes « Seulement une voix », choix de poèmes issus de trois recueils : Foun main gantzer ni (1919-1956); Kh’tou dermonen, New York, 1967 ; Guezanguen foun rechts tsou links, New York, 1971 a permis de lire enfin en France ses poèmes..
Celle qui nous a appris tant de paroles oubliées du yiddishland, qu’elle traduit à la source depuis sa langue maternelle, « ces incorporelles paroles porteuses de ce qui ne s’efface jamais, vrillé dans la mémoire », l’a restitué dans une langue de poète comprenant les poètes.
Et ses terribles paroles, qui défient, haranguent Dieu, l’accusant de ne pas avoir su ou voulu sauver son peuple, sonnent comme des brûlots prophétiques :
Sans Juifs il n’y aura pas un Dieu Juif.
Si nous sommes effacés de ce monde
La lumière dans ta pauvre tente s’éteindra
Par des millions se comptent nos têtes mortesAutour de toi les étoiles s’éteignentTon règne bientôt se terminera.
Et par lui la poésie yiddish se survit, vivante malgré les désastres, malgré le peuple massacré par Hitler, malgré les écrivains liquidés par Staline en Sibérie ou ailleurs.
Les poèmes de Glatstein sont uniques dans la poésie dite du désastre. Ils ne sont pas une longue suite de plaintes et de lamentations ni un bloc minéral comme chez Paul Celan. Écrits pendant la guerre ils ne sont aucunement prières, mais souvent imprécations. Ce ne sont pas les témoignages d’un rescapé, ce qu’il ne fut pas, mais les demandes d’explication à la face de Dieu.
Même si Dieu et les anges arrivent toujours trop tard et qu’à chaque fois Isaac est sacrifié.
Pourtant il maintient le dialogue avec Dieu.
«Même au fond du caniveau je vais chanter des louanges à Toi, ô Seigneur, même dans le caniveau ».
Il met sous le boisseau le pathétique et l’humour grinçant qu’il pratiquait dans ses poèmes d’avant la guerre. Lui déjà célèbre comme poète yiddish en terre américaine, et le premier à avoir écrit en vers libres des poèmes en yiddish, deviendra après la Shoah l’un des plus admirés et les plus lus, comme une gloire nationale. Il avait révolutionné la langue yiddish en introduisant tous les acquis des poésies contemporaines en son sein, mais il demeure parmi nous par ses bouleversants poèmes sur l’extermination des juifs commencés dès 1938, car lui pressentait, avant beaucoup, le désastre à venir.
Et abandonnant ses modernismes et ses recherches il va dans une langue presque traditionnelle, très appuyée sur les références bibliques, témoigner pour les témoins qui n’auront pas pu parler ni dire, massacrés dans l’indifférence du monde.
Il ne s’attendrit pas, il est fraternel, seulement une voix qui s’élève et dit.
Il semble contempler les assassins avec ses yeux qui ont plus de 5000 ans et qui se souviennent. Il a connu le « Hourban », (la destruction totale, la catastrophe), mot employé par les survivants.
« Tué, je vivrai !» semble-t-il proclamer après le psalmiste. Et la terre qui a bu tout le sang se souvient de tout le sang et ne recouvre pas les paroles. Jusqu’à la fin des temps. Ni consolation, ni pure lamentation, simplement chant douloureux, et violent souvent, pour
Glatstein aura comme foi ultime celle « de la religion de la bonne mémoire » (Manès Sperber).
Et il est le souvenant du peuple yiddish parti en fumée. « Je me rappellerai » sera sa mission. Sa prière, ses lamentations.
…La lumière du ciel est passée
toute une Bible s’assombrit et se tait.
Tout un pays est un pays dévasté.
Des millions marchent et parmi eux
mon père avec ses yeux spirituels,
mon frère Benjamin
derrière mon père, avec son amour confiant,
avec femme et enfant.
Et séparément ils marchent à grands pas
dans les chemins de mes rêves,Passent à côté, passent dans la mort,
et déchirent tout mon rêve
comme une toile d’araignée.
Ces séparations, ces petites destructions aussi,
cela monte en moi et me déchire,
je dois me rappeler.
Il le fera dans sa langue maternelle « à la face de cire, avec ses blessures de douleurs, ses yeux mi-clos. Cela, je dois me le rappeler aussi. »
De l’introspection à l’imprécation
Jacob Glatstein est né à Lublin en Pologne le 20 août 1896, alors sous occupation russe, et mort à New York le 19 novembre 1971.
Glatstein était le descendant d’une longue lignée de rabbins du côté de sa mère, mais la famille était aussi marquée par l’ouverture vers les « Lumières », plus que vers le judaïsme orthodoxe
Son père était musicien et Glatstein toute sa vie gardera un grand intérêt pour la musique. Jusqu’à 16 ans, il reçoit une vaste éducation religieuse traditionnelle, Bible, Talmud, commentaires, mais aussi laïque en privé.
Son père l’ouvre alors à la culture yiddish moderne et lui fait découvrir les grands auteurs yiddish comme Peretz, Cholem Aleikhem. Émerveillé, Jacob Glatstein commence à écrire lui aussi en yiddish.
L’antisémitisme étant de plus en plus virulent à Lublin, la famille décide en 1914 de l’envoyer aux États-Unis et il s’installe à New York chez un oncle. Il apprend vite l’anglais.
Là il va exercer bien des petits métiers manuels, dans des « ateliers de la sueur », avant d’obtenir une bourse qui lui permet en 1918, d’entrer à la Faculté de droit à New York, mais il abandonne ses études après plusieurs échecs aux examens, pour suivre une carrière d’écrivain yiddish. Il se marie en 1919 avec Nette.
La rencontre avec les grands écrivains juifs américains écrivant en yiddish comme Moshe-Leib Halpern et H.Leivik l’encourage dans sa voie, et il écrit frénétiquement poèmes, romans, nouvelles, critiques dans les journaux pour gagner sa vie, lui qui n’aimait pas le journalisme.
En 1920, émerge autour de la revue new-yorkaise In Zikh (En soi) (1920-1940), le groupe des « introspectionnistes » qui font paraître le manifeste du mouvement : ils prônent le vers libre, et introduisent des thèmes non-juifs dans la poésie yiddish, « reflétant la croissance urbaine et l’âge du jazz ». Ces intellectuels pensent que « le monde n’existe que dans la mesure où il se reflète dans le « moi » du poète ; ce dernier, par l’acte poétique, révèle le monde authentique. » Glatstein est l’un des chefs de file de ce mouvement littéraire d’avant-garde qui révolutionne la langue yiddish.
Il cherche à en renouveler le vocabulaire, et propose de nouveaux rythmes, créant une prosodie inédite en yiddish.
Il prône une langue proche de la langue parlée, par-delà les catégories du bien et du mal, du beau et du laid.
Le manifeste du groupe dit que « Le monde existe et nous en faisons partie. Mais pour nous le monde existe tel qu’il est reflété en nous, tel qu’il nous touche… Il ne devient réalité qu’en nous et à travers nous. » Ironie tragique de l’histoire, au même moment en Allemagne des aspirations similaires émergent aussi dans la peinture et la poésie, comme l’expressionnisme.
Il revient en Pologne, en particulier dans sa ville natale en 1934 pour rendre visite à sa mère mourante, et Lublin qu’il ne reconnaît pas. Il pressent la montée des périls pour les juifs et les discours nazis le glacent. Dorénavant, après ce choc immense où il découvre que les enseignements des Lumières ont disparu, il lance des cris d’alarme dans ses recueils de poésie sur la Shoah en marche, face à un monde indifférent ou complice. Son ouverture au monde est brisée.
Il passe de l’introspection à l’imprécation. Et dans ses poèmes, hélas visionnaires, de 1938 et 1939, son écriture change pour avoir des accents bibliques et il redevient le tribun de son peuple face aux assassins, non pas docile comme Job, mais en colère comme Jérémie.
Il sera le pleurant des rues vides des villages juifs, des morts, des souffrances, du monde sans humanité. Il devient le porteur des cendres.
Il est, comme d’autres, passé de « ses mélodies personnelles » à l’incarnation de la destinée collective de son peuple.
Seulement une voix, mais une voix qui toujours se souvient
La poésie est un silence organisé. (Glatstein)
Vision noire et musique déchiquetée des mots afin de rendre compte de « la vie juive désolée » dans ses poèmes de douleur et d’imprécation, recherche de nouvelles sonorités et de nouveaux territoires dans ses poèmes de jeunesse, Glatstein est l’un des poètes yiddish les plus considérables, les plus novateurs, allant très loin dans l’expérimentation des mots.
Écrivant exclusivement dans sa langue maternelle, se refusant à l’anglais, il a marqué sa génération, fondant un groupe poétique mettant en avant l’introspection.
D’ailleurs son premier livre paru en 1921 est comme une profession de foi : son titre est son propre nom, comme l’avait fait Maïakovski un peu plus tôt.
Il va partir à l’exploration de ses mondes intérieurs et les dévoiler au monde. Dans cette période virtuose il révolutionne la poésie traditionnelle yiddish et ses habitudes, voulant la hisser au niveau des tentatives poétiques contemporaines comme T.S Eliot, Ezra Pound.
Il ouvre toutes les fenêtres des mots yiddish au monde environnant sans jamais perdre sa judaïté. Il jongle, manipule les mots, les distord, et s’amuse à mélanger le monde ashkénaze et le monde séfarade en faisant entrer le ladino dans ses vers. Il fait de la poésie yiddish un langage de l’avant-garde.
Il ne s’enfermait pas dans le ghetto de la littérature yiddish, mais en brandissant la langue de ses pères il combattait la barbarie.
Je ne connais pas de meilleure parade contre l’enfermement dans une vie de ghetto que d’écrire en yiddish.Dans cette frénésie verbale, Glatstein n’opère pas un jeu verbal gratuit, mais veut lancer une sorte de défi violent au monde. Son « introspectivisme » est une quête à la fois de la modernité et de lui-même.
L’autre versant de l’art de Jacob Glatstein, qui de 1919 à 1938 sera son univers, celui du mouvement d’introspection au sein du courant In Zikh (en soi) ne sera pas iciapprofondi, si ce n’est par cette profession de foi éclairante:
En notre temps de millions de massacrés, de tant d’âmes errantes sans rédemption, quand la science est discréditée, le poète est laissé seul avec la poésie, seul avec son art comme une lanterne dans les sombres corridors labyrinthiques de la vie. Il doit se tourner vers lui-même, à l’intérieur de lui-même s’il veut faire émerger quelques réponses de la vie, comme une résolution, une consolation. (Jacob Glatstein, In Zikh, 1920).
Dans cette démarche poétique Glatstein va s’attacher aux mots, les transfigurant pour en faire des choses, les répétant jusqu’à leur faire perdre leur signification première. Tout va être basé sur le travail du mot.
Les mots - poussièresLes mots galopent dans le royaume de la mélodiesur des chariots dorésUn mot fait son nid dans ma tête et caresse mes cheveuxun mot joue avec l’ombre sur le mur, s’émiette et se pareDe tons de soleils lumineux et de lunes froidesFenêtres noiresFenêtre morteFenêtre inerteInerte fenêtreNoire - NoireNoireSeulementUn mot danse dans le noirEt alorsComme le ballon d’un enfant iléclate sur le carreau humideOù le soleil est venu mourir, juste avant (traductrice Régine Robin).
Glatstein se laisse prendre au vertige de la fascination des mots, jouant sur les onomatopées, les allitérations, les répétitions, les néologismes.
C’est tout un travail révolutionnaire sur la langue yiddish qui est ainsi effectué. Il l’effectue pour « sauver » la langue yiddish contre la force de l’assimilation de l’anglais, et le maintien dans le conformisme signerait pour lui la mort de cette langue qui devait s’ouvrir au monde, quitte à s’opposer véhémentement à l’hébreu.
« Son royaume, c’est la langue, c’est le yiddish, c’est le mot yiddish, et si cette langue disparaît il n’a plus de place en tant que poète. » (Régine Robin).
Tu n’es pas seulement ma langue maternelleLa langue de mon berceauMais le sceau même de mes souvenirs.
Pourtant il arrivera même à souhaiter que sa langue « grand-mère » disparaisse, car tout dans ce monde se salit et se dégrade et le yiddish, langue du rêve n’a plus sa place.
Mais c’est en endossant le rôle de prophète du peuple juif massacré que Jacob Glatstein va demeurer comme une des voix essentielles de son siècle.
Son retour en Pologne 20 ans plus tard lui montre l’étendue de l’horreur en marche et il abandonne ses recherches esthétiques pour témoigner et alarmer. La réalité de la vie juive en Pologne, et en particulier dans sa ville natale, ainsi que la « Nuit des longs couteaux » en Allemagne en juillet 1934, le persuadent de devenir l’écrivain en état d’alerte pour son peuple. L’étendue de l’antisémitisme en Europe lui fait dire que « le monde entier est notre ennemi. », soit par malfaisance, soit par indifférence.
Il conserve sa virtuosité verbale, son talent de magicien du verbe, mais au service d’un retour à la tradition.
Dans son poème le plus célèbre « Bonne nuit, monde » il règle son compte avec le monde puant, aux oppresseurs à qui jamais il ne pardonnera. Même si pour honorer son peuple martyr il va utiliser des formes plus traditionnelles faisant des emprunts aux prières et aux textes bibliques comme les Psaumes. Il va interpeller le monde et Dieu, ne pardonnant ni à l’un ni à l’autre, assumant un rôle de prophète, hurlant que l’anéantissement des juifs n’a pas fait mourir la langue yiddish.
Cette « langue de personne » (Rachel Ertel), aura recouvert le puits de la mort. Il est dans un rejet total de cette culture européenne qui ne donne que les fours crématoires. Il est révolte, lui écartelé entre l’assimilation et la vie traditionnelle qu’il rejette toutes deux.
Glatstein a souvent « une langue qui vole en éclats pour faire voler en éclat le monde » :
Monde géant, monde puant,Ce n’est pas toi c’est moi qui fais claquer la porte.Avec la longue houppelande,Avec l’étoile jaune en feuAvec mon pas orgueilleux,…Je t’embrasse, vie juive écheveléeEt laisse-moi pleurer la joie de revenir.
Ce poème extraordinaire de refus absolu, de rage et de colère, claque dans le monde indifférent pour le réveiller.
Seulement une voix, mais une voix qui toujours se souvient. Et qui accuse :
Les cadavres ne chantent pas les louanges de Dieu
La Torah nous l’avons reçue au Sinaï
et à Lublin nous l’avons rendue
Les cadavres ne chantent pas les louanges de Dieu
Glatstein est « le souvenant » qui jamais ne pardonne le massacre de tous ces corps fusillés, calcinés, aux cendres dispersées. Il hurle pour briser le silence. Il met Dieu en demeure qui par absence ou négligence a laissé perdre six millions d’êtres de son peuple. Avec des accents poignants, orgueilleux et désespérés à la fois. L’amertume est plus forte que la plainte chez Glatstein.
Jacob Glatstein est l’un des grands poètes d’après le génocide, il s’identifie au rescapé, au survivant, au témoin pour qui il témoigne.
Il va devenir la voix de tous, un poète national d’un peuple dans « la langue de personne » désormais.
Il va se cogner contre « le mur pierreux de l’éternité » et Jacob Glatstein, un des grands poètes de ce temps, malgré de nombreuses traductions en anglais, n’a pas réussi à s’imposer au public américain, et ses locuteurs capables de le lire en yiddish s’en vont peu à peu.
Glatstein avait compris que son sort comme poète yiddish, dans une langue juive, était indissociable de celle de ses locuteurs.
Par la cheminée du four crématoire
un juif aspire vers la sainteté de l’UnEt quand la fumée de son corps se dissipeSa femme et ses enfants s’infiltrent dedans.
Et là-haut, dans le ciel pâle, Les Esprits saints gémissent.
Gil Pressnitzer
Sources:
Seulement une voix traduit par Rachel Ertel
Le Monde Yiddish: Littérature, chanson, arts plastiques, cinéma - Une légende à vif. Par Charles Dobzynski
Être juif Manès Sperber
l’Amour du yiddish. Écriture juive et sentiment de la langue. Régine Robin, Paris Le Sorbier. 1984.
American yiddish poetry Benjamin and Barbara Harshav,
Choix de textes
La langue de Jacob Glatstein nous a été restituée d’abord par Charles Dobzynski, puis par Rachel Ertel, qui directement à partir de leur langue maternelle, le yiddish, et de leur talent de poètes, ont su faire vivre légitimement la poésie de Glatstein.
Il existe des traductions en anglais et c’est à partir de celles-ci que quelques adaptations personnelles ont été tentées.
Elles ne viennent qu’en complément.
SEULEMENT UNE VOIX
Je me ferai pour toi - seulement une voix
pour ne pas que t’effraie le silence des ossements
dans la vallée des brûlés et des cendres.
Mes paroles viendront à toi
avec la joie de la révélation
éveil luminescent du chant.
La cloche rouillée du temps
ne les a pas assourdies
ni leur mélodie ni leur sens.
Incorporelles paroles
porteuses
de ce qui ne s’efface jamais
vrillé dans ta mémoire.
Écoute la voix.
Joie faite des maillons de nostalgie et d’absence.
Gerbes de flammes
nostalgie - absence des souches
et de leur joie de leur joie.
Traduction Rachel Ertel
BERCEUSE Mon chant dans tes os
fond comme la première neige.
Dans tes yeux-étoiles
s’allume une ancienne joie.
Risette, mon enfant
chansonnette ma tristesse.
Sept soleils se lèvent
sur la vieille muraille.
Le shabbat pleure profané
sur la cime des arbres.
À chaque coin de rue sombre
mendient des mendiants morts
Fais silence, mon enfant,
fais dodo ma miette.
Sur le vide de ton assiette
danse un poisson d’or.
Les étoiles des lointains chemins
éclairent la marche de ton père
La lune est son trésor
dans sa fuite nocturne.
Dodo mon enfant,
baisers sur tes yeux.
Traduction Rachel Ertel
CI-GISENT
tous ceux qui parlaient
tous ceux qui bégayaient
tous ceux qui se taisaient
ils sont tous rassemblés ici.
Même
leur mortalité est éphémère.
Les épitaphes ne sont compréhensibles
et claires
que pour une génération d’amour.
Le deuil y dort dans un nid de serpents
et lui aussi oublie oublie.
Non
aucun d’entre eux ne faisait grand bruit
mais dans leur sommeil ils sont tous
les martyrs de la vie.
Même
les plus sages n’avaient pas compris la quintessence
ils se sont dissous en fumée.
Les jours
se lèvent comme des éternités sur les ossements.
pour les enfants - souvenir
pour les enfants des enfants - vague vestige
incompréhensible inquiétante peur.
Ramasse un brin d’herbe
fuis.
Trouve un vivant et ordonne-lui
de croire à la résurrection.
Traduction Rachel Ertel
Le messager
Le messager vient à l’aube
de haillons couvert
de morsures de chiens.
Le messager est muet.
Il lave à la source ses plaies
Bientôt pansées
Et regarde.
Son message
Dans les aubes les plus tristes
Est d’annoncer sans paroles
La joie.
La rue est morte, une fille folle
assise sur un tonneau
hurle de rire.
Un vieux gardien sourd somnole
au seuil d’une maison en poussière.
Le messager ne peut de son sommeil le tirer.
La fille folle ouvre la bouche et jure.
Le messager fuit
poursuivi par les terreurs d’un monde mort.
Traduction Rachel Ertel
Nocturnes (troisième partie)
Que sommes-nous désormais
un peuple, une race, une foi ?
Si quelqu’un te demande
qui sont ces hommes
allant par le monde
porteurs de cendres muettes
le long des routes la nuit
que signifient ces visages
brouillés indistincts
dis-lui :
nous sommes une secte une secte de deuil.
Cohortes endeuillées
nous allons -
martèlement d’affliction.
Aux yeux du monde
cortèges funéraires
qui viennent
procession sur procession.
Fusillés calcinés
noyés dans la chaux
cendres dispersées et labourées
en lentes processions
inondent le monde.
Nous sommes les souvenants
qui refusons l’oubli
escortes de millions de morts.
Un enterrement sans fin
sans fin.
Nous n’avons pas de rituel secret.
Toutes les souffrances sont révélées.
Si quelqu’un te demande
dis-lui et raconte :
nous sommes une secte
une secte de deuil.
Nous n’avons pas fini de pleurer les morts
pour penser à sanctifier la vie.
Nous croyons :
quand sera tarie la dernière larme
le dernier cri
alors seulement viendra la première nuit
et viendra le jour -
le premier jour.
Traduction Rachel Ertel
Ici je ne suis jamais venu
J’ai toujours cru
qu’ici j’étais déjà venu.
Chaque année de ma vie élimée
j’ai réchauffé des parcelles
de mondes évanouis.
Je reconnaissais le souvenir de visages et de sourires
et même père et mère n’étaient pour moi
que fresques nostalgiques d’antan.
Je foulais les vieilles sentes cruelles
et entre les rives de l’histoire
je louvoyais.
J’ai toujours cherché les merveilles
que recelait la mémoire
et la clameur du passé
venait timidement éclater en bulles
dans le présent
J’ai cru
qu’ici jadis j’étais déjà venu.
Mais les dernières années-lambeaux
avec leurs morts dénaturées
sont mes propres jours et nuits -
destinée bossue
que ma vie a ourdie pièce à pièce.
Pensée figée
champs calcinés
mappemondes constellées de cimetières
silence-épouvante
signes de joies maléfiques -
réminiscence de nulle part.
Cela je ne l’ai jamais vu.
Ici je ne suis jamais venu.
Sois à jamais muet monde mort
nourri du silence de ta dévastation.
Déjà éclosent tes parures fanées
tes fondements se construisent
sur le sang répandu.
Les morts pleurent dans les minuits
en ruissellement de voix
en flammèche vacillante
sur chaque tombe une prière
chacun pour-soi seul :
je suis moi
pleurent dans la nuit
les exterminés par milliers.
Je suis le mort sans souvenance
mon sang est sans rachat.
Tombes semées à l’infini
jamais je n’ai vu une telle moisson.
Mes jours et mes nuits pleurent les noms.
Ici je ne suis jamais venu.
Traduction Rachel Ertel
BONNE NUIT, MONDE.
Bonne nuit, vaste monde,
Monde géant, monde puant,
Ce n’est pas toi c’est moi qui fais claquer la porte.
Avec la longue houppelande,
Avec l’étoile jaune en feu
Avec mon pas orgueilleux,
A mon propre commandement
Je retourne dans le ghetto,
J’efface et foule toutes les traces d’apostasie,
Louange ! Louange ! Louange !
Vie juive bossue,
Monde, j’abjure
Ta culture d’impureté
Et bien que tout soit dévasté
Je cherche la poussière en ta poussière
Vie juive désolée.
Allemand porcin, Polak exécrable,
Vieux pays voleur de beuverie et de mangeaille,
Loqueteuse démocratie avec tes froides
Compresses de sympathie !
Bonne nuit, monde insolent, monde électrique,
Je retourne à ma lampe, à la cire des ombres.
Octobre éternel, étoiles malingres,
A mes rues tordues, mes lanternes bossues.
Mes parchemins usés, mes saints grimoires,
Mes Halakhas, mes sévères
Principes, vers les lumineux florilèges hébreux,
Vers la Loi, le Devoir, le sens profond de la justice,
Monde, je marche allègrement
Vers la lumière silencieuse du ghetto.
Bonne nuit, monde, je te fais don
De tous mes libérateurs,
Prends tous les Jésus-Marx, étrangle-toi
Dans leur vaillance,
Crève pour une goutte de notre sang d’apostat,
Car j’ai l’espoir que même si elle dure
De jour en jour s’élève notre attente.
Des feuilles vertes, sur notre arbre rabougri
Murmureront encore.
Il ne me faut nul réconfort,
Je retourne à mes quatre coins,
Et de Wagner, de la musique des idoles,
Au bruissement de mes anciennes mélodies,
Je t’embrasse, vie juive échevelée
Et laisse-moi pleurer la joie de revenir.
(Le miroir d’un peuple Traduction de Charles Dobzynski)
De toi à toi
Pendant des heures sur un pont silence, ils marchaient-
Il l’avait croisé-
Seule cette immobilité rend plus clair son visage,
Combien de temps regarda-t-il au fond de ses yeux,
faisant émerger les moments de silence
De millions de mots très lourds ?
Fasse que les années passées s’amoncellent sur ta tête grise et sur la mienne.
Pendant des dizaines d’années nous avons cheminé
Sur cette longue route de toi à toi.
Ma jeunesse sans repos gît enclavée
d’un phare à l’autre,
Sur la longue, tortueuse route de toi à toi.
Ce que je t‘apporte n’est pas l’amour –
Le désir pour ton cœur sage.
Ce que je t‘apporte n’est qu’une blanche statue,
Maladroit tribut pour mes regrets.
Cœur sage, grave tout cela avec mes mots.
1926
Adaptation personnelle
Dans le noir Lucioles allument les coins de ma maison.
Lumières allumées sur petits visages dans le coin de
ma maison.
Ils éteignent les coins de ma maison.
Donc, il n’y a pas de coins, pas de petits visages.
Seules les bouches ouvertes et -
le débit de la parole mince, comme de la soie.
Il n’y a pas de discours.
Juste-
Le débit d’eau.
Or dans le soleil.
Soleil-poussière
Mot-poussière.
Mots montent en mélodies riches sur des chars dorés.
Langue de nidification dans mon esprit, enlaçant mes pensées.
Ainsi, un mot joue avec une ombre sur le mur,
se casse-
voix de soleil rougeoyant et de lune froide.
Fenêtre noire.
Fenêtre de la Mort.
Noir-noir.
Noir.
Seulement -
un mot dansant dans le noir
et bientôt
comme le ballon rouge d’un enfant sautant
sur la vitre humide,
où il n’y a pas longtemps
le soleil s’est couché.
(1921)
Adaptation personnelle
Mon frère vagabond
J’aime mon triste Dieu,
Mon frère vagabond
J’aime m’asseoir avec lui sur une pierre
Et le faire taire à toutes mes paroles.
Tous deux figés nous sommes assis
nos pensées se rejoignent
dans le silence.
En lettre de feu une étoile s’allume.
Tout son corps ne veut que dormir
à nos pieds la nuit est une brebis.
Mon Dieu vers toi
par moi
tant de prières profanées
tant de blasphèmes
dans les profondeurs des nuits
je réchauffe mon corps peureux
dans le chaudron de ta science
et alors mon ami m’enlace
et partage avec moi le dernier morceau de pain.
Le Dieu de mon incroyance est magnifique
Mon faible Dieu est beau
Maintenant, qu’il est humain et injuste.
Comme il est fier et gracieux dans sa chute,
Quand tous les petits enfants se révoltent
Contre son commandement.
Nous allons maintenant errer ensemble
au travers des terres et des mers.
……
Tu ne parles que de toi
fais monter le silence de mon frère vagabond,
et moi je pense à nous tous
ainsi :
Combien a-t-il fallu de destructions pour mon peuple
pour croire encore à la reconstruction ?
Maintenant le peuple qui n’est plus que poussière
est plus divin que moi.
Et les nations viendront se prosterner
devant sa douleur.
Mon Dieu, mon frère,
mais pourquoi as-tu élevé si haut mon peuple
et tant étoilé son grand malheur
dans la totalité du ciel ?
Douleur sang mains torturées
pitié des veines vidées de leur vie-
Tout cela simple fable pour enfants dite avec des mots idiots.
Par six millions je l’ai multiplié
rendant chair à la fable.
Mon peuple mon soleil mon rêve
fleurira crucifié
sur un arbre de lumière.
Mon Dieu dort et je veille sur lui
Mon frère fatigué rêve le rêve de mon peuple.
Il devient petit comme un enfant
Et je le berce dans son rêve de peuple
Dors, mon Dieu, mon frère vagabond
Dors dans le rêve englouti de mon peuple.
Adaptation personnelle
Sans juifs
Sans Juifs - pas de Dieu Juif.
S’il advenait que nous soyons effacés de ce monde
La lumière dans ta pauvre tente s’éteindra.
Depuis le jour où Abraham t’a reconnu dans la nuée
ton feu brûlait toujours sur nos visages,
rayonnait dans nos yeux
Et à notre image nous t’avons créé.
dans chaque pays et chaque ville
un étranger vient avec nous.
Crânes juifs brisés,
sont tessons du divin,
vases brisés, humiliés.
car c’étaient nous tes vases porteurs de lumière,
tes biens tangibles,
tes présages de miracle!
Par des millions se comptent nos têtes mortes
Autour de toi les étoiles s’éteignent
Ton règne bientôt se terminera.
Notre mémoire de toi s’est obscurcie.
Bientôt ton règne prendra fin.
Où les Juifs ont été semés,
tout est gaspillé et brûlé.
Les rosées pleurent sur l’herbe morte,
Le rêve violé, la réalité violée,
sont à la fois effacés.
Dans le sommeil les communautés entières,
les bébés, les femmes,
les jeunes, les vieux.
Même tes piliers, tes rochers,
la tribu de Tes saints,
dorment d’un sommeil de mort à jamais.
Qui te rêvera?
Qui se souviendra?
Qui te refusera?
Qui te recherchera?
Qui te fuira,
pour revenir
sur un pont de la nostalgie?
La nuit est sans fin
pour un peuple éteint.
Le ciel et la terre anéantis.
La lumière dans ta pauvre tente s’éteindra.
la dernière étincelle de la dernière heure des Juifs chancelle.
Bientôt, Dieu juif,
tu ne seras plus.
Adaptation personnelle
Moïse notre Maître
Moïse notre Maître,
qui n’a pas eu le droit d’entrer dans le pays,A reçu un grand honneur.Qui va conduire l’ensemble du peuple juif mortDans la terre promise?Moïse notre Maître.
Lui, le berger du troupeau de son beau-père, de son beau-frère,S’est réveillé d’un long sommeil.Qui maintenant regroupeL’ensemble des personnes décédées de tous les coins du monde?
Moïse notre Maître,
La terre est petite.Mais à leurs pieds la Terre Sainte se propageEt grossit et s’étend.Qui mène désormais fidèlement les Juifs morts?
Moïse notre Maître.
Et toi Josué fils de Noun,Reste à l’écart.Fais place, arrête le soleil.Arrête le temps.Fais entrer les Juifs morts.Qui va compter les Juifs morts,sans en oublier un seul?Moïse notre Maître,
Mon père referme son livre de la Mishna
Il prend le bras de la mère,
Et s’inclinant galamment,"Yitte-Rokheshi aimée, nous allons vers la terre juive"
Et tous deux me font un clin d’œil, avec une étincelle en eux –
Et toi, petit malin, ne le crois pas.
Des larmes sages brillent dans les yeux de ma mère.Vous voyez, même la Bible en yiddish des femmesDoit se réaliser.
Adaptation personnelle
Chariots
Crépuscule
les tristes chariots arrivent
avec les signes de silence du lointain.
Largement ouvertes sont les portes
mais nul ne vient souhaiter la bienvenue.
Calme est le village. Cloches du silence, à la volée.
Chaque brin d’herbe se soumet
sous les flammes du froid.
Quelques juifs malades descendent du chariot,
et un mot de sagesse s’emmêle
dans chacune de leur tête pensive.
Dieu, sur les plateaux de ta balance du bien et du mal,
pose une assiette de nourriture chaude,
ou au moins jette un peu d’avoine
pour les chevaux amaigris.
Le village engourdi dans la mort devient plus sombre,
un silence abominable tombe sur chaque barbe grise.
Chacun voit dans les yeux des autres
une prière frissonner de peur :
Quand la mort viendra,
ne me laisse pas seul en vie.
Ne parcours pas mes os transparents.
Juin 1938, (expulsion des juifs de l’Allemagne vers la Pologne)
Adaptation personnelle
Une faim est tombée sur nous
Une faim est tombée sur nous
Une triste faim. Nous avons sauvé
notre petite part de ciel.
Une lune jette son regard sur nous
Au travers de ses représentations d’argent.
Sans doute tous les bons vœux
Ne sont pas devenus vrais.
Pourtant auprès de bien des berceaux
se tient le chant du gosse enchanté.
Mais vos os vous font mal.
Non, ce n’est pas le lit qui gémit.
Vous entendez la voix de vos propres os -
Os errants.
Vous mettez vos pantoufles,
sortez dans le jardin calme,
posez le pied sur la terre,
vous vous arrêtez.
Que peut-il avoir d’autre qui vous appartienne
que vos quatre coins ?
Vous touchez votre figuier,
Caressez les briques de votre maison.
Les larges volets veulent vous rassurer.
Mais la confiance est fumeuse, transparente.
Avez-vous planté ? Avez-vous posé les fondations ?
Oui, mais à nouveau quelque chose gémit.
Silencieux sont les os somnolents -
les os errants.
A notre table- tout ce que vous pouvez souhaiter,
vous en prenez un bout, vous rassurez votre cœur.
Mais vous ne calmez pas votre faim,
cela tombe sur nous tous,
la triste faim
pour un mot plus indiscutable que la brique,
comme la terre sous vos pieds ?
Votre femme est endormie. Vos enfants sont endormis.
Certainement, cela est la construction
de vos années.
Un instant, chaque chose
semble bonne.
Et puis soudain la porte s’ouvre
Ils mettent un papier sous votre nez.
Quelle juste note !
Ils confisquent tout que vous avez accumulé
les briques, l’air, la terre,
le droit de copuler,
même le chant du gosse enchanté.
les représentations d’argent de la lune.
Peut-être que personne ne viendra maintenant,
mais mes os ont mal maintenant
avec l’humidité du climat juif.
Je verrouille la porte.
mon miroir de nuit est le baromètre de l’automne.
J’entends les gémissements de mes os terrorisés -
Os errants.
Aube
La vie comme un cocorico de coq.
De suite les moulins à blé se mettent à moudre.
Mais la vie, ma vie, ne peut apaiser.
La faim est tombée sur nous
Une triste faim.
Avril 1939
Adaptation personnelle
Je dois me rappeler
Et cela aussi je veux me le rappeler,
Ces séparations, ces petites destructions aussi,
cela monte en moi et me déchire,
Les petites calamités qui montent en moi
comme de petits soleils effrayés
et qui doucement déclinent
assombris dans mes années intimes.
Et cela aussi je dois me le rappeler.
Le chemin des rêves nu-pieds,
comme un éclair,
un flash joyeux au travers de la carte
de mon sommeil nostalgique,
La calme route qui réunit
tous les pays, les rues, les maisons
en un réveil affolé
dans une rue juive,
avec ses pierres chaudes,
ses bois moisis et ses sombres briques,
acceptant mon pied léger.
Les échoppes pleines d‘épices,
les magasins de farine et de graines de sarrasin,
les étalages de harengs,
les vendeurs d’essence, les boutiques savonneuses de barbiers
les postiches et les marchands de perruques
les amandes, les dates et les figues,
le pain aigre tout chaud
les graines de pavot et les rouleaux d’oignons,
les sombres salles de thé
avec les vers noirs et somnolents
dans l’âtre,
les maigres pâturages,
le cimetière à moitié vivant et endormi,
veillant à jamais
sur la vie apeurée.
………………………
Parmi les millions de morts
ceci n’est qu’une misérable part,
mais ceci aussi je me dois de me le rappeler,
mon propre commencement,
et ma fin à moi, séparée.
Un grand livre d’histoire
est clos,
Tout un peuple embrasse le livre de prières ensanglanté
Et meurt avec sur les lèvres le Shema Israel.
Mais à la fin, dans les abysses véritables,
quelque part, couvert de moisissures, gîit mon propre Shema, dans un berceau d’enfant -
Yeux rêveurs, pieux.
Dans sa main je confie
mon âme.
Mon dernier, mon Shema Israel
maintenant je vais me le rappeler.
………………….
Et quand mon saint père,
qui était ma petite fenêtre sur le vaste monde,
Mon père avec ses pas mesurés et sûrs,
ses pas confiants, croyants,
quand il a pris mon frère Benjamin
avec ses yeux brillants
et la femme de Benjamin et ses enfants,
quand ils sont partis avec tout le peuple,
pour moi ils ont pris des petites marches séparées, de traverse
plus nombreux que le sable de la mer, mais pour moi
ils étaient des pas séparés,
mes propres battements de cœur.
Mon propre peuple, avec qui j’ai commencé
mon monde créé -
maintenant marche vers sa fin.
mon monde créé, qui avait un commencement,
maintenait brûle dans les dernières heures de sa ruine.
La lumière du ciel est passée
toute une Bible s’assombrit et se tait.
Tout un pays est un pays dévasté.
Des millions marchent et parmi eux
mon père avec ses yeux spirituels,
mon frère Benjamin
derrière mon père, avec son amour confiant,
avec femme et enfant.
Et séparément ils marchent à grands pas
dans les chemins de mes rêves,
Passent à côté, passent dans la mort,
et déchirent tout mon rêve
comme une toile d’araignée.
Ces séparations, ces petites destructions aussi,
cela monte en moi et me déchire,
je dois me rappeler.
(Jacob Glatstein, Un juif de Lublin, extraits)
Adaptation personnelle
Au milieu de la route
Pouvez-vous entendre les tambours, juste un peu,
jusqu’à ce que nous la génération du désert, disparaissions.
Soyez patient avec nous.
Pouvez-vous ralentir un petit peu vos pas,
Laissez-leur croire que nous aussi nous allons arriver.
Nous n’irons pas là.
Nous ne pouvons aller là.
La route qui a oublié toute joie est trop longue,
Quand nous tombons, relevez-nous.
Portez-nous comme un livre saint de tristesse
Si nous mourons,
Enterrez-nous au milieu de la route,
Comme des morceaux de pavés.
Et si vous montrez quelque irrespect envers nous,
que cela ne soit pas retenu contre vous,
génération chantante d’intransigeance,
Si nous restons seuls,
la nuit va tomber sur nos os,
et couvrir nos tombes,
et quand nos tombes disparaîtront, vous deviendrez un peuple
de joie orpheline,
sans douce tristesse paternelle,
mais notre tristesse n’est pas simplement noble,
elle est pleine de force. Sans nous,
vous êtes un peuple enfantin
avec un dieu fou et de papier.
adaptation personnelle
Bibliographie
Quelques œuvres :
Seulement une voix, traduction Rachel Ertel, Buchet Castel
Anthologie de la poésie yiddish Traduction de Charles Dobzynski
Selected Poems of Jacob Glatstein, transl. Ruth Whitman) October House 1973
The Glatstein Chronicles, Yale University Press 2010
I Keep Recalling, The Holocaust Poems of Jacob Glatstein transl. Barnett Zumoff) Ktav Pub Inc; 1993
Foun main gantzer ni (1919-1956);
Kh’tou dermonen, New York, 1967 ;
Guezanguen foun rechts tsou links, New York, 1971.