Jean Follain
Un poète peuplé d’attente et d’enfance
Alors que dans les champs
de son enfance éternelle,
le poète se promène
qui ne veut rien oublier. (L’Histoire dans Exister, éditions Gallimard)
Jean Follain sera passé en poésie presque sans pesanteur, avec de multiples visages, depuis celui de l’austère magistrat à l’éperdu amoureux de sa campagne, celle de Canisy, celle de toutes les herbes folles du monde.
On ne sait plus qui il était vraiment tant il semblait jouer de multiples personnages, effaçant ses traces ou semblant marcher en arrière pour nous confondre en les effaçant. Il avait dû prendre pour devise ces vers de Marina Tsvetaeva :
la plus belle victoire
sur le temps et la pesanteur
c’est peut-être de passer
sans laisser de trace
de passer sans laisser d’ombre.
Étrange bonhomme qui laisse tant de souvenirs contradictoires que l’eau de son visage finit par se troubler et que l’on se demande mais qui était donc Jean Follain.
C’est Henri Thomas, dans sa belle préface à Exister chez Poésie Gallimard qui a le mieux saisi l’ondoyant Jean Follain :
« Homme d’un terroir, homme d’une enfance qui le hante, ou voyageur sans regret - liseur infatigable, de la comptine aux Pères de l’Église, ou heureux par toutes choses qui se passent du langage - homme du monde et grand causeur, homme à l’écart et taciturne : Jean Follain est tout cela, sans donner pour autant l’impression d’être particulièrement déchiré.»
Le mystère de l’homme Jean Follain est à respecter :« il faut être prudent avec son soi-même ! » disait-il. Nous serons donc prudents avec lui.
La clarté évidente de sa poésie est par contre notre bien commun.
Certains se sont fait les orpailleurs de l’or du temps, lui, c’était celui des temps de patience, des frémissements allusifs de quelques mots mis là comme fleurs des champs. Et cette entêtante odeur d’enfance qui en émane le protège de se faner.
Exister
Jean Follain était né le 29 août 1903 à Canisy, dans le sud de la Manche, où il passa enfance et vie secrète.
Il s’installa à Paris en1925, dont il avait toujours rêvé et imaginé chaque recoin dans son enfance, et là il commença sa carrière juridique.
Sa vie semble grise comme peut l’être celle d’un magistrat dont la véritable passion était la poésie, et qui donc devait de dédoubler, se métamorphoser. Ami des poètes et des cénacles il menait sa double vie. Il en imposait fortement aux autres par sa voix forte et puissante, son statut de juge, son humour narquois, son art oratoire. Mais tous l’aimaient (Guillevic, André Dhôtel, André Frènaud, Henri Thomas, Eluard, Reverdy, André Salmon…). Sa courtoisie, sa prudente façon de respecter et d’admirer les autres, et surtout ses multiples facettes intriguaient, fascinaient. Que d’identités contradictoires sous le même visage et certaines de ces énigmes se retrouvent dans son œuvre.
Il naviguait de façon narquoise entre la vie en société et la fascination de la solitude, ne tenant pas plus que nécessaire à l’une ou à l’autre. Ses premiers poèmes datent de 1928. Son mariage heureux avec la fille de Maurice Denis, Madeleine, donnera aussi de beaux livres d’artistes.
Puis il laissera tomber et la robe et la magistrature en 1959, ou 1961 suivant d’autres sources, pour vivre, voyager beaucoup (Brésil, Japon, États-Unis, Afrique…). Il semblait vouloir rattraper tout le temps immobile et prendre de vitesse sa mauvaise santé.
Refus poli de se livrer, de se raconter, mais volonté de laisser transparaître, presque par imprégnation une vision du monde tapi entre l’ombre des oiseaux et des villes, et d’un tragique diffus.
Il fut tué par une voiture, lui qui haïssait les voitures, le 10 mars 1971 à Paris, Place de la Concorde, vers minuit, lui l’enfant de la lumière. Concorde entre sa vie sur la pointe des pieds et le surgissement du terrible qu’il avait toujours pressenti. Il est enterré à Canisy, à deux pas du collège où son grand-père paternel fut instituteur
Une poésie singulière
Son écriture est étrange, à l’opposé de la mode ambiante du surréalisme qui triomphe en son temps. Insolite, il semble un arbre égaré au bord de la route, enfermé sur ses sentiments enclos, ne laissant rien paraître d’intime. Il n’utilise pas les images ou les métaphores, simplement les cailloux du réel ramassés sur sa route.
Il n’explique pas, il ne rêve pas, il contemple, il fait de courts poèmes presque orientaux dans leur énigme et leurs significations multiples. Et presque jamais il ne dit Je dans ses poèmes. Il s’efface, mais c’est son portrait, son autoportrait qui coule goutte à goutte dans les mots.
On le dit proche de Guillevic et de Francis Ponge, en tant que poète de l’objet. Mais il ne dépeint pas l’objet, il l’intériorise, le fait simplement apparaître au creux des chemins, sans objectivité. Simplement le parfum des détails qui tissent le réel, amène ses mots à se pencher par-dessus l’épaule du silence. Ce silence qui ne peut n’être complice que de ceux qui savent le coquelicot et la marguerite, la rosée froissée de la vie. Sa poésie a couleur de faïence blanche ou délavée.
Pas d’effusion lyrique, des instants, des moments, de longs silences en successions, des oiseaux qui passent, et nous qui passons.
« Combien il était difficile de serrer de près les choses ! La matière passait de la joie diffuse à une sorte de tristesse sourde… Tout durait et restait peuplé d’attente. » Jean Follain.
Certes l’ombre de Pierre Reverdy plane parfois, mais Follain ne porte pas lui cette sorte de terreur sous-jacente. Il sait le tragique et la cruauté du monde qu’en tant que juge il vit, qu’en tant que poète il dévoile, mais aussi les comptines, les chansons et les secrets des feuilles qui tremblent. Il devient une sorte de harpe éolienne des choses humbles, des petits éclats des amours perdus ou inconnus, une sorte de pain trempé dans le vin de la vie. Et pourtant, en filigrane, la mort rôde souvent dans ses poèmes.
Il était comme ceux gens taiseux qu’il décrit : Cultivateurs et petits fonctionnaires des campagnes se laissaient vivre dans l’enveloppement du paysage. Ils s’appuyaient souvent sur les murs, leur pouce épousant machinalement un petit creux dans le ciment durci.Lui s’est appuyé sur le mur de la poésie, ce mur ne s’est pas effrité encore aujourd’hui, et ses constructions intérieures, ses architectures étaient les branches tombantes dans la nuit, les sentiers qui faisaient fuir l’horizon. Il allait à pas lents vers les limites incertaines. Son écriture si simple en apparence, si directe, si franche comme le regard de l’eau. Elle pourrait passer complètement inaperçue, sans flamboiement lyrique, sans images qui marquent. Sa poésie est une sorte de verre dépoli, à nous d’y voir ce qui palpite encore du monde. Et le temps passe, les étés passent sur le monde, les arbres frémissent et les humains sont à jamais éphémères.
À la croisée des routes, ses mots suivent toujours le chemin des talus, des souvenirs d’écoliers, des tables en bois où fume la soupe, et des escaliers craquent sous ses mots. L’heure qui sonne aux clochers est parfois une heure grave dans un monde qui ne sait plus son âge. On peut pressentir parfois des taches de sang sous le ciel si bleu, les champs si vastes, les fleurs qui appellent, mais sa poésie est passée de l’autre côté des bois et des blés.
Le poète, et l’ami des poètes, Guy Allix cite ce jugement de René Char :
Jean Follain occupe une place, dans la poésie, mobile comme l’est une source à flanc de coteau, car celle-ci hante toute chose, d’abord par son nom même et la vitesse où on la cherche, où ce sera une grâce de la trouver, ensuite parce que devenue cours d’eau elle irrigue alors une géographie composée à l’extrême, civilisée par les ouvrages et les coutumes de ses habitants, eux toujours en mesure d’étirer, d’écarteler leur civilisation nerveuse… Noble plume de Jean Follain! Poésie de plus en plus aimée de beaucoup. René Char, 1977.
Même si à l’occasion il sait être un piéton de Paris, Jean Follain est tout entier dans un monde d’enfance, dans un monde d’attente. Aux aguets des « natures vives », des détails qui sont la présence immanente et évidente des choses. Il sait la patience, il sait la durée, il est l’innocence :
La durée des villages est dans l’ordre profond, et leur eau à canards veille. (Usage du temps).Il sait surtout apprivoiser le silence, s’en approcher, souffle lyrique retenu, ses pas étaient suspendus au milieu de la brume tragique du monde, et des papillons montent encore aujourd’hui de ses mots:
La joie parfoisDe s’approcherDu silence qui a la teneurD’un corps de jeune fille.Le silence il a su s’en approcher, et pour cela il a poli et repoli sans cesse, en artisan besogneux et soigneux, ses textes. Reprenant plusieurs fois ses textes pour les rendre lisses comme galets, compacts comme cailloux dans la rivière de la vie. Gil Jouanard a la belle formule suivante : « Jean Follain ou le rêveur méticuleux ». On pourrait ajouter celui qui sera toujours resté fidèle à son enfance, ses merveilles, ses fourberies. « Son épicerie d’enfance » recense toutes les bobines de fils des vies à venir. Avec lui les choses ont leurs envers et leurs endroits.
Tout sauver par un verbe le plus exactement pur.Cette exigence de pureté, ce tamis constant des émotions et du verbe pour ne rendre que l’apparente surface du monde fut son ascèse poétique, en marge de ses contemporains.
Certes il pouvait célébrer la vie d’un curé, et avec malice celle des choses vues et de la vie immédiate, mais il reste non pas le poète enraciné à sa campagne normande de Canisy, mais celui qui savait entendre le chant du vent dans les herbes les plus lointaines, les plus incertaines. Il savait brodait les abeilles et les soies qui femmes qui pleurent. Et il savait tout si précaire. Et il ne voulait point faire un livre d’images, mais de vie frémissante.
« Où gis-tu
secret du monde
à l’odeur si puissante ? » (Exister).
Il disait : « Tout fait événement pour qui sais frémir ».
Il nomme, il dénomme précisément, toujours avec une voix presque chuchotée mais avec le mot juste, irréductible, vagabond humble, simple de tous les villages qui sait tous les anciens grimoires, les vieux outils, les anciens rites. Amant « de la secrète beauté », il ne peut concevoir le monde sans les petites choses qui font les humains respectables, leurs peurs, leurs rêves, leurs amours. Il semble cacher des témoignages secrets au fond de ses mots.
Il demeure ce promeneur en poésie qui se souvient de chaque herbe de son enfance :
« alors que dans un champ / de son enfance éternelle / le poète se promène / qui ne veut rien oublier ». (Jean Follain).
Il est à part, il est en nous. Discret, osant à peine se faire une petite place, il est là presque inaperçu.Et ces petits « riens » que sont ses poèmes font de vastes bouffées de souvenance. Il soupesait le poids du monde en touchant, en effleurant les objets, les verrous secrets de l’enfance. L’avenir de sa poésie se cache dans les plis des dits et des non-dits de ses mots, si simples en apparence, mais qui ont su retenir le toit des sentiments. Elle ne se lit pas, elle s’insinue en nous. Pour longtemps.
A-t-il lui aussi tremblé d’exister ?
Gil Pressnitzer
Choix de textes
Tous droits réservés © Éditions Gallimard
LES LIVRES ET L’AMOUR
Les livres dont s’emplit la chambre comme
des harpes éoliennes s’émeuvent quand
passe le vent venu des orangers
et la lettre dans la page incrustée
se retient
au blanc papier de lin
et la guerre au loin tonne
dans cet automne flamboyant
tuant la maîtresse avec l’amant
au bord d’un vieux rivage.
extraits du livre Exister, (Territoire) de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969.Page 97
Parler seul
Il arrive que pour soi
l’on prononce quelques mots
seul sur cette étrange terre
alors la fleurette blanche
le caillou semblable à tous ceux du passé
la brindille de chaume
se trouvent réunis
au pied de la barrière
que l’on ouvre avec lenteur
pour rentrer dans la maison d’argile
tandis que chaises, table, armoire
s’embrasent d’un soleil de gloire.
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969, page 15
La Cour murée
Il est seul dans la cour murée
avec un jouet dont bat
le ressort fatigué
une plume s’envole
qui s’en vient retomber
sur la terre où s’affrontent
les forces de l’amour
celles aussi de la peur.
Le mur étincelle
son faîte est recouvert
de ces gros tessons verts
arrêtant les voleurs.
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 25
LES PAS
Les pas entendus
le corps, les visages, les mains
se fondent au village
à grands arbres sculptés.
Il n’y a plus de temps à perdre
répète une voix.
Ce sont pourtant les mêmes pas
que dans la glaise des matins où
brillaient le cuivre et l’étain.
L’avenir se cache dans les plis
des rideaux figés
le pain fait la chair.
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 50
DES HOMMES
Au milieu d’un grand luminaire
on voyait discuter des hommes
en proie à la grande peur
d’autres pleuraient,
on trouvait aussi les amants
de la secrète beauté
ils gagnaient les anciens faubourgs
et rejoignaient leurs compagnes
marchant pieds nus
sur les planchers de bois blanc
pour ne pas réveiller.
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 40
L’anecdote
L’unique peintre de ce bourg
repeignait la boutique austère
et fredonnait
quand de la gare s’en revenaient
les deux uniques voyageuses
indifférentes à cet amour
que mettait partout le printemps
mais il est des chants qui poursuivent
et que nous ramène une brise.
O monde je ne puis te construire
sans ce peintre et sans ces deux femmes.
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969.page 89
LES HANGARS DE LA PLAINE
Des corbeaux attendent pâture
au-dessus de la plaine
ombres et reflets
sur les toits se défont.
Ici même il y a des années
avec circonspection
deux mains prodiguaient l’amour
à l’homme noueux dont la vie a passé.
Les grands hangars
ne recueillent plus rien
que bois mort, poussière,
parfois un oiseau sanglant
à plumage bleu.
Jean Follain, in André Dhôtel, Jean Follain, coll. Poètes d’aujourd’hui, Seghers, 1956, 1972, p. 169.
Exil
Le soir ils écoutent
la même musique à peine gaie
un visage se montre
à un tournant du monde habité
les roses éclosent
une cloche a tinté sous les nuées
devant l’entrée à piliers.
Un homme assis répète à tout venant
dans son velours gris
montrant les sillons à ses mains
moi vivant personne ne touchera
à mes chiens amis.
Appareil de la terre, Gallimard, 1964, p. 72 et 54.
Quincaillerie
Dans une quincaillerie de détail en province
des hommes vont choisir
des vis et des écrous
et leurs cheveux sont gris et leurs cheveux sont roux
ou roidis ou rebelles.
La large boutique s’emplit d’un air bleuté,
dans son odeur de fer
de jeunes femmes laissent fuir
leur parfum corporel.
Il suffit de toucher verrous et croix de grilles
qu’on vend là virginales
pour sentir le poids du monde inéluctable.
Ainsi la quincaillerie vogue vers l’éternel
et vend à satiété
les grands clous qui fulgurent.
Usage du Temps, Gallimard,1941
L’ASSIETTE
Quand tombe des mains de la servante
la pâle assiette ronde
de la couleur des nuées
il en faut ramasser les débris,
tandis que frémit le lustre
dans la salle à manger des maîtres
et que la vieille école ânonne
une mythologie incertaine
dont on entend
quand le vent cesse
nommer tous les faux dieux.
extraits du livre Exister, (Territoire)de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 116
Le pain
Elle disait: c’est le pain
et de son lit étroit
le garçon répondait: merci
et la porteuse lisse et noire
déposait la livre à la porte
en bas se crispait
un jardinet sans fleurs
d’elle à lui il n’y eut jamais
que ces paroles sans aigreur
et qui montaient parmi tant d’autres
dans les matins blancs échangées
pour la vie
des corps par le monde.
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 67
Au pays
Ils avaient décidé de s’en aller
au pays
où la même vieille femme
tricote sur le chemin
où la mère
secoue un peu l’enfant
lui disant à la fin des fins
te tairas-tu, te tairas-tu ?
Puis dans le jeu à son amie
la fillette redit tu brûles
et l’autre cherche si longtemps
si tard – ô longue vie –
que bientôt les feuilles sont noires.
extraits du livre Exister, (Territoire) de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 112
Vie
Il naît un enfant
dans un grand paysage
un demi-siècle après
il n’est qu’un soldat mort
et c’était là cet homme
que l’on vit apparaître
et puis poser par terre
tout un lourd sac de pommes
dont deux ou trois roulèrent
bruit parmi ceux d’un monde
où l’oiseau chantait
sur la pierre du seuil.
extraits du livre Exister, (Territoire) de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 131
L’ÉCOLE ET LA NATURE
Intact sur le tableau
dans la classe d’un bourg
un cercle restait tracé
et la chaire était désertée
et les élèves étaient partis
l’un d’eux naviguant sur le flot
un autre labourant seul
et la route allait serpentant
un oiseau y faisant tomber
les gouttes sombres de son sang.
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 87
Les grandes architectures de la nuit tombante : arcs de triomphe que formaient les branches au bout des avenues, labyrinthes des sentiers rafraîchis, stades des champs aux gradins de haies jusqu’à l’horizon, portiques et dolmens de nuages encadraient notre être enfant allant vers son destin.
L’ouragan ouvrait des perspectives sans nombre et ceux-là qui l’affrontaient tête baissée, je les regardais à travers les vitres. Je pensais qu’ils travaillaient aussi pour mon bonheur. Sous l’ouragan, il ne m’a pas été donné de voir d’arbre s’envoler, ni un toit entier de chaume comme il est arrivé quelquefois.
Le tonnerre et l’éclair, j’en avais peur. À chaque éclair, je faisais comme mes grand-mères un signe de croix. On était alors autour de la table attendant la fin de l’orage. Dès qu’on avait vu le ciel se noircir, les draps immenses avaient été enlevés qui séchaient dans les jardins surchauffés.
L’on connaissait aussi les soleils forcenés, les facteurs seuls sur les routes.
Des hommes fauchaient les épis et les fleurs du même coup.
La figure de quelque voisin haï apparaissait derrière leur haie. Lui aussi, il avait chaud, peut-être plus qu’eux, ils le remarquaient, ils s’en réjouissaient sans creuser plus loin dans leur âme.
Cependant un son de cloche dans l’après-midi brûlant rappelait que l’on était en chrétienté. La torpeur estivale immobilisait la petite herbe jaunissante des carrefours isolés sur laquelle ne tombait nul regard lourd et qui résistait à l’arrachement et que personne d’ailleurs ne pensait à vouloir arracher. Dans une cour battait un instant un balancier de pompe. Oh, cette même gloire du soleil au pied des calvaires, cette même couleur chrétienne, cette même force d’exigence, ce morceau d’histoire du monde auquel nous avons participé, enfants vêtus de sarraus noirs !
Signes pour les voyageurs
Voyageurs des grands espaces
lorsque vous verrez une fille
tordant dans des mains de splendeur
une chevelure immense et noire
et que par surcroît
vous verrez
près d’une boulangerie sombre
un cheval couché dans la mort
à ces signes vous reconnaîtrez
que vous êtes parmi les hommes.
LES JARDINS
« S’épuiser à chercher le secret de la mort
fait fuir le temps entre les plates-bandes
des jardins qui frémissent
dans leurs fruits rouges
et dans leurs fleurs.
L’on sent notre corps qui se ruine
et pourtant sans trop de douleurs.
L’on se penche pour ramasser
quelque monnaie qui n’a plus cours
cependant que s’entendent au loin
des cris de fierté ou d’amour.
Le bruit fin des râteaux
s’accorde aux paysages
traversés par les soupirs
des arracheuses d’herbes folles. »
Exister © Gallimard Poésie
La mort
Avec les os des bêtes
l’usine avait fabriqué ces boutons
qui fermaient
un corsage sur un buste
d’ouvrière éclatante
lorsqu’elle tomba
l’un des boutons se défit dans la nuit
et le ruisseau des rues
alla le déposer
jusque dans un jardin privé
où s’effritait
une statue en plâtre de Pomone
rieuse et nue.
Territoires © Gallimard Poésie
Paysage des sentiers de lisière
Il arrive que l’on entende
figé sur place dans le sentier aux violettes,
le heurt du soulier d’une femme
contre l’écuelle de bois d’un chien
par un très fin crépuscule,
alors le silence prend une ampleur d’orgue.
Ainsi lorsque l’adolescent,
venu des collèges crasseux,
perçoit sous les peupliers froids
la promeneuse au frémissement de sa narine
émue par le parfum des menthes.
Toutes les lueurs des villages
se retrouvent dans le diamant des villes.
Dans un univers mystérieux
ayant laissé sur ses genoux
l’étoffe où s’attachait ses yeux,
une fille en proie aux rages amoureuses
pique de son aiguille le bout de ses doigts frêles
près d’un bouquet qui s’évapore
Usage du temps suivi de Transparence du monde,© Gallimard,
INEFFABLE DE LA FIN
Quand la dernière ménagère sera morte
tenant l’étoffe
raccommodée par ses doigts minces
les étoiles brilleront encore,
les griffons des blasons
s’envoleront en cendre.
ô nuit de l’être
éternel feuilletage
des ardoises du toit
et des pâtisseries blondes;
le monde pèsera son poids
avec toutes ses mains de dulcinées
dans son ciment froid enfermées.
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 72
PROMENEUR
Qui donc porte manteau à col de velours
et ce chapeau rigide et sombre
alors qu’est venu le moment
que les peaux les plus douces
se lassent des caresses
et vont chercher la paix des ombres ?
Ils peuvent bien tous dormir
l’âne, le bœuf et le vieux lièvre
lui veille dans le chemin qui mène
à la maison jaune à solives
et fait tourner entre ses doigts
une feuille mince cueillie à la haie.
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 159 (quatrième version d’un poème !)
Paris de Jean Follain. Éditions Phébus 2006.
PROLEGOMENES
Au temps où l’enfant penché sur un vieux plan datant de l’exposition de 1878 faisait des voyages imaginaires, le bruit du vent dans le feuillage était d’une qualité rare, mais n’empêchait point le tic-tac de l’horloge. Il apportait une mélancolie merveilleuse mêlée au goût de la vie et de l’aventure.
Chaque arrondissement de Paris était teinté de belles couleurs pastel ; souvent à mon agacement – j’étais un enfant nerveux et malhabile - le vieux plan se dépliaient mal, se cassait aux plis. Parfois, pendant les ouragans, une tuile tombait d’un toit. Il y avait beaucoup de toitures en chaume couvertes d’un buisson de fleurs et l’on disait que dans les cyclones, certaines de ces toitures avaient été arrachées entières….
Une divinité se cache en toi, Paris : c’est la mer des ténèbres ; parfois le soir rien ne se résout, tout se perd et meurt, se cache et parlemente avec la nuit miraculeuse. Qui n’a admiré la surprenante beauté des uniformes voués au poteau d’exécution ?
…Il se peut que le flâneur loge dans un minuscule appartement du plus loin Vaugirard ; rentré chez lui, la tête entre ses mains, il n’entend plus aucun bruit si ce n’est à de longs intervalles le léger craquement d’une armoire dont le bois travaille ; trompant sa solitude il jouit peut-être un instant de la blancheur du papier sur lequel il déroule une écriture disloquée ; écœuré de l‘injustice des hommes, il éprouve un dégoût pour cette femme au corps luxuriant qui ne lui paraît plus qu’une harpie.
Tous droits réservés © Éditions Phébus
Bibliographie
Exister, suivi de, Territoires préface d’Henri Thomas Poésie-Gallimard 1969
Usage du temps Poésie-Gallimard 2003
Canisy, suivi de Chef-lieu Gallimard 1986
Paris, préface Gil Jouanard Éditions Phébus 2006
Agendas 1926-1971, Édition établie et annotée par Claire Paulhan, Seghers, 1993
Ordre terrestre, préface d’André Frénaud, Fata Morgana, 1986
Sur son œuvre :
Jean Follain, un monde peuplé d’attente, Jean-Yves Debreuille, édition « Autres temps »
Jean Follain, André Dhôtel collection Poètes d’aujourd’hui, éditions Seghers
Des études de Guy Allix (colloque de Cerisy La Salle, conférences…)