Jean-Pierre Metge
Hommages
Jean-Pierre Metge n’était pas dans la célébration de soi, mais dans celle des autres.
Mais il fallait laisser quelques traces de ce passeur passionné de la poésie.
Le braconnier des rêves
Jean-Pierre Metge eût souri sans doute à cet hommage rendu quatre ans après sa mort, pas n’importe quel sourire bien sûr, celui de la bienveillante complicité mêlée avec un peu de la malice de ces vieux ensorceleurs du fond des terres qui vivent à la limite des bois, connaisseurs des choses plus ou moins cachées et qui par leur instinctive intelligence remontent jusque parmi les hommes en laissant pour un instant le cabanon et la cigarette allumée s’éteindre dans la cendre.
Jean-Pierre aime la nature par hérédité il a de l’intuition du sourcier et sa vie s’organise en braconnier de rêves, d’utopies et de grands rassemblements fantastiques. Il a toujours le briquet à la main pour rallumer quelqu’esprit qui s’endort et chaloupant au sein des poètes, au plus profond de la nuit parnassienne éclaire leur visage avec la flamme de son cricket à gaz.
Il s’intéresse aux autres, il s’enthousiasme pour eux, se penche par-dessus leur épaule pour voir sur leur feuille blanche comment ils inscrivent la plus fine substance de leur âme, il les lit par altruisme, amour, passion de la découverte, de la rencontre, lui-même alors s’oubliant.
S’il y a un homme de passion c’est bien Jean-Pierre qui transpire la sienne mal contenue. Elle couve en silence sous son moi peau moite ou déborde tel un volcan de paroles, de mots, de feuillets du bulletin de liaison d’Escalasud.
Metge n’est pas un consensus mou, il est un brûlot, un lance-flammes. La tiédeur lui va mal dans son imperméable ouvert pour permettre à l’ampleur de ses mouvements d’aller. Et aussi, comme le signale le titre de sa revue édition « A chemise ouverte », quand il va le dehors communique avec le dedans.
En révolte, il relève des groupuscules de résistance pour défendre des valeurs que partagent les hommes attachés à la liberté. Il n’a pas peur. Il appartient à ceux qui généreusement pensent que l’intelligence est contagieuse, qu’il faut la propager autour de soi au lieu d’œuvrer à cultiver un égocentrisme. Aussi participe-t-il à des mouvements de réflexion contestataire et se mêle-t-il aux manifestations autant que le lui permettent, pour raison de santé, ses difficultés de déplacement.
En effet comme les tempéraments qui ne sont ni froids ni neutres, le fougueux Jean-Pierre n’est pas sobre : il pencherait plutôt exactement du côté contraire à la modération. Le gris fade n’est pas sa couleur qui serait le noir même si la couleur grise revient souvent dans sa poésie mais c’est pour évoquer sa nostalgie, papillon ni blanc ni noir, ou dire la grisaille des bourgs sans un chat le dimanche, ou traduire au sens propre la réalité des murets de pierre gris du causse de Gramat.
Ce handicap à la marche va transformer l’arpenteur en contemplatif qui trace des poèmes ou les souvenirs et le mal du pays viennent s’articuler, comme lors d’un collage, technique graphique qu’il affecte particulièrement. Passé et présent superposés expriment sa mélancolie.
Par la force des choses, il regarde de plus loin, désigne d’un geste, de la main et qualifie avec des mots ce que ses pieds aimeraient fouler comme jadis et que maintenant écrasent les roues de sa voiture elle-même essoufflée comme lui Jean-Pierre qui ne compte pas ce qu’il donne pour la poésie ne roulera jamais en limousine de luxe.
Ainsi son corps las lui impose d’achever le travail que son désir mal assouvi a commencé face à la nature grâce à son esprit hyperlucide qui voit tomber une à une toutes les feuilles de ses illusions :
Par mes poèmes je suis de leurs luttes déjà perdues d’avance, de leur mélancolie et si, comme eux, je suis triste au quotidien, nous avons au moins l’assurance d’être et pour cela, peut-être, d’être aimés.
Extrait de l’introduction de son Panorama N° 3 en Panorama 2001
Alors son écriture se dépouille qui évoque la désertification des lieux de l’enfance, l’absence des hommes et la problématique de l’attraction pour un retour au passé qui est dans le non-retour.
Le dénuement qu’il trouve à la place de la vie vient illustrer le sien tout intérieur lorsqu’il assiste parallèlement ~ à une perte des liens entre les hommes : la cohésion entre eux se délite, état de fait aussi incontournable que les murs de pierre sèche du causse prenaient sens parce que les bergers les construisirent en gardant leur troupeau de moutons.
Jean-Pierre ne pose peut-être pas explicitement la question du sens car il est trop sentimental, trop sensiblement humain pour une pareille abstraction clinique dans ses poèmes mais le poids de douleur de sa poésie est parfois tel, insupportable presque, qu’il l’implique, de même aussi cet héroïsme de qui a la force ou l’immense acceptation de laisser s’écouler par la faille de son être ce vécu de chair qui n’est plus que souvenir.
La mémoire ne se regagne jamais, suite de gravures tournées une à une, la remontée dans le temps ne se fera qu’au prix d’un lourd tribut à payer en mots, une forme de prodigalité sacrificielle qui tient du pélican ou de la soupape.
Le défi de l’écriture
Toujours est-il qu’il relève le défit de s’écrire tel qu’il est en tant que personne derrière les murets du Causse et, lors de séjours en hôpital à travers les vitres aseptisées, les hygiaphones de la technicité où il garde le pouvoir de prendre un nouveau tournant poétique qui tend vers une épure visible en son recueil « Horizons du Néant », et dans son panorama N°3 du Panorama 2001 par ailleurs son chant du cygne en tant qu’éditeur -27 poètes midi toulousains -, qui s’arrête au N°26 au lieu des 27 numéros prévus au départ comme s’il avait voulu donner à la porte du couloir de sa mort le N° 27, chiffre repère en sa vie disait-il.
Metge n’est pas de ceux qui s’arrêtent en route malgré les durs événements du destin mais de ceux qui, guerriers, sont capables de se faire hara-kiri en retournant leurs lames contre soi. Il aura l’énergie, la discipline, la ténacité de les écrire pour donner l’exemple. Je meurs mais je suis, Ou, bien que détruit je suis.
N’est-ce pas ici par sa manière d’être l’expression de toute une couche abîmée de la société actuelle. Ne peut-on voir là en lui une figure charnière qui du Causse de l’enfance, paradis perdu, subira une à une les transformations internes d’un homme de notre temps à chaque fois renaissant des mutilations de sa vie dans, l’histoire plus vaste des autres hommes et s’y réintégrant malgré des exils intérieurs nécessaires à sa survie.
Si on peut imaginer Jean-Pierre descendu jusqu’au désespoir on est sûr qu’il a su en tirer une matière poétique pour en revenir et offrir aux autres sa lutte avec toujours ses deux mains tendues.
Le lecteur comprend vite que chez lui la mélancolie est aussi le vieux moteur de ses bonds en avant et que si de tournant en tournant, d’épreuve en épreuve il abandonne le ton plus sensuel de ses premiers élans c’est que sa vie change avec lui, emportés tous les deux par une quête d’homme d’action et spirituel dont justement le périmètre à battre se révélera fortement diminué. Le chemin n’étant jamais droit il fait des détours comme autrefois dans le Causse d’où sa poésie resurgit au pire de son existence.
Et reste l’image de Jean-Pierre Metge, l’homme « A la chemise ouverte »...
Sa tunique fendue pour la partager ou déchirée à l’endroit du cœur d’un qui croyait en l’homme et militait pour que les valeurs d’un éternel humain perdurent en les transmettant.
Margo Ohayon
Choix de textes
Choix de poèmes de Jean-Pierre Metge établis par Margo Ohayon
La maison basse est là
sulfatée de bleu
aux confins des coteaux
et des vignes absentes
où l’ombre recompose
dans un tas de graviers
les figuiers de septembre
l’autan balaie
la danse des cravennes
aux lanières de vents
sur les hauts crépis du soleil
enchâssés de galets.
Petit mur du lavoir cassé
Puits asséché
la roue grince sans fin
aux gestes du passé.
Dans l’avril du jardin
la glycine a épousé
les grillages du temps.
—
On a loué le presbytère
à un étranger au chômage.
—
Solitaires et sauvages
miraculeusement épargnés
dans les limites des mémoires
fleurissent encor dans les champs rares
les cognassiers du cadastre.
—
Un lavoir
murmure depuis des années
pour les ronces et les bambous
au fond d’un ravin d’oubli
sa chanson d’eaux sous ses vases épaisses.
Et deux cents mètres,
plus haut
dissimulée par les fougères,
la route.
Goudron mou
huile chaude des moteurs,
croissance de bruits lointains
Entre la route et le lavoir
des fourrés inextricables
griffent notre essoufflement.
On ne grimpe plus aux silences, Nouvelle Pléiade, 1990
***
Je me laissais glisser vers l’hiver
tout me semblait facile
je n’étais qu’un mendiant
dessous les porches verts
jamais tu n’aurais dû t’asseoir si près de moi
Je sais bien tu as froid
je le savais déjà
à regarder tes yeux
à deviner ta vie
que tu le veuilles ou non
que je le veuille ou non
tu danses dans mes nuits
mes jours deviennent nuits
pour rêver plus longtemps
et je nage éveillé dans ton visage-pluie
Je ne dirai plus rien
et pas même ton nom
mais ne vas pas trop loin
surtout ne dis pas non
et reste donc pour moi
comme un printemps fragile
Sur ta poitrine douce
des saisons impossibles
jamais sur ton épaule ne s’useront mes lèvres
jamais je ne prendrai
ton regard dans mes mains
Une feuille de neige cicatrise ton ventre
je déchire les jours pour t’en faire un manteau
—
À l’écart
surgissant des jupons du brouillard
Sainte-Hélène
Couvent impersonnel
et vagues souvenirs
Jeunes filles absentes du jeudi
courant parfois le soir
dans des ruelles grises
un gilet bleu marine
verrouillé jusqu’au cou
- clef d’une croix sage -
Sous une grande pèlerine.
Le cartable à la main
voyous de la laïque
on a rêvé souvent de vous
et sous vos pull-overs
de pâles lunes de septembre.
—
J’ai dormi dans des draps d’inquiétude
Demain peut-être
auront cessé la pluie le vent
demain je serai moins souffrant peut-être
je pourrai mieux marcher.
On s’en ira comme jadis
par les drailles de pur silence
On fera d’autres promenades
Aux saisons retrouvées
et on écoutera
au loin
l’oiseau chanter
Il reste les geais bleus aux cages des bosquets
les corbeaux libres criards dans les clairières
les corneilles plongeant
du haut des falaises inaccessibles
dans les avens de ma mémoire
Les brisures du temps, les Cahiers des Libellules, 1990
***
Cloué par des feuilles d’automne
un stéthoscope
sur des draps blanc
s
surtout ne pas bouger
ne plus faire de gestes
ne pas penser aux autres
les laisser faire
se laisser faire
et fatigué d’avoir rêvé
se laisser emporter
ne pas bouger
ne plus penser
—
Dans la carafe d’eau
un bouquet de fenêtres
l’aube passe sa serpillière grise
sur les derniers feux de la nuit
et ce transfert d’humidités sales
du sol au cloaque des cieux
s’apaise
et m’écœure à la fois
Lit de cendres
de douleurs d’abandons
images griffonnées
pour la seule mémoire
Nouvelles de l’extérieur
feutrées filtrées
déjà fades déjà anciennes
peu importe la date du journal
l’infirmière ne s’attarde plus
bu à nouveau
la tisane froide du ciel
au moins j’ai d’étranges
fenêtres
les voisins n’ont qu’un mur
qu’une mort possible
et je reste aux aguets
du nouvel incident
qui fera s’envoler
les femmes calmes du couloir
Horizons du Néant, Traces, 1992
***
Voyageur du silence
je joue avec les mots
novembre
est cette pluie
qui danse dans ma tête
au rouge de tes lèvres
l’air donne un baiser froid
aux dernières couleurs
—
Plus que des jours
de feuilles grises
ces jours souvent
aussi blêmes que moi
voleur de chrysanthèmes
aux sources du néant
amateur de chagrins
jusqu’au bout de mes rêves
je reste le héros de mes déconvenues
Affiches déchirées
pour seuls tableaux de maîtres
de vieux souliers troués
sur les pas d’escarpins
platanes écorchés
écritoires fragiles où tracer ses secrets
de nuits d’étoiles blanches
Elle nue sur le lit
semble la chair offerte
d’un cadavre de lys
ou d’un nymphéa mort
les douces pluies d’automne allongent
les poissons tristes de ses lèvres
mais je n’ai plus de souffle
pour lui rendre un baiser
La nuit forge ses noirs
aux rebords des fenêtres
va homme
éternel roulier
seules limites à la terre
c’est l’entonnoir
des sabliers
Les Chrysanthèmes rouges, Traces, 1992
***
Arêtes de poissons blêmes
déchirant vos chairs blanchies
Ne laissez plus le temps passer
Sans avoir longuement mâché
les orties sombres de la nuit
les algues des planètes noires
Étouffez vos malaises
sous l’aile des oiseaux
Ayez des rêves injustes
sous vos draps bleus
Forgez des nids d’acier
pour vos derniers silences.
—
Peines passées dans le tamis des mains
Peines à venir
dimanches gris comme les pierres
nos seuls soleils sont des lichens
Plus de savons gros cubes pâles
plus d’eaux bleutées
où jouent les doigts
le village est mort au lavoir
Chardons de mots tristes
haillons de chairs
vieillir sous le baiser des ronces
quand plus n’importent les saisons
à ceux
que l’on aime plus qu’avec distance
dans le temps mort
Hauts murs de tessons
pour limiter nos jardins noirs
seul le regard blessé.
au-delà des lignes grises
voyage
jusqu’aux branches immuables de l’espoir.
—
Boîtier des heures grises
lunes d’acier sur les eaux mortes
des milliers d’étoiles blafardes dansent
en cadence dentelée la vanité d’Éternité
une valse d’indifférence
une valse d’heures glacées
une valse sans un baiser
Derrière ses grilles de pluies
gardien rouge des saisons
septembre est revenu
rouiller les fleurs
aux murs de mes maisons
Sur les eaux glauques des étangs
sur le cadran des sécheresses
roseaux brisés aiguilles noires
dessinent l’heure des départs.
Bleuissement des feuilles mortes et de l’hiver, Clapàs, 1993
***
Gramat
j’habitais là toute l’année
puis les dimanches tristes seulement
puis en passant trop rarement dans les souffles d’été
N’avoir su rire parler ni pleurer quand il l’aurait fallu
je ne suis plus qu’un étranger.
et les vivants ne sont plus là
Automnes je n’ai plus où aller hors saison
je n’ai plus où m’asseoir dans l’enfance
pas même sur les marches mouillées des lieux publics
à la terrasse des cafés morts
—
Blocs de patience brute et grise
grands rocs plats fonds de mers asséchées
où mains de l’homme
éclats
d’angles durs
sous les genévriers
Étrange ressemblance graphique entre.
ruines et racines
sauvage encore un peu
être partie ou tout
des paysages bleus
—
Ici l’on a les paysages qu’on peut
pour toute sortie des dimanches
une route qui s’achève
toujours la même
au-delà de la grille des peupliers
La: maison basse est là
—
Seul pourtant plein de toi
je regarde mourir la dernière églantine
avant de repartir
vers les villes-prisons les cafés les pressings
vers ces maisons sans toits d’ardoises ou de tuiles
si hautes que les arbres ne les ombragent plus
des fenêtres desquelles on ne voit plus jamais
varier les saisons
qu’aux vêtements des femmes
ces feuilles de la rue
ces drapeaux de l’exil
27 poètes du midi toulousain, responsable J.-P. Metge, Panorama 2001 n°3
***
Elle se baigne aux nues
et moi je pêche l’eau
sous les piles du pont de la rivière étrange
j’aperçois ses bras pâles
derrière les roseaux
je rêve vers ses sources et ses habits épars
je cueille les glaïeuls qu’elle a dû regarder
Nos seuls soleils sont des lichens, L’Arrière-Pays, 2003
Bibliographie
Période grise, auto-édité, 1969
Étincelles vertes, auto-édité, 1988
La monnaie jaune des brouillards, auto-édité, 1989
On ne grimpe plus aux silences, Nouvelle Pléiade, 1990
Les brisures du temps, les Cahiers des Libellules, 1990
De l’herbe au vent, Traces, 1992
Horizons du Néant, Traces, 1992
Les Chrysanthèmes rouges, Traces, 1992
Lambeaux de bleus, Traces, 1992
Les greniers du silence, Résurrection, 1993
Bleuissement des feuilles mortes et de l’hiver, Clapàs, 1993
Annuaire Escalasud, Encres Vives, 1993
27 poètes du midi toulousain, responsable J.-P. Metge, Panorama 2001 n° 3
Nos seuls soleils sont des lichens, L’Arrière-Pays, 2003