Maurice Blanchard

La violente espérance de la poésie

Le poète n’est rien, c’est ce qu’il cherche qui est tout.

Maurice Blanchard est un poète abrupt et dans sa vie et dans ses mots. Un de ceux qui ne peuvent respirer que dans les hautes solitudes. De son vivant, il n’aura eu qu’une infime poignée de lecteurs. Il s’en moquait, lui qui préférait lire ses textes à ses poissons rouges et à ses tortues d’eau.

Mais il sut être surtout l’ami profond de René Char, d’Eluard, de Michaux, de Joë Bousquet qui tous le tenaient au moins pour leur égal.

Il fut aussi un ingénieur de génie, - les hydravions Blanchard glanèrent tous les records mondiaux), un pilote de chasse émérite un des rares rescapés à 24 ans de l’escadrille Dunkerque, l’ingénieur en chef de Hurel-Dubois, de Potez.

Il fut en fait un révolté, un autodidacte voleur de feu, l’exigence pure faite homme.

Il me faut, à chaque instant passer par l’infini pour atteindre d’incertaines et transitoires petites choses.

Traces de Maurice Blanchard

Né le 14 avril 1890 à Montdidier dans la Somme, il meurt le 19 mars 1960 au même endroit, dans ce village détesté, le lieu de ses humiliations.

Derrière ces dates, il y a la brûlure de la vie d’un homme arc-bouté contre l’injustice, avide de savoir et sauvé, transfiguré par la poésie qu’il découvre à 40 ans devant la devanture d’un libraire - José Corti-, où était exposé un poème d’Éluard. Que de plaies enfermées entre deux simples dates !

La vie dangereuse est là, au milieu des miracles.

Avant cette violente conversion, il n’y a qu’une vie blessée dans les bagnes industriels. Esclave à 12 ans de cet enfer des usines « où il chauffe les rivets, perce les trous, lime de la blèche », il s’enfuit en s’engageant volontairement dans la Marine de guerre. Il rejoint Toulon en traversant à pied toute la France. Là, dans cet autre enfermement, volontaire, il engloutit, comme un homme qui se noie enfin dans sa soif, seul, tout le savoir qui lui a été refusé, depuis les philosophes anciens jusqu’aux mathématiques les plus sophistiquées.

Seul, la nuit, les quelques parcelles de jour libres, face à ses compagnons de chambrée qui le moquent puis le craignent. Tout le monde des livres vient s’entasser en lui, le faisant autre.

Boulimie de toutes les connaissances, digérer des cailloux, rattraper la file des gens instruits, étudier dans les doubles fonds, à la lumière des quinquets.

Reçu premier à l’examen des ingénieurs mécaniciens en 1917, il remporte sans aucune aide quelconque le concours ouvert par les Forces alliées pour la construction d’un hydravion de haute mer. Il prendra part à la guerre de 1914-1918 en tant que pilote de l’escadrille Dunkerque dont il sera un des rares rescapés.

La suite sera celle d’un homme sans illusions, touché par la grâce de la poésie, abattu par l’injustice et la corruption du monde, la lâcheté de l’État.

Maurice Blanchard est l’homme de l’impitoyable ligne droite, et chaque mensonge, chaque dérobade le crucifie.

La terre est abandonnée, l’arbre encore debout, J’ai tant aimé l’avenir, j’ai tant souffert.

(Lettre à A. P. de Mandiargues).

Un poète en lutte

Vivre c’est la guerre, proclame Maurice Blanchard qui se sert de la poésie comme d’une insulte, comme d’un couteau.

Blanchard s’est inventé une parole, la parole quasiment prophétique du poète des hautes solitudes parlant par aphorismes, par révélations. Entré en poésie comme un fauve, Blanchard laissera ses poèmes incandescents derrière lui, allant parfois jusqu’à les ronéotyper et les distribuer à la main dans son usine, sans doute avec le même succès que devant ses poissons rouges.

« Ce n’est pas avec les mains que l’on saisit la vérité, c’est en chassant au plus profond de l’abîme les ténèbres de l’existence » et les poèmes de Blanchard participent de cette longue traque de la lumière.

Je fais ma lumière moi-même, ma lumière, mon obscurité. Et le grand vent venu du Sud-Ouest ne peut l’éteindre. C’est un monde entre mon pouce et mon index - Les charbons ardents sont le silence même - la souffrance, c’est l’eau dormante, le bon sens, l’humanité.

Il se sera révélé à lui-même par le savoir et le courage, il aura survécu par la poésie.

« J’ai tant aimé l’avenir, j’ai tant souffert… »

« À partir de trente-sept ans, écrit des poèmes pour guérir. L’ont sauvé. Instinct des bêtes sauvages, choisissant l’herbe qu’il faut. A publié sept ans plus tard. Touché par la grande libération du surréalisme. Tout est permis. Toutes les graines ont leur chance, et un jour la graine de l’arbre chanteur germera. Tout est possible, condition du progrès. Mort à l’État. » Ces paroles de Blanchard le résument.

Comprendre que Blanchard est essentiel dans sa pureté, dans son combat pour la parole vraie et lui rendre sa vraie place, tout à côté de René Char, voilà le seul objet de ce coup de cœur pour l’homme « des Barricades Mystérieuses », de « Splendeurs et Misère », de « C’est la fête et vous n’en savez rien ».

« Danser sur la corde », journal de 42 à 46, et les Barricades Mystérieuses » chez Poésie - Gallimard, sont disponibles actuellement et permettent « de faire se lever le soleil sur le plus pur poète de ce temps ».

Blanchard a dansé sur la corde, il l’a tendue non pas entre les étoiles mais dans la sueur de la vie.

Maurice Blanchard poète en lutte!

Cœur furieux Maurice Blanchard n’arrête point de dévaler en nous.

Gil Pressnitzer

Choix de textes

L’énorme beauté qui va survenir

Les grandes orgues de la destruction, les orages et les vagues de la mer éternellement jeune, voilà l’entrée triomphale de la justice déferlant sur vos châteaux en Espagne bâtis sur le vent, sur la chair et le sang sacré des êtres créés et non créés.

La vermine est au sommet de la tour, les reliques du son et de la lumière ont été jetées au fond de l’abîme ; elles gisent dans la boue du marécage parmi les crapauds mutilés. Ces choses immondes justifient notre présence. Elles ont combattu, horriblement combattu, chacune dans sa noire, intemporelle et humide solitude et nous voici devant notre ouvrage, devant nous-mêmes et non pas le septième jour, mais l’unique, l’immuable, l’éternel premier jour.

Déchiré

Après chaque moisson, il incendiait les récoltes. Puis, il gravissait le torrent desséché, la seule route de ce pays, tombeau de la patience. C’est la vie aux yeux crevés qui frappe à la porte.

Le récitant ouvrit les bras. Un silence de neige se posa sur les épaules du passé, squelette de chien. Sur la peau du village effondré se dressèrent les quatre murs de la haine.

Les assassins dormaient sur la plage dans l’attente des faillites nouvelles. Insensible aux morsures de la Mort, un nouvel été flambait sur la montagne.

Noces

Il y eut promesse de mariage entre le vent et la neige. La neige et le vent échangèrent leurs anneaux et le navire, ganté de givre, entra lentement dans la cérémonie des amours. Il entra lentement dans la saison des attendrissements.

Le bonheur est immobile sur la crème d’un nuage, c’est une lumière qui gèle et qui casse. C’est un buisson de lis avec des serpents violets qui se glissent entre le crépuscule et la mer, qui se glissent dans l’herbe sanglante du crépuscule.

Le fouet claque et déchire la neige du premier amour. Le repas du fauve s’achève dans le sang des orchidées.

Je lance un coup d’archet

La mémoire naquit d’un coup de bâton. Le temple fut profané par ceux qui travaillent avec les mains, par ceux qui travaillent avec les pieds. Et ce fut le matin, et ce fut la nuit pour ceux qui ont faim, pour ceux qui rêvent et pour ceux dont le cœur a ses raisons.

Je me sauve. Comprenez-le comme vous voudrez, le miracle est là, derrière la porte. Après la guerre, ce fut la guerre et maintenant c’est la guerre et c’est la lutte impitoyable des crocodiles sous la voûte du cerveau. On déchire dans tous les sens les images de soie et d’or, on rêve de bonté, on marche sur les oiseaux. Et quel silence !

La poussière, les années

Il vit dans les flammes. Il ne se brûle pas, la réalité le protège. Le hasard est son maître, et la mort sa passion. La compassion, c’est la pire injure et vous ne pouvez rien, ni pour lui, ni contre lui. Surtout ne le plaignez pas, il vous tuerait ! Ce fut un enfant abandonné sur un fagot d’épines. Ce fut un adolescent sans espoir et sans lumière. Ce fut une taupe dans son royaume souterrain et la terre lui fut un refuge contre la bassesse du ciel. La cause première des orages c’est le vent qui rend les cavales folles, elles aussi. C’est le vent qui emporte les arbres au paradis. Les arbres, la fleur et la semence. Et les serpents aussi. Ceux qui font que notre cœur éclate.

La situation-limite

Il est un fruit qui mûrit lentement, très lentement.
Si lentement que l’arbre meurt avant que le fruit ne mûrisse, avant même qu’il n’ait apaisé la soif du voyageur épuisé. Il s’en faut de peu : un rayon de soleil sur l’eau tremblante du repentir.
Monsieur l’architecte mesure la porte, les fenêtres, la hauteur des murs et la pente du toit. On honore monsieur l’architecte, on le salue quand il passe dans la rue, le mètre à la main et le derrière au bas du dos, comme tout le monde. Chaque soir un sommeil bien mesuré le supprime.
Je veille. Mon travail a besoin de l’infini. Oui ! Il me faut, à chaque instant passer par l’infini pour atteindre d’incertaines et transitoires petites choses. C’est mon métier. Bonsoir !

Que reste-t-il de la flamme ?

Il faut d’abord choisir le point exact d’où l’on doit partir. Le reste importe peu.
Pas la flèche, mais l’oiseau ! Je suis un oiseau aveugle au centre de la Terre et je ne puis choisir mon chemin. Il n’y a pas de chemin.
C’est en allant rechercher mes désirs enfouis que je me suis perdu. Les arbres s’inclinaient sous la charge invisible du vent qui passe, les arbres se redressaient, vainqueurs une fois encore.
La joie était dans les yeux, la joie était dans l’alléluia du tremble argenté, ce poète de la forêt dont les mains tour à tour sombres et lumineuses rythment la danse du devenir, l’innocence retrouvée.

Balise 83 -

"Nous autres sans patrie. Nous autres étrangers sur la terre étrangère nous sommes chacun dans notre propre asile comme un sanglier apeuré, perdu au centre de la grande ville à l’heure où les chevaux vont boire, à l’heure où les assassins s’éveillent. Mais nous ne dormons pas, nous n’avons pas le droit de dormir: le sommeil serait l’apprentissage de la mort et il faut que nous mourions debout dans l’innocence du devenir".

La Liberté ou la mort

Comment sortir de nos caves ? Grincent les dents gâtées du soupirail qui mange nos mains et nos visages ! que s’entrouve la terre d’Europe comme un ventre de Judas ! Nous voici devenus les entrailles de l’ombre.

Ha ! Ha ! Ha ! Quel rire nous secoue quand on n’a plus rien à perdre.

Bibliographie

1977- 1982 – Réédition des œuvres complètes aux éditions Plasma.

1988 – Publication de Maurice Blanchard dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » par Pierre Peuchmaurd, éditions Seghers.

1994 – Les Barricades Mystérieuses, préface de Jean-Hugues Malineau, Poésie/Gallimard.

1994 – Danser sur la corde, journal 1942-1946 [1], L’Éther Vague, Patrice Thierry éditeur.

2006 - La Hauteur des murs, éditions du Dilettante, suivi de quelques inédits, préface et notes par Vincent Guillier.