Odysseus Elytis
L’exil au cœur de la lumière
la poésie commence là où la mort n’a pas le dernier mot. Elytis.
L’enfant de l’union entre Sapho, la poétesse de Lesbos, et Paul Eluard pourrait s’appeler Odysseus Elytis. Mais Elytis est bien plus que cela encore. Son ombre radieuse mais complexe plane au-dessus de la Grèce et ses mots apportent fraîcheur et eau claire à tous les voyageurs de la poésie. Certains de ses textes continuent à faire l’objet de savantes exégèses, tant ils sont ouverts à bien des interprétations. Et on a le sentiment parfois d‘entrer avec crainte dans certaines parties de son œuvre comme dans une cathédrale. On s’y perd parfois, pris dans le flux incantatoire de ses métamorphoses, de ses analogies. Il a tant voulu retrouver le véritable visage de la Grèce que les lecteurs grecs ne se retrouvent pas toujours dans sa restauration sans fard, eux qui voudraient une image plus banale.
Peut-on admettre que les statues antiques étaient outrageusement peintes, et non de ce blanc immaculé que l’on nous présente ?
Aussi est-il très admiré, mais aussi parfois discuté. Séféris ni Cavafy ne posent pas ces problèmes par leur limpidité absolue. Elytis utilise le scalpel du réel, et l’éclairage des symboles issus de civilisations immémoriales. Il est homme du Logos, passionné de sciences mais au filtre absolu de l’imaginaire. Il est aussi l’homme du Cosmos.
Au travers de sa « métaphysique solaire » de sa lumière qui a pris son envol dans les replis de la Mer Égée, de ceux de la peau des filles, se propose la recherche continue du paradis perdu de la Beauté. Mais aussi une véritable cosmogonie. Comme pour Mahler dans sa troisième symphonie, il part de la nature pour faire tourner les astres.
En Grèce le mystère se place en pleine lumière, en Occident dans l’obscurité. Et Elytis est celui qui enferme le mystère dans la lumière.
Il définit simplement la poésie par « l’art de nous rapprocher de ce qui nous dépasse ». Et toute son œuvre aura été chemins vers cette part inconnue en nous, qu’une langue inconnue tente de transcrire avec des signes secrets.
Lire Elytis n’est pas simple, son écriture est difficile. Souvent il s’agit d’un déchiffrage de mots cachés, de mots de passe vers d’autres portes donnant sur l’essentiel de la condition humaine.
Il semble tracer sur les plages de la vie des lettres que la mer du temps veut effacer de suite, mais qui reste graver dans la mer qui s’en retourne.
Cette renaissance, au sens de la Renaissance à la fin du Moyen Âge qui retrouvait le monde grec, ne le conduira pas à un classicisme figé, lui l’homme des images les plus folles. Il fut un homme de son temps, un révolté.
Il a su :
l’usure et la mort que nous constatons chaque jour autour de nous, ou dans cette propension à croire que le monde est indestructible et éternel.
La beauté n’était pour lui que l’autre mot pour dire Vérité.
Situation d’Odysseus Elytis
Pourtant avant de recevoir le prix Nobel de littérature en 1979, Elytis était très peu connu hors de sa maison natale, la Grèce. Il fut le second et à ce jour le dernier écrivain grec à avoir ce prix, donc cette reconnaissance.
Elle lui fut attribuée « pour sa poésie prenant appui sur la tradition grecque avec une force sensuelle et une lucidité de la condition de l’homme moderne »
Ce qui rendit Elytis connu dans son pays est son monument poétique « Axion Esti » (chant de louange), son « livre-monument » comme le dit son meilleur passeur en langue française, Xavier Bordes.
Ce chant rituel bâti sur les modes de prières anciens avec ses psaumes, ses cantiques et ses laudes sera magnifié par le communiste Mikis Théodorakis qui avait perçu le message universel de ce texte fondateur de la poésie grecque contemporaine.
Car Elytis touche à l’universel lui embarqué sur « le bateau fou de la Grèce ». Il dit vouloir « la revanche des rêves »
Mais la connaissance d’Elytis est récente et il faut se rappeler que jusqu’en 1948 qu’un seul poème d’Elytis avait paru hors de Grèce !
La connaissance, ou plutôt la reconnaissance d’Odysseus Elytis, dans sa « deuxième patrie », la France, doit beaucoup surtout à la chanteuse Angélique Ionatos – (Paroles de Juillet, Marie des Brumes, Monogramme, Sappho de Mytilène reconstitué par Elytis) qui fera claquer cette langue belle et terrible jusqu’au fond de nous.
Elytis est l’homme d’une langue :
Comme langue on m’a donné de parler grec
elle est mon humble maison sur les plages sablonneuses d’Homère
mon seul souci est de mettre ma langue dans les plages sablonneuses d’Homère
la dorade et la perche
les verbes battus par les vents
avec le vert des courants céruléen
tout ce que j’ai vu flamboyant dans mes entrailles
éponges, méduses
avec les premiers mots de la Sirène
coquillages rose foncé avec leurs premiers noirs frissons. (Axion Esti)
De ce pauvre abri il va faire une flamboyante demeure pour la lumière et la Mer Égée viendra s’y reposer. Il est viscéralement attaché à la langue grecque, à la mer qui déborde en elle, à la lumière qui en sourd.
Je parle au nom de la lumière et de la transparence.
Ses mots et ses verbes qui « vibrent sous le vent » s’écrivent sur l’azur.
Le poète ne prend pas forme dans le monde, c’est le monde qui prend forme dans le poète.
Il est aussi un homme de révolte et il fait souffler grand vent de mots sur la langue grecque.
Il s’est longtemps posé la question d’Hölderlin « à quoi bon des poètes dans ces temps si sombres ? »
Il a donné sa réponse : à témoigner à la fois et des mystères et de la lumière. Et pour lui « la poésie est le seul espace où le pouvoir des nombres ne sert à rien ». La poésie elle ne sert à rien qu’à vivre, vivre en toute lucidité.
Homme éthique, homme debout il faut rencontrer les mots d’Elytis.
Lui qui a clamé ceci :
Oui le paradis n’est pas une nostalgie, encore moins une récompense. Le paradis est simplement un droit.
Trajectoire d’Elytis
Odysseus Alepoudhélis était son nom, il prit pour pseudonyme celui de Odysseus Elytis. Le prénom du marin errant, sage et paria à la fois lui fut donné par ses parents Panagiotis Alepoudhélis et Maria Vanna. La seconde partie qu’il s’est choisie est une allusion à plusieurs notions d’après les hellénisants. Il s’y mêle des références au nom de la Grèce antique, à l’espoir, à l’Éros et au héros, à Hélène de Troie (Eleni) et surtout à la liberté.
Donc plus qu’un nom il s’agit d’une proclamation, d’un acte de foi.
Il était né à Héraklion en Crète le 2 novembre 1911 – comme Nikos Kazantzakis -, dans une très vieille puissante faille crétoise qui venait de Lesbos, l’île de Sappho. Il était le dernier de six enfants. Ses vacances et sa jeunesse se seront passées au bord de la mer Egée.
Puis la famille s’installa à Athènes ou Elytis commença des études de droit, travaillant en parallèle dans l’usine d’huiles et de savon de ses parents. Comme d’autres jeunes hommes de sa génération il découvre le surréalisme et publie en 1935 son premier recueil de poésie, encouragé par Georges Séféris. Puis vint la deuxième guerre mondiale et l’occupation par les nazis de la Grèce. Elytis rejoindra la résistance.
Il servira comme lieutenant dans la guerre contre l’Albanie de 1940-1941.
L’expérience douloureuse cette guerre en Albanie, de la violence infinie et de la mort, le marquera à jamais et changera sa vision « dionysiaque » du monde :
« Le monde est un espace d’oppression où nous tentons de vivre, mais pourtant cela dit avec un tout petit peu de fierté cela vaut le coup d’y vivre »
Ayant participé à la libération de son pays il se tourne vers la littérature et publie de nombreux recueils et s’occupe de la radio nationale et du théâtre. Fuyant la guerre civile qui ravage son pays il s’installe en 1948 à Paris et il devient l’ami de Picasso, Matisse, Giacometti Eluard, Reverdy, Char...
Il retourne en Grèce en 1953 où il reprend d’importantes responsabilités culturelles. Son long silence d’écrivain se rompt avec la publication en 1959 d’Axion Esti, livre porté en lui pendant quatorze ans et qui sera un événement considérable en Grèce. Toute l’histoire passée et à venir de la Grèce s’y trouve.
Ce mélange d’hymne païen à la Walt Whitman et de rituel de liturgie byzantine est l’acte fondateur de la poésie grecque contemporaine. Il est un nouvel évangile.
Devant le coup d’état en Grèce de 1967, Elytis s’exile en France jusqu’en 1972.
En 1978 il publie Maria Nepheli, Marie des Brumes, dialogue entre une jeune fille et un antiphoniste, sans doute lui-même.
Homme solitaire, jamais marié, il s’enferme à Athènes et meurt d’une crise cardiaque le 18 mars 1996 après des années de maladie.
Ce chantre du soleil recelait bien des parts d’ombre.
La conception poétique d’Elytis
« Je considère la poésie comme une source d’innocence emplie de forces révolutionnaires. Ma mission est de concentrer ces forces sur un monde que ne peut admettre ma conscience, de telle manière qu’au moyen de métamorphoses successives, je porte ce monde à l’exacte harmonie de mes rêves. Je me réfère à une sorte de magie moderne dont la mécanique nous conduit à la découverte de notre vérité profonde. C’est pourquoi je crois, par idéalisme, que j’évolue vers une direction encore jamais atteinte. Espérant obtenir une liberté délivrée de toute contrainte, et une justice qui puisse être confondue avec la lumière absolue, je suis un idolâtre, qui sans le vouloir, parvient à la sainteté.» Athènes, 27 mars 1972.
Et Elytis procède bien par métamorphoses, par analogies de lumière. Lui qu’on a facilement catalogué enfant du surréalisme français et de la Grèce Antique s’est toujours défendu de cela, le mariage entre l’influence de la mer Égée et de Paul Eluard et André Breton.
Le poète s’en défend. Il s’en est longuement expliqué.
« On dit de moi que je suis un poète dionysiaque, surtout à mes débuts. Je ne le pense pas. Je suis pour la clarté. Comme je l’ai écrit dans un de mes poèmes « je me suis vendu tout entier pour la clarté. Je suis critique envers le rationalisme occidental, sceptique sur son classicisme, et je ressens la brèche ouverte par le surréalisme comme une véritable libération des émotions et de l’imagination. Pouvez-vous concevoir un nouveau classicisme dans l’esprit du surréalisme. Je n’ai jamais été un disciple de l’école surréaliste. J’ai simplement certains éléments congénitaux pour moi à la lumière grecque. L’occident trouve les mystères dans l’obscurité, nous les Grecs nous les trouvons dans la lumière. ».
Mais cela n’est pas si évident et il avouera que le surréalisme a contribué « à vaincre sa timidité naturelle ». Certainement plus que cela en l’ouvrant sur l’inconscient. D’ailleurs le surréalisme a changé complètement la poésie grecque en brisant l’académisme ambiant, et en prêchant l’amour fou et la joie de la vie. Cela Elytis ne pourra le nier, ni tous les autres poètes grecs à sa suite.
Elytis comme bien des poètes grecs dit « le ciel et de la mer, le soleil et la lune, les végétaux, les filles, l’amour » Enfant d’Éolie il est dans la chair de son monde, avec tout son corps et toute sa lucidité. Sa filiation profonde avec sa terre, son île de Lesbos, la mer Egée, dont sa famille était issue, lui fait revivre et traverser dans ses mots les figures du Héros et d’Éros, et aussi recomposer et restituer les poèmes de Sapho de Mytilène, sa lointaine cousine. Celle, la brune, la sensuelle, 2500 ans plus tôt avec qui il aurait pu jouer dans les mêmes jardins, se baigner dans les mêmes fontaines, courir dans la même île.
Le mystère de la lumière que chante Elytis, il le trouve dans la danse d’un lézard sur une pierre pour célébrer le soleil, dans la danse des dauphins dans la mer, dans un papillon qui se pose sur la nuque fragile d’une jeune fille, « dans les sources du jardin et dans l’horloge qui se trompe sans arrêt d’heure ».
On peut, surtout en langue en grecque, trouver toute l’odeur du sel dans ses mots, les embruns de l’amour, la dérive des îles, les reflets mouvants du sable et de la mer, le soleil englouti en elle, la vie frémissante, le sexe des femmes et des coquillages, un banc de poissons qui s’enfuit, un volcan sous l’eau.
Au plus près des racines des choses et de la nature, Elytis s’enveloppe aussi d’une forêt d’ombres, d’une forêt de symboles. Utopie et magie, espoir dans l’existence humaine sont sous-jacents. Besoin de tenter de se fondre dans l’harmonie du monde et de la création telle est la direction de ce qu’il appelle sa mission. Elytis a un souffle messianique. Pour les autres.
« Je ne parle pas de moi, je parle pour ceux qui ressentent le monde comme moi, mais non assez de naïveté pour le confesser ».
Il restera, lui le loup solitaire, inondé d’idéalisme malgré la violence de ces époques de destruction. Solidaire et ouvert aux autres il ne savait nager pourtant que « dans les eaux claires de la solitude, là où la vérité coule comme une nouvelle statue en coupe »
Odysseus Elytis se revendique comme un poète de « la métaphysique solaire ». Il cherche non pas « la belle clarté de la raison », mais la limpidité magique et irrationnelle qui sourd au dedans et au dehors des choses et des êtres. Il aura cherché une immense transparence, et chaque mot se veut translucide et lucide à la fois. Une large part d’irrationnel baigne ses poèmes et l’émergence de l’inconscient en Grèce, terreau du surréalisme, lui doit beaucoup, comme à celle de sa génération des années vingt. Et sa poésie a d’abord été formée à l’étranger, en France notamment avant d’être retrempée puissamment dans le sol grec et ses mythes. Il a en lui du sculpteur de statues antiques et du peintre d’icônes byzantines. Sa suggestion de la transcendance et du divin, il l’opère par la lumière, la sensualité. Il y a un sens profond du sacré chez Elytis, comme un amour profond du trivial de la vie humaine.
Il s’identifie à Ulysse et ses voyages :
« Le voyage d’Odysseus, dont il m’a été donné de porter le nom, semble ne devoir jamais s’achever. Et c’est heureux.
Comme l’observait un de nos grands poètes contemporains, l’essentiel n’est pas dans le retour à Ithaque, qui met un terme à presque tout, mais dans l’errance qui est connaissance et aventure. Ce besoin de l’homme de découvrir, de connaître, de s’initier à ce qui le dépasse, est irrépressible. Nous sommes tous captifs de cette soif de connaître « le miracle », de croire que le miracle se produit, pourvu que nous y soyons préparés et que nous l’attendions.
En me consacrant, à mon tour, pendant plus de quarante ans, à la poésie, je n’ai rien fait d’autre. Je parcours des mers fabuleuses, je m’instruis en diverses haltes ».
Métamorphoses et images rendent lourdes de chair et de couleurs, comme tapisseries bariolées, ses poèmes. Il est à l’écoute des signes invisibles, et comme son peintre aimé, Paul Klee, il veut rendre visible l’invisible. Sans appuyer, tout par transparence.
Il ne faut point oublier qu’Elytis était également peintre et tout procéder en lui par visions et par images, par collages aussi issus de chers amis surréalistes parisiens. Mais il était avant tout le poète de l’exil de la lumière, de celui qui recherche l’harmonie des tensions opposées.
J’ai dressé mes deux mains par-dessus les chimères
et tous les noirs démons inconjurés du monde
puis m’étant détourné de leurs gueules immondes
j’ai rejoint mon exil au cœur de la lumière ! (Maria Nepheli, Marie des brumes).
Finalement il n’aura que poli et repoli que quelques mots : ciel, mer, éther, pierres, jeune fille, bleu vif, soleil et liberté. Et ces mots sont encore vibrants et mouillés sortis de l’onde.
Dans son discours de Prix Nobel il concluait ainsi :
« Tenir le soleil dans ses mains sans être brûlé, le transmettre comme une torche à ceux qui viendront après nous, est un acte douloureux, mais je crois, un acte béni. Nous en avons besoin. Un jour les dogmes qui maintiennent enchaînés les hommes seront dissous devant une conscience tant inondée de lumière qu’elle fera qu’un avec le soleil, et il adviendra les rivages idéaux de la dignité humaine et de la liberté. »
Autant qu’une conception poétique il s’agit d’une conscience humaine. Mais chez Elytis les deux ne font qu’un.
Traduire Odysseus Elytis
« Seul vingt pour cent de ma poésie passe en traduction ». Et de fait tous les arrière-plans et la complexité de ses images passent assez mal dans une autre langue alors que par exemple Georges Séféris n’a pas ce problème.
Pourtant lui-même fut le traducteur de son ami Paul Eluard, de Pierre-Jean Jouve, de Lautréamont, de Rimbaud. Ce qui donne une indication sur ses affinités littéraires.
Si les poèmes de jeunesse et même « Monogramme » sont abordables, « Marie des Brumes » avec son mélange de culte marial et païen, ses allusions autobiographiques entre le poète-antiphoniste et la beauté inaccessible et désirée, et surtout To axion Esti (le loué soit) basé sur des anciens rituels qui nous échappent, et sont presque impossibles à rendre aussi on ne peut qu’être ébloui par les recréations de Xavier Borde, de Robert Longueville (éditions Gallimard) et par Jacques Phytilis pour les Analogies de lumière (Actes Sud).
Elytis a replacé la poésie grecque dans son héritage certes occidental, mais aussi profondément oriental. Et bien des allusions alors nous restent obscures. Sa langue très riche est imbibée d’histoires et de mythes, de rituels antiques ou byzantins, et d’arrière-plans difficiles à transcrire. Lui le natif de Crète a une forme labyrinthique et peu de fils d’Ariane nous sont donnés, pourtant la lumière est déjà là, même si nous ne comprenons pas ce qui l’amène. Il y a une part de magique dans l’écriture d’Elytis, de chamanisme des mots comme une Pythie. Comment rendre les messages des Dieux ?
Vouloir transposer la voix d’Elytis, c’est rendre « les Analogies de lumière » qu’il porte. Cela n’est pas donné, mais tout ce qui permettra une meilleure approche de ce grand poète sera utile.
Et puis laissons lui le dernier mot :
- Tout se perd. Pour chacun l’heure fatale.
- Tout demeure. Moi je pars. À présent à vous la balle.
Gil Pressnitzer
Choix de textes
De la mer Egée (Orientations 1939)
Érotas
1
Éros
l’archipel
et la proue de l’écume
et les mouettes de leurs rêves
Hissé sur le plus haut mat
le marin fait flotter un chant
Éros
son chant
et les horizons de ses voyages
et l’écho de sa nostalgie
sur le rocher le plus mouillé la fiancée
attend un bateau
Éros
son bateau
Et la douce nonchalance de son vent d’été
et le grand foc de son espoir
sur la plus légère ondulation une île se berce
le retour.
II
Les eaux joueuses
les traversées ombreuses
disent l’aube avec ses baisers
qui commence
horizon -
Et la sauvage colombe
fait vibrer un son dans sa caverne
bleu éveil dans le puits
du jour
soleil –
Le noroît offre la voile
à la mer
caresses de chevelure
pour ses rêves insouciants
rosée –
Vague dans la lumière
à nouveau donne renaissance aux yeux
Là où la vie cingle vers le large
Vie
vu du lointain –
III
La Mer fait glisser ses baisers sur le sable caressé – Éros
la mouette offre à l’horizon
sa liberté bleue
Viennent les vagues écumantes
questionnant sans trêve l’oreille des coquillages
Qui a pris la jeune fille blonde et bronzée ?
la brise de la mer avec son souffle transparent
fait pencher la voile du rêve
Tout au loin
Éros murmure sa promesse – Mer qui glisse.
adaptation personnelle
« Omorphi ke paraxeni patrida ». 1971
Belle mais étrange patrie
Que celle qui m’a été donnée
Elle jette les filets pour prendre des poissons
Et c’est des oiseaux qu’elle attrape
Elle construit des bateaux sur terre
Et des jardins sur l’eau
Belle mais étrange patrie
Que celle qui m’a été donnée
Elle baise le sol en pleurant
et puis elle s’exile
aux cinq chemins elle s’épuise
puis toute sa vigueur reprend
Elle menace de prendre une pierre
Elle renonce aussitôt
Elle fait mine de la tailler
Et des miracles naissent
Belle mais étrange patrie
Que celle qui m’a été donnée
Avec une petite barque
Elle atteint des océans
Elle cherche la révolte
Et s’offre des tyrans
Elle enfante cinq grands hommes
et puis elle leur brise l’échine
quand ils ne sont plus
elle chante leurs louanges
Belle mais étrange patrie…
traduction Angélique Ionatos
*
Parole de juillet ( Les Élégies de la pierre tout-au-bout 1991 )
Mesuré est le lieu des hommes
Et les oiseaux ont reçu le même mais immense !
Immense le jardin où à peine
Séparé de la Mort. (avant qu’elle ne me touche à nouveau
Déguisée) je jouais et tout m’arrivait aisément à hauteur de main.
Le petit cheval de mer ! Et de la bulle pfuit l’éclatement !
Le bateau rouge de la mûre sauvage courants profonds des
Feuillages ! Et le mât de misaine plein de drapeaux !
Que m’arrive-t-il à présent ? Mais c’était hier où j’ai existé
Et puis la longue longue vie des inconnus l’inconnue
Soit. Rien qu’en parlant joliment on s’épuise :
Comme le cours de l’eau qui d’une âme à l’autre
tisse les distances.
Et tu te trouves funambulant d’une Galaxie à l’autre
Alors que sous tes pieds grondent les précipices.
Et tu arrives ou non.
Oh premiers élans à peine esquisses sur mes draps. Anges féminins
Qui de là-haut me faisiez signe d’avancer dans toute chose
Puisque même si je tombais de la fenêtre
la mer de nouveau me servirait de monture
L’immense pastèque qu‘ignorant jadis j’ai habitée
Et ces filles de la maison, ces orphelines, à la chevelure défaite qui avec l’Intelligence du vent savait se déployer par-dessus les cheminées !
Une telle harmonie de l’ocre dans le bleu
qui vraiment te trouble
Et les écritures d’oiseaux que le vent pousse par la fenêtre
À l’heure où tu dors poursuivant l’avenir
Le Soleil sait. Il descend en toi pour regarder.
Car l’extérieur n’étant que reflet, c’est dans ton corps que la nature demeure et de la qu’elle se venge
Comme dans une sauvagerie sacrée pareille a celle lion ou de l’Anachorète
Ta propre fleur pousse
que l’on nomme Pensée
(Bien que lettré, j’arrivai de nouveau là où la nage m’a toujours mené)
Mesuré est le lieu des sages
Et let enfants ont reçu le même mais Immense !
Immense la mort sans mois ni siècles
Pas moyen de devenir adulte là-bas
De sorte que dans les mêmes chambres
les mêmes jardins tu retourneras
en tenant la cigale - Zeus qui d’une
Galaxie à l’autre promène ses étés.
traduction Angélique Ionatos
Monogramme 1972
Au paradis
Au paradis j’ai fait la marque d’une île
qui tant te ressemble
et une maison dans la mer
Avec un lit immense
et une toute petite porte
tout au fond j’ai jeté l’écho
pour me voir à chaque matin au réveil
Pour te voir passer dans l’eau à mi-corps
et seul, au Paradis, te pleurer, à moitié.
adaptation personnelle
*
L’Élégie
Du soleil et des années qui viendront sans nous
je porte déjà le deuil et je chante celles qui déjà sont passées
si cela est réel
Les corps et les bateaux complices doucement résonnèrent
les guitares brillant dans l’eau
dirent les « crois-moi » et les « non »
frappant un coup dans l’air, un coup dans le son même…
Enfant embaumé dans l’encens et marqué de la croix pourpre
à l’heure où tombe la nuit à la pointe la plus extrême des rochers
je porte le deuil de ce linge qui fut mien
et qui m’a donné le monde.
adaptation personnelle
J’ai parlé de toi
En des temps si anciens j’ai parlé de toi
Aux nourrices si sages aux anciens guerriers
dis-moi d’où te vient cette mélancolie de fauve
cette eau qui luit sur ton visage en frémissant
dis-moi pourquoi je dois toujours revenir vers toi
moi qui refuse l’amour
qui ne veut ni ne désire que le vent et le galop effréné
de la haute mer…
Tu n’étais connue de personne
mais de moi, de moi seul
et sans doute de la musique aussi
celle que je chasse à l’intérieur de moi mais qui toujours revient en force
Toi avec ta poitrine naissante de fillette de douze ans
projetée vers l’avenir avec son cratère rouge
Toi avec cette amère odeur qui transperce comme aiguille
et se noue au corps et troue la mémoire
et fait surgir
terre, colombes et notre pays si ancien.
adaptation personnelle
*
Poème cadeau d’argent (L’arbre lucide et la quatorzième beauté)
Je sais bien que tout cela n’est rien et que cette langue que j’essaie de parler n’a pas d’alphabet
Puisque soleil et vagues sont une écriture de syllabes
que l’on ne sait déchiffrer que dans les années de tristesse et d’exil
Et la patrie une fresque faite de couches successives franque ou slave, voudrez-tu essayer de les restaurer que tu irais immédiatement en prison
et tenu pour responsable
À une foule de pouvoirs étrangers toujours intervenant en toi
Comme il est arrivé pour les désastres
Mais essaie d’imaginer que sur un sol battu des jours anciens
qui pourrait être aussi celui d’un grand immeuble des enfants jouent et que celui qui perd
Doit suivant les règles parler aux autres et leur donner la vérité
Alors chacun se tiendrait là tenant
dans sa petite main
Poème cadeau d’argent
adaptation personnelle
*
Soleil toi le premier (Hélios o Protos) extraits
(Chant I)
Je ne connais plus la nuit, la terrible banalité de la mort
dans les docks de mon âme toute une flotte d’ancres étoilées des bateaux
Oh crépuscule, sentinelle, brille s’il te plaît à mes côtés.
Brise bleue d’une île qui pense que j’existe et annonce l’aube du plus haut de ses rochers
mes yeux étreignent l’Étoile qui vous fait flotter, l’étoile de mon propre cœur :
Je ne connais plus la nuit, je ne connais plus le nom du monde qui me nie
je peux déchiffrer la Mer-Coquillage, les feuilles, les étoiles,
je peux faire sans l’hostilité, dans les traces du ciel toujours c’est le rêve qui me fixe à nouveau,
dans les larmes marchant au travers de la mer d’éternité. Coucher du soleil vient.
Sous la courbure de ton feu d’or, cette nuit qui est « l’unique » nuit je ne la connais plus…
(Chant XVI)
De ces rochers, de ce sang, de ce fer tiré du feu, nous sommes faits
Pourtant il semble que nous ne soyons que nuages et ils jettent des pierres sur nous en criant : « rêveurs ! »
Comment nous en réchappons, dans nos jours, nos nuits, seul un dieu le sait…
adaptation personnelle
Journal d’un invisible avril 1984 (extraits)
Mardi, 7 (b)
De si loin je l’ai vu venir sur moi. Seulement des sandales au pied et si légère elle venait sur moi, blanche et noire.
Derrière elle, son chien n’émergeait qu’à mi-corps dans l’obscurité.
Je vous le dis, j’ai passé ma vie à vieillir d’attendre.
Maintenant il est bien trop tard pour enfin comprendre que plus elle avancerait, plus le vide grandirait, et qu’il ne sera jamais question de la retrouver un jour.
Vendredi, 10
Le vent sifflait tout le temps, et il faisait de plus en plus sombre
et cette voix lointaine tout le temps venait à mes oreilles : « toute une vie »…« toute une vie »...
Vendredi 10(b)
Il semblerait que quelque part des gens font la fête
bien qu’il n’y est pas de maison pas d’humain
je peux entendre guitares et autres éclats de rire qui ne sont pas tout près
Sans doute très loin d’ici, parmi les cendres des cieux
Andromède, l’Ourse, ou la Vierge…
Je me demande si la solitude est partout la même
dans tout l’univers.
Vendredi 10 (c)
À minuit passé ma chambre se déplace chez les voisins
étincelante comme une émeraude. Quelqu’un cherche, et toujours le fuit la vérité. Comment pouvoir concevoir qu’elle est nichée plus bas.
Bien plus bas
Que la mort aussi a sa Mer Rouge bien à elle.
Samedi 11
Je suis sorti chercher de nouvelles blessures
flottant comme nénuphars par-dessus les anciennes
(Dans cette mer des origines que j’ai si bien connue
à présent le monde a sombré
avec ses deux mâts obliques affleurant hors de l’eau
et moi, comme si j’étais vrai, je continue à écrire)
Dimanche, 1 M
Délicatement je prends le printemps et l’ouvre :
M’envahit une chaleur arachnéenne
un bleu qui embaume l’haleine du papillon
toutes les constellations de la marguerite
mais aussi
tant d’autres qui rampent ou qui volent
petites bêtes, serpents, lézards, chenilles et autres
monstres bigarrés aux antennes en fil de fer
écailles lamées aux paillettes rouges
On dirait que tous sont sur le point de partir
au bal masqué des Enfers.
Samedi, 2M
Ma vie en tombant (enfin un petit bout de ma vie) sur la vie des autres
fait un trou.
Quelqu’un, s’il le voulait, pourrait en mettant son œil là, y voir toujours présentes, une mer en ténèbres et une jeune fille tout en blanc qui volète de gauche à droite, et finit par se dissoudre dans l’air.,
adaptation personnelle
Enfin pour rendre hommage à Xavier Bordes trois de ses traductions
Le poignard de miséricorde
Pesant sommeil pour les rejetons végétaux,
puis s’enhardissant
la lune nous pointe le nez.
Le mont a repris son murmure
saintes mystérieuses attractions
de feuille à feuille
l’élantille d’eau et de câprier.
À deux pas apaisés assoupis
de grandis chevaux l’échine haute
et loin en bas un demi-vallon de blancheurs,
Courage. Maintenant. C’est Le moment
de surgir mon Dieu de l’obscurité.
Penchées au milieu des vapeurs
dans leur bain parmi les carreaux lustrés
des femmes ravissantes mesurent la déclinaison : la planète fuit...
On verra son écorce bientôt grêlée de trous
noirs et d’éclairs et lentement
l’homme ravalé au rang du médiocre
va se perdre à tout jamais.
Courage. Maintenant,
La volupté, que je la sauve au moins mon Dieu.
Donne-moi le poignard.
(Marie des Brumes, édition Maspero)
xv
MON DIEU tu m’auras voulu mais vois-je te rends la pareille
Le pardon - je ne connais pas,
la prière - je n’en veux pas,
à l’isolement j’ai fait pièce ainsi qu’un caillou.
Quoi, quoi, quoi d’autre inventer pour moi ?
Quand j’oriente vers tes bras la transhumance des étoiles
si l’Aurore, insidieusement,
m’en pervertit le cours vers ses madragues outre-mer,
c’est toi qui l’as voulu !
Collines avec des cités mers avec des vergers
je les ente dans le vent
si la cloche me les boit tout doux dans le crépuscule
c’est toi qui l’as voulu !
Si je croîs aux herbes et je m’écrie parmi tout mon délire
ah vivement qu’à nouveau elles fanent
sous la machette de Juillet
c’est toi qui l’as voulu !
Quoi enfin, quoi de neuf, quoi d’autre inventer pour moi ?
Tu n’as qu’à parler, vois-tu, pour que moi je réalise.
La pierre quitte ma fronde et me retombe dessus.
J’approfondis les puits de mine et je pioche le firmament.
Je chasse les oiseaux et disparais sous leur fardeau.
Mon Dieu tu m’auras voulu mais vois-je te rends la pareille.
Ces éléments qui sont toi,
les journées et les nuits,
les astres et les soleils, le calme et les tempêtes
si j’en renverse l’ordonnance et si je les engage
à rebours de ma propre mort
c’est toi qui l’as voulu !
Axion Esti, La passion Poésie-Gallimard page 134
AUTANT QUE DURAIT L’ÉTOILE
La pastèque me glaçait les dents et j’avais à moi
Hélène entr’ouverte autant que durait l’étoile
«Ce que tu vois c’est la masse de la montagne
Qui a déteint sur cette écharpe aux six Chimères
Cette comète là-bas Phelsphevor
Des siècles avant qu’elle n’arrive et ne ressemble alors au Christ
Par sa face et par la joie que le vent manifeste avant de s’éteindre
Celle-ci aux cheveux cornus c’est la fièvre
Qui fera briller les enfants et les prendra peut-être
Et cela le tracé des fils aux sables de sérénité
On aura l’occasion d’en voir encore d’autre
Il va paraître un instant l’Hermès Trismégiste
Sous les zincs dans l’ambiance de brumasse et de néon
Il se pourrait aussi qu’on entendît l’accordéon
Noir dans le noir et qui n’a pas d’explication.
Et l’étoile durait autant qu’Hélène regardait
Et la pastèque me faisait les dents glacées.
L’arbre lucide page 210
Marie Des Brumes (Maria Nefeli), traduction Xavier Bordes et Robert Longueville Éditeur François Maspero épuisé
Le loué soit (Toaxion esti), traduction Xavier Bordes et Robert Longueville Poésie Gallimard
les Analogies de la lumière, traduction Jacques Phytilis Actes Sud épuisé
Six plus un remords pour le ciel. Texte français de F.B. Mache. Montpellier : Fata Morgana, 1977. Épuisé.
le Monogramme
Sappho de Mytilène
Marie Des Brumes
Parole de Juillet
O Hélios O érotas