Peretz Markish

Le poète assassiné et toujours son cri dans la nuit

D’un pays où Dieu est absent.
Déluge en tête et crépuscule dans le sang.
La terre obscure est une planète aveugle,
Malheur à elle qui s’étend si noire
Sous les pieds et sous les maisons !
 »(Grindberg)

Victime des ultimes fureurs antisémites du stalinisme finissant, Peretz Markish fut condamné à mort le 18 juillet 1952 et exécuté dans la prison de Lubyanka le 12 août 1952.
Une balle dans la nuque pour ce poète célèbre, coupable de «nationalisme juif», comme unique viatique!Il était l’un des plus grands poètes russes, bien qu’il ait choisi de se consacrer à la langue yiddish. Il était générosité et révolte. L’équivalent d’un Vladimir Maïakovski pour sa force et son modernisme, sa rage de vivre aussi. Markish écrivit de nombreux poèmes et pièces de théâtre, ainsi que plusieurs romans.
Poète de la fureur et de la volonté fervente de vouloir changer le monde, il est aussi celui de l’affliction et du tragique face aux pogroms et à la mise en place de l’antisémitisme délirant soviétique.

Mais il reste assez peu connu, énigmatique, tant son parcours de comète fracassée, non pas sur le génocide du peuple juif auquel il n’assista que de loin, mais sur les rochers cruels de la terreur du communisme, est le symbole de la tragédie d’un peuple, et de celui des illusions lyriques de tant de poètes.Il fait partie de ces juifs qui avaient choisi avec passion la révolution, le changement, l’ordre nouveau du communisme, dont il fut un militant engagé et sincère, et qui furent récompensés soit par l’exil, soit par la torture et l’exécution, au nom de « la défense des valeurs de la classe ouvrière ». Il était à la fois le poète de la fidélité à la tradition, et celui qui chantait l’avenir avec flamme, jusqu’à se brûler.
Fraternité était le sens de ses mots. Par des sentiers ardus jusqu’aux étoiles, sa devise.
On a pu dire que « Pas un écrivain juif dans le monde n’aura exprimé avec une telle force la douleur pour les morts, comme Peretz Markish.».
Lui le prisonnier de l’aube, n’aura point vu se lever le soleil.

Et la nuit a perdu sa trace...

Une vie brûlée pour servir « de civière ou de berceau »

J’ai le cœur tatoué sur son crochet.
Sur les longues nuits froides de la maturité!
Les oiseaux s’envolaient hardiment vers moi,
J’ai dispersé les miettes à la porte
.

Peretz Davidovitch Markish est né de parents pauvres, le 7 décembre 1895, le 25 novembre dans l’ancien calendrier, à Pollonoye, une ville dans la Volhynie, maintenant en Ukraine. Ses ancêtres semblaient provenir d’Espagne. Sa mère vendait des harengs et son père était un enseignant, un Melamed.

Il reçoit donc une éducation religieuse dans une école juive, le heder qu’il fréquente à trois ans, empruntant chaussures et couverture pour s’y rendre. Très tôt, à sept ans, sa belle voix, son oreille absolue, le font remarquer par un hazan, un chantre. Après avoir chanté dans les synagogues, il va parcourir les routes et différentes villes du sud de la Russie dans une chorale juive de dix membres. Il quitte donc la maison natale dès son plus jeune âge, et exerce une multitude de petits métiers (dans une banque, comme enseignant, comme professeur intérimaire,…). Il a étudié à l’Université nationale Shanyavsky pour «s’instruire », lui qui venait d’un milieu peu instruit. Il essaie sans succès de passer des examens voulant postuler pour le cours de gymnastique à Odessa. Puis lui aussi aura symboliquement coupé ses papillotes de croyant pour devenir poète.

Dès 1912, il écrit des poèmes en russe. En 1916, il a été envoyé au front dans l’armée Impériale- pour la Première Guerre mondiale. Après un an, il est démobilisé, car blessé - commotion cérébrale -, et complètement traumatisé.
Il revient alors vivre chez ses parents à Ekaterinoslav. Dans le même temps, il écrit des poèmes, puis des nouvelles en yiddish dans les journaux locaux.
Mais surtout après sa démobilisation, il se trouve au milieu de la Révolution de Mars de 1917, qui est pour lui une révélation. À partir de 1918, il a fait partie du groupe d’écrivains de Kiev, dont il est le plus jeune membre, groupe qui comprend aussi David Gofshtein, Leo Kvitko, Osheroff Schwartzman.
En 1918, Peretz Markish écrit son poème Volhynie, qui, avec un recueil de poèmes Shveln (« Seuils», 1919), le rend célèbre et le place au premier rang des écrivains juifs de la nouvelle génération. Il anime à Kiev le nouveau souffle de la poésie juive. Il déménage un temps à Moscou avant de partir pour Varsovie, fin 1921.
Là il contribue à fonder le mouvement moderniste yiddish à travers sa participation dans le groupe littéraire Khalyastre, (La bande), avec Uri Zvi Grindberg et Melech Ravitch, qui brise les frontières entre les arts, et s’inscrit dans le monde nouveau. Ils publient en 1922 une anthologie qui fait de Varsovie la capitale du modernisme yiddish en Europe. La seconde et dernière édition de Khalyastre, est parue à Paris en 1924 avec une illustration de la couverture par Marc Chagall, qui était son ami cher depuis 1924. Markish fait partie de ces juifs élevés dans une profonde tradition, et ils vont rompre violemment avec elle, fascinés par le socialisme, le communisme ou le sionisme.

Son poème épique Di Kupe («Le tas, ou le monceau») publié en 1922, est un grand choc dans toute la littérature russe, par son style novateur, enflammé et désespéré.
De 1921 à 1926, Markish va vivre loin de la Russie - à Varsovie, Berlin, Paris, Londres, Rome, où il a écrit et publié. Il rencontre les mouvements modernistes qui l’influencent. Il a même visité la Palestine en 1923!
En 1926, il s’installe d’abord à Kharkov puis à Moscou sans que l’on sache vraiment pourquoi. Là il devient l’un des écrivains les plus prolifiques de lettres soviétiques juives, croyant à la fois en la révolution et en la renaissance juive.
Pourtant les persécutions se multiplient et sa femme Esther se souvient:« 1937 peut être comparé à une crue centennale, la peste, une éclipse solaire...Cette année a apporté et la mort, l’arrestation, et la perturbation des âmes. Les gens ont disparu…».
Markish est pourtant laissé en liberté, sa renommée le protège encore.

De 1939 à 1943, Markish a dirigé la section yiddish de l’Union soviétique des écrivains,
Le début de la Seconde Guerre mondiale provoque une prise de conscience importante dans son travail. En 1940, il écrit un très long poème, son chef-d’œuvre, Tsu une tentserin yidishe (à une danseuse juive), « qui entremêle des thèmes qui sont considérablement éloignés les uns des autres: d’une part, le sort difficile des minorités juives en Union Soviétique, dépeint comme un maillon de la chaîne de l’expérience historique collective juive, de l’autre, la figure du danseur, avec sa sensualité, sa puissance érotique»(Avraham Novershtern).
Tous les événements de cette époque - la collectivisation, l’arrivée au pouvoir en Allemagne des nazis, la guerre d’Espagne, auront une profonde influence sur son œuvre. Pendant la «Grande Guerre patriotique», il écrit des dizaines de poèmes violents contre les «ennemis du peuple»aussi, et pleins d’espoir en la victoire. Son poème épique Milkhome, (Guerre), de 1948, est une vaste chronique de ses expériences de guerre, en se concentrant particulièrement sur le sort des Juifs. Il reçoit l’Ordre de Lénine en 1939. Donnant donnant, il doit rejoindre le Parti communiste en 1942 par obligation plus que par conviction, car il n’était révolutionnaire qu’en écriture. Il devient membre du conseil exécutif du Comité Juif antifasciste et du conseil éditorial de son journal.

Les années de guerre auront permis aux écrivains juifs de pouvoir parler et décrire les malheurs de leur peuple, de faire émerger des sentiments nationaux également, car cela se mélangeait au combat contre les nazis. Patriotisme soviétique et paroles du peuple juif se fusionnaient. Peu après le déclenchement de la guerre, des émissions de radio en yiddish furent organisées, elles étaient destinées à un public juif aux États-Unis que Staline voulait séduire. Markish fut un des acteurs majeurs de ces émissions de propagande.
C’est l’époque de ses poèmes épiques et de l’écriture de nombreuses pièces de théâtre.
Il était à l’époque « un poète respectable et respecté » appartenant au peuple soviétique, écrivant en yiddish et publié largement dans les différentes langues de l’Union soviétique, mais surtout en traduction russe. Mais, l’antisémitisme couvait déjà. Markish, ignorant les tortures des prisonniers, croit encore « aux bâtisseurs d’une nouvelle vie », bien qu’il voie les arrestations se multiplier autour de lui. Il fut correspondant dans «la Grande Guerre Patriotique» sur laquelle il écrivit des nouvelles et des romans dont l’un portait sur la bataille de Stalingrad. Il élabora avec Ilya Ehrenbourg Le Livre noir sur l’extermination des juifs pendant la guerre de 1941-1945. L’ouvrage fut interdit de publication.
Dans les années d’après-guerre il continue avec ferveur, avec fureur, à soutenir le régime et son idéologie, quitte à se taire et ne pas dénoncer par exemple les grandes purges de 1936-1938. il est devenu un homme de pouvoir, membre de la direction de l’Union des écrivains soviétiques, et élu chef de la section juive de la Writers ’Union. Il a reçu l’Ordre de Staline en 1946, seul écrivain yiddish a l’avoir jamais reçu. Il l’avait reçu en même temps qu’Eisenstien, Emil Gillels, Sergueï Prokofiev, Khachaturian, Georges Sviridov! Il y avait alors un bouillonnement de la culture yiddish en URSS, car elle servait la propagande du régime.
Vers novembre 1948 Peretz Markish comprend que la fin approche, car les rumeurs enflaient pour discréditer ces ennemis de l’intérieur qu’étaient les écrivains juifs… Son dernier poème dit d’ailleurs :
Combien de temps encore vivre dans le monde blanc

Avant la limite malheureuse

Comment nous brûlons, comment nous est donné ?

Maudits face aux étoiles -

Amour laissez cela se faire.

Le 21 novembre 1948, le Comité antifasciste est dissous. Tous les journaux yiddish sont interdits. La littérature yiddish est interdite le mois suivant.
Après s’être servi des voix yiddish pour glorifier sa lutte contre l’envahisseur nazi, Staline mit en place sa politique d’extermination. D’abord de façon hypocrite en couvrant de médailles et d’honneurs certains des porte-paroles, puis avec sauvagerie pour extirper toute culture juive en URSS par le meurtre par le pouvoir soviétique des plus grands écrivains yiddish, des artistes, et des leaders culturels. Et les purges staliniennes commencèrent, et la cruauté sadique du « petit père des peuples » décapita seulement les meilleurs, laissant les médiocres continuer à le couvrir d’éloges. Ils étaient des faire-valoir, des « marranes » servant une autre foi.
« Faites-leur savoir que la culture yiddish et juive est en train de mourir.» hurlait Dar Nister, mais on ne l’écoutait pas.
L’assassinat en janvier 1948 du directeur artistique du Théâtre Juif de Moscou, Solomon Mikhoels, immense acteur, sur les ordres personnels de Staline, meurtre déguisé en accident de la route, fait écrire à Markish un hommage presque suicidaire en cette période. Lors des funérailles de S. Mikhoels, Markish courageusement a lu son poème, où la mort de Mikhoels est clairement appelée assassinat.
Dans la soirée du 27 janvier 1949 Markish emballe soigneusement dans un sac de pommes de terre le manuscrit de Générations (publié à titre posthume en 1966), et son dernier livre de poèmes et de poésie, « Quarante » couvrant l’histoire juive depuis les temps bibliques jusqu’à la Révolution russe. Il voulait sauver ce qu’il considérait comme sa meilleure œuvre: « Quarante » est la meilleure chose que j’ai écrite ».

Et il a donné à sa belle-sœur le sac. «Elle a immédiatement quitté l’appartement, l’ascenseur était occupé, et elle descendit à pied. L’ascenseur s’arrête à l’étage de Markish, il est occupé par sept officiers. Environ trois heures plus tard, arrivent quatre agents de sécurité, avec un mandat d’arrêt et de perquisition.
Dans la nuit du 27 au 28 janvier 1949, Peretz Markish est donc arrêté en tant que membre du Présidium du Comité juif antifasciste. Il est accusé de nationalisme juif bourgeois, de sionisme, d’ennemi du régime soviétique. Il est soumis à des longs et terribles interrogatoires, à la torture brutale et inhumaine pendant plus de trois ans. Ces méthodes étaient faites pour casser les gens. La plupart des autres accusés sont brisés, Peretz Markish, avec arrogance et un immense courage, tient tête à ses bourreaux et c’est lui qui devient l’accusateur et non plus l’accusé. Il passa en procès devant le collège militaire de la Cour suprême de l’URSS en mai 1952 : comme la plupart des coaccusés, il refusa d’entériner l’acte d’accusation.
Et sa dernière déclaration, devant la Cour Suprême, avant d’être mis à mort par ses tortionnaires, fut non pas un plaidoyer, mais un hymne de résistance contre ce procès truqué. Staline mua le 18 juillet, la peine prononcée de 25 ans de prison, en condamnation à mort.
Il refusera tout aveu, et sera condamné à mort avec la plupart des accusés. Le verdict a été exécuté en secret le 12 août 1952 à Moscou. Ce fut « La nuit des poètes juifs assassinés». Celle de l’exécution de 13 juifs, écrivains yiddish, poètes, savants. Parmi les cinq poètes assassinés figurent Leib Kvitko, David Hofshtein et Itzik Feffer et Peretz Markish. Nulle « affiche rouge » ne fut chantée en Occident, qui fit grand silence, comme il le fera lors du procès des Blouses Blanches. Le petit père des peuples devait être meilleur poète aux yeux des bonnes consciences.
Chacun des poètes fusillés avait été membre du Comité Juif antifasciste pendant la Seconde Guerre mondiale, qui a soutenu l’effort de guerre soviétique contre l’Allemagne nazie.

Markish a donc été arrêté dans le cadre de la campagne de liquidation menée contre la communauté juive et du Comité juif antifasciste, mais surtout contre les vestiges de l’activité culturelle officielle des juifs en Union Soviétique. Après l’oppression, était venue la destruction de la culture yiddish en Union Soviétique. Cela continua bien après la mort de Staline. L’ exécution de Markish fut gardée secrète et déniée. Elle fut révélée seulement en 1955.
Il a été réhabilité en 1957, et des poèmes furent de nouveau publiés en 1957 (en traduction russe uniquement).

Et il est mort avec un morceau de brise dans les lèvres... (Markish-1918)

L’enfant sauvage de la poésie juive

« En ce moment tu danses pour un troupeau de montagnes / dans le monde il n’y a plus personne pour vous / et vous n’avez plus personne vers qui vous tourner »

Dans ses souvenirs la poétesse Rachel Korn parle ainsi de sa rencontre avec Peretz Markish:

« Et il y avait Peretz Markish - lui le favori des dieux que la nature avait doté d’un grand talent, et qui possédait une beauté physique inhabituelle et il était un orateur éloquent qui transportait un auditoire entier avec lui. Ses versets multicolores glorifiaient le paysage russe avec le courage d’un homme de combat juif.»
Peretz Markish impressionnait par sa stature, sa beauté, son charisme et sa façon passionnée de déclamer ses vers.Seul le volcan Maïakovski peut lui être comparé, tant son incandescence emportait tout sur son passage.
Révolutionnaire ardent, communiste fervent, il avait cru à une certaine «rédemption» du judaïsmepar le communisme, qui semblait vouloir défendre les minorités. Les minorités certes, pour des besoins folklorisants, mais pas la minorité juive qui excitait la paranoïa antisémite du «montagnard du Kremlin», comme Mandelstam surnommait Staline.

Mais suite aux chocs des pogroms en Ukraine des années 1919-1921, qui le conduiront à écrire son recueil, Le monceau - di Kupe-, il quitte en poésie la langue russe, pour se jeter à corps perdu dans la langue yiddish. Avec ses amis de la revue Khalyastre, il devient le combattant de cette culture foisonnante qui pouvait alors encore s’exprimer et qui avait des millions de lecteurs.

Il devient le porte-parole enflammé du yiddish triomphant et moderne, faisant entrer dans sa poésie l’expressionnisme, le futurisme, donc le modernisme de son époque. Le réel faisait irruption, non pas par les anecdotes quotidiennes, les sentiments habituels, les coutumes, mais par le choc avec le monde terrible.

Vénéré par ses contemporains juifs, admiré par Pasternak, Akhmatova, Ehrenbourg, Markish a en quelque sorte dominé les lettres juives, tout en faisant peur à beaucoup par son extrémisme. De caractère parfois abrupt, sujet à des caprices parfois, chevelure en épis et toujours au vent, il inspirait la crainte et la fascination que l’on a envers les illuminés.
Flamboyant, inspiré, prophétique, il laissait derrière lui les sillages de feu de ses poésies, qu’il déclamait puissamment, battant ses mains comme des ailes. Tourmenté, et toujours en mouvement, il irradiait la lumière, et aussi la nostalgie du silence de son enfance.

Il était d’une grande beauté: « Il était extraordinairement beau, d’une beauté éblouissante...Son visage était doux, deforme ovale et couronné avec un plafond de cheveux noirs, des boucles imprudentes tombaient sur son front. Il était très dynamique,inflammable, explosif. » (Portrait fait par sa femme, Esther).

La poésie était pour lui un ressenti profond de soi-même, et il ne fallait point tricher: il fallait vivre sa poésie jusqu’au bout. Sa poésie était un bélier contre l’ordre ancien:Je veux retourner à ma maison, au pays de la Révolution !...

La poésie était pour lui un combat. Comme pour d’autres, plus tôt le grand Alexandre Blok avait bien écrit les Douze.

Mais au-delà de l’adhésion totale et sincère au régime soviétique, Markish poursuit ce qu’il croit être une restauration du peuple juif. Il voulait créer et magnifier une culture profane et laïque juive, qui donnerait une identité forte, dégagée des dogmes religieux. Une culture en prise avec son temps et les mouvements révolutionnaires.

Pour «réparer la pensée juive» il fallait selon lui la plonger dans les luttes révolutionnaires, dans le chaos de la tempête révolutionnaire, la faire se cogner au réel. Il était une torche brûlante voulant éclairer et incendier les idoles des habitudes et des anciennes formes. Enfant sauvage, il a su dompter dans l’arène de ses mots l’expressionnisme allemand et le futurisme russe. Il se range derrière le réalisme socialiste, il y croit, car il veut se fondre dans le réalisme soviétique, mais sa poésie sonne à l’étroit dans ce carcan académique où son modernisme virulent déteint, son goût de la provocation aussi.

D’ailleurs les écrivains dits prolétariens l’attaquent. Les écrivains yiddish traditionnels aussi. Il ne voudra pas faire une poésie comme « le département des rimes du mouvement ouvrier juif », mais par une poésie universelle parler aussi de son peuple.

Lui aura dans son oeuvre exalté la Russie soviétique et pleuré la destruction des Juifs d’Europe dans la Seconde Guerre mondiale, et pendant les pogromes.

Aux horreurs de la guerre vont s’ajouter le chaos de la révolution russe et les pogroms qui ont suivi, surtout celui de Horoditchch en Ukraine, en 1921. Le verbe lancé presque comme une imprécation,un blasphème, lui permet de vomir les horreurs vues ou vécues.

Pour vous les massacrés d’Ukraine

Vous dont la terre est remplie

Pour vous aussi égorgés du Monceau

A l’origine primitive du Dniepr

Kaddish! (Le monceau).

Ce monceau c’est le tas de corps entassés et assassinés.

Markish se situe à la frontière entre les époques, avec pour mission impérieuse de servir simultanément comme «une civière et un berceau», c’est-à dire de sceller le passé et d’annoncer une ère nouvelle.Et finalement il se sera principalement adressé à son peuple, par amour pour ses frères, autant que par amour pour tous ses frères en humanité, juifs ou pas. Incroyant souvent, agnostique parfois, il croyait en l’amour qui était sa foi, en la fidélité au passé juif et en l’avenir du peuple juif. En sa ferveur pour le monde.

Je vole au soleil. Je ne veux rien manquer!...

Je veux la lune pour la ramener à la maison...

Oh donnez-moi une main rapide pour laver la lune.

Une poésie de feu, une poésie fraternelle

Ce ne sont pas des mots qui sortent de sa bouche, mais du feu.

L’écriture de Peretz Markish est impétueuse, épique, tendre souvent, volcanique, pleine d’humour dévastateur et d’élan patriotique parfois, de douleur quand il évoque le ghetto de Vilno, les massacres et les pogroms, l’holocauste.

Il était éloigné de tout mysticisme, tout entier dans son authenticité, son refus des choses faciles -boissons, honneurs, possessions matérielles, pouvoir...

Son écriture des années 20 a un souffle apocalyptique. Un pathos à la fois russe et juif submerge alors sa poésie.
Plus tard il continuera à cracher les flammes de ses mots, mais aussi les chants de pitié et d’affliction pour son peuple.

Comme d’autres poètes futuristes, il se place au centre du poème, revendiquant son individualisme, car il chante au travers de lui tous ses frères. Il se veut «un poète fort», indompté quitte à être parfois chaotique. Mais quel souffle!

Son écriture et sa vie sont des quêtes littéraires, idéologiques et des accomplissements personnels.

Ce yiddish expressionniste qu’il a inventé va charrier des torrents de sentiments, et sera apte à parler de la guerre et des pogroms, par sa violence, sa phrase déchiquetée, son emphase parfois, ses cris toujours.

Dans son manifeste, Markish déclare: «Notre critère n’est pas la beauté, mais l’horreur.».

Mais au-delà de l’emphase Markish a édifié de la beauté, non par volonté académique, mais par montée de lave de sentiments.

Comme un couteau dans le gâteau, je veux entrer dans le monde. (Markish-1919)

Il s’est souvent interrogé sur le sens de la poésie, sur sa signification pour les hommes:servir de réceptacle pour les pauvres, les opprimés, ou de “super cadeau" pour les élites. A l’avant-garde de son temps, il se voulait aussi à l’avant-garde de la poésie. Il fut le miroir de son temps, un miroir qu’il faut traverser.

Nous sommes jeunes, une bande heureuse de remplir sa chanson
nous prenons un chemin non marqué
En ces jours très craintifs
Dans des nuits de terreur
Per aspera ad astra!(Par des sentiers ardus jusqu’aux étoiles
)

Markish écrit le plus souvent de très longs poèmes dans lesquels il brasse d’innombrables thèmes, au risque de paraître parfois confus ou verbeux.C’est que le souffle de l’esprit l’emporte. Sa force créatrice était étonnante et toujours en crue. Il emploie souvent des formes agressives, des images surréalistes, des phrases brisées. Parfois sa poésie semble des manifestes, des imprécations, parfois elle est douceur et nostalgie.

Il a su tout autant faire revivre la vie traditionnelle juive d’avant la révolution, avec des descriptions profondes et détaillées, nostalgiques souvent, que le chaos de la guerre et des massacres. Alors son chant s’élève terrible et majestueux pour cette mise en terre des espérances. Marqué par le cauchemar de la première guerre mondiale et l’horreur de la deuxième, frappé par les massacres et la guerre civile, il ne pouvait en rendre compte que par un expressionnisme sauvage et un futurisme radical. Mais il ne veut pas ignorer son temps par une fuite en utopie, mais il est de son temps, dans les tranchées du temps, et aussi dans la Bible qu’il vénère. Cela préfigure un certain nationalisme juif.
Markish est un poète d’une grande puissance, mais aussi il sait aussi faire entrer la nature, qu’il aimait tant, dans ses mots.
Dans le recueil Le Monceau, (ou le tas), traduit en français, on peut percevoir son étonnante écriture, faite de rimes qui s’entrechoquent, de néologismes slaves, de cris d’horreur, d’audaces verbales et rythmiques.
Mais il est aussi un poète profondément lyrique et c’est cet aspect qui est illustré dans le choix proposé des textes.

Il a le sens de l’apocalypse et de l’épique. Mais pour dénoncer la tradition, il se sert des outils de la tradition - allusions bibliques, formes des prières traditionnelles..-. Il est le prophète des ruptures, le fulgurant messager du futur.

Mais peu à peu le lyrisme envahira sa poésie. Porter haut la rage de vivre fut sa mission en poésie.

Certains de ses poèmes ont été traduits en russe par Anna Akhmatova, Joseph Brodsky et d’autres.

Boris Pasternak a écrit: « En dehors de sa valeur artistique, Markish a été un phénomène très inhabituel de la vie même, son sourire, sa force, qui est une touche de beauté, écrivait le bonheur partout où il était» (d’une lettre à Esther Markish, Décembre 31, 1955).

Markish est l’emblème rayonnant d’une nouvelle génération debout, mais qui sera fauchée avant même que les blés ne soient mûrs et il fut emporté par les vents de l’antisémitisme. Miroir sur la pierre des barbares, il s’est brisé mais ses éclats sont dispersés dans toutes nos mers intérieures.

« La mémoire est déjà une prière » (Levinas), et tant que nous le lirons, Markish vivra.

Et dans toutes les terres, sous le soleil de ma chanson, les gens s’attendent.(Markish-1921)

Gil Pressnitzer

Sources: 1-Étude de l’institut Yivo d’études Juives des juifs d’Europe de l’Est.

2- Revue Migdal numéro 26.

3-D’un pays sans amour de Gilles Rozier

Choix de textes

Pour une danseuse juive(extraits)
Brûle la laine frémissante de ta robe
Et sous le feu de tes genoux la nudité,
Que tes cils par pudeur à présent me dérobent,
Que recouvrent tes yeux d’un voile de clarté.

L’écheveau des rayons, comment s’en vêt ton rêve
Et de leurs nœuds où sont la fin et le début?
Moi qui ne puis passer la blessure à tes lèvres
Je regarde ta bouche et je me sens perdu.

J’imagine -j’entends les roches vagabondes,
Les fleuves lumineux qui marchent de concert,
Rien ne peut faire obstacle à leur force qui gronde,
Ils se hâtent, joyeux, pour s’offrir à la mer.
De nouveau par les rues rumeur de noces passe,
La complainte éveillée des festins anciens.
Seuls sont brisés le violon, la contrebasse,
Seuls sont tués sur le chemin les musiciens.

Mais toi danse, les pieds légers comme des ailes,
Et le cœur assourdi de ta propre douleur,
Comme marche à la mort la douce tourterelle,
Porte, porte le deuil des adieux et des fleurs.

Te font cortège au loin les astres quand tu glisses
Les yeux écarquillés et la tête penchée,
Tant de mères ainsi marchèrent au supplice
Apportant des fagots à leur propre bûcher.

Alors arrache un peu de vie à ta chair lasse,
Danse, et de leur sommeil tire enfin les lointains.
Seuls sont brisés le violon, la contrebasse,
Seuls sont tués sur le chemin les musiciens.

Qu’ils coulent! Leur rumeur emplisse l’étendue;
La mer ne connaît plus ni frontières ni grèves;
Je regarde ta bouche et je me sens perdu
Moi qui ne puis passer la blessure à tes lèvres.

De nouveau par les rues rumeur de noces passe,
La complainte éveillée des festins anciens.
Seuls sont brisés le violon, la contrebasse,
Seuls sont tués sur le chemin les musiciens.

Mais toi danse, les pieds légers comme des ailes,
Et le cœur assourdi de ta propre douleur,
Comme marche à la mort la douce tourterelle,
Porte, porte le deuil des adieux et des fleurs.

Te font cortège au loin les astres quand tu glisses
Les yeux écarquillés et la tête penchée,
Tant de mères ainsi marchèrent au supplice
Apportant des fagots à leur propre bûcher.

Alors arrache un peu de vie à ta chair lasse,
Danse, et de leur sommeil tire enfin les lointains.
Seuls sont brisés le violon, la contrebasse,
Seuls sont tués sur le chemin les musiciens.

Traduction Charles Dobzynski, Le monceau

Hé, qu’est-ce que tu trafiques ?

Hé, qu’est-ce que tu trafiques- la tristesse?
Que vends-tu là - le désespoir?
Je suis un acheteur et un vendeur,
et je fais des magouilles
pendant des jours et des nuits, et même à chaque moment
je les pèse sur une échelle de joie,
je les achète et je les revends,
la moitié est noire
et la moitié en flammes,
dans les foires, les marchés, et sur les routes
qui pourraient croiser mon chemin,
dans ce qui est chemin qui me croise
Je compte Mammon!...

Je suis un acheteur et un vendeur
et je fais face et je suis magouilleur...

Que vends-tu - les cadavres? Des chiffons?
Ou des pères abandonnés depuis longtemps?
Hé, un acheteur a glissé dans le chemin,
il est mourant, mais va renaître.

1917

adaptation personnelle

Avec les lèvres pressées

Avec les lèvres pressées l’une contre l’autre,
et les yeux,
lourds de ses sourcils, silencieux,
et des ventres de bois ligotés en rond
par des
ceintures de fer rouillées,
des rangées grises de magasins semblent glisser
au travers du gris marché du samedi
comme des aveugles, se cramponnant l’un à l’autre...

Au milieu du marché
est un wagon surchargé,
dans le wagon un grand gentil est étendu
comme un cadavre abattu, ronflant, ruminant, il grince et crache.
Les chevaux remâchent, têtes tournées vers le wagon,
queues laissées pendantes dans l’infini...

1919

adaptation personnelle

L’abrupt nous l’avons grimpé

L’abrupt nous l’avons grimpé
Au-dessus de l’oiseau au-dessus des nuages
Nous avons conquis des hauteurs -
Déversés tous les vins
les mêmes lunettes nous les avons portées
pour désirer voir la réalité telle qu’elle est !

Vous les chansons reculez au loin!
Nous avons gagné l’abîme,
Nous nous sommes enfoncés dans les profondeurs -
Alors versez complètement tous les vins
Pour que le pouvoir du peuple de la rivière
Ne soit pas épuisé pour toujours!

L’été s’est fini de façon inattendue,
l’automne est venu trop tôt,
Et l’hiver est venu –
Allez versez complètement le vin !
Nous allons lever un verre de mousse
Pendant la floraison de notre passage.
Nous les socles. Alors quoi!
Nous vieillissons notre vécu glorieux,
Pays donné tout entier -
Alors versez encore plus le vin!

Si jaloux de la loi nos petits-enfants nous délaissent
Qu’ils n’oublient pas notre gloire !
Oh combien vivent dans ce monde blanc
Avant la limite malheureuse
Et nous qui avons tant donné nous brûlons !
Versez donc encore du vin dans les verres !
Que fièrement face aux étoiles
Tout soit accompli !

adaptation personnelle

Sur un sac en lambeaux

Sur un sac en lambeaux, des yeux sales opacifiés
Comme pommes de terre crues, scarifiées de veines bleues,
Ferons-nous du commerce? Vous voulez du Sel? Combien en voulez-vous?
Un chapeau d’un enfant mort est toujours là.

Sur le marché, un arpenteur somnole comme un crâne blanchi

Un chien sans-abri le renifle comme il le ferait d’un vieux cadavre.

Ferons-nous du commerce? Vous voulez du Pain? Combien proposez-vous ?

Une meute de chiens dans les larmes de la rue, et en morceaux un tas de cerveaux rouillés.

Et les oiseaux dans l’air tournoyant comme des chapeaux noirs dispersés

- Une touffe ébouriffée de vent empêche de les essayer sur soi.

Y a-t-il un marché? Vous voulez du Vent? Que faites-vous de cette offre pour un moulin à vent?

Là, dans les contreforts, se hasardent en bataille des ailes d’aigle.

Faire un métier? Du Vent? Qu’elle est votre enchère?

1920

adaptation personnelle

G

Je me lèverai demain éperdu de faim, épuisé
Sur la neige fraîche effeuillée je poserai ma bouche
Que soit un flux de sang la rime de mes lèvres,

Toi, vent du Nord, ne sois point emporté,
Moi ne suis point emmuré, ne suis point enneigé

— Les soirs arrachent des brins d’herbe à mon étoile sans lisière,
Les chameaux du désert boivent à mes yeux les jours embrasés

Je me lèverai demain éperdu de faim, épuisé.

Traduction Charles Dobzynski, Le monceau

Pierres chantantes(extrait)

Mes mains montent vers toi comme tant de montagnes
Ta chair, dans le creuset sans fond,
Pétrie comme dans un pétrin...
Les sombres cheminées, estafettes frisées
Te lancèrent leurs lassos noirs
Comme de géantes fusées...
Et chaque œil est un cœur
Et chaque bouche — un cœur.
Et de toutes parts, les fils des rayons

Dépeignés par mes pas s’accouplent

tels les rameaux serrés des croisements de fer.

Comment t’éviter, tel un étranger, sous cette lumière ?

Sous un tel désir comment pourrions-nous n’être pas noués ?

Traduction Charles Dobzynski, Le monceau

Vers Stalingrad

Un faisceau d’arc-en-ciel fuse du vieil Oural,
Faucilles d’or qu’il éparpille dans ses gerbes.
Soudainement frémit le ventre de la terre,
Le fleuve pousse des montagnes de métal
Vers ses rives, et point d’obstacle dans leur marche.
Et devant eux la mort, prise dans un étau,
Est frappée de stupeur, comme paralysée.
Les fondeurs de l’Oural vont vers Volokolamsk,
L’esprit d’Octobre leur insuffle sa puissance ;
L’ennemi rampe, à l’aube, avec sa triple armée
Pour colorer de sang l’océan blond des blés.
Le Don se tait ainsi qu’un fauve avant le bond,
Il promet en silence à ses remous profonds
De leur donner en proie les pas de l’ennemi.
Don paisible, ta sœur Volga veille à présent,
Car voici que tes fils fidèles ont sellé
Et caparaçonné d’acier tes citadelles,
Tes fils plus orgueilleux que les chevaux cosaques.

Du volume : La Guerre

Traduction Charles Dobzynski, Le monceau

Je ne suis juste qu’une tige dans le champ

Je ne suis juste qu’une tige dans le champ,
Une pousse agitée par le souffle du matin...
Terre! Suffit je devrais être une plante,
s’agitant sous un dais bleu,
Pour être toisé par votre Grandeur!

Brise, coulant doucement,
Descendue sur l’herbe depuis le haut...
Éternité! Suffit pour moi d’être comme une brise,
Devenir sans fin, tout comme Vous!

Jusqu’à devenir des morceaux de terre issus de la chaleur,
Et le soleil détourne sa face,
Suffit de n’être qu’une infime partie,
Mais comme Vous, être tout un univers, déjà immense !

(1917)

adaptation personnelle

Je me suis donné grandes joies...

Je me suis donné grandes joies, exultant
Aux heures du coucher du soleil, à la nuit, au jour.
Et je veux les manger moi-même,
Le monde va me rencontrer généreux.

Mon grand jour n’est pas avare,
Toutes les terres, je suis heureux de les donner,
Et aussi ma brillante destinée, celle des sentiments, celle des personnes,
Et je suis heureux et riche.

Pour moi, moi! Je suis dans les ténèbres et la lumière,
Devant moi, l’étendue infinie des routes.
Ici le soleil brille à travers le monde,
Puis aussi dans mon monde entier, brille et le diable et Dieu.

Dans ma journée joyeusement
Je vous appelle, entrez donc et coupez en deux
Toute mon existence terrestre,
Je vous maudis, Je vous aime.

(1919).

adaptation personnelle

Bruit qui se faufile dans les montagnes

Écoutez le hurlement du vent maussade,
En sanglots, en rafales, affolant:
Les montagnes pleurent couvertes de ténèbres,
Pleurait-il lui même dans l’obscurité impénétrable ?

Demandez donc aux montagnes: pourquoi pleuraient-elles?
A-t-il le cœur à droite, le calme coucher du soleil ?
Un vent joue à parler futilement avec les branches,
Et les branches lui répondent vaguement.

Ou peut-être a-t-il perdu les passants
Ceux qui méprisent le vent ?
La paix de montagne est perturbée par des sanglots,
Rampant sur les hauteurs glacées de la nuit.

(1948)

adaptation personnelle

Comme un cri de veuve sont vos yeux...

Comme un cri de veuve sont vos yeux,
Rougis par les fenêtres des trains.
Eux - l’ombre de ma tête... triste
Comme un écureuil aveugle sur un terrain enneigé -
Eux où glisse le reflet flou d’un train de nuit...

Signal aléatoire, comme la dette à jamais due
Contractée par force avec le silence.
En attendant de solides bougies...
Dans les grottes reculées du cœur
Une douce tristesse fait fondre la neige.

Sortez donc - les pôles sont traversés, mais le village,
Toujours encore, blanc-blanc.
- sans une marque claire-blanche -
Et à chaque fois une nouvelle lumière.

Je vous remercie, pour le jour, merci pour la nuit
Dans un coin du train, pour une place sur le banc,
Pour tout ce que je dois au silence!

Comme un cri de veuve sont vos yeux,
Rougis par les fenêtres des trains.

1922. Varshava.

adaptation personnelle

Vous êtes en amour avec moi, cher vent..

Vous êtes en amour avec moi, vous le vent des routes,
Vous me suivez après l’allongement des choses,
Vous embrassez les traces de mes pieds -
Et la fatigue me quitte inconnue.

Vous êtes en amour avec moi, vous les champs de vent,
Vous, caresses autour de mes genoux,
À la croisée des chemins
Vous m’attendez dans l’angoisse.

Et là, où à l’aube, je n’avais nulle part où aller,
vous m’avez tendu la main,
Vous m’emportez au loin,
Vous le vent me faites rencontrer la ruée !

(1917)

adaptation personnelle

Vent, reste avec moi

Il y a sept ans, il m’a transpercé, voici désormais ma ligne.

Comme les dernières traces, et il a disparu dans la brume.

Le vent se souvient-il du vieux monde?

Le blizzard a apporté son passé à bord.

Les cailloux brillent sur la côte, là une série de crêtes,

Et la paume de l’eau est encore hirsute,

Et, je me suis retiré ici juste pour sept ans,

Là où il a aimé et regretté une seule fois.

Vous ne le voyez pas, le vortex? S’il te plaît, reste avec moi!

Maintenant il le faut! Porter les fruits du travail,

Et mon cœur est droit, et le jour je travaille la terre,

Et, comme une abeille, je me hâte de remplir les rayons de miel.

Dans l’entrelacement des choses, j’ai été pris et attiré,

Je vais revenir dans l’étreinte de la nature,

J’entends le bruit des grandes cloches

Avec lui, le déplacement de mes années a disparu.

Oui, le vent, c’est moi - dans la disparition de tous!

Oui, le vent, c’est moi - le visiteur de passage.

Vous voyez ce visage? Maintenant, voici ma ligne!

Je dois lui laisser place inexorablement.

(1947)

adaptation personnelle

Je suis resté là, silencieux...

Je suis resté là, silencieux...

Je me contente de frapper la nuit,

Et je ne veux pas attendre en vain...

Sous une pluie battante sur le toit... Ainsi soit-il !

Je suis moi-même, je ris...

Battre avec un bâton la paix aveugle,

Puis écouter vivement:

- Tais-toi !

Nuage qui rampe sur le toit...

Grimpe dans la fenêtre.

- Eh bien, laissez-les !

Je suis moi-même, je ris...

Il me semble être l’esprit aveugle.

Battre avec un bâton

Et puis toucher sa main.

Nous regardons chacun dans les yeux,

Dans le silence marquant le temps alentour...

- Tais-toi !

Promenades sur le toit rouillé de pluie !

Promenades, ébauches de formes...

- Eh bien, laissez-les !

Je suis moi-même, je ris...

(1919)

adaptation personnelle

Je ne me dérobe pas

Je ne me dérobe pas, je vais sans lacets. Je suis dans le monde, je vais dans le droit chemin. De loin, les rives de la lumière Font le chemin à mes pieds.

Voici les crêtes des montagnes. De leur côté

Sont adossés les nuages...

J’ai ramassé une montagne, comme un grimpeur!

Mais les distances ne sont pas des yeux clos.

Le jour courbé, est tombé sur sa poitrine.

Mais la route sort dans le chemin:

Escalier - pour ma tête,

Pour les pieds – les plumes sèches de la steppe.

Je vais. Je vole. Dieu aurait pitié!

D’où vient ce seuil ?

Comme un couteau dans le gâteau, je veux entrer dans le monde.

Je ne me dérobe pas, je veux me ressentir!

Ma journée est venue, ma journée est partie.

Mais maintenant je le sais vraiment:

Mon chemin est vers le sommet des montagnes -

Et je n’ai pas besoin de la plage!

(1919)

adaptation personnelle

Écho

Voici mes étés évanouis depuis longtemps,

comme les cigognes disparaissant dans les nuages.

Il me semble entendre ici leurs voix,

dans le vent ou dans les vagues giflées.

Sifflerais-je frivole vers eux, comme dans ma jeunesse?

là - un retentissant hoo-oo vole maintenant vers elles.

Elles sont parties. Cet été, aussi, lui aussi,

s’aligne déjà prêt

à s’envoler, comme une cigogne.

Que ce soit de l’océan bruyant ou des montagnes silencieuses,

ou à partir du son de mes mains qui applaudissent,

un écho septuple peut être entendu.

C’est le mien. Ce n’est pas perdu. Je le reconnais.

N’importe qui saurait le reconnaître. Il se multiplie sans cesse,

comme des ondulations d’une pierre, du vent et des vagues.

Voici mes étés évanouis depuis longtemps,

comme les cigognes disparaissant dans les nuages.

adaptation personnelle

Automne

Dans la mystérieuse angoisse nul bruissement de feuilles,
Celui-ci accroupi se coucha et dormit dans le vent
En voici un autre qui en rêve chemine sur la route,
souris d’or partie à la recherche de son trou.

Et le jardin n’est même pas le propre gardien
des tourbillons, du froid, de la pluie traversière qui coupe.
Le deuil est une larme à ronger,
mais soudain il saisit fort mon oreille bourdonnante.

Les abeilles se dépêchent de marcher sur le sable mou,
Abeilles lourdes à l’abdomen ballonné
et alors elles se traînent jusqu’au tronc, jusqu’au monticule
et soudain, redressent leurs têtes convulsivement,

Et déploient leurs ailes emmêlées
comme parapluies cassés, et s’en vont maintenant
Et la mort a tout entendu des bourdonnements précipités...
Dans le silence se déplace l’automne dans le jardin.

(1948)adaptation personnelle à partir de la traduction d’Anna Akhmatova

Le corps d’une terre nue...

J’ai marché, pieds nus,
sur le corps de la terre nue. Sombre et humide.
- Hé! -
Écho qui rebondit à distance,
Rejeté dans le monde.
Écrasé votre chemin, détruite votre maison,
seuil usé jusqu’à l’effondrement,
et sans demander guère plus, on y va
sur le corps de la terre nue !

Sur la laine des herbes, les champs sont écrasés
tant de douleurs que même la miséricorde...
J’avais alors la terre,
et le monde - mon père comme soutien de famille.

Dans la postérité je tombe,
Un brin d’herbe pousse à nouveau...
Hé, les gens, qu’entendez-vous ?
Pour moi -
Sur la terre humide et nue!
(1917)

adaptation personnelle

Ne sais plus si je suis encore à la maison

Ne sais plus si je suis encore à la maison
ou si je suis très loin -
Je fais tout tourner autour de moi !...
Ma chemise n’est plus,
aucun lien ne me retient encore,
Je ne suis personne, je suis perdu,
Sans commencement, sans fin...

Mon corps est mousse,
Partout ça sent le vent;
Mon nom est: « maintenant »...
Je jette mes bras loin de moi,
Ils atteignent le monde de bout en bout,
Je laisse mes yeux me quitter et s’en aller seuls,
Ils boivent le monde de bas en haut!

Avec les yeux ouverts, avec la chemise défaite,
Avec les bras étendus, -
Je ne sais pas si j’ai encore une maison
Ou simplement une séparation,
Ne sais si je ne suis qu’un début ou qu’une fin...
adaptation personnelle

Vieillesse

Rentre chez toi, mon vieux! Le glas sonne...
Et va t’endormir, couvert avec des couvercles
Tes yeux gonflés en d’énormes orbites
Flammes des crépuscules brûlés à terre.

Plus de musique pour toi et ne chante surtout pas,
et toute cette mousse qui grandit sur toi,
Et mon cœur ne bat pas pour ce vieil homme laissé au bord;
Seule une partie de toi impose silence désobligeant
Comme gale d’un chien galeux.

Rentre chez toi, mon vieux! Car les vêpres ont sonné...
Au crépuscule gris errent les Tsiganes,
Et toi, ébouriffé, assis là et somnolent,
Comment un vieux perroquet, laissé sans ailes.
(1924)

adaptation personnelle

Que faire dans le cœur brisé de la maison

Que faire dans le cœur brisé de la maison

Où la paix et de calme sont parties en fumées noires,

Fumée encore dans le coin, mais une souris gratte encore- mais

Comment mesurer les trous de bout en bout?

Joyeux demeurent les grands-parents! Levez-vous de vos tombes

Tous les membres de votre génération !

Sans demander des comptes au destin

Nous fuyons par des siècles, comme par étapes,

Dans un monde lointain fait de courage et de lutte.

Que reste-t-il du cœur dans le carré d’argile

Comment ne pas tirer de l’armoire près du lit autre chose que l’angoisse,

Comment donc allez au lit, puis s’asseoir à la table avec

Son sein déjà dans la tombe?...

Un de mes yeux est comme une pierre, morts sont les deux -

Rives de Babylone amères et terribles.

(1922)

adaptation personnelle

Route vers le ghetto

Berceau sans l’enfant. Chandelier sans chandelle.
Tombeau antique avec des noms flous.
Seuil bas et la porte est grande ouverte

- Les propriétaires ne s’en préoccupent plus -
Vous pouvez aller chercher et prendre ce que vous voulez...

Des effets très simples traînent. Canne pour la longue route gisant dans un coin.
Une étoile brûlante au-dessus, comme une bougie commémorative.
Des effets très simples traînent dans une modeste propriété -
Et la porte est ouverte - vous pouvez prendre tout ce que vous voulez..

Et le bourdonnement incessant. Et le chemin sans fin.
Et des larmes de frustration opacifiant les yeux.
Toutes les cendres enfermées dans une douleur éclatante -
Et la porte est ouverte - vous pouvez prendre tout ce que vous voulez...

Tête renversée en arrière, le cou tendu, il y a un vieil homme.
Regard rêveur des larmes dans ses sourcils.

Plus loin son petit-fils. Les hommes sont... Femmes... Et jour et nuit.
Rien de plus. C’est tout.
Et la porte est ouverte - vous pouvez prendre tout ce que vous voulez...

Adaptation personnelle

Sur la route

Torturé est le lieu, comme une passoire, transpercé.
Baignez-vous dans la poussière des ruines du village.
Ici, vous avez le sens de la perte de l’ancien,
Là des bâtons allemands oubliés.

Ses roues s’enlisent dans l’argile sèche -
Condamnées à l’immobilité et la décadence.
Venu renifler, le chien courant
Flirte avec sa propre ombre.

Mais, en entendant le cliquetis du lointain
et les pitoyables frissons du train,
Elle, comme deux mains levées, qui redressent les arbres,
Indique clairement que le prisonnier est prêt à se rendre à nouveau.

Avril 1946.

Adaptation personnelle

Un miroir sur une pierre

Maintenant que me revient encore une fois ma vue
Je vois, et chaque morceau de mon corps le ressent,
Mais comme un miroir se brise en mille morceaux sur une pierre,
ainsi, en un éclatement, mon cœur s’est brisé.

Chacun de ses morceaux n’a sûrement point cessé
d’être un témoin de mon existence depuis que je m’en suis allé,
ne me piétinez pas avant le temps du Jugement,
jusqu’à ce que j’aie ramassé tous les éclats, un par un.

Je vais les ramasser et les mettre en pièces, morceau par morceau,
tous ensemble jusqu’à ce que mes doigts soient en sang.
Cependant, je peux essayer avec mon art, de les rendre conforme,
ils montreront alors mon visage à jamais effondré.

Maintenant seulement, dans ma tristesse, tandis que je comprenais
le procédé douloureux, je commence à ressentir la douleur
de vouloir soudain me voir reflété tout entier dans eux,
les éclats dispersés jetés sur les sept mers...

Adaptation personnelle

Bibliographie sommaire

- Bibliographie des œuvres de Peretz Markish en traduction française:

- Le monceau, roman, Traduction Charles Dobzynski, Éditions Le Seuil, épuisé

Une biographie romancée:

D’un pays sans amour de Gilles Rozier, Grasset 2011.

Bibliographie des œuvres en anglais

- Inheritage (Yerushe, Patrimoine), 2007

- Stam, Nabu Press, octobre 2011 (réédition de 1923)

Bibliographie des œuvres en russe ou en yiddish :

- Shveln (1919; «Seuils»)

- Shtiferish (1919, Polissons) recueil de poèmes pour enfants.

- Farbaygeyendik (1921, En passant)

- Stam (1921, «C’est ainsi»)

- Di Kupe (1921; «La Butte»)

- Dor Mayn (1927; «Ma génération»)

- Fertsikeriker ( 1927 «Quarante»)

-Farklepte tsiferblatn ( 1929, Cadrans collés)

- Brider (1929; «Frères»)

- Dor, Ein Dor (1929; d’âge en âge»)

- Neath gedayget (1931; Ne vous inquiétez pas)

- Eyns af eyns (1934; Un parmi un),

- Mikhoels (1939; Une lumière éternelle pour le cercueil de Sh. Mikhoels).

-Tsu une tentserin yidishe (1940;A une danseuse juive)

-Deuxième livre Brider (1941; «Frères»)

- Der fertsikyeriker mensh ( publication posthume 1978; L’homme de quarante-ans)