A Filetta
Le coquillage du temps contre les oreilles
Lentement ils s’avancent du point de la nuit, jusqu’au halo de lumière, au centre d’une petite église, ou sur une scène qui se recueille. Lentement ils s’avancent de noir vêtu, ils s’avancent comme la mer, qui ne veut pas être reconnue, et qui dépose rapidement des coquillages pour dire après s’être retirée au loin : je suis passée, vous passerez.
Dans une petite église des Alpes le groupe A Filetta m’arriva comme lumière profonde des vitraux, comme descente de voix parmi nous. Glissant hors des murs, ils se mirent en cercle comme on fait le feu d’union, et mains contre les oreilles, pêcheurs d’éternité, ils firent flotter les chants corses d’entre les pierres et les garrigues.
Temps suspendu, immémorial à portée de voix, une sorte de liturgie d’avant les villes, leurs souffles et leurs fumées, montait droit dans la nuit.
Cinq hommes dans un cercle de lumière, des nomades en voix de bure qui sont là pour nos hasards d’un soir, et célèbrent le vent qui passe et la terre qui reste.
Ces chants rugueux encore pris dans la terre dure et les fleurs âpres, portent les entrailles de la Méditerranée en eux.
Comme les fougères, « a filetta » en langue corse, ces chants millénaires dont l’origine s’est perdue comme un sentier de montagne, s’accrochent aux parois pierreuses du temps.
Racines profondes d’un peuple qui se souvient et vit dans l’instant de ce lyrisme tout en prenant la sève du passé, les chants polyphoniques du groupe A Filetta mêlent chants sacrés, chants traditionnels profanes, créations originales sans que le voyage des voix et des âmes ne soient interrompus un instant.
Ce chant minéral est la somme de nous tous, de toutes nos îles cachées, de toutes nos rudesses, de toutes nos tendresses. Ces entrelacements des moments de communion, ou de simples sentiments échangés sur le pas de la porte des jours, font un bouquet odorant et sauvage qui résonne longtemps après encore en nous. De plus en plus porté par la voix du sacré, A filetta chemine plus vers les chants sacrés que vers la bruyère.
Ces cinq chanteurs se comptent sur les doigts d’une main, et comptent la main du soleil.
Il descend de nouveaux jours, des navires pleins d’heures profondes et visibles, de la terre corse.
« Les fils de la Terre sont à son image : ils chérissent
toutes choses et toutes choses en retour
à ces êtres heureux sans nulle peine sont données » (Hölderlin).
Gil Pressnitzer
UNA TARRA C’HÈ
Una tarra c’hè per voi
Di lacrime d’invernu
D’ore chì vanu in darnu
È di luce chì piglia fine
Toccu Sittembre, dolce cunfine.
Una tarra c’hè per voi
Di sarre impaurite
Di carghji annant’à e dite
Omi in tana è frastoni
Quandu s’incroscanu i toni.
Una tarra c’hè per voi
Fragata da l’arsure
Brusgiata da e cutrure
Spusalizia d’eternu
Trà notte è fede, è infernu.
Una tarra c’hè per voi
Di mare, mondu è disertu
Di sfide è danni à ch’ùn hà apertu
E calle di l’amicizia
Una tarra c’hè... divizia !