Biréli Lagrène
Le jazz à la roulotte
L’état civil dit qu’un certain Biréli Lagrène est né dans une famille gitane alsacienne le 4 septembre 1966.
Nous savons nous qu’il a près de 1 000 ans de roulottes et de musiques près des feux de camp dans la tête, voilà le feu intérieur qui habite le jeune manouche alsacien Biréli Lagrène.
A l’ombre écrasante de Django Reinhardt et à la clarté aveuglante des Mike Stern, Scofield, Jaco Pastorius et autres, Bireli a su projeter sa silhouette propre.
À nous pauvres "gadgés" qui ne voyageons que dans nos têtes, il apporte le vent qui se souvient autant de l’Inde que de l’Europe Centrale. Éternelle et toujours irréductiblement étrangère, la musique souffle la culture tzigane.
Le mariage des musiques de caravanes pleines d’emprunts hétéroclites, comme autant de cartes postales de voyages et des grands standards du jazz donne ce style unique : le jazz manouche.
Parmi toute la descendance de la galaxie Django, Bireli Lagrene brille du plus vif éclat.
Formé dans le chaudron familial et immergé dans sa musique ethnique, il acquiert une formidable technique.
Il sait s’en détacher pour aller courir le vaste monde. Autodidacte, ne sachant pas lire la moindre noire ou blanche, il est déjà en concert à 5 ans, et réalise un disque phare à 15 ans (Routes to Django).
Bien sûr l’ombre immense de Django Reinhardt est sur lui et il sait tout son Django sur le bout des doigts.
Alors, comme dans un roman d’initiation, à 15 ans, il trouve une autre voie, un autre son le sien. Une véritable rupture familiale et ethnique est nécessaire pour sa libération. Il affirme l’avoir réalisée en douceur, pensons plutôt qu’elle fut douloureuse car sortir du clan, exile à coup sûr.
Guitare électronique et une certaine violence ont été nécessaires pour cette échappée belle. Bireli Lagrene passe alors par la plupart des expériences musicales et rencontre les musiciens les plus divers. Il ose marier la tradition familiale lourde et contraignante avec tous les standards du monde.
Musique brute, sincère, sans chemin de traverse, la musique de Bireli Lagrene est bouillonnante. Sans s’enliser dans les fioritures, servi par une technique fabuleuse qui lui font défier en combat singulier tous les autres guitaristes du monde et les terrasser, Bireli reste un coeur pur.
"J’ai le besoin impérieux de me replonger dans la musique de mon enfance. Et puis la guitare acoustique est un instrument merveilleux, non ?"
Tant d’autres musiciens se raccrochent comme ils peuvent à leurs six cordes, lui suit calmement son chemin sans esbroufe, n’ayant vraiment pas besoin ni de paraître, car il est"tout est dans ma tête et au bout de mes doigts" Il existe un jazz comme de fausses dents plaquées or, celui de Bireli mord simplement à l’essentiel. Et il trouve la réponse : il y a une vie après la virtuosité.
Homme secret, tranquille, il a côtoyé tous les grands noms du jazz d’aujourd’hui, Paco de Lucia, Mc Laughlin, Metheny... et il est laissé intègre et détaché.
"Chez Bireli, il y a d’abord cette rondeur du son. On ne sait quoi de lumineux, de décidé,de coupant, une évidence de l’expression hors lyrisme, hors mièvrerie qui s’affirme. Il fend la musique en deux, d’un seul coup" (Francis Marmande).
Bireli a su résister aux paradoxes des musiciens sans cesse manouches qui campent toujours dans le cercle d’une musique répétée. Pour lui, l’éblouissant manouche, enfourcher sa guitare est devenu un besoin impérieux.
Prêt à toutes les aventures musicales, Bireli, en pleine maturité, avec son trio qui le comprend les yeux fermés, avance librement sur la scène du jazz, sorte de Django moderne.
Jazz en route, ce soir le campement dressé est près de vous, tous feux de camp allumés.
Bireli Lagrene: Le jazz dans les cordes !
Gil Pressnitzer