Bratsch

Les musiciens fils du vent

Bonnes et honnêtes gens de bien, planquez vos poules, cachez vos enfants, Bratsch vient !

Les hommes du vent sont de retour après avoir suivi bien des chemins creux jusqu’au cœur de l’Europe.
Les migrations tziganes vers l’Ouest, depuis peut-être l’Inde, de l’an 1000, en passant en désordre, d’errance en errance au travers de la Roumanie, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, ont ensemencé de mémoire vive et odorante nos pays frileux jusqu’à nos portes.
Les loups sont entrés dans Paris disait une chanson et si maintenant les chacals pouvaient en sortir ?

Ce chemin des épices à rebours est raconté par la musique des gens du voyage, sans domicile fixe sous les pieds, mais avec les trous du ciel dans la tête.
Et puis, la maison suprême des légendes et des secrets universels des terres traversées en étranger est sur leur dos.
Vagabondages avec délit d’initié, cette musique insoumise, insurgée, a toujours affleuré le long des haies sauvages, des campements en quarantaine des villes.

Il fallait que certains puissent rempailler le cœur du monde qui partait en lambeaux sous trop d’asphalte, d’autoroutes de sons banalisés, sans racine autre que le prêt à penser du kleenex universel de la World Music.
Cinq braves gars s’y sont employés il y a plus de quinze ans déjà. C’est le groupe Bratsch (alto en allemand, temps décalé en tzigane).
Rencontres d’un musicien fiévreux et hanté d’Orient (Dan Gharibian), d’un violoniste avide de curiosité, Bruno Girard, d’un accordéoniste François Castellio, d’un clarinettiste Nano Peylet, et d’un contrebassiste, Pierre Jacquet, en fait cinq vrais-faux tziganes patentés, mais en tout cas d’authentiques errants.

Chaque musicien est virtuose. Ils peuvent alors librement improviser, jouer à l’instant et recréer un folklore imaginaire plus vrai que vrai, rejoignant ainsi la trajectoire de Bartok.
Foin de l’authenticité notariale des folkloristes entomologistes, tout est revisité, emprunté, rendu au centuple par la joie de voyager à la fois dans sa tête et dans celle des autres.

Ils ont pris à bras-le-corps toutes ces musiques d’errances juives, tziganes, arméniennes, et bien d’autres dont celle du territoire d’ailleurs : le jazz land. Brassant les langues : roumain, yiddish, grec, hongrois, russe, tzigane à leur culture bien occidentale, ils ont laissé mijoter des années le tout, pour nous le servir plein d’arômes.

"À force de jouer toutes ces musiques tirées des répertoires traditionnels, nous avons commencé à inventer des thèmes, recréer des images, une fantasmagorie à partir d’un mélange de culture qui est en train de disparaître en Europe Centrale pour cause de nationalisme exacerbé " (Bruno Girard).

Goulasch contre goulag mental ! Que croyez-vous qu’il advint ? C’est la bêtise qui mourut au fond de tous les vallons, et cette musique de tous les mélanges claque insolente, pleine d’humour, mélangeant le gai et le triste, le salé et le sucré ; plus libre que tous les clochers de villages qui n’ont jamais su comprendre la main ouverte des girouettes.

Mélange et revanche de tous les marginaux, du manouche au klezmer (musicien juif), c’est un bel éclat de rire musical qui nous tombe dessus en ricochant.
Par arrêté préfectoral extraordinaire, Bratsch sera autorisé à camper parmi nous, de passage dans nos cœurs.
Pas la peine de vérifier le gousset de nos montres, c’est le temps qui vous sera volé.

Venez donc jouer votre nostalgie à la roulotte dans un voyage cahotant, savoureux surtout sans frontières avec des feux de camp, du feu tout court, et encore du feu pour la route.

Transports en commun assurés dans nos mythologies de voyages, avec le plaid du plaisir pour tenir chaud.

Et si par un soir d’avril, le voyageur...

Gil Pressnitzer

Passage du vent et terre des hommes

Les roulottes ont brisé le cercle, la route appelle et nos musiciens, fils du vent et mangeurs de lune, ont volé la poussière de bien des chemins, de bien des mémoires.

De soirs d’araignées en journées de coquelicots, ils reviennent vers nous pour partager le pain de leurs chansons, le vin lourd de l’amitié.
Parlant à tous ceux qui prêtent oreille encore au vent et n’ont pas encore tué les forêts vives qu’ils portent en eux. Et leur musique de passage est pleine de passants qui vivent, qui meurent, montent sur la table ou pleurent d’oublier.

Fumée de feu sur fumée de notes, fumée de feu sur fumée de paroles, cette musique est un grand manteau noir pour nous souvenir de toutes les nuits traversées sans beaucoup d’étoiles et parfois jaunes.

"Aussi vrai que le papier est blanc, aussi vrai que l’encre est noire" dit l’une de leurs chansons laissée en chemin, et aussi vrai, Bratsch est un groupe, une identité infalsifiable pour ces SDF de la musique.

Dan Gharibian au chant et à la guitare, François Castiello l’accordéon et au chant, Bruno Girard au violon et au chant, Nano Peylet la clarinette et au chant et Pierre Jacquet à la contrebasse forment une tribu. Plus conteurs que musicologues, ils préfèrent ramasser les bruits du vent des traditions orales que de les mettre en bocal.

Cet éclectisme désordonné donne le son unique du groupe qui reste dans l’esprit de ceux qui ne font que passer les soirs de fêtes, profondément nomades et riches de toutes les influences.

Sorte de grenier des musiques d’Europe Centrale, la musique faite par Bratsch n’est surtout pas traditionnelle, elle est mélange de différentes étincelles ramassées sur les chemins à lucioles. Surtout elle se souvient de la liberté de l’oiseau et de la joie fabuleuse d’improviser. Brute et naïve à la fois, la musique de Bratsch doit pouvoir retourner à l’air, parfois gaie, parfois triste mais toujours en état d’apesanteur.

Une sorte de blues des Balkans, sans doute, plutôt une musique qui se souvient de la source plus que de ses sources. "Que voulez-vous le monde est fou, mais il appartient à celui qui l’écoute !"

Flocon de neige, alcool chaud, désir sur la nappe, absence et printemps, cheval perdu, brûlure des rêves, et mille autres choses vivent dans cette musique, une musique d’hommes qui chantent simplement à hauteur d’homme.

Musique d’amis et qui traverse les maisons pour rester à jamais sur les routes et gagner l’autre rive du fleuve.

Gil Pressnitzer

Le goût des étoiles

À nouveau, Bratsch, ce groupe de vent et d’espace posera ses roulottes, ses feux et ses flammes à la Salle Nougaro. Nous avions tellement aimé la dernière saison leur spectacle si merveilleusement maîtrisé, sorte d’apothéose du cabaret-théâtre de tous les chants d’Europe et d’ailleurs. Refusant la stricte obédience du folklore tzigane, Bratsch est libre sur toutes les routes du chant passant du yiddish, au français en suivant les chemins de traverse des Balkans.

Bratsch, ce n’est pas un tour de chant de mélodies d’Europe centrale, c’est un spectacle total, où lumières, mises en scène, chaleurs et émotions, nous rendent simplement heureux.

Mes cinq amis de Bratsch reviennent pour une veillée, poser les braises et les cendres de leur musique. Nos rencontres seront gaies, seront tristes, car ce soir-là nous serons aussi enivrés qu’eux de leurs musiques nomades, couvertes de vent et de lune. Joie de revoir des amis qui ont su au travers d’un groupe existant depuis 1975, continuer à faire une musique qui jamais ne se fige et, qui encore, fait trembler les arbres de passage.

Refusant toute résurrection d’un monde perdu et mythique, tzigane ou autre, d’une mise en scène menteuse d’un pays d’or où couleraient encore les chansons de fête et de printemps, ils ont eu le courage de quitter les sentiers balisés, et par mille routes de traverses, ils reviennent vers nous, nous rappeler que la tradition est un théâtre de fantômes.

Ils préfèrent boire à la méchante vie, à la jubilation des rencontres, à l’amitié échangée comme du vin chaud. Au diable l’intégrisme des traditions, alors que les pays n’existent plus, balayés par la cruauté et la grossièreté des hommes.

Les musiciens de Bratsch portent un dernier toast à notre bas monde, et ils se veulent libres, dégagés des roulottes des anciens, prêts et ouverts à tous les métissages rencontrés en chemin. Les âmes gardent des traces, les contes et les paroles suspendues en portent témoignage. C’est là le pays, le seul qui existe encore.

À quoi bon vouloir frissonner de liberté, accueillir la nuit, faire s’envoler les oiseaux, si c’est pour recréer un ghetto de musiques traditionnelles. Bratsch est libre, jusqu’à l’impertinence, jusqu’à la trahison. Refusant l’abri des grands anciens, des musiques attendues et identifiées, Bratsch chante près du ciel et de la terre.

Aussi bien des comptines incongrues, que l’empreinte des villes, des romances profondes comme des puits, comme des airs à danser, tout cela tournoie dans leur musique. Ayant longuement travaillé sur les lumières et la gestuelle, ils refusent de représenter une soirée de cabaret amélioré. Nos cinq lascars sont là ce soir pour un moment intense où les frontières s’abolissent, où la nuit demeure étrange avec des étrangers devenus frères.

À ceux qui n’ont su quitter ni leur corps, ni leur petit jardin, Bratsch apporte une bouffée d’enfance et aussi d’avant-goût de larmes parfois. Ces musiques nomades, confrontées au monde actuel, deviennent un véritable folklore imaginaire.

Que le bonheur soit loin, le vin tout prêt, les fleurs tombées, les femmes souriantes et déjà perdues, que la mort rôde, qu’importe, il faut faire un feu de musiques pour danser, et surtout parler, et se parler avec ces mots profonds qui sont le seul foyer chaud que l’on puisse offrir à des amis revenus.

Bratsch est revenu : une soirée de fête, faite de ritournelles, d’enfance, de nostalgie et d’amour est donc annoncée, et la scène sera cette place de village où l’imaginaire, l’improvisation, l’espérance donc dresseront la table. Bratsch dansera dessus !

"La séparation est la sœur cadette de la mort" disait Osip Mandelstam, ce soir nous sommes réunis, et en cadeau un merveilleux bric-à-brac yiddish, arménien, français, manouche, roumain...

La fête quoi ! Bruno gardera son chapeau et ne fera pas la quête, car tout le groupe est une quête, vers la liberté.

Joyeuse bande, tissant l’imaginaire et le vent. Bienvenue, et à la vôtre !

Gil Pressnitzer

Discographie

* Plein du Monde 2007
* live au cabaret sauvage
* Ça s’fête 2004
* Nomades en vol 2003
* La vie, la mort, tout ça... 2001
* On a rendez-vous 1999
* Rien dans les poches 1998
* Écoute ça chérie 1996
* Correspondances 1994
* Sans domicile fixe 1990
* Transports en commun 1992
* Notes de voyages 1989