Carmen Linares
La lune dans la rivière
Grâce à notre ami Vicente Pradal, nous savons maintenant à Toulouse, quelle flamme noire et rouge à la fois est Carmen Linares.
Grande parmi les grandes chanteuses de flamenco, elle est souvent accompagnée par deux guitaristes : les frères Cortes, et les bouts de planche des scènes s’enflamment et deviennent un bout de terre andalouse.
Carmen Pacheco Rodríguez Linares est née à Linares (Jaén) en 1951.
Aérienne mais avec la lourdeur âpre de la terre brûlée du flamenco, Carmen Linares envoûte et jette un sort. Cette non-gitane apporte au chant flamenco tout l’héritage des grands poètes (Garcia Lorca) et des chants traditionnels. Elle renouvelle en fait tout le genre flamenco, et tout le monde s’accorde à voir en elle l’égale d’Enrique Morente, c’est-à-dire la plus grande chanteuse de flamenco actuelle. Connaissant intimement tous les styles du cante flamenco elle est une anthologie, mieux une encyclopédie à elle seule.
La corne de l’Espagne nous aura tous transpercés ce soir-là.
Le flamenco est le chant de la nuit, un chant blessé et qui blesse, un chant profond qui fait mal.
Né au début du siècle dernier sur la terre andalouse, il a longtemps été l’identité de quelques familles gitanes, mais depuis il a fait le tour du monde. Il a même failli perdre sa voix rauque et brute dans le tourisme culturel, et ses faux cafés flamencos.
Toujours vivant à travers ses chanteurs, ses guitaristes et ses danseurs, il poursuit encore, en somnambule, ses cavales dans les nuits noires du monde. Il reste intact entre les goulées du vin de Jerez, les bleus à l’âme et le feulement de la nuit.
Le flamenco vit et vivra toujours dans le chant à fleur de peau, fleur de peine. Comme dans des ragas indiens, il y a des couleurs de temps pour entendre les soleas, les bulerias, les siguiryas ou les martinetes. Ce timbre particulier proche du râle et de la déchirure, ces ornements qui amplifient l’expression de l’émotion, les attaques brutales de la guitare, et ces thèmes puisés au creuset de la malédiction du quotidien, toutes ces étincelles font du flamenco une musique de transe.
Du chant des origines, Carmen Linares apporte sa voix de femme chaleureuse et passionnée, celle de l’arrachement et de la tendresse infinie. Et elle chante en femme. Immense chanteuse du "Flamenco Joven" (Flamenco nouvelle vague) elle apporte, elle l’andalouse non gitane de Jaen, sa voix noire et irisée à ce chant de minuit.
Carmen Linares est la grande figure féminine du chant flamenco actuel, elle est celle qui touche au ciel vaste de l’émotion.
Elle, la femme de Jaen née à Linares, ne se contente pas d’être l’interprète inspirée de la tradition. Elle est créatrice, aventureuse sur les nouveaux chemins du flamenco.
Ses amis Enriquo Morente, Vicente Amigo, Tomatito mettent souvent leurs talents au pied de sa voix.
"Lune dans le ciel Lune dans la rivière".
Ainsi apparaît la voix de soie noire et de déchirures de Carmen Linares qui chante les grandes peines qui se taisent et les petites peines qui se disent.
Cette longue quête de l’émotion nous parle du monde qui saigne, mais avance quand même vers les rencontres d’étoiles.
"Admiratrice des grandes formes de chant léguées par la tradition, elle sait en actualiser la couleur musicale, la ligne mélodique, l’instrumentation et les textes pour continuer à communiquer aux auditoires d’aujourd’hui la force unique charriée par le Flamenco "(Frédéric Deval).
Carmen Linares est une grande voix des profondeurs, celle par qui la nuit remue.
Gil Pressnitzer