Clifford Brown
Un météore d’évidence
Lost highway, autoroute perdue et maudite sous la pluie, elle aura stoppé net la trajectoire du météore.
Clifford Brown aura tourné plusieurs fois autour des murailles du jazz en sonnant de sa trompette plusieurs fois. Les murailles du jazz seront tombées, mais l’auront enseveli toujours vivant. We remember Clifford bien plus tard que cette nuit du 26 juin 1956. Cette nuit ou la route a crissé, la voiture a basculé et la mort a cueilli le pianiste Richie Powell, sa femme, et un jeune trompettiste aimé des dieux et des jazzmen, Clifford Brown. La route ne voulait plus, c’est nous qui étions crevés. Et dans cette Buick lancée vers la fin des nuits sur une bretelle d’autoroute détrempée, le chorus final a retenti.
Brown, mon vieux Brown, Brownie te voilà au carrefour de Pennsylvania Turnpike, à dérouler ton dernier set. Tu es coincé, tu saignes tu ne comprends pas. On t’attend tu as promis de jouer. Tu as pris la voiture sans dormir pour les rejoindre. Ses grosses lèvres faites pour abreuver d’air et de vertige, tes femmes et tes trompettes se sont figées et le hard bop aussi. Lippues, celle d’un enfant sage devant tous ses jouets cassés, tes lèvres remuent toujours. Emmêlé au corps de Richie, moulé dans la ferraille tu peux prendre ton chorus de la mort. Richie va lever un œil et jouer sur ses os noirs et blancs l’accompagnement. Il va enfin oser les harmoniques qui lui échappent car volés par son frère Bud. Jamais tu ne le voyais de si près de ton pianiste le Richie d’habitude exilé dans ses ivoires, en marge de la scène. On pourrait faire quelque chose, un « stomping in savoy » par exemple, mais où il est l’autre, mon frère télépathe avec qui je joue sans voir les mêmes pâturages du paradis. Ou est Roach dans cette putain de voiture en morceaux. On va crever sans pouvoir faire un bœuf. C’est con au possible, que va penser Max, va-t-il mettre du crêpe noir sur sa batterie ?
Va-t-il abandonner le jazz ?
Ainsi Brownie nous quittait comme plus tard de façon presque analogue le contrebassiste Scott La Faro le fera. Tous deux laissent un veuf inconsolé, un ténébreux qui plus jamais ne trouvera cette union spirituelle : Roach ou Bill Evans chacun d’eux aura dorénavant ses fantômes qui viendront jouer sur leurs fenêtres et quand ils se croient en plein milieu de la musique, le gouffre de leur absence les fera presque dérailler.
Brownie s’en va lui que le grand Alain Gerber avait appelé le roman d’un enfant sage dans sa biographie.
Brown, Brownie s’en est allé, pas du tout préparé à l’expérience du tragique de la vie, lui a qui tout a souri. Il fut reconnu presque par évidence par tous.
Pendant sa courte carrière, sept ans en concert, moins de quatre ans en enregistrement (du 21 mars 1952 au milieu de 1956) une trace incandescente est restée et de nombreux enregistrements nous retournent le couteau dans la plaie, jusqu’à ce que la plaie se mette à sourdre du jazz. Brown avait 25 ans sur cette terre. Il a été fauché comme du blé mûr et non pas comme du blé en herbe. Car il était totalement accompli.
Il était né à Wilmington, Delaware le 30 octobre 1930 et dès sa rencontre avec la trompette à quinze ans, sa voix lactée sera tracée. Fats Navarro, Miles Davis seront ses bonnes fées qui l’entendent ébahis à Philadelphie dès 1948.
Pourtant parfois le destin vous fait signe de faire attention et en juin 1950 il est victime d’un accident de la route qui l’oblige à se retirer pendant un an.
La mort sonne toujours deux fois, surtout si on oublie ses messages.
En 1952 il enregistre déjà avec Chris Powell, Tad Dameron et tourne avec Lionel Hampton qu’il l’aura emmené à Paris où il enregistre à tour de bras.
Sa véritable université sera le quintette des Jazz Messengers d’Art Blakey en 1954.Mais le miracle, l’épiphanie se fait avec la création du quintette avec Max Roach. Tous les deux s’attendaient sans doute depuis des siècles, ils se sont trouvés. Pourtant Brown aura douté un temps car tant de jeunes trompettistes se pressaient pour entrer en ce cénacle. Mais lui le froid amateur de jeu d’échecs et de scrabble se savait capable de relever ce défi.
Les enregistrements de ce premier grand groupe de hard bop sont devenus des légendes, de même que ses accompagnements de Sarah Vaughan, Helen Merrilll.
Il n’a pas la légende du jazzman maudit, trop clean pour faire pleurer dans les clubs, il n’a aucun côté rimbaldien. Il ne fait pas de saison en enfer, non il est la musique simplement, sans adjuvant tragique. Pas de drogue, pas d’amour en transes, pas de nuit profonde et à hurler. Pas de cri de rage, pas de folie calcinante, non un bon jeune homme qui invente simplement une nouvelle musique. Voltigeur des notes aiguës, il donnait de la sérénité en volutes. Son lyrisme lumineux suspendait, des lampions sur la nuit du jazz.
Brown, Brownie sweet Brownie n’avait pas la beauté du diable comme Miles Davis, loin de là avec son visage massif et ses lèvres énormes qui ne savaient vraiment qu’embrasser sa trompette. Il semblait une outre d’air d’au-delà gonflant tous les ballons rouges qui allaient monter au ciel. Non, il n’était pas beau, mais sa musique était belle.
Il est étrange de voir ce contre-exemple des héros du jazz. Lui le jeune propret, sage, sans histoires qui aura tracé paisiblement sa route dans le jazz jusqu‘au choc final et frontal. L’inverse d’un Charlie Parker, oiseau incandescent qui se brûlait les ailes. Lui, il volait à son rythme dans l’air paisible.
Comment imaginer que l’histoire du jazz ait pu à ce point bifurquer sous les appels de la trompette d’un jeune homme à l’eau claire ? Claire fontaine des notes, plénitude du chant. Le reste n’est pas musique et l’on ne sait presque rien de sa vie hors de scène.
Gil Pressnitzer
Discographie sommaire
The Complète Blue Note/Pacific Jazz recordings Blue Note 34195
Brownie the complete Emarcy Emarcy
Memorial OJC 017-2 - Prestige 7055
Memorial Album Blue Note
Clifford Brown the Complete Paris Sessions Verve
Ultimate Clifford Brown Verve
Clifford Brown and Max Roach Verve
The Best of Max Roach and Clifford Brown in Concert GNP/Crescendo
Clifford Brown’s finest Hour Verve
Brown and Roach Inc. Verve
Best of the Blue Note Years Blue Note
Study in Brown Verve
More Study in Brown Verve
At Basin Street Live Verve
At night at Birdland