Enrico Pieranunzi

L’intime du chant,du jour après le silence

Raconte-nous la mer, Enrico, celle qui vient battre sur ton piano. Ce jeu de vagues subtiles qui sont le beau navire de nos mémoires.
Dis Enrico raconte-nous les sirènes nues sur les rochers. Dis-nous aussi le vent qui court dans les voiles et les reflets du soleil sur l’eau jamais la même.
Toi qui as le front marqué par les nuées, et qui fais sourdre de ton piano la rosée, chante-nous encore la chanson qui doit bercer tous les chants.

Léger, léger, Pieranunzi fait passer les ombres sur son clavier. Il se confesse, il nous confesse sur son "divan-piano".Ses apparitions en trio ou en solo, démontrent jusqu’à l’hypnose la force de son émotion, la pudeur de ses confidences, Enrico Pieranunzi sait tisser le bonheur simple de ses mélodies, un pied dans la nuit, un pied dans les rêves.Intensité, swing en apesanteur, Enrico mêle ses propres compositions à la visite toujours recommencée des standards, à la fois caressés encore une fois, puis abandonnés. Il tourne autour de la mélodie, l’amène faire un tour sans jamais la quitter des doigts, et l’endort en l’apaisant.II y a une couleur Pieranunzi, une manière Pieranunzi : ce jazz européen côtoie parfois, la nuit noire, mais il ne veut témoigner que de l’ombre portée des sentiments qui coulent en nous, qu’il incite en nous."Le jour après le silence", un autre de ses albums solo, décrit le climat de présence et d’absence de ce pianiste né à Rome le 5 décembre 1949, et les traces de son passage.

Rome a ses chats, maintenant Rome a aussi les pattes de velours d’Enrico.

Un piano entre grâce et regret, l’art de Pieranunzi touche certes aux rives de Bill Evans, mais aussi à Schubert autre frère en indicible.
Ce lyrisme musical comme un vol de mouettes annonçant la terre proche, ne pouvait que le conduire à tourner autour de cette étoile jamais éteinte nommée Bill Evans qui a su lire et rendre poésie à chaque touche du piano.
Enrico Pieranunzi a su, dans ce repos apparent des bruits de la vie extérieure, déceler l’essence même de Bill Evans : la déchirure, la blessure comme une lumière de l’intérieur, la glorification de la mélodie et du lyrisme déposé en cristaux de pureté sur le monde.

L’intime du chant est là, celui du jour après le silence, pour citer le titre du premier disque d’Enrico Pieranunzi.
Intenses et personnelles sont ses musiques, et voulant larguer les amarres avec les comparaisons incessantes avec Bill Evans, il charge la barque du piano avec le poids de son italianité : le chant, le mélo, l’amour et la femme. Enrico procède par une sanctification de l’instant, il le voit passer, il le retient par la manche de la mémoire.
Présence vitale et bien réelle, en traversant l’heure oblique Enrico Pieranunzi invente la ballade de l’instant. Échafauder un rêve et le rendre sonore…(Matteo Galilei).

Ce pianiste de formation classique sait ce que toucher un piano signifie, et il a entendu ce que dit le vent d’ouest dans la forêt du clavier. Longtemps, il a mené de front les couleurs de Schumann et de Debussy et celles plus changeantes et moirées du jazz. Bien au-delà d’un impressionnisme musical, ou d’une virtuosité clinquante, Enrico bâtit ses « Märchenbilder », ses contes imaginaires.
Lyrique, poétique, il est tout entier tendu vers son envol. Les titres de ses disques témoignent de son approche feutrée de la vie : "Le rêve devant nous", "La nuit passe", "Vers la mer", "Le coeur de la ballade", "L’histoire non comptée"…

Il suffit de prendre d’autres titres de ses albums pour entrevoir sa personnalité : « Dans le rêve qui nous précède », « Dans cette aube de musique ». Dans son livre définitif sur Bill Evans, Pieranunzi propose "d’être attentifs aux titres pour déchiffrer l’homme Evans". Cela est la clé de sa propre compréhension. Quand il écrit " Don’t forget the poet ", il parle de lui.
Certains disent qu’ils marchent sur l’eau, mais Enrico volette sur les touches de son piano, c’est là le véritable miracle. Il nous envahit pas à pas, avec l’haleine de sa musique qui semble dans l’indéfini du temps et de l’espace. Aussi elle revient par vagues en nous, autour de nous, elle s’écoute, elle nous écoute. Au premier matin, on a dû entendre cette musique, on l’a oublié depuis.

« Il invite aux dialogues des consciences» a dit quelqu’un, belle phrase qui montre l’ampleur des mondes intérieurs d’Enrico.En fait, toujours en mouvement pour précéder l’émotion, surprendre l’écoute, Enrico est comme tout véritable jazzman, un funambule amoureux sur un fil tendu de la nuit à la nuit. Pour capter encore les reflets de la mer changeante, de la nuit qui rêve, il faut savoir être tout à la fois grave et serein, doux et désespéré.Cet homme discret ne dévie pas de sa route, et il poursuit ses confidences dans l’espace poétique qu’il s’est créé. Merveilleux accompagnateur il semble pourtant toujours en jeu de miroirs avec lui-même, en face à face avec son souffle et ses souvenirs.

Il passe tant de présences flottantes dans sa musique que nous ne serons plus jamais seuls. Elles murmurent les enfances, elles chantent tout bas les absences.
Pianiste de jazz de chambre, pianiste de l’intimité tous les éclats soyeux de sa musique apparaissent dans cette douce lumière qu’exalte sa musique. Tendre est le jour, tendre est la nuit en sa musique.

Enrico Pieranunzi est cela, simple comme le bonheur, immanent comme le malheur.De la limpidité même de sa musique,monte des ombres douces et aimantes.

Raconte-nous la mer, Enrico, celle qui vient battre sur ton piano.

Gil Pressnitzer

Discographie

Piano solo

Enrico Pieranunzi Plays Domenico Scarlatti [CamJazz, 2008]

Con Infinite Voci [Egea, 1998]
Canto Nascosto [Egea, 2000]

Perugia Suite [Egea, 1999]

Live in Switzerland [YVP, 2000]

Duo

The heart of the ballad [Philology, 1988]

(with Chet Baker)

Trasnoche [Egea, 2002]

(with Marc Johnson)

Doorways [CamJazz, 2002]

(with Paul Motian)

Duologues [CamJazz, 2004]

(with Jim Hall)

Trio

Deep Down [Soul Note, 1986]

(with Marc Johnson & Joey Baron)

Seaward [Soul Note, 1995]

(with Hein Van de Geyn & André Ceccarelli)

Play Morricone [CamJazz, 2001]

(with Marc Johnson & Joey Baron)

Special Encounter [CamJazz, 2003]

(with Charlie Haden & Paul Motian)

Live in Paris [Challenge, 2005]

(with Hein Van de Geyn & André Ceccarelli)

Ballads [CamJazz, 2006]

(with Marc Johnson & Joey Baron)

Live in Japan [CamJazz, 2007]

(with Marc Johnson & Joey Baron)

Autres formations

Racconti Mediterranei [Egea, 2000]

(with G. Mirabassi & M. Johnson)

Les Amants [Egea, 2002]

(with M. Johnson, R. Giuliani & string quartet)

Don’t forget the poet [Challenge, 1999]

(with B. Joris, S. D’Anna, H. Van de Geyn, H. van Oosterhout)

Fellinijazz [CamJazz, 2003]

(with K. Wheeler, Ch. Potter, Ch. Haden, P. Motian)

As never before [CamJazz, 2008]

(with K. Wheeler, M. Johnson. J. Baron)