Éric Lareine
Le marin à terre
Il n’y a pas de hasard : Éric Lareine est né à Charleville comme Rimbaud, lui ne fait pas commerce d’armes mais il passe en contrebande ses mots d’écorché vif.
Ancien charpentier, ancien du groupe Récup’verre, danseur de formation, comédien formé au théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, auteur-compositeur, animateur d’ateliers d’écritures à Music’Halle, metteur en scène, calligraphe, Éric Lareine est le secret le mieux gardé de Toulouse.
En effet il est un des très grands de la chanson, mais personne ne le sait, tant ce marin à terre chaloupant, tournoie dans ses vertiges et son autodestruction qui le pousse à laisser s’entasser dans ses tiroirs des kilomètres d’enregistrements sublimes.
Seuls trois CD portent témoignages de son intensité irradiante : « J’exagère », « Plaisir d’offrir, joie de recevoir », « L’ampleur des dégâts ».
Il est ailleurs, soit dans ses duos Reflex avec Denis Badault, soit dans ses cris rejoignant Ferré dans son Alma Matrix, et ses créations avec les divers courants de la chanson et de la musique actuelle (François Merville,…).
Admiré par Nougaro et bien d’autres, il reste tapi dans son repaire de la rue de la Colombette, faisant un immense bras d’honneur au monde cruel. Mais un jour cela finira bien par se savoir : il y a à Toulouse un homme au sourire de gosse, à la voix qui vous déchire, au corps qui vole dans l’air sur un sanglot d’harmonica. Cet homme c’est Éric Lareine, un baladin blues-rock exceptionnel, respect total.
Sa natte fouette le monde. Son ironie fouille les entrailles. Ses entrailles sont là au travers de nous, brillant de mille écorchures, les nôtres, les vôtres.
Rage et passion, humour violent, zébrures déchirantes de poésie, Éric Lareine occupe l’espace-temps. Il déstructure les phrases communes, les détourne vers la mer de la folie.
Certains gardent leurs enfances en sautoir, comme un jouet momifié, Éric lui garde la pureté originelle de son rock-réaliste. Fêlures, cassures, violences, cris déchirés, douceurs soudain inquiétantes, balisent sa route aux chansons.
"Ses épilepsies sentimentales" sont en marge des quotidiennetés, elles sont au centre de nous
Quand il rencontre son double malicieux au piano, Denis Badault, il se libère de toute pesanteur et de toute contrainte, ils se noient tous deux dans l’improvisation. Alors ils se rencontrent le mercredi, comme ils se sont rencontrés un jour le mercredi :
D’abord ils boivent longuement le café,
en fumant force cigarettes,
Et comme ils sont d’accord sur ce qui est beau
alors seulement ils se posent la question :
"À quoi on joue ?"
Ils jouent au piano et à la voix, par exemple,
au jeu du mot son, de la phrase-break, aux faux-portraits,
à la guerre des chants, ou au jeu du y’aurait pas de règle.
Si tout se passe bien,
s’ils se racontent des histoires trop belles, trop sales,
alors ils se reverront mercredi prochain,
et ils prendront bien soin de ne pas refaire.
Parce que sinon ça vaut pas.
Oui mais, que font les garçons, le mardi midi, quand ils s’invitent ?
Ils ne font pas pareil, surtout pas pareil.
En honorant la déesse de la météo marine, Marie-Pierre Planchon, la belle inconnue de la météo marine, ils changent la météo du monde.
Chansons fortes, tendres, sanglotées dans un râle d’harmonica, hurlées dans les spasmes du corps, dansées par ce somnambule funambule qui se tord comme une bougie sous le vent....
Éric est aussi un passeur, un éducateur, un maître des ateliers d’écriture :
Un atelier d’écriture en forme de fabrique,
une fonderie plus précisément, et de caractères,
du " a " le plus maigre, le plus minuscule,
jusqu’au titre en majuscule tout en haut de l’affiche.
Un atelier d’écriture pour approvisionner tous les ateliers du son,
tous les hauts fourneaux qui le désirent.
Et il sait galvaniser des voix plus ou moins liées pour monter "Fascination" music-hall à la Broadway.
“…je suis un chasseur de naturel, je le rabats, car on ne dit pas un troupeau de cheval, mais on écrit, une horde de chevaux sauvages, quand le naturel revient au galop. il faut chasser et dépister ce qui fait chanter, le cœur de la pile avant le cœur de la cible, mettre à jour les talents mais aussi les faiblesses, les maladresses, pour les apprivoiser, alors les défauts se transforment en dons, les dons se transforment en qualités…”
L’univers Éric Lareine vous saisit, vous emporte. Paquets de mer reçus en pleine gueule, en pleine urgence, marin qui tangue, âme qui chavire : on ne sort pas indemne d’une soirée avec Éric Lareine, avec ses musiques saoules. Il y a presque un malaise quand la lumière se rallume, nous sommes devant un être qui a joué sa vie ce soir devant nous, qui l’a d’ailleurs peut-être perdu par notre manque de tendre, notre incapacité à endiguer toutes les voies d’eau de sa voix pantelante.
Éric, tu es toujours là ?
Te revoici sur la grande scène de tes débuts, - celle de tes émerveillements de gosse devant l’espace scénique et les guirlandes de lumières. Nouveau répertoire et nouveaux musiciens offerts en primeur mais toujours ce cri, ce rire fêlé, ce grand « tamour » jeté entre une impudeur obscène et le silence muselé.
La nuit des tavernes, la nuit sans lune et tous ces petits bouts de papier, ces bouteilles à la mer décapsulées par l’indifférence avec tout au fond l’immense tendresse aux tripes.
Pantin désarticulé, les fils de l’amour le maintiennent encore debout. Pour combien de temps ?
"Danseur de rock jusqu’au bout, jusqu’à Antonin Artaud !"
Cet être calciné qui nous brûle, danse le rock des fantômes, danse la vie jusqu’aux cendres, avec un petit bout d’harmonica, et des sanglots et des rires à la fois. Nous l’aimons fort, ce fragile Éric, qui a appris à hurler contre le couvercle de plomb du monde, ce funambule déchiré, ce pantin désarticulé.
Rock réaliste ? plutôt théâtre complet, danse sacrale et surtout poésie violente du quotidien, poésie exacerbée, à l’humour comme du papier verre, du recup’verre d’ailleurs.
Authentique, Éric tu as fait flamber le Printemps pas celui des bourges, non nos printemps à nous.
Tu brûles par les deux bouts de ton âme de gosse. Tu es la plus belle bougie noire que j’aurais jamais vu.
"On jouait jusqu’à que mort s’en suive", dis-tu de son ancien groupe Recup’Verre, mano la mano solo. La définition est toujours valable aujourd’hui, même si le métier, la mise en scène millimétrée avec ou sans barrière d’étapes te protègent et laissent croire à ta chute inévitable alors qu’il n’y a que danse sur un rasoir. Les pauvres gens ils ne voient pas la corde d’assurance de tes nattes qui te sauvent de l’enfer.
L’expérience du théâtre de la vie avec ses trahisons, ses lâchetés des autres comme garde-fou, c’est aussi cela grandir ? et puis ses rencontres irradiantes avec Denis Badault et la belle sirène de la météo marine.
Maintenant, Éric tu sais tituber sans trop se casser.
"Si j’écris, c’est pour arrêter de lire ", et pourtant il en a lu des livres Éric, il en a dévoré des poèmes et des polars, foudroyé par Carver
Tu ne crois plus au grand soir de la gloire alors que tant de plus cons que toi... Mais sans doute mieux portants que toi, et avec surtout l’âme ductile pour aspirer dans les coins.
Te voilà mettant à jour les mots des autres, jouant dans les bestiaires des illuminations. les tiennes et celles des autres.
D’accord, Éric, mais marionnette fragile, enfantine parfois, tu nous dois encore bien des traversées houleuses de tes propres bateaux pirates…
Le blues est vraiment au fond du couloir, c’est encore loin Verfouil ?
C’est encore loin l’humanité ?
Depuis il a semé des enfants de l’âme et de musique avec Pulcinella et Denis Badault, et la rage de vivre retentit et submerge les zones d’ombre. Tout va bien, tout va fort!
Gil Pressnitzer
Textes d’Éric Lareine
Concert-étape
Depuis tout petit, ça recommence.
Je dépasse la borne
je franchis le panneau.
Après une longue route, avec des amis, je pousse les limites,
j’arrive à résidence.
Bombardement de visages, de sons, signalétique et nouveaux mots.
Cette avalanche se cristallise, au moment même, en une première image, vite traduite.
Après des mois d’apprentissage, de villégiature, cette image est transformée, plus précise, parce que plus que connue, plus empreinte de soi, des itinéraires,
des relations, réseaux, anecdotes.
Avant de monter la toile, il a fallu la tisser.
II existe le même rapport entre ces deux images, qu’entre ce bout de phrase déposé d’urgence au bord d’un petit carnet noir - à Ivry, la ceinture est rouge quand la brique est foraine –
et la chanson chantée, montrée, démontée.
C’est cette même transposition sensible, cette adaptation, que nous partagerons, ce même transport
En quelques tableaux, parler du pays.
Faits d’hiver en rase campagne et saynètes citadines, couleur sépia-fluo.
Une harmonie municipale, nickel, posée là dans le joyeux bric-à-brac d’un jardin ouvrier.
Des paysages d’été sans personne dedans et des foules qui dansent dans l’obscurité.
Le fracas qui se rue au fin fond du tunnel, et tout au bout, une mélodie à la française.
Une chanson rauque sur un galop de jeune. Je chante des mots écrits sur la mesure, et je joue d’un spectacle au millimètre.
Je me nourris de Kilomètres.
Je fais mon tour.
À bientôt pour un nouveau concert-étape.
Je dis Je
C’est comme se jeter du 8ème étage,
À bientôt sur le pavé"
Le grand Tamour."Comme un conte radiophonique, Une histoire d’amour rêvée, avec un T majuscule,
Reconstituée à partir d’une correspondance exhumée, de coupures exhibées,
De reportages recollés, tickets de cinéma, bouts de papier Et diverses listes.
Un reporter et une agiteriez.
Comme un chant volcanique prêt à péter,
Le temps de la lave, de la passion qui crâme,
Au front, sur le front, dans les caves et dos au mur.
Comme une bande-annonce ciné-panoramique,
Exotisme Amour Bravoure Lyrisme Vertu Ironie et Colère
Comme un bouquet d’ethnologue
Derbouka, mandolines, yukulélé, senzas, xylophones, Piano et batterie et harmonica.
Comme un autre concert de Rock Réaliste
Chant de la règle du jeu
Comme dans tous les jeux, le but est de s’enrichir
sans jamais interrompre le flot
le pauvre d’hémorragie doit mourir
le nanti se méfiera des caillots.
Si vous avez inventé la règle
vous recevez 10 litres de sang neuf garanti
sinon, au choix, 5 litres de sang non garanti
ou 100 heures de travail
Comme dans tous les jeux, le but est de ne pas mourir.
Le corps est ton capital propre
bien qu’un tantinet salissant
surveille donc la gestion des stocks
la libre circulation du sang.
Pour trier les reins, voler des foies,
vous devez partir pendant 6 mois,
chasser le cataclysme.
Pour ne pas tout perdre
il faut hypothéquer
à la Banque des Fluides
il faut alors déposer.
Reconnaissance de dettes
pas de papiers signés
votre sceau, une goutte
ADN certifié.
Votre famille est saisie
vous recevez en échange une tonne de goudron
et 20 sacs de plumes.
Comme dans tous les jeux, devenir considérable
sans pour cela se faire connaître
acquérir de manière profitable
n’agir que pour soumettre
comme dans tous les jeux, la victoire est agréable.
Qui dit prime dit pénalité
qui dit crédit dit salaire
trichez, bien sûr, trichez
mais c’est cher.
Bravo, vous avez gagné la dépouille d’un héros
pendu et bandant
Qui dit sang dit transfert
qui dit crise d’identité
mettra sa tête à couper.
L’exclusion définitive
l’exclusive définition
Fluidité de la circulation
écoulement des fluides.
S’il doit plus qu’il n’a
le joueur doit céder.
S’il doit plus qu’il n’a
il doit se retirer.
C’est le dernier qui a gagné
la partie promet d’être longue.
Bienvenue sur notre plateau désert
Bienvenue à tous les corps humains
car dans le corps tout est bien
et dans la mort, rien ne se perd.
Bienvenue sur notre plateau désert.
FIN DU PROLOGUE
Le sel
Il aurait marché, marché tellement
il est long le plus court chemin
il aurait marché, marché tellement
D’un plan jusqu’à l’autre.
Point.
le personnage principal est assis ! la mort apparaît !
le désir est tari/notre héros jouira/
d’un repas bien mérité !
notre héros s’échouera/sur la grève/
et c’est bien fait.
-J’aurais voulu naître sans passion
J’aurais dû n’en vivre qu’une
Je me les fais toutes.
- J’aurais voulu vivre sans amis
J’aurais dû n’en perdre aucun
Je les plaque tous.
- J’aurais voulu n’avoir aucun vice
J’aurais dû n’en choisir qu’un
Je les ai tous.
il est long le plus court chemin
entre l’imparfait et le futur
il est long le plus court chemin
de la nuque au front.
Point.
entre l’imparfait et le futur
sans la volupté, plus d’étincelle
entre le passé et l’aventure
sans l’envie, plus de sel. Point.
le personnage principal est assis/ la mort apparaît/
le désir est tari/ notre héros jouira/
d’un repos bien mérité/
notre héros s’échouera/ sur les bords/
et c’est bien fait.
- J’aurais voulu n’avoir aucun prix
La récompense est fixée
Je les hais tous.
il aurait marché, marché tellement
sans la volupté, plus d’étincelle
il aurait marché, marché tellement
sans l’envie, plus de sel.
Point.
La complainte du héros
C ’est la première fois que je meurs,
"Prisonnier de mes rêves les plus fous, je suis mal assis."
J’étais pourtant bien prévenu.
Mais je suis très intimidé, j’ai un peu peur,
C’est la première fois que je meurs.
Je ferai un signe.
Pleurez pas la mort du héros.
Pour faire un héros, il faut, et il suffit de faire.
Un petit, c’est très simple
S’il crucifie ses amis, s’il parle seul, s’il rit,
Pleurez pas la mort du héros,
C ’est réussi, c’est un bonheur.
"Ci-gît le geai Prosper, originaire du Bas Grand Yos
Au nombre des vivants, naguère il fut porté
Du soin des êtres humains, il était tout l’objet
l’espérance disait qu’un jour de son langage
Les peuples ébahis viendraient lui rendre hommage."
Il sera seul quoi qu’il arrive
Au choix, amputer le père, la mère ou bien le pouce.
Oyez le piaulement douloureux !
il sera seul quoi qu’il arrive,
qu’il soit nain, qu’il fut gauche, qu’elle fut rousse
Il est à point, bullshit, il est à point.
Et alors, il cherchait la gloire!
et s’il vous dit qu’il vaut mieux brûler que s’éteindre,
Sortez-le. Servez chaud. Vous pouvez geindre.
Et alors, vous cherchiez la gloire !
Et s’il ne sait pas pourquoi il pleure,
Châtiez-le,
Pour qu’il ne puisse fermer les yeux sur le bonheur.
"Au nombre des vivants, naguère il fut porté
Du soin des êtres humains, il était tout l’objet
L’espérance disait qu’au jour de son langage
Les peuples ébahis viendraient loi rendre hommage."
C ’est une mort très agréable,
Depuis tout petit, toutes les nuits, je guette,
L’instant crucial du dodo.
Je vais tout voir, je suis interminable,
C ’est une mort très agréable.
Je ferai un signe.
"Ci-gît le geai Prosper, originaire du Bas Grand Yos
Au nombre des vivants, naguère il fut porté
Du soin des êtres humains, il était tant l’objet
L’espérance disait qu’au jour de son langage
Les peuples ébahis viendraient loi rendre hommage."
Et il est mort.
La sentinelle
La sentinelle
s’endort
Le sable
envahit tout
Et le grain
de sa peau
dans le cendrier
s’effondre
La nuit va
La peine et le repos
m’attirent
Mais la curiosité
me démange
La nuit va.
La sentinelle s’abat
Les yeux
grands fermés
Ils sont gris, bleus
ou verts
Ils sont bien plus
grands que mon
ventre
La nuit court
À la pelle
et au seau j’érige
châteaux d été,
jardins ibères
La nuit court
La sentinelle
s’ébroue
Son souffle
est vapeur
Il crache dans
ses deux mains
Quand le sablier
soupire
La nuit meurt
Adieu vertiges,
il m’a souri
Et le sirocco
me rouge-brique
La nuit meurt
Et le jour naît