Felix Mendelssohn
Concerto pour violon en mi mineur, Op. 64
La claire fontaine
Mendelssohn et sa musique glissent entre les mots dès que l’on se rapproche de son œuvre. Tout semble harmonieux en lui, d’une douceur mélodique évidente laissant planer au-dessus de lui une aura de mièvrerie. Trop aimé des Dieux et tellement d’ailleurs qu’il mourût fort jeune, sa vie est un long fleuve tranquille, sa carrière une réussite totale, sa musique un moment suspendu dans la sensibilité européenne de son temps. Tout est mélodies sans paroles, bonheur sans faille apparente et pourtant cet enfant gâté des muses et par ses parents est bien plus complexe que le merveilleux chef d’orchestre qui ressuscita,en 1839, la Neuvième Symphonie de Schubert et fit redécouvrir un obscur musicien complètement oublié, en donnant pour la première fois depuis sa mort la Passion selon Saint-Matthieu de Bach cela en 1829.
Beau, riche, adulé, faisant et défaisant les modes, chef d’orchestre remarquable, compositeur laissant une immense trainée d’influence, Mendelssohn fut tout cela et bien plus encore avec sa générosité, et sa musique posée comme un sourire. Mondialement célèbre comme compositeur et interprète, enfant prodige bien sûr, pianiste d’exception, il était tout simplement présenté comme le digne successeur de Beethoven.
« Mendelssohn je lève les yeux vers lui comme vers une haute cime" » (Schumann).
Par ailleurs il fut souvent comparé à Mozart.
Trop de blancheur, trop de grâce, neige neigée allant jusqu’à une éternité blanche mais dont l’absence de brûlure finit par laisser indifférent.
Ne dit vrai que celui qui parle d’ombres. (Paul Celan).
Cela voudrait-il dire que la musique de Mendelssohn n’est qu’un trompe-l’œil qui ne sait regarder que vers le haut ? La réalité est plus complexe, ce charme parfois miraculeux déployé dans sa musique avec des sommets comme ce concerto, la Symphonie Italienne, le Songe d’une nuit d’été, les Hébrides, est une caresse.
À cette musique qui dessine des oiseaux, et qui semble toujours parée de bleu et de blanc, il manque l’évidence de la douleur. Pourtant elle recèle quelques secrets et quelques fêlures.
Cette musique blanche de tendresse est non pas d’insomnie à le goût des fleurs fanées tant aimées et qui ont disparu. Une douce nostalgie l’imprègne. Dans ce concerto en particulier, si léger que ses bras ne pèsent rien et qui ne connaîtra jamais l’hiver Mendelssohn est simplement fraternel et aérien.
Pour moi qui préfère des liqueurs plus fortes, il m’a fallu beaucoup de temps pour accepter les plumes d’ange qui tombent de la musique de Mendelssohn, simplement en tournoyant et en caressant et mettant de la neige dans nos yeux.
Pourtant à tant d’élégance, de classicisme harmonieux, il faut souligner l’évidence qui fait de Mendelssohn un compositeur important dans l’histoire de la musique.
C’est lui, bien plus que d’autres qui aura introduit la féerie, les forces de l’ombre, le surnaturel, la magie blanche de ses mélodies. La plus belle approche que je connaisse de Mendelssohn vient de l’immense musicologue Marcel Beaufils "il est à la fois le témoin des solidités anciennes et l’initiateur romantique, tout cela avec des moyens merveilleusement dépouillés"
L’homme, qui a écrit les " Contes de la belle Mélusine ", est le compositeur des atmosphères diaphanes, des suggestions d’esprits qui glissent au-dessus des eaux et de la brume. Mais tous les fantômes invoqués, évoqués ne sortent point des ténèbres, mais d’une nostalgie douce, et la musique devient mousse dans les bois et non pas sabbat des sorcières.
J’ai une prédilection pour le spleen, et il me le rend bien.(Mendelssohn).
Aussi plutôt proche d’un Dowland que d’un William Blake, Mendelssohn est avant tout transparence. Mendelssohn n’est pas un appel vers l’ouvert ou même le dehors, il est suggestion, il irradie doucement la lumière, et jamais il n’aveugle. Sa musique semble l’ordinaire du rêve, qui suit son cours sans que jamais une goutte de sang ne trouble cette poésie intérieure et sereine. Sereine, trop sereine certainement, mais les contes de fée sont hors du monde et se dissiperaient au vent devant la moindre lucidité hallucinée.
Mendelssohn se caractérise par sa mélodie longue, ample, se déroulant comme un lierre dans une expansion infinie. Tout ondule, tout frissonne à peine, parfois cette musique danse et frémit comme un vent doux.
D’ailleurs il est curieux de remarquer combien Mendelssohn plus qu’architecte de grosses machines (Elias,...) est avant tout le musicien du scherzo, forme propice au fantastique. Mais même dans ses Märchen, ses contes, l’ami Félix reste avant tout harmonieux, en suspension. L’ironie, le sarcasme, les abîmes lui font peur ou lui sont simplement étrangers.
Et pourtant derrière cet aspect lisse, bourgeois, était tapie l’obsession de la mort, l’incapacité de rester en place, d’un malheur flottant et non identifié qu’il ne voulait pas reconnaître. Homme de passage refusant ses gouffres, il ne nous aura donné que l’harmonie, le frisson du préromantisme. Mendelssohn homme d’une silencieuse lumière est digne d’intérêt car :
Nous ne comprenons la simplicité que quand le cœur se brise. (Nicolas Bouvier).
Il est la dernière douane de lumière avant que la nuit, l’oubli, enlèvent toute chaleur à sa musique tissée dans la neige et l’absence. Et lui, ayant perdu sa sœur, et son âme - sœur Fanny, se laissa glisser de dépression en dépression jusqu’à cette hémorragie cérébrale à 39 ans, qui brisa définitivement le cocon protecteur qu’il avait entre lui et le tragique de la vie.
Concerto pour violon en mi mineur, op.64
C’est « le » concerto pour violon de Mendelssohn, la première tentative de 1822 datant de sa treizième année ne comptant pas, et c’est surtout par cette œuvre qu’il demeure au répertoire actuel. œuvre limpide, évidente, aussi limpide qu’une première enfance, qu’une première fleur, elle est pourtant le résultat d’un labeur obstiné, d’une très longue aventure difficile, parfois décourageante.
Pourtant ce thème initial qui s’envole comme une alouette, est la liberté de l’air redonnée.Commencée dès 1838, il ne put l’achever qu’en 1844 grâce à un été radieux à Soden. Il ne put assister à sa création en 1845, mais il lui fut donné, un mois avant sa mort de l’entendre jouée par Joachim. Pour écrire les traits de virtuosité attendus, il prit conseil auprès de son ami violoniste Ferdinand David.
« J’ai dans la tête un concerto pour violon, j’en ai un en mi mineur dans la tête dont le début ne me laisse point de repos ».
Et pourtant ce début est tout simplement féerique et nous renvoie à l’univers des sortilèges dont il était imprégné. Ce début, les cadences, et l’achèvement, coûteront bien des épreuves à Mendelssohn qui voulait aboutir non seulement à l’harmonie, mais aussi à la perfection.
Tout ce labeur de six ans bien sûr ne se laisse absolument pas déceler, et pour peu que le soliste ne se lance pas dans le total contresens de la virtuosité pure, on y trouve l’équivalent magique du Songe d’une nuit d’été : un souriant mystère drapé de luminosité et de transparence.
Lyrisme, douceur, perfection de l’écriture orchestrale qui sert de cristal songeur au violon, tout cela émerge de ce rêve éveillé et fragile où tout chante, mais avec une douceur, une tendresse qui s’enroule doucement autour des notes.Nous voguons sur une terre enfantine et malheur à l’orchestre ou au soliste qui n’aurait pas compris que cette musique est une écluse vers une tendre nostalgie.
Cette œuvre, devenue universelle, est un rêve éveillé de 25 minutes comprenant trois mouvements :
1- Allegro molto appassionato
2- Andante3- Allegretto non troppo - Allegro molto vivace
Le premier mouvement et l’andante sont le cœur ondoyant de l’œuvre alors que le dernier mouvement, très bref est plutôt une danse des elfes, brillante et joyeuse. Tout doit être spontané, tournoyant parfois très lentement, parfois très vite, et l’on ne s’apercevra même pas des traits de virtuosité imposée (cadence et coda finale). Tout doit rester courbe mélodique, simple, presque improvisé.
À cette œuvre tant jouée, voire rabâchée, il suffit de la laisser couler comme source ou fontaine, et l’on comprendra ce que signifie de se plonger simplement dans la lumière. Aussi, à quoi bon disséquer le mystère, juste pourra-t-on signaler maintes originalités :
- exposition du thème au début par le soliste seul orchestre formant une courbe autour du violon- grande cadence de Mendelssohn lui-même- liaison invisible et parfaite entre les mouvements.
N’apportez rien de plus fragile que la fragilité à laquelle tout conduit. (Nicolas Bouvier).
Mendelssohn en funambule de la fragilité aura réussi ce moment-là, même si, selon moi, la musique doit beaucoup trembler pour grandir.
Mendelssohn sera toujours un conte d’enfant inabouti.
Gil Pressnitzer