Franz Schubert
Quatuor n° 13, « Rosamunde”
Les eaux ondoyantes du quatuor
Dans cette année 1824, après l’alerte de sa grave maladie vénérienne, Schubert compose à nouveau des quatuors. Il sait que le temps lui est compté car sa maladie est réputée incurable. Face à son idole Beethoven, il veut lui aussi humblement, laissé une œuvre qui compte. Pour cela le chemin de la grande symphonie est le but à atteindre et les quatuors les chemins datés, par leur discipline, et leur célébration des formes classiques, comme la forme sonate.Pour cela voir la page sur le quatuor.
Schubert, le voyageur et l’ami, était aussi le flâneur.Ce n’est point par inconscience ou impuissance, qu’il laissait tant d’œuvres inachevées, en plein milieu de la barre de mesure, mais simplement la fin des choses ne l’intéressait point et sa fantaisie l’avait déjà entraîné sur des points de non-retour par rapport aux formes classiques qu’il redoutait.Non violent dans l’âme, il ne pouvait comme Beethoven, les casser.Il posait alors sa plume comme une ligne au fil de l’eau, en attendant un meilleur temps,Près de vingt quatuors à cordes ont ainsi jalonné sa route, et le Quatuor Rosamunde, numéro 13, fut le seul imprimé, et exécuté en public de son vivant.Composé de février à mars 1824, il fut immédiatement joué et reçut un assez bon accueil dès sa création immédiate le 14 mars 1824.Il s’agit d’ailleurs de l’unique quatuor de Schubert exécuté en public de son vivant !
Quatuor singulier, immergé dans le monde du lied, ourlé dans la pureté et la tendresse propre au petit homme, alors que le quatuor jumeau La jeune fille et la Mort montre l’autre aspect tragique du personnage.Pour se donner le courage d’aborder la grande forme, Schubert se nourrit d’emprunts à ses œuvres antérieures (musique de scène, lieder). Il fait aussi des galops d’essai dont le plus accompli est le Quartettsatz en ut mineur D.803 (mouvement de quatuor). Par cette ébauche il va trouver sa voie en se délivrant de l’ombre monstrueuse de Beethoven.Il va appliquer son talent des formes libres et rhapsodiques au corset serré du quatuor classique. Transposant le flux poétique du monde du lied dans la forme dominante, la forme sonate. La mélodie du lied va donc irriguer de ses eaux ondoyantes ce quatuor.
Œuvre murmurée donc, avec ses trémolos, ses unissons de mélodies, ses modulations, ce quatuor à cordes est profondément touchant par ses confidences sans véhémence ni dramatisme.Hymne nocturne à la nostalgie ce beau quatuor est fragile. Il ne doit être joué ni désolé, ni trop léger, toujours dans l’ambiguïté entre rosée et larmes.
« Juste avant que la nuit ne revienne » Schubert fait entendre une musique ni gaie, ni triste, tout simplement fraternelle comme ce dernier tilleul de la dernière maison du village et qui se souviendra de nous.
Quatuor no 13 en la mineur D.804 "Rosamunde"
1 - Allegro ma non Troppo
2 – Andante
3 - Menuetto Allegro Trio
4 - Allegro moderato
Basé sur la musique d’un entracte de ballet que Schubert a composé avant, ou après on ne sait, nommé Rosamunde de décembre 1823 croit-on, ce quatuor est infiniment mélodieux. Ce matériau donnera le thème fondateur de l’andante. Ce n’est pas la seule citation de lui-même. Dans le menuetto, Schubert cite un lied composé cinq ans plus tôt sur un poème de Schiller « Les Dieux de la Grèce » (Die Götter Griechenlands).
Ce quatuor est le premier quatuor important achevé de Schubert. Il se termine par la lumière tendre du finale, qui résout l’atmosphère un peu inquiétante, comme un conte, des trois premiers mouvements.
Premier mouvement :La musique est ici éclosion, et le thème initial superbe cahote doucement porté par la mousse mélancolique des cordes.Contemporain de l’octuor et de la Belle Meunière, ce mouvement coule dans la ligne fluide des croches égales, comme une chanson au fil de l’eau. Après le premier thème douloureux et plaintif, le second s’affirme plus pathétique. Des effets dramatiques d’exposition établissent un certain malaise, et comme pour la Belle Meunière, le climat tourne doucement à l’angoisse.Deuxième mouvement:Il repose sur le thème de la musique de scène de Rosamunde, princesse de Chypre, plus précisément de l’entracte après le 3ème acte. Et de toutes ces représentations avortées, de tous ces opéras mort-nés Schubert fait une guirlande de variations, une sorte de pavane obsédante. Dans l’épisode central, le climat se tend et la douce obsession laisse place à une tension agressive qui se désagrège sans continuité.
Troisième mouvement :Ici on retrouve le ton murmuré de la mineur du premier mouvement.
«Bel univers, où es-tu ?» est la référence du lied de Schiller de 1819 qui constitue la trame. La nostalgie des dieux disparus et surtout du paradis perdu imprègne le mouvement.Sorte de question répétée, reprise sans cesse, sur un paradis perdu, en allée on ne sait où, qui fait de ce mouvement une quête. Le violoncelle bourdonne toujours la même interrogation, et la consolation apparente ne peut empêcher dans le Menuetto la violence désespérée d’affleurer :Schubert connaît la réponse du néant. Le trio du menuet se lance dans une fausse joie populaire pour brouiller les traces, mais la mélancolie fait eau de toute part.Quatrième mouvement :On bascule en tonalité optimiste de la majeur et Schubert veut rompre les sortilèges. Accents dramatiques, souvenirs des éléments précédents, relances des thèmes danses apparents. Tout va très bien dans ce bal final. Si bien ? Écoutez donc comme la nuit s’avance déjà avec des ombres portées dans les transitions, les tensions et surtout ces silences qui cassent l’allure générale du rondo final.
Gil Pressnitzer