Jacques Bertin
Hommages
Bertin : l’homme assis debout
Revoir Bertin sur scène, c’est comme aller chez le garagiste pour faire vérifier sa bagnole. Pour constater qu’on n’a pas besoin de la changer, qu’elle a encore du coffre, que les batteries sont un peu usées mais toujours aussi efficaces et qu’on a bien fait de rester fidèle à la marque.
Revoir Bertin sur scène, c’est traverser sa vie et la nôtre en acceptant que ce soit lui qui conduise. On s’est trompé de route avec lui, on est revenu sur nos pas, on a fait des détours sur des lieux d’enfance, des amours anciennes, des livres poussiéreux, des biefs sans toujours trouver les écluses. On s’est engagé dans des voies peut-être sans issue, mais on fait comme si on ne s’en rendait pas compte. On roule à jamais dans la nuit, le désert. On le sait depuis que l’on est parti : il n’y a pas de GPS sur la carte du tendre et de l’utopie. Il n’y a qu’une fidélité au trajet, du lyrisme coincé dans la boîte à gants.
Revoir Bertin sur scène, c’est accepter ses bornes et ses balises, ses erreurs et son orgueil, ses distances qui nous rattrapent, ses présences qui nous bouleversent. Et même si l’on trouve son passé un peu trop long, on rit toujours de bon cœur aux ornières et aux cahots de sa mémoire. On avance, accompagnés par de vieux amis routards, quelquefois perdus de vus, des voyageurs aux valises blanches qui semblent rouler obstinément dans le même sens, sans doute vers le même endroit.
Car Bertin fait du bien à notre carte. Il roule pour nous, toujours assis dans sa propre voiture. C’est pour cela qu’on l’a aimé jadis et c’est pour cela qu’on l’aime encore et pour toujours. Parce qu’on sait que lorsqu’il se sera définitivement garé quelque part, du côté de Chalonnes ou d’ailleurs, il y aura toujours quelqu’un pour récupérer sa bagnole avant qu’on la mette à la casse.
Près de la lampe du tableau de bord, il nous aura laissé ses clefs qui étaient un peu les nôtres.
Bruno Ruiz, Toulouse, le 29 novembre 2010
Jacques Bertin, plain-chant pleine vie
Jacques Bertin chante profond dans un monde qui ne veut entendre que l’écume non pas des jours, mais des insignifiances. À ceux qui se laissent bercer par le vain divertissement sans vouloir soupçonner l’abîme du temps, ce temps compté, le chant de Jacques Bertin restera à jamais inaudible.
Aux autres, soulevés par le désir de vivre fraternellement et naviguant dans la mer immense de la fidélité, celle allée hors de son amertume, Jacques Bertin permet par ses poèmes à nos rêves de retomber dans le monde, de s’y incarner par sa voix.
Non Jacques Bertin n’est pas une nostalgie, si ce n’est celle de l’éternité. Non Jacques Bertin ne chante pas triste, il chante juste à hauteur d’homme :
Je ne fais pas des chansons tristes
Je ne fais que des chansons d’homme. (Des chansons d’homme dans Comme un pays).
Ce sont bien des chansons d’homme, s’adressant à la belle part d’humanité en nous, non encore réduite en servage, par le décervelage insensé de l’époque. La beauté du monde, la beauté de la poésie sauve pour lui le monde. Jacques Bertin est effrayé par l’oubli du passé, des leçons de l’histoire, par nos contemporains. Par l’absence de curiosité des gens anesthésiés par les médias et qui auraient pu être un peuple, par l’oubli des paroles essentielles pour des mots vides et inoffensifs qui tissent ce quotidien toujours dans l’urgence du dérisoire. On retrouve au-delà « des deltas amers » de la vie, ses thèmes de toujours : l’amitié, la fidélité, les souffrances passées, l’attente, les amours qui ont bifurqué, les livres levain de notre être, le temps qui cogne, les oubliés, les humbles, ceux qui ont su vivre debout et que l’on a poussés dans le fossé de l’histoire.
Malgré « les essieux brisés » des rêves et des illusions envolées, Jacques Bertin veut semer quelques graines d’espoir, et affirmer que non, tout n’aura pas été vain. Il a bâti une œuvre qui restera, vibrante, tendre, parfois mélancolique, toujours à hauteur d’espérance malgré le vent mauvais des jours, et toujours profonde. Quand tant de fausses valeurs s’effondreront un jour, il demeure, pour moi, comme le poète-chanteur le plus important de son époque. L’homme de la « bonté dressée » et de la ferveur, du chant des hommes en somme.
Si parfois passe du silence tapis dans sa voix, c’est pour nous laisser un passage pour la fin de nos errances, pour nous aider à respirer la couleur des nuages. Il nous semble que Jacques Bertin se souvient de nous. Il est à jamais « notre vieil ami » qui nous aide à construire une maison au fond de nous. Il reste ses chansons et elles nous aident à vivre dans un monde en gésine.
Ses chansons comme un pays :
Du chant versé d’un verre
Sur le pays sa lumière
Sur ses fumées et ses hiers
Sur sa grandeur et sa misère
Je suis de mon chant mon chant comme un pays
Je suis du chant comme d’un pays… (Comme un pays)
Même si le temps devient de plus en plus friable et se dépayse en nous, il reste ses chansons tremblantes d’humanité, chemins de traverse vers toutes nos mémoires. Là où l’enfance reste en suspens, là où le bleu rejoint la mer, là où les amours jamais ne finissent, là où se cachent encore nos tendres invisibles. Le ciel d’avant sans doute.
Jacques aujourd’hui, demain, nous resterons groupés, et autour du feu de bois de ta voix, nous toucherons les étoiles qui montent de la terre, et la tristesse s’envolera comme fumée.
C’est vrai que l’on a vécu.
Gil Pressnitzer, le 30 novembre 2010
Textes de Jacques Bertin
Pour la fin des errances
construisez-moi une maison dans la vallée
construisez-moi une maison pour en finir
de beaux silences l’entourent plein des allées
sous de grands arbres qui ne vont jamais périr
construisez-moi une maison dans le ciel vague
dans le ciel libre et le ciel bleu et s’il y pleut
ce sont des nuages que les ouvriers élaguent
une nageuse secouant là-haut ses cheveux
construisez-moi une maison dans le ciel libre
très haut très loin de l’autre côté de la mer
une maison plantée au sommet d’un vieux livre
une croyance au-delà des deltas amers
j’irai bâtir sous la clameur de la montagne
pour vous attendre et longtemps pour vous voir venir
dans ces pays-là tout ce qu’on perd on le gagne
et comme on aime il ne sert à rien de mourir
oubliez-moi quand vous construirez cette nasse
oubliez-moi je veux continuer à courir
je suis l’étrange étranger qui passe et repasse
et pour ne pas et pour ne plus jamais souffrir
je me suis construit une maison dans ma tête
j’y vais j’y chante et j’aime me perdre en chemin
le vieux trognon râle le vieux moteur halète
pourquoi encore avoir bifurqué par les mains?
une maison pour le peu de temps qui me reste
un cap dressé haut contre la vague du temps
enfin j’y pourrai accrocher ma vieille veste
vider mes poches des papiers des sentiments
les papiers portent les noms des amis qui nichent
dans les mansardes sous le toit dans le grenier
tel est ce haut pays en poèmes et friches
ceux aussi que j’ai oubliés vous y viendrez
je vous montrerai les amours des rimes riches
et des chevreuils sur le seuil de l’éternité
Que faire ? fonder quelque chose - demeurer vivantbrûler à des causes - courir en avantfonder l’amour même - et l’homme nouveaunier le problème - lancer des bateauxouvrir une route - cueillir le grand ventdéfier le doute - brûler le gréementatteindre la rive - débloquer le portdébarquer les vivres - débusquer la mort
tricher sur les dates - sauver la maisonavancer sans carte - plaider la passioninventer de l’âme - gonfler les enjeuxtutoyer le drame - rallumer le feurenverser la table - nier le destincroire dans ces fables - retoucher la finrallumer de l’Homme - se laisser hanterramener de l’Homme - tout réinventer
ramener de l’Homme - cueillir en hiverréhabiter l’Homme - planter dans la merparler à mon frère - te prendre la mainquelques pas sur terre enfants du chagrindéfier les astres - marcher au canonvioler le cadastre - rétablir les pontscroire dans des choses - l’Homme est dans nos mainsboire dans des causes, aimer à sa faim !
Trois bouquets Trois bouquets de fleurs auprès du lit parmi les livresLa paix qui s’installe ici à cause de toi
Le premier bouquet pour l’enfant que nous ne ferons pas
Le second pour le chant des hommes dont nous sommes séparés
Le troisième parce que tu m’aimes, des œillets
Trois bouquets de fleurs auprès du lit parmi les livres
Un jour nous cesserons de fuir ô mon enfant
Un jour nous nous retrouverons, je te dirai : tu as vieilli
Sur une berge triste dans le limon tu es belle et transie
Compagnons, recouvrez notre amour de vos voix humaines
Manteau des révoltes, manteau de laine, celle que j’aime a froid.
Un poème
J’ai trop ce deuil en moi pierres à pierres
Et je suis couturé de ces routes barrées
Des arbres par le vent brisés
Sont en travers
Des fermes mortes – vent des feuilles
Nulle part la voix porte où l’âme veuille
Ni le dernier autocar de l’hiver
Au pont en bas il n’aura pas tourné
Et le café Aux platanes est désert
Il n’y a plus âme qui aime âme qui veille
J’ai trop ce deuil en moi voyez de peine
Donc pardonnez le vent tournant dans l’esprit harassé
Et le hameau perdu la place défoncée
Et le souvenir de ces yeux qui encore à l’instant l’a traverse
(Blessé seulement)
Le site : Site de Jacques Bertin
Discographie et Bibliographie:
Discographie:
Intégrales volume 1,2,3,4,5
Ma vie, mon œuvre
Fête étrange
Changement de propriétaire
Au théâtre de la ville
Au café de la danse 1989
Le poids des roses
La blessure sous la mer
Hôtel du Grand retour
Le Grand Bras, les îles
Bertin chante Bérimont
Poètes et chansons
Aux oiseaux de passage
La jeune fille blonde
No surrender
Que faire ?
La bande des cinq 2010
Comme un pays 2010
En préparation réédition A la gaieté Montparnasse
Bibliographie
Blessé seulement poèmes 2005
Plain-chant pleine page 1992
Félix Leclerc, le roi heureux 1998
Du vent Gatîne ! 1989
Une affaire sensationnelle, roman 2008
Reviens, Draïssi 2006
Chantes toujours tu m’intéresses
Chroniques du malin plaisir 2005