Jean-Roger Caussimon

La poésie de Caussimon n’est pas dans les mots, mais loin derrière, dans le sentiment, peut-être dans quelque chose de pas fini, une brume matinale qui va bientôt se lever comme un rideau sur le spectacle lassant de la journée à recommencer...
(Léo Ferré)

Il ne manquait pas de tenue, il n’était pas un employé modèle de la chanson de variétés, mais il est quand même mort dans la treizième avenue de notre indifférence.

Son ami Léo Ferré aura tellement bien mis en musique les textes de Jean-Roger qu’il les a vampirisés, et que l’on a oublié l’auteur. Il était du temps du tango, et ce sont les pas en arrière qui lui auront été donnés. Il était ce cœur pur à la voix rauque qui s’est invité à la table de la chanson sur le tard. Ces "chansons de fin d’automne, qui se voulaient chanson d’amour", ont pris une incarnation dans son physique de vieux loup de mer. Vieux comme la mer, immense comme elle, il aura été une pluie nouvelle sur la chanson.

« Revoilà Caussimon, revoilà Jean-Roger, le marin de notre éternelle jeunesse ». (Léo Ferré)

Il a chanté la mort en face, et la mort l’a écouté longtemps sans oser l’interrompre. Mais au dernier couplet elle s’est souvenue qu’elle avait du boulot, alors doucement, à regret elle a pris et la pipe, et la casquette et le bonhomme.

Il est mal venu pour les comédiens de descendre dans l’arène de la chanson, le corporatisme est fort là aussi. Pour quelques-uns qui ont pu se faire accepter (Esposito, Reggiani Serge,..), beaucoup de rejets dus aussi à beaucoup d’amateurismes. On ne chante pas comme l’on joue, car c’est sa vie qui brûle dans vos chansons et il n’a pas de trois coups, vous êtes seul de suite.

Caussimon est un cas à part, car toujours il a côtoyé la chanson. "Le Théâtre est mon amour et Chanson ma tendresse..." Comédien à Bordeaux dès les années 30, il mène de pair ce qu’il appelle sa double vie, la chanson. Il sera en tour de chant au Lapin Agile dès 1946, donc bien avant bien des chasseurs de paroles et de musiques qui prétendent avoir tout inventé.

Il a souvent écrit pour de nombreux interprètes (Ferré, Catherine Sauvage, Mouloudji, Isabelle Aubret, Julien Clerc, Nougaro, Les Frères Jacques,..) Tout un album en 1985 de Léo Ferré "les loubards" lui fait hommage avec douze inédits. Caussimon meurt peu après le dimanche 20 octobre 1985. Il était né à Paris, le 24 Juillet 1918.

Un jour l’ombre portée et fraternelle de Léo Ferré, ""frère donné par le bienheureux hasard", ne lui a pas suffi et avec sa voix en béquilles il a chanté lui-même ses textes que l’on croyait d’un autre ( Le temps du Tango, Comme à Ostende, Nous deux, Ne chantez pas la mort, Monsieur William, Mon camarade, les indifférentes,...). Ferré le généreux l’a poussé sous les projecteurs.

Cette belle histoire d’hommes, cette belle histoire d’amitié restera comme une lumière aveuglante. De 1946 à 1985, Jean-Roger Caussimon a écrit une vingtaine de textes de chansons que Léo Ferré a mis en musique. Chacun vivait le monde de l’autre. Tous les deux étaient " de grands chiens revenus de tant et tant de courses, de tant et tant d’hésitations devant la route à prendre, flairant de-ci de-là, traqués des fois, toujours libres, comme un oiseau sans patrie, sans nid, éternel migrateur, farouche,..."Préface de Léo Ferré pour "Mes chansons des quatre saisons". Tout est dit, tout était à dire.

Caussimon semblait un curieux albatros sur scène. Il tanguait, il sonnait comme une corne de brume, les vagues s’écartaient. Sa sincérité vous prenait comme un vertige. Sa tendresse était une douce marée. Vers la fin la découverte de la cruauté sans faille de la société lui fera écrire des textes durs (les loubards) et de révolte. Il voit trop que la mort aime par-dessus tous les pauvres. il savait que le repas est fini
et que ces quelques miettes restantes pour les oiseaux ce sont nos ombres qui se jettent dessus.

« Mes chansons c’est ma solitude et mon irréalisable besoin d’amour que je donne à tous. Il n’y a pas un mot, pas un vers qui n’ait sa raison d’être profonde et douloureuse ». « Ni juge, ni assassin », Caussimon s’est voulu un lucide artisan de la chanson. Avec sa gueule en parchemin, sortant de ses poches toutes les bouteilles à la mer retrouvées, il aura boucané nos rêves. Ce cher vieux pirate a dressé le drapeau noir des insomnies.

Salut à toi, Caussimon et comme le dit Ferré :
« Que crèvent les phraseurs, Jean Roger !
Que naissent les chiens fidèles… »

Gil Pressnitzer

Choix de textes

Comme à Ostende
Paroles de Jean-Roger Caussimon, musique de Léo Ferré

On voyait les chevaux d’ la mer
Qui fonçaient, la têt’ la première
Et qui fracassaient leur crinière
Devant le casino désert...
La barmaid avait dix-huit ans
Et moi qui suis vieux comm’ l’hiver
Au lieu d’ me noyer dans un verre
Je m’ suis baladé dans l’ printemps
De ses yeux taillés en amande
Ni gris, ni verts
Comme à Ostende
Et comm’ partout
Quand sur la ville
Tombe la pluie
Et qu’on s’ demande
Si c’est utile
Et puis surtout
Si ça vaut l’ coup
D’ vivre sa vie !...

J’ suis parti vers ma destinée
Mais voilà qu’une odeur de bière
De frite(s) et de moul’s marinières
M’attir’ dans un estaminet...
Là y’avait des typ’s qui buvaient
Des rigolos, des tout rougeauds
Qui s’esclaffaient, qui parlaient haut
Et la bière, on vous la servait
Bien avant qu’on en redemande...
Oui, ça pleuvait
Comme à Ostende
Et comm’ partout
Quand sur la ville
Tombe la pluie
Et qu’on s’ demande
Si c’est utile
Et puis surtout
Si ça vaut l’ coup
D’ vivre sa vie !...

On est allé, bras d’ ssus, bras d’ ssous
Dans l’ quartier où y’a des vitrines
Remplies de présenc’s féminines
Qu’on veut s’ payer quand on est soûl...
Mais voilà qu’ tout au bout d’ la rue
Est arrivé un limonaire
Avec un vieil air du tonnerre
À vous fair’ chialer tant et plus
Si bien que tous les gars d’ la bande
Se sont perdus
Comme à Ostende
Et comm’ partout
Quand sur la ville
Tombe la pluie
Et qu’on s’ demande
Si c’est utile
Et puis surtout
Si ça vaut l’ coup
D’ vivre sa vie !...

© Éditions Méridian/Léo Ferré, musique de Léo Ferré

Ne chantez pas la Mort !
Paroles de Jean-Roger Caussimon, musique de Léo Ferré

Ne chantez pas la Mort, c’est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu’il est dit
Les gens du "show-business "vous prédiront le bide »
C’est un sujet tabou... Pour poète maudit
La Mort... La Mort...

Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Il semble que la Mort est la sœur de l’amour
La Mort qui nous attend, l’amour que l’on appelle
Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours
La Mort... La Mort...

La mienne n’aura pas, comme dans le Larousse
Un squelette, un linceul, dans la main une faux
Mais, fille de vingt ans à chevelure rousse
En voile de mariée, elle aura ce qu’il faut
La Mort... La Mort...

De grands yeux d’océan, la voix d’une ingénue
Un sourire d’enfant sur des lèvres carmin
Douce, elle apaisera sur sa poitrine nue
Mes paupières brûlées, ma gueule en parchemin
La Mort... La Mort.

« Requiem » de Mozart et non Danse Macabre
Pauvre valse musette au musée de Saint-Saëns !
La Mort c’est la beauté, c’est l’éclair vif du sabre
C’est le doux penthotal de l’esprit et des sens
La Mort... La Mort...

Et n’allez pas confondre et l’effet et la cause
La Mort est délivrance, elle sait que le Temps
Quotidiennement nous vole quelque chose
La poignée de cheveux et l’ivoire des dents
La Mort... La Mort...

Elle est Euthanasie, la suprême infirmière
Elle survient, à temps, pour arrêter ce jeu
Près du soldat blessé dans la boue des rizières
Chez le vieillard glacé dans la chambre sans feu
La Mort... La Mort...

Le Temps, c’est le tic-tac monstrueux de la montre
La Mort, c’est l’infini dans son éternité
Mais qu’advient-il de ceux qui vont à sa rencontre ?
Comme on gagne sa vie, nous faut-il mériter
La Mort... La Mort...

La Mort ?...

© J.-R. Caussimon/Léo Ferré, musique de Léo Ferré

Discographie

Livres avec CD inclus
Mes Chansons des Quatre Saisons
La Double Vie
Le Vagabond d’Automne

CD
Jean-Roger Caussimon au Cabaret du Lapin Agile Inédits (1946-1949)
L’intégrale 1970-1980
« Jean-Roger Caussimon chanté par Jean-Roger Caussimon » Mars 2002 (Poètes et chansons)