Lettre à Jacques Debronckart
qui nous a quittés le 25 mars 1983
Jacques.
Pardonne-moi Jacques, je suis en retard. Il fallait toujours te prendre aux mots, tu n’avais pas le temps de mentir.
Ton rendez-vous en l’an 2000, je l’ai laissé passer car « mais où ? mais où ? ». Tes chants de pudeurs et de fêlures, je les connais par cœur. Je t’ai vu peu à peu vouloir devenir léger, très léger pour cheminer en souriant parmi les morts.
On voyait au travers de toi, le ciel, l’impatience de la pluie, tes jours qui raccourcissent. Jamais il n’y eut de papier entre nous, libres sur paroles « Gil si je suis vivant je viendrais chanter ». Pour montrer ton émotion un soir de surprise pour toi (un Bösendörfer impérial !), tu caressais le piano heureux comme un gosse. Le seul mot de toi fut d’ailleurs « Quel beau piano ! ».
Et cette joie folle qui dévalait tes collines pour cacher d’autres fontaines plus noires, parfois un mot lâché très vite « Je suis un cobaye ».
Non tu es vivant et nous, nous marchons avec des électrodes dans une vie tournant comme une toupie folle sur une boule de feu qui s’en fout. Tous des José, oui grand Jacques et nous nous prenons les pieds dans nos amours et des mots « pas pire que la veille ».
Je ne me souviens pas de toi, car tu es encore là. Tu nous prenais plus qu’aux tripes, tu nous prenais au cœur intime des émotions
C’était un temps où l’on voyait encore les traces des hommes venir vers vous, et les chansons étaient des vergers. Si léger, translucide pour ne pas masquer l’azur, tu continues avec ce petit sourire en coin à demander de t’écouter.
Oui on t’écoute Jacques et les peurs vaines se glissent au-dehors, car tu habites au-dedans. La censure imbécile ne peut plus te rattraper là où tu es.
Le monde n’a pas beaucoup bougé, les usines sentent toujours mauvais, les maisons de retraite sont toujours des mouroirs et décervelés par les médias les gens sont heureux de ne pas être.
Si je retrouvais ton adresse, je viendrais plus vite vers toi.
Tu étais du peuple des yeux ouverts, tu étais tendre parmi les tendres. C’était simple pourtant il suffisait de laisser couler tes paroles au milieu de nous et les eaux malades s’en seraient allées.
On peut lire au travers de toi qui jamais n’avais mis de papier peint entre toi et les autres, tiens je te lis quelques mots de Rilke écrits pour toi sans doute :
« Approche, dernière chose que je reconnaisse
Mal incurable dans l’étoffe de ma peau
De même qu‘en esprit, j’ai brûlé, vois, je brûle en toi
Trouble de la douleur
Ô vie, O vis : être dehors. Et moi en flammes »
Tu brûles encore Jacques et je n’ai plus peur des hivers.
Pourrais-tu me fixer un autre rendez-vous ?
Salut Jacques.
Poste restante le 3 décembre 2001
Gil Pressnitzer
Discographie
1965 - Adélaïde
1965 - Tu es tout cela
1966 - Dehors, dedans
1967 - Ils arrivent
1967 - Toi qui nais cette année
1969 - J’suis heureux
1971 - Au secours
1973 - Je vis
1976 - Un homme est debout
1982 - Un, deux, trois
1985 - Hommage à Jacques Debronckart CD
1992 - Millésimes CD
2000 - Jacques Debronckart CD