Ludwig van Beethoven
Sonate n° 17 en ré mineur « Tempête », Op. 31, n° 2
« Lisez la Tempête de Shakespeare ! » répondait cinglant Beethoven à son entourage toujours à la recherche d’explications sur ses œuvres.
Et, cette clé jetée en pâture, nous renseigne sur un état d’esprit plutôt que sur un programme : "Beethoven-Prospero" face à des éléments adverses, armé des pouvoirs magiques de la musique pour que la reconnaissance s’opère ? Sans doute, mais plus sûrement, la maîtrise de la nature déchaînée, et la volonté de marcher dans des chemins nouveaux sans se laisser abuser par le monde des illusions.
Ainsi, cette sonate se plie dans sa forme au matériau expressif quitte à abandonner la sécurisante forme rituelle des sonates haydniennes. Trois mouvements seulement pour dire le tumulte naissant qui sera jeté par écrit dans le testament d’Heiligenstadt d’octobre 1802.
Déjà à la fin de la "Tempête", il est écrit "À présent, je n’ai plus d’esprit pour dominer, d’art pour enchanter, et ma fin est désespoir si ne vient à mon secours la prière pénétrante". -
Et un encore jeune homme de 32 ans, encore au stade de la deuxième Symphonie, prépare un retrait au monde. La sonate n° 17 va donc déployer les magies de l’ensorceleur désabusé en trois actes de théâtre : largo - allegro - adagio allegretto
Beethoven va se livrer à divers sortilèges. Dans le premier mouvement qui n’a pas l’air de commencer, il mélange des accords énigmatiques en prélude quasiment non mesurés à des notes obstinées, répétées et entêtées.
Dans le deuxième mouvement, il va vers l’irréel dans un mode récitatif où le thème plane dans l’aigu opposé au glas des notes graves.
Le dernier mouvement joue sur la magie incantatoire du mouvement perpétuel. La tonalité retenue en ré mineur ajoute au climat mystérieux mais non dramatique qui prévaut.
Beethoven fait un large usage des arpèges, de courts motifs de quelques notes revenant sans trêve, d’accords plaqués et de l’opposition du monde du clavier en deux univers blanc et noir, l’aigu et le grave, le magique et le réel.
- largo - allegro
Les acteurs sont déjà en place quand le rideau s’ouvre, car la pièce a commencé bien avant la musique : déjà le lent mouvement hésitant du largo s’oppose à la véhémence de l’allegro.
Le thème principal devra attendre la 21ème mesure pour pouvoir s’annoncer sur scène.
L’immobilité des thèmes arpégés s’oppose à la tempête, bien sûr, des triolets, et de leur antagonisme vit le mouvement entre mystère et violence.
- adagio
Ici se déroule un chant, un cantabile" qui reprend en fait les éléments du premier mouvement dans un éclairage d’ailleurs.
Les thèmes ancrés dans l’aigu épanchent leur lyrisme avec les tambours voilés des notes basses.
Le registre est ici écartelé entre les deux mondes, et la fin du mouvement va montrer leur irréductibilité motif haut dans l’aigu, une note grave, un si bémol, qui bat au fond du piano.
- allegretto
Ce n’est pas encore la lettre à Élise, mais c’est déjà la lettre à Prospero Beethoven se livre à l’ivresse de la transe en utilisant une courte cellule de quatre notes dans un mouvement perpétuel. Ce n’est plus un mouvement de sonate, mais un flux, une masse sonore toujours en mouvement. Le fantastique en musique est ici donné par ce vertige tournoyant.
Tout semble improvisé, mais tout est, comme il se doit dans les tours de magie, parfaitement contrôlé.
Gil Pressnitzer