Marc Perrone
La musique des humbles, écluse entre les êtres
Marc Perrone semble cousin de cet air d’accordéon qui hante tout le cinéma français des années trente, de ces airs simples qui font encore naviguer l’Atalante de Jean Vigo par-delà toutes les écluses du temps.
Lui, il joue de « ce petit accordéon avec ses drôles de boutons », le parent pauvre du piano du pauvre : l’accordéon diatonique. Cet accordéon diatonique où les soufflets ont une âme : on tire, une note surgit, on pousse, en voici une autre.
Instrument des mélodies simples, humble par sa taille, immense par tous les airs qui ont pu jaillir de ce corps à corps entre l’homme et la petite boîte tordue, malaxée, pétrie, caressée et expirante à chaque fois par des sons de toujours.
Rares sont les musiciens qui acceptent cette intimité qui ne pardonne aucun écart. Marc Perrone hanté par le cinoche de la mémoire, a su l’apprivoiser, lui parler d’âme simple à âme simple. Avec cette boîte à soufflets pas besoin de poser au virtuose, de contrôler la position de ses doigts, ou d’étaler sa science chromatique, cela ne sert à rien. Comme une outre à vent, il faut en aveugle, à l’intuition, faire recracher toute la musique enclose dans cette boîte primaire où se concentrent tous les folklores de la terre.
Il l’appelle cette boîte à frissons qu’il découvrit dans les fêtes populaires. Né d’un père tailleur il aura vécu à Villejuif et la Courneuve, le peuple il connaît et il l’aime.
Marc Perrone a tout appris par empirisme, par amour des mémoires à révéler. Certains ont des fourmis dans les doigts, lui s’était ces pans entiers d ’humbles vies qui le démangeaient, et ne demandaient qu’à renaître.
Après avoir tâté de la musique cajun, du folklore gascon il retrouve l’entêtante simplicité de ces vies au ras du monde, qui rôdent comme le vent, qui bougent comme de vieux arbres qui ont encore tout à nous dire. Et l’accordéon devient le songe réveillé, la neige fondue des amours d’antan, le triomphe des chimères.
Dans cet instrument rustique passent les battements du cœur de la terre, et nous regardons avec des yeux neufs ce qui nous fut trop longtemps étranger et pourtant parti de nous-mêmes, mis en terre par une absurde modernité. Respiration haletante, délices d’antan, de la chaleur des mains de Marc Perrone remonte la source, et le vieux puits débarrassé d’orties est capable à nouveau d’avaler la lune.
Bien sûr pour ce miracle des humbles il fallait être «inventeur d’archaïsmes, poète». (Marmande), ou un rêveur casqué de tendresse. Et l’émotion qui sort de cette quête d’autrefois est saisissante. Si proche d’une parole exhalée, d’un souffle à l’oreille jeté avant de partir, la musique de Marc Perrone est multiple, du ciné-mémoire à une tarentelle calabraise et parfois la voix merveilleusement maladroite de Marc rajoute du sens, de façon presque enfantine.
Pourtant il parle de vie, de sommeil, d’amour, de tropiques et souvent revient dans ces concerts le thème de Velverde, trace sonore. Marc Perrone fait une musique de proximité, fragile et jubilatoire selon lui, bien plus complexe en vérité.
Guili, guili, guili c’est pas quand on dort Guili, guili, guili, c’est pas quand on est mort Guili guili, on ne voit jamais le jour Guili, guili, c’est pour toujours.
Ainsi chante, respire Marc Perrone, et l’air autour de nous devient poésie, des souhaits sont là exaucés. Son accordéon, est un enfant-instrument si fragile, si ténu qu’il devient la voûte de nos mémoires. Et les premières notes de Perrone tombent comme des flocons, sa voix s’enivre, voici ouvertes les écluses. Au bal des airs oubliés, Perrone est le premier à danser.
Le temps d’un concert Marc Perrone, poète de la « boîte à frisson » entraîne le public dans son histoire familiale et dans l’Histoire, de l’Italie à la France.Sur fond de locomotives qui surgissent d’un écran, de la tarentelle à la valse musette, de Jean Renoir à Jean Gabin, de la guerre aux lendemains qui chantent, un siècle se déroule dans un climat de belle nostalgie et de forte émotion. Vous souvenez-vous chantent les boutons de nacre. Et dans la limpide coulée des notes Marc Perrone, toujours souriant malgré sa maladie qui le ronge inexorablement, tisse un petit bonheur, une « éphémère passion ».
Gil Pressnitzer