Marie-Jo Therio

La lumineuse voix d’Acadie ou nos arpents de ciel

Bien sûr son spectacle au Chaînon Manquant de Cahors était inaccompli, et pourtant dès la première chanson, nous n’avons eu de cesse que de vouloir l’inviter à chanter à Toulouse, tant elle donnait cette impression de ne chanter qu’à un seul malgré la foule bruissante.
Qu’est-ce qui nous aura ainsi « scotché le squelette », pour parler québécois ? Son plaisir de chanter, cette liberté de paroles et d’émotions ? Sans doute, mais une autre magie plus profonde qui fait de Marie-Jo Thério une chanteuse prenante, authentique. Sa voix est si chaude qu’il n’y a plus de glace à la dérive sur le Saint-Laurent. « Large comme le désert » elle se laisse « couler comme une rivière ».
Aérienne et déchirée elle semble redonner voix à toutes les voix muselées de l’Acadie. Elle renoue avec un folklore imaginaire avec la complexité de l’actuelle condition humaine et féminine en particulier. Elle sera toujours désormais Évangéline la déportée, mais aussi Marie-Jo la femme libre.
Antonine Maillet n’a pas écrit en vain Pélagie-la-Charrette, les femmes ne seront plus soumises.
La Marie-Josée de Moncton est devenue Marie-Jo Thério, elle n’a pas changé, même en partant "là-bas, au loin, vers cette grande ville un peu brumeuse qui appelle et retient les « enfants » des régions « éloignées ».
« Quelque part entre la légèreté et la lourdeur, Marie-Jo Thério se balance. Elle met son cœur sur la scène tous les soirs. S’aventurant sur le mince fil de la fragilité de chanter ». Elle est le dernier avatar des jolies sorcières, imprévisible, mouvante, envoûtante.
Elle a scellé un pacte avec la lune, chacune sera dépositaire des secrets de l’autre.
La petite Acadienne de Moncton, New Brunswick, aurait pu être brûlée en d’autres temps, tant la sorcellerie de son visage et de ses mots est dérangeante, dans un monde dans le pot au noir et qui n’avance plus. Et ses yeux verts, que de blasphèmes n’aurions-nous proférés, simplement pour les voir et les revoir.

« Comme de la musique », chante-t-elle et sa musique nerveuse, rockeuse parfois nous secoue par l’épaule. Mais ses pouvoirs viennent de plus loin, depuis le martyre de la petite Acadie, (la violence inouïe du Grand Dérangement, lorsqu’au XVIIIe siècle les Anglais chassèrent les francophones d’Acadie), jusqu’aux temps modernes, et la survie nécessaire.Dépassant la nostalgie et l’affliction des peuples exilés, Marie-Jo frappe par sa modernité, son désarroi parfois, sa tendresse toujours.
Cette Acadie et les Acadiens, elle en parle ainsi :... «L’Acadien est dans le voyage, même s’il reste sur place et qu’il ne quitte jamais son petit coin de pays. Et il a la mémoire presque génétique du fait qu’on ait cherché à le faire disparaître. C’est une magnifique mauvaise herbe, mais sans le côté yankee qu’ont même les Québécois : l’Acadien sait qu’il doit se faufiler par les buissons plutôt que foncer en ligne droite.»
Cette intimité presque intimidante qu’elle établit immédiatement avec toute sa liberté d’aujourd’hui, fait d’un concert de Marie-Jo Thério une suite de moments rares, cassés volontairement par la foule d’histoires drôles qu’elle raconte pour que l’émotion soit sous contrôle, et que jamais les sanglots ne puissent renaître.
« Emmène-moi en Louisiane », chante-t-elle, et la scène appareille vers une prière de paysage. Chanteuse, comédienne, la « demoiselle aux yeux ardents» est aussi un éclat de rire, pleine des embruns lourds du mal de vivre.
Cela fait des années que Marie-Jo Thério chante, depuis le trop d’écume des larmes aux douces foules des sourires, depuis les amis jusqu’au brouillard.
Marie-Jo Thério a un univers poétique et musical totalement original. Ses textes, ses musiques palpitent comme la vie qui déborde d’elle, et en elle : des arbres, des tempêtes, des désirs et des manques. Marie-Jo est une chanteuse en eaux profondes, une chanteuse qui tombe à perdre haleine dans la liquidité de la musique.
«C’est de la musique toujours dans mes bagages ».

Des cheveux emmêlés dans le vent. De la pluie doucement. De la musique en dedans...Elle chante prise de fièvre, improvisant souvent sur scène. Ses petites balades entre fêlure et douce ironie sont des petits cailloux blancs sur le chemin de la vie. Comme un chat qui retombe de ses chutes, elle rebondit dans ses notes et se met en danger quand elle chante.
Marie-Jo Thério a les yeux verts, les yeux ouverts vers ses doutes, ses rêves, sa révolte, et sa vulnérabilité. Les mots à fleur de peau se recueillent dans ses chansons. Un certain Félix Leclerc parlait déjà de « La femme d’aujourd’hui qui est toutes les femmes de minuit ».
Son spectacle Arbre à fruit est un verger d’émotions. Une lourde et douce neige nous fait mémoire.
Marie-Jo est cette femme, et elle laisse déjà trace : une prairie d’herbe bleue dans ses yeux verts.

Gil Pressnitzer

Textes de Marie-Jo Therio

Comme de la Musique

(Marie-Jo Thério)

Y a comme de la musique qui déborde d’en dedans

Y a comme de la musique on dirait que ça fait longtemps

Et laissons passer les visages qui attendent trop fort demain

Y a aujourd’hui qui n’est plus comme avant

Et on dirait qu’il y a le nord juste devant

Et c’est ma terre qui gronde et qui s’étend au son du piano,

du violon et de l’accordéon...

Et c’est de la musique à même les orages

Et c’est de la musique toujours dans mes bagages

Des cheveux emmêlés dans le vent

De la pluie doucement

De la musique en dedans...

Y a une lampe qui veille au-dessus de mes peines

Pour toutes mes envies je balaie un chemin

Des hanches des mains des yeux des épaules et des bras

Comme une plume dans le vent et comme un feu de bois

Y a comme un fil de fer au-dessus de la terre

Des vases remplis de mystère

Et laissons passer les visages...

Et c’est de la musique à même les orages

Et c’est de la musique toujours dans mes bagages

Des cheveux emmêlés dans le vent

De la pluie doucement

De la musique en dedans...

Et c’est de la musique à même les orages

Des cheveux emmêlés dans le vent

De la pluie doucement

De la musique en dedans...

Évangéline - Chant Acadien

Paroles & musique de A.T. BOURQUE et Michel CONTE

Sur un Poème de l’Ecrivain Américain LONGFELLOW

Roman du même nom relatant l’Histoire de la Déportation des Acadiens vécue par l’Héroïne du roman

Je l’avais cru, ce rêve du jeune âge

Qui, souriant, m’annonçait le bonheur

Et confiante en cet heureux présage

Mes jeunes ans s’écoulaient sans douleur

Il est si doux au printemps de la vie

D’aimer d’amour les amis de son cœur

De vivre heureux au sein de la Patrie

Loin du danger à l’abri du malheur

Qu’ils étaient beaux ces jours de notre enfance

Cher Gabriel, au pays de Grand-pré

Car là régnaient la paix et l’innocence

Le tendre amour et la franche gaieté

Qu’ils étaient doux le soir sous la charmille

Les entretiens du village assemblé

Comme on s’aimait ! Quelle aimable famille

On y formait sous ce ciel adoré

Là, les anciens devisant du ménage

Avec amour contemplaient leurs enfants

Qui réveillaient les échos du village

Par leurs refrains et leurs amusements

La vie alors coulait douce et paisible

Au vieux Grand-Père dans notre cher pays

Lorsque soudain notre ennemi terrible

Nous abreuva de malheurs inouïs

Hélas depuis sur la terre étrangère

J’erre toujours en proie à la douleur

Car le destin dans sa sombre colère

M’a tout ravi, mes amis, mon bonheur

Je ne vois plus l’ami de mon enfance

A qui j’avais juré mon tendre amour

Mais dans mon cœur je garde l’espérance

De le revoir dans un meilleur séjour

Évangéline, Évangéline, tout chante ici

Évangéline, Évangéline

Évangéline, Évangéline

Ton noble nom, dans le vallon

Tout chante ici ton noble nom dans le vallon

Sur la colline l’écho répète et nous répond

Sur la colline l’écho répète et nous répond :

Évangéline, Évangéline répond

Évangéline, Évangéline

Discographie

Comme de la Musique (1995)

La maline (2000)
Redub Chroniques (2003)
L’Acadie en chanson (2004, FACCD400).
Les matins habitables (2005, Naïve, NV-803311).
Arbres à fruits (2005)