Morice Benin

La douce fête

Je nous invite à prendre le large
Sans fuite, sans orgueil...
Simplement pour puiser force à vivre dans ce monde
. (Môrice Benin)

Pour rendre compte des chemins de Môrice Benin, il faudrait parler de ses rencontres proches de la révélation avec l’ami poète René-Guy Cadou, la revisitation de Léo Ferré, et aussi avec l’essentiel du monde vu avec une candeur franciscaine.
L’ami Môrice Benin dépose avec ferveur et toujours avec son éternel étonnement "bu aux puits de l’enfance", ses nouvelles chansons.
Dans une série de cassettes jetées aux amis, non pas comme une bouteille à la mer, mais comme des flambées d’espérance, Môrice s’est approché de beaucoup de textes, de sagesses retrouvées.

Quand nous aimons, une sève immémoriale monte en nos bras.
Doucement, doucement avec amour, accomplis devant lui un des chers gestes quotidiens, conduis-le au jardin, donne lui la suprématie des nuits... retiens-le
. (Rilke)
Ainsi fait Môrice Benin, et son geste quotidien s’appelle alors la chanson, le sacrifice mille fois répété, avec le sourire, pour que le public puisse reverdir, chanter lui-même son propre chant profond.
Ainsi va Môrice "d’un amour obstiné qui saura bien un jour se faire entendre". Il reste fidèle à son refus du monde marchand et quelque part dans la Drôme il reconstruit ses phalanstères, ses belles utopies. Entouré de sa tribu de gosses il n’a pas replié la voile de l’espérance. Son mélange de douceur et de révolte est singulier. Depuis la fraternité en Ariège, à son havre de paix actuel, Môrice Benin aura suivi beaucoup de chemins avec la même sève créatrice, la même sincérité des humbles.
Bien sûr de Cadou à Salomé la route n’est pas droite, et notre funambule amoureux, croit toujours que notre passage terrestre a un sens sur cette boule de feu.
Sa voix phénoménale s’appuie désormais sur une plus grande recherche musicale, et les nouveaux textes sont écrits entre nuit et grillons, mais sans oublier les convulsions de la terre et les souffrances des frères

Rire salutaire devant un monde de fausseté et de pièges. «Acide Assedic» comme il le dit, mais comment réveiller un peuple pris dans l’hyperconsommation et la peur ? Comment lui parle des sourires d’enfant sans voir retentir le jingle d’une publicité ? Parler des oiseaux sans que l’on vous demande si ces chants sont téléchargeables.

«La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil», disait René Char, alors Benin doit souffrir intensément, et voir monter un volcan de rage. Il doit estimer le problème résolu car il chante "après le déluge". Un peu trop tôt sans doute.

On veille des miettes de vie déjà mangées par les oiseaux. Ces puits que le quotidien creuse pour que nous ne puissions jamais voler dans nos têtes, ces têtes rentrées dans les épaules. Il n’aura voulu chanter que pour « accompagner la démarche du chant par une démarche d’homme en prises avec les réalités de son temps.» Souvent il chante doucement comme si les anges s’étaient endormis sur ses épaules. Parfois il crie comme la mer de Bretagne qu’il tutoie.
Sa sensualité se cache parfois dans les buissons du mysticisme, elle réapparaît toujours et crépite doucement dans ses mots, avec la tendresse et l’amour enlacés.

Chansons simples ? Non, humblement évidentes et qui ne demandent humblement qu’à être écoutées, prises comme des herbes simples dans une vie dangereuse de manque d’intérieur.
Comme vous sans doute, j’ai eu du mal à faire l’ascèse d’entrer dans les pièces nues des nouvelles chansons de Môrice, alors que toutes les anciennes font encore guirlandes autour de moi avec leur sève plus impérieuse.

Puis à force de silences, de chemins rebroussés, moi qui n’aime pas les anges gardiens mais les amis fragiles, j’ai fini par respecter la qualité du souffle des nouvelles paroles. Musiques qui cherchent la grâce, mots qui veulent un avant-goût du retour, les chansons de Benin avancent, comme elles peuvent, vers l’essentiel. Il "chante l’émerveillement de la vie "vivante" (Salomé).

«Miracle d’humilité à la base», les textes de Benin commencent à rayonner d’une joie intérieure en espérant ardemment un jour devenir anonymes car vécus par tous.

De tels bons sentiments m’ont bien sûr irrité, et puis "inutile comme la pluie", obsédante et gorgée d’émotions, la voix de Benin a fini par me reprendre :

« J’aime qui m’attendrit à l’étage du doute».

À la fois vie et vent, toujours vivant, Môrice Benin délaisse parfois les tumultes du monde et de son anonymat assassin, de ce qu’il appelle "le fracas des apparences", pour un maquis intérieur planté de sourires et de petites musiques.
Cette traversée vers les paysages d’âme intime où se côtoient rossignols et coquelicots, n’est pas une fuite devant la réalité qui gronde, mais un apaisement, une maturité d’enfant retrouvée.

Môrice Benin est encore ce chanteur d’espérances, de tendre ironie, qui a gardé le pouvoir de s’émerveiller encore et encore de la vie et du vent. Benin chante depuis plus de trente ans et il a toujours soif d’étancher la nôtre.
Môrice Benin, frère en douce poésie de René-Guy Cadou, avance avec ses chants d’alouette, son âme jardinière, ses rossignols secrets et il finit bien par nous faire croire encore à l’aube, à faire et à refaire une sorte d’oraison qui nous emporte.

Les nouveaux chemins de Môrice dans son spectacle «être» laissent dans sa besace les paroles non entendues de la colère pour ouvrir les passages vers l’intérieur.
Le funambule amoureux chante à hauteur d’homme, ses paroles d’incroyable amour :
« Quand il aime, l’homme vit sa propre éternité...»
À tous ceux qui savent encore l’amitié et le chant de l’alouette, Môrice Benin sera leur respiration.

Mots et musique fervente «comme une porte sur nous-même».

Gil Pressnitzer

Textes de Môrice Benin

Chanter n’est pas une fin en soi...

L’acte d’écrire et de chanter part pour moi d’une triple implication ; Artistique, Culturelle et Sociale.
Trilogie incontournable.
Il s’agit donc, lorsqu’on chante à l’écart des voies royales du show-biz,

De sortir, de s’ouvrir...
De ne considérer l’art ni comme un refuge, ni comme une tour d’ivoire, tout en restant d’une rigueur extrême vis-à-vis de son écriture et de sa musique. Là est la difficulté, car les canons médiatiques nous incitent, soit à la marginalité puriste et rassurante, soit au mimétisme, au nom de standards nivellateurs

Il y a peut-être cependant, une voie médiane que je découvre, ou plutôt, que j’expérimente depuis plusieurs années. Ce fut d’abord une voie empruntée par nécessité (les portes médiatiques étant bouchées, il fallait aller chanter partout...) puis par choix et par désir. Je me suis souvent défini comme un chanteur "tout terrain", s’adaptant à beaucoup de situations pour les spectacles, tout en m’efforçant de préserver une qualité technique, garante de la qualité artistique.
Paradoxalement, cette démarche est aux antipodes du prêchi-prêcha culturel (désuet de nos jours) ou encore de la pédagogie (on n’apprend rien à personne en matière artistique, on "révèle", c’est tout !...)

Je côtoie souvent, dans le quotidien, des gens "sensibles" qui n’ont plus aucune occasion d’avoir accès à une chanson "d’auteur" elle aussi "sensible". Un tas de rendez-vous se ratent, faute de n’avoir pu imaginer d’autres rapports spectateurs-chanteurs !
II s’agit autant de survie véritable pour nous, chanteurs dans l’acte de nos créations, que d’offrir ces fêtes d’émotion profonde à tout un public ignorant tout de la richesse du vivier de la chanson à portée de leurs oreilles et de leur cœur pourtant.

Plaisir sensiblement différent de celui éprouvé à l’écoute d’un disque ou à la vision d’un film, fussent-ils excellents ! Ce choix requiert une "joie de vivre et de chanter" absolument irrésistible ! (ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait...").

Car le chant ne nous appartient pas. Mieux : nous avons la responsabilité de le rendre"accessible", tant par notre création que par les moyens que nous employons pour la faire connaître au plus grand nombre. Le reste n’est que calculs et spéculations laissés aux théoriciens et aux marchands.

Je voudrais chanter là "où l’on ne m’attend pas"... en espérant dé-ranger... car quelle désolation que ces clivages de public (Classique, Rock, Jazz, Chanson, etc...) ou ces grandes messes du fast-food zénithien.

Il n’y a ni rancœur, ni jalousie dans mes propos. De la révolte, peut-être un peu, et du bonheur à chanter beaucoup.

Môrice Benin, le 9 Février 1994 - Planète terre.

Prélude en solitaire
Il entra par la porte du fond
Celle qui donne sur la mer, sur sa petite enfance..
Derrière lui,
Un goût d’illusions perdues
Quelques poussières d’étoile
Le rouleau des marées
Le visage d’un enfant,
Une lettre de son père.

D’abord, ne pas se perdre
D’abord, se reconnaître

Nous avons erré longtemps dans la multitude, l’anonymat,
Dans l’effroyable course du temps, nous avons eu parfois très peur !

Il faut dire que nous n’étions pas préparés
Pour une telle froidure,
il faut dire que la route fut semée d’embûches,
et le doute puissant...

Mais, des voix se dressent,
Des visages s’ouvrent,
Des appels s’amplifient...

Il est temps de battre chamade
De renouer avec sa force
D’amarrer son désir à l’encre du chemin
Il n’est jamais trop tard

Tu es vie,
Tu es vent,

VIE-VENT !

Le chant cerné

Écrire

S’écrire

S’encrier de ses cris

De ses hurlements muets

Chanter des sons étrangers

En pure ligne de l’indicible,

S’enivrer du champagne des mots et des musiques

Pour se soustraire

Le temps d’un éclair

À sa solitude.…Et puis, il y a l’amour...

Cette âme qui tangue

Ce frottement des corps

Ces mains entrelacées

Ces regards comme des porches

Et ces paroles comme des oiseaux de feu...…

Il y a l’amour,

Comme une terre promise

Que nous n’atteindrons jamais

Parce que tout simplement, elle n’existe pas!

Il n’est de réel

Que cette poussée irrésistible de l’amour

Cette force mystérieuse

Qui nous entraîne vers l’autre ;

L’inconnu, l’étranger.

Celle ou celui qui nous déloge de nous-même.

Le désir n’est que cela

TENDRE...

SE TENDRE désespérément vers l’autre

Que nous n’atteindrons jamais

Car il n’est pas là où nous le cherchions...

II est ailleurs. Immanquablement.

Il s’effiloche dès qu’on croit le débusquer.

Et cela ne le rend que plus désirable encore...

Le désir n’est qu’écartèlement

Et la souffrance n’est qu’une grande nettoyeuse d’espace.

Lorsque j’aime,

Je m’en remets à l’autre

Je sais qu’il va me pétrir à sa guise

Et que je sortirai du "pétrin"

Détruit et reconstruit tout à la fois !

Sans nul autre horizon terrestre

Que celui de vivre l’instant

Comme on boit à l’unique source

Après avoir erré longtemps dans le désert de braise...

Alors, et alors seulement,

MONTE LE CHANT NU.

Môrice Benin, le 9 Février 94