Salomone Rossi

Le juif de Mantoue

L’apothéose de la musique judéobaroque

Un des premiers grands compositeurs juifs qui nous soit parvenu depuis le légendaire roi David fut le violoniste Salomone Rossi.Il était à l’apogée d’un courant réformateur qui avait commencé dès le début du XVe siècle, visant à offrir une musique d’art attractive au judaïsme. Et cette idée circulait dans certaines communautés d’Europe occidentale.et ce contre la résistance des communautés juives qui ne voulaient pas entendre parler du monde extérieur. Je parle bien du XVI siècle et toute coïncidence serait fortuite, bien sûr, avec aujourd’hui…Certains musiciens s’essayèrent même à concilier les traditions juives et chrétiennes, tel Salomone Rossi (de son vrai nom Salomone Me-ha-Adumin), qui écrivit une série de psaumes polyphoniques (dans la tradition occidentale) pour l’usage de la synagogue (Ha Shirim Asher Li Sh’lomo - 1623).Un mouvement se constitua avec l’aide de quelques rabbins éclairés (celui de Modène, celui de Venise). Il ne dura pas longtemps.

Sachez que c’est grâce au baron de Rothschild que la musique de Rossi nous est parvenue car il acheta, 200 ans plus tard, au hasard de ses voyages, les manuscrits enfin retrouvés de ce compositeur. La première édition moderne aura lieu en 1876, et le doux rossignol des synagogues depuis se fait à nouveau entendre.


Être juif en Italie au XVIe siècle

Il fallait bien du mérite pour être juif en Italie et vouloir rester juif à Mantoue. Et il n’était pas facile de se faire un nom pour un musicien juif à l’époque où Shakespeare situe les tribulations du juif maudit, Shylock. Alors que le Juif de Venise selon Shakespeare exprimait toutes les positions courantes de la chrétienté, encore exacerbée en Italie par la primauté papale : le juif fourbe et rapace et avide de sang, la belle juive sensuelle, l’or des Juifs. Tous ces clichés étaient répandus et dominateurs.Rappelons que l’expulsion des juifs d’Angleterre est de 1290 (Cromwell), celle de France, la troisième, date de 1394 (Charles VI), celle d’Espagne de 1492 (Isabelle la Catholique).Pourtant la communauté juive d’Italie est l’une des plus vieilles d’Europe, déjà présente sous l’époque romaine.De la fin du XIIIe au milieu du XVIe siècle, des centaines d’implantations juives existaient dans de nombreux états et micro-états d’Italie.
La véritable grande implantation juive au centre et au nord de l’Italie depuis le XIVe siècle est directement liée à la possibilité qui leur fut donnée d’allouer des prêts pour de petites sommes d’argent, le rôle du prêteur sur gages – c’est ce qui leur fournit l’occasion de pénétrer dans des centres urbains. La hantise des deniers de Judas qui marquait l’imaginaire chrétien a transféré aux juifs ce travail indispensable, mais détesté. Ainsi on ajoutait à leur malédiction tout en permettant l’expansion de l’économie sans avoir le moindre remords de perdre son âme.

« Deux courants migratoires ont joué un grand rôle : l’un menant de Rome vers le centre de l’Italie, puis vers la plaine du Pô ; l’autre venant d’Allemagne vers l’Italie du Nord et se prolongeant au moins en partie vers le Centre. Il ne faut pourtant pas oublier les autres mouvements migratoires provenant des royaumes d’Espagne, du Portugal, de la Provence, de France (surtout de Savoie), de l’Italie méridionale et, dans une moindre mesure, d’Europe orientale. »
Du fait que chaque état, chaque centre urbain ou semi-urbain avait « ses » Juifs, fidèles à leur prince et à leur géographie. Ces Juifs vivaient dans les limites d’un État, d’un territoire, d’une cité, d’un centre urbain particulier. Le plus souvent ils étaient cantonnés dans leurs quartiers clos et réservés : le ghetto.

Avant d’aller plus loin, il faut se rappeler quelques dates historiques :
1348: Massacres de la Peste noire en Espagne et au Portugal. Les juifs d’Italie protégés par une charte du pape Clément VI.1427: Un édit papal interdit le départ des juifs en Terre sainte.1475: Expulsion des juifs de diverses villes italiennes.1516: Ghetto de Venise.1533: Le Talmud est brûlé à Rome.1541: Expulsion des juifs de Naples.
Ces dates montrent le provisoire absolu de l’existence et de la très relative tolérance des petits états italiens.
Voici le monde dans lequel naquit Salomone Rossi, entre la toute puissance papale et le risque d’expulsion permanent suivant l’humeur des petits princes. Mais aussi au beau milieu de ce souffle fort et printanier de la Renaissance que les juifs ne pouvaient ignorer, même en s’enfermant dans leurs traditions séculaires.Une grande partie de l’Italie méridionale et de la Sicile — splendides centres juifs au Moyen âge — perdit ses communautés juives au XVIe siècle, pendant la domination espagnole. On oublie souvent que les Juifs furent mis à l’écart de la plus grande partie de la Lombardie pendant plus d’un siècle, jusqu’à 1714, quand les Autrichiens succédèrent aux Espagnols. À Mantoue un ghetto en forme de forteresse est érigé en 1612.

D’où venaient les juifs d’Italie

Certains d’entre eux descendent des Juifs qui vécurent en Italie à l’époque de l’Empire romain. D’autres sont des Juifs ashkénazes qui, surtout au XIVe siècle, quittèrent l’Allemagne pour l’Italie. Au cours de ce même siècle, les Juifs français durent abandonner la France, et à la fin du XVe siècle et au cours du XVIe eut lieu l’émigration Sépharade de l’Espagne et le retour au judaïsme des marranes d’origine espagnole, qui enfin, échappant aux bûchers de l’Inquisition, pouvaient pratiquer leur foi au grand jour.Les contacts avec l’Orient ont toujours existé, particulièrement à Venise et en Italie du Sud, tant qu’il fut permis aux Juifs d’y demeurer. D’autres Juifs provenant de pays musulmans furent attirés par le nouveau port franc de Livourne, dans la seconde moitié du XVIe siècle.Le fait que les Juifs étaient tolérés dans un des états de l’Italie ne signifiait pas pour autant qu’ils étaient tolérés partout dans ce même état. Et que les papes aient permis aux Juifs de vivre à Rome et à Ancône, n’implique pas qu’ils leur aient permis de vivre ailleurs.Différents par leurs rituels et souvent séparés par des conflits d’intérêt, les Juifs d’Italie avaient un avantage majeur par rapport aux concitoyens chrétiens : ils avaient une langue commune qui resurgissait vivante : l’hébreu.
Le peuple s’exprimait selon les différents dialectes, et les Juifs parlaient le même dialecte que les autres habitants du lieu. Les Juifs vénitiens parlaient le vénitien, et les autres Juifs parlaient le dialecte de leur région. La particularité des juifs italiens de cette époque est la vie partagée dans le même monde que les chrétiens le jour et la nuit dans les ghettos (le premier est à Venise en 1512).Cette vie enclose favorise le repli sur les valeurs communautaires et un renfermement par rapport au monde. Pourtant il y eut un musicien enfoui dans le ghetto qui lui saura s’ouvrir pleinement sur la vie musicale de son siècle et même réussir à l’introduire dans le rituel des synagogues.

Ce fut Salomone Rossi.
La ville de Mantoue au nord de l’Italie était devenue à la deuxième moitié du l6ème un centre important de l’art et science. Ici vivaient de nombreux savants et artistes juifs, qui organisaient de nombreuses disputations (comme à Toléde elles mettaient face au Prince les plaidoyers contradictoires des juifs et des chrétiens sur la Bible), avec des humanistes locaux sur des thèmes religieux mais aussi philosophiques. Détenteurs depuis les "septante" de la culture grecque ils étaient incontournables pour l’approfondissement des connaissances de la philosophie antique et la comparaison de ses valeurs idéologiques avec l’héritage des temps hébraïques.
Mantoue fut une ville douce et accueillante pour les juifs. Là ils n’étaient pas que tolérés, mais louangés, désirés.Une atmosphère libérale, pleine de dynamisme régnait alors. Les plus célèbres philosophes, physiciens, astronomes,danseurs, musiciens, comédiens (il y eut une troupe essentiellement juive Università Israelitica), chorégraphes, penseurs étaient juifs et reconnus.Tous jouaient pour les Chrétiens et les représentations avaient lieu à la cour de Mantoue le vendredi après-midi, sur ordre du Duc, pour ne pas interférer sur la Shabbat.La langue hébraïque était à nouveau parlée et écrite pour la vie artistique et courante. Aussi bien pour faire son marché que pour dire ses prières. Elle était vivante et naturelle pour tous.C’est dans ce milieu éveillé que l’on s’efforçait pour la première fois à lier les chants archaïques des synagogues à une voix (monodique), avecles lois du contrepoint de la polyphonie vocale.

Salomone Rossi, l’Ebro

On sait peu de choses en fait de la vie de Salomone Rossi.Il est né probablement en 1570 dans une famille juive italienne. Il espérait d’abord étudier la philosophie, mais son talent musical était si puissant, que la musique lui était devenue une vocation. Il avait reçu une éducation talmudique forte, qui le désignait comme rabbin. Jeune violoniste virtuose il rejoignit Mantoue, à la fois la communauté juive, douce aux juifs, et pour suivre surtout les cours de Monteverdi, l’immense compositeur.Chanteur excellent, violoniste et altiste (d’ailleurs il semble qu’il sera surtout altiste à la cour), il a trouvé refuge à sa mesure auprès de la cour de Mantoue en Lombardie.Il a été employé en permanence depuis 1587. Et même temps il s’occupait à la composition sous la direction de Claudio Monteverdi qui en fit un de ses élèves préférés. Monteverdi aura régné à Mantoue auprès de l’orchestre de la cour entre 1590-1612. Puis il céda aux sirènes de Venise. Car il faut savoir que les petits états se faisaient concurrence, comme des clubs de football ils s’arrachaient les musiciens et les chanteurs.Mantoue, petite ville entre Rome et Milan devint par son faste, son luxe, ses musiciens de cour un phare de la Renaissance.Salomone Rossi devint suffisamment célèbre pour être en mesure de publier très tôt ses premiers madrigaux et compositions profanes (danses, musiques d’apparat,...).qui firent son succès.Immergé dans la vie culturelle de toute la ville, Rossi jouait une place prépondérante dans la vie musicale de la cour du prince de la ville, surtout après le départ de Monteverdi. Il fut alors le musicien officiel du théâtre de Mantoue.Le prince Francesco IV Gonzaga avait une grande estime pour lui et il le libéra en 1606 de l’obligation de porter l’étoile jaune sur son vêtement. Le successeur le Duc Francesco II ne renouvela ce privilège que pour six jours !
Sa sœur « Madame Europe » chantait dans le chœur de la cour. Rossi était toujours fier d’être juif et il signait ses compositions Salomone Rossi Ebreo (l’hébreu, donc le juif), mais aussi exceptionnellement par la mutation hébraïque de son nom Slomo me-ha-Adumim.Il est parvenu jusqu’à nous comme rabbin musicien. Musicien j’en suis sûr, rabbin on ne le sait pas vraiment.Il était un membre fidèle et dévoué de sa communauté juive de Mantoue, et le premier à jamais composer en style polyphonique une musique rituelle pour la synagogue, Il avait pour meilleur ami le rabbin Léon Modène de Venise. Ce fut celui-ci qui supervisa l’édition de ses œuvres.

Salomone Rossi occupe une position à part en tant qu’innovateur. D’une veine lyrique et non sensuelle, ni aussi dramatique que Monteverdi son contemporain, il sera sacré maître dans l’art des madrigaux et ce qui nous intéresse ici dans les chants sacrés. Ses Chants de Salomon ont des pièces pouvant aller jusqu’à huit voix réelles. Il utilise des textes des Psaumes de David, des chants de Salomon (mais pas le Cantique des Cantiques, trop brûlant pour lui.). Sa musique se met totalement au service des mots, comme Monteverdi le fait avec le texte de ses poètes (Le Tasse,..).Salomone Rossi occupe aussi une place singulière comme homme, seul juif à ce niveau à la cour, comme musicien et compositeur éminent au service du prince. Il pouvait sortir du ghetto de Mantoue, et tout en saluant ses coreligionnaires en hébreu, il s’acheminait tous les jours vers la cour du prince. Il prenait soin de parler avec eux en hébreu ou en dialecte local du temps qui passe, du temps qu’il fera, des enfants, du cours des matières premières, de la dernière paracha (paragraphe de la Bible à l’étude du jour) à la synagogue, du marché et des nouvelles d’ailleurs.
Il se distinguait des autres juifs car il marchait au travers des venelles sans étoile jaune, le signe du marquage infâme, juif parmi les gentils. Et on le saluait quand il entrait dans le palais ducal. Il changeait alors presque d’apparence, revêtait son habit de laquais-musicien il devenait le musicien de la cour de Vincenzo Gonzagua, le Duc de Mantoue.D’autres juifs sans doute avaient travaillé aussi à la cour mais en se diluant parmi les chrétiens en les imitant, mais Rossi, lui, n’avait pas abandonné sa culture, son héritage et avait refusé de se convertir au christianisme.

Juif, il était, juif, il en était fier.

Ainsi il vivait entre deux mondes, son ghetto la nuit car il lui était interdit d’y habiter, et la cour le jour, sauf le shabbat où il restait parmi ses coreligionnaires.On pense qu’il a fait toute sa carrière à Mantoue. Pas dans le saint des saints, la Chapelle de l’église de Santa Barbara, bien sûr lui le juif très pieux, mais dans tous les autres orchestres.Le jour, il composait des danses, des musiques instrumentales, des madrigaux pour son maître le Duc, et, à la lueur des bougies, il composait pour son peuple.La fin de la vie de Salomon Rossi demeure mystérieuse. La guerre entre la France et l’Autriche en 1630 a brutalement interrompu la vie culturelle de Mantoue et de ses environs; la ville a été endommagée, les archives des Ozango détruits et la plupart de la population juive s’est enfuie vers des pays lointains. Depuis nous n’avons plus d’informations sur le compositeur. Très probablement il n’avait pas survécu jusqu’à ces événements sombres, car les dernières informations sur sa vie datent de 1628. En 1630 les troupes du Saint Empire Romain conquirent Mantoue et détruisirent le ghetto de Mantoue en tuant bien des juifs. La peste fit le reste. Rossi a dû succomber à cette période.Son œuvre demeure toute fois un monument permanent mêlant le contrepoint et la beauté de la renaissance.


La musique de Rossi

Rossi fut un compositeur audacieux qui a révolutionné la musique baroque. Il fut le tout premier à publier des madrigaux avec une basse continue. Ses sonates sont les premières à utiliser pleinement la virtuosité du violon.Son utilisation des voix reste par contre conservatrice. Rossi fait le pont entre la Renaissance et le Baroque. Il est un des grands compositeurs dominant son temps et de 1587 à 1628 il sera vénéré.C’est bien dans la musique synagogale que Rossi fit sa plus grande révolution, peu comprise d’ailleurs. Voulant se débarrasser de la tradition de la diaspora qui faisait référence à de fausses traditions de deux mille ans, plus exotiques que véritables. Les instruments étaient interdits et seule la désolation et la tristesse étaient admises en souvenir de la destruction du temple étaient admises. Toute nouvelle mélodie d’origine « gentille » semblait une profanation par rapport à une soi disante vérité du Moyen-Orient qui n’existait pas. Aucune harmonisation de mélodies, aucune variation n’étaient autorisées. L’histoire n’a pas bougé depuis !

Rossi lui a ouvert les portes et les fenêtres au monde contemporain. Mal lui en a pris ! Il a voulu moderniser, embellir cette musique comme les communautés de Venise, de Mantoue, de Ferrare le désiraient. La nouvelle musique que l’on entendait hors des synagogues, ne pouvait rester hors de la synagogue. On attendait la venue d’un art plus neuf car on était au cœur de la Renaissance. Les juifs italiens voulaient en faire partie totalement. et la synagogue devait en être l’instrument. Les synagogues de Padoue et de Ferrare avaient des chœurs depuis la fin du XVIéme. À Modène on jouait de l’orgue lors des offices. À Venise un grand orchestre jouait dans la synagogue.Cela ne marcha que peu de temps malgré le soutien de rabbins éclairés.
« Aucune personne intelligente ne doit refuser de célébrer la gloire de Dieu avec la plus grande beauté musicale avec les voix les plus belles » disait ainsi le Rabbin Léon de Modène.

Rossi écrit ceci :
« Depuis l’instant où Dieu a ouvert mes oreilles et m’a donné la grâce de comprendre et d’enseigner la science de la musique, j’ai utilisé cette sagesse à composer beaucoup de chants. Parmi toutes les idées surgissant de moi, mon âme s’est réjouie de prendre les plus belles comme une offrande de toute la voix qui veut remercier Dieu qui trône au-dessus des cieux avec des sons de remerciements les plus beaux ; ainsi il nous été donné des voix pour honorer Dieu de cette façon, chacune avec la bénédiction du talent qui nous a été donné pour se réjouir. Le Seigneur est ma force et IL a mis de nouveaux chants dans ma bouche. Ainsi inspiré, je les ai tissés dans des arrangements de doux sons, et je les ai conçus pour être des morceaux de réjouissance pour les fêtes sacrées. je n’ai pas bâillonné ma bouche, mais toujours augmenté mes efforts pour magnifier les Psaumes de David, roi d’Israël, que j’ai mis beaucoup en musique et mis en forme dans une harmonie appropriée, pour qu’ils sonnent encore plus haut dans les oreilles délicates. C’est le Seigneur qui m’a donné cet esprit d’artiste pour que je puisse reconnaître la beauté, c’est pour lui que ma voix s’est élevée pour le servir. J’ai compris qu’il valait mieux faire bénéficier ma congrégation par la publication d’un choix de mes motets. je ne les ai pas composés pour ma propre gloire, mais pour la gloire de mon Père aux cieux, qui a créé en moi mon âme. Pour cela je lui serai éternellement reconnaissant et je chanterai toujours sa gloire. »

Cette profession de foi en dit suffisamment pour comprendre que pour Rossi, la meilleure façon de glorifier Dieu était d’écrire les plus belles mélodies possibles, les plus douces et les plus actuelles.L’héritage des compositions de Salomone Rossi est relativement vaste, plus de 300 œuvres.Et la plupart auront été publiées, chose fort rare à l’époque.Il a fait paraître en tout huit recueils de madrigaux à 2-5 voix et quatre livrets de sinfonia, de danseset sonates pour 2-5 instruments, dont quelques-unes sont toujours jouées encore de nos jours.
Son œuvre essentielle est surtout le recueil de 33 chants sacrés Chants de Salomon, paru à Venise en deux tomes en1622-23. Ce recueil contient 6 chœurs à trois voix (nos 1 à 6), 5 à quatre voix (7 à 11), 8 à cinq voix (12 à 19), 5 à six voix (20 à 24), 1 à sept voix (25) et 8 à huit voix (26 à 33) surdes textes de la Bible ou autres textes sacrés hébreux et araméens (Nos I et 16).

II est dédicacé à Moses Sollam, citoyen de Mantoue et membre d’une famille importante hébraïque. La composition avait un grand retentissement, illustré par le fait que l’avant - propos de l’édition imprimée a été préparé par le philosophe connu Jehoda Ariech deModène, lui-même excellent musicien et chanteur de synagogue à Ferrare.Son œuvre majeure se regroupe donc en livres de madrigaux proches du style de Monteverdi ainsi que de nombreux psaumes en hébreu. Ainsi, dans les Cantiques de Salomon, se mêlent des écritures composites qui, au premier abord, font songer à l’école vénitienne. Il utilise les derniers acquis de la musique du nouveau style néo-baroque. Pour les services religieux, il prend soin de faire coller les syllabes et les notes. Il introduit la polyphonie de la renaissance au coeur du chant monodique de la tradition. L’impression de sa musique pose un problème car l’hébreu étant écrit de droite à gauche et les notes de gauche à droite. On a adapté la dernière note de musique expirante à la première syllabe.Bien sûr la musique de Rossi ressemble à celle de Monteverdi et de ses contemporains, cela est normal. Il faut noter que la dynamique et le rythme non écrits doivent être réinventés par les interprètes.
Étrange va-et-vient de la musique. Les chants religieux chrétiens primitifs sont directement issus des chants hébraïques primitifs, et les nouvelles musiques judéo baroque proviennent directement de Monteverdi.

La musique de Rossi souleva bien des indignations dans la communauté juive, et des opposants venaient manifester en interrompant les offices bruyamment et violemment. Car cette musique était jouée et chantée dans les offices juifs. Elle ne l’est plus dans un monde synagogal fermé à la musique de son époque.La bataille faisait donc rage dans sa communauté entre conservateurs et modernes.Certaines congrégations avaient utilisé un orgue, un orchestre, des chorales. Les conservateurs venaient hurler lors de ses offices pour les arrêter. Salomone Rossi était au centre de ses controverses pour avoir utilisé et édité en se conformant à l’harmonie occidentale et de la toute nouvelle musique de la renaissance.

Dans la préface à ses Œuvres, il disait que chanter la gloire de Dieu était déjà annoncé dans la bible avec harpes, cymbales, trompettes dès le Roi David.Protégé par le rabbin de Venise il put continuer. Et puis la gloire de Monteverdi, son ami et son maître rendit sa musique évidente et reconnue. Mais la plupart des synagogues refusèrent sa musique comme impie, car trop italienne. La destruction de Mantoue et de sa communauté juive par les Autrichiens en 1630, a aussi joué un puissant rôle d’oubli de cette musique.

Salomone Rossi ne fut donc pas un simple juif de cour mais celui qui a voulu transformer plus de 1500 ans de musique hébraïque. Il aura aussi changé la tradition musicale des synagogues en y faisant entrer la musique de son temps. Il a refusé de continuer une trop longue tradition de plaintes en musique pour le rituel. Il a ouvert la voie à d’autres Mendelssohn, Bloch, Schoenberg, Milhaud et Bernstein qui n’auront pas autant écrit pour la synagogue. Lui fut un véritable homme de la Renaissance qui ira du XIV à la fin du XVI siècle.
Dans ce tout petit espace géographique italien est né une grande culture et aussi une grande musique juive. Ce temps ne dura pas avec l’arrivée des Espagnols puis des Autrichiens.Rossi semble une comète dans la musique juive qui réapparaît tout juste au XXe siècle et qui aurait pu changer la liturgie des synagogues.

Gil Pressnitzer