Senem Diyici
L’invitation au voyage
"Les chants des hommes sont plus beaux qu’eux-mêmes, plus lourds d’espoir, plus tristes, plus durables" disait un compatriote de Senem Diyici.
Et Senem, né d’un père d’origine Arménienne et Azérie et d’une mère d’origine kurde, n’a pas oublié cette leçon du poète aux cheveux de paille. Elle portait en elle les grands espaces. Mais elle a du les reconquérir. En effet née à Istanbul en 1953 dans la métropole orientale d’Istanbul, Senem Diyici a été élevée à Sisli, le quartier européen d’Istanbul, peuplé de nombreuses communautés, mais sans contact réel avec la Turquie profonde. Il lui fallait remonter aux sources, refaire son chemin initiatique.
Dés 1971 à l’instar de Bartok ou Kodaly elle sillonne les villages les plus reculées, elle enregistre sur son magnétophone les chants traditionnels avant qu’ils ne disparaissent dans la fosse commune du temps.
Un autre tournant de sa vie est son installation en Europe, en France dés 1982. L’autre rencontre se fait avec le guitariste et compositeur Alain Blessing.
Fidèle aux expressions de ses origines, aux chants puisés dans sa culture profonde, Senem recherche la synthèse entre la sonorité de sa langue et les musiques du folklore imaginaire créées par son groupe.
En les mêlant à l’improvisation des musiques de maintenant, elle les fait revivre à sa façon, belles façons faites d’amour et d’épices.
Alain Blessing (guitare, oud), Philippe Botta (sax, flûte, ney), Ravi Magnifique (tablas,percussion) tissent le chemin des épices pour soutenir la voix planante et libre de Senem. Senem est un souffle qui murmure dans les mémoires.
Sur des passerelles entre modernité et tradition, Senem ne fait pas des musiques du monde mais des musiques plurielles.
Au comptoir des steppes, loin des cartes postales sur l’Orient, Senem fait sonner la fascination d’un ailleurs magnifié. Proche de Jan Garbarek, mais avec l’immense avantage d’être de l’autre côté du pont, d’avoir la vision de l’indigène, Senem déroule le caravansérail de la musique. Avec des allures de superbe panthère noire, elle insinue en nous ses mélopées musicales.
Des oasis d’improvisation apparaissent au détour de mélopées immémoriales, des puits de tendresse et de sensualité s’ouvrent dans l’immensité de ce territoire à la fois Turquie, Inde et Europe.
Senem Diyici après des études de chant classique turc s’oriente d’abord vers un répertoire traditionnel qui assure sa reconnaissance en Turquie et en Allemagne.
Son installation en France en 1982 lui permet de métisser l’immense répertoire populaire et classique ottoman avec les musiques occidentales.
Par elle la Turquie est déjà bien en Europe.
Ce n’est pas une greffe mais le mélange des eaux et le résultat se situe ailleurs, loin et proche du jazz, proche et loin du chant, près du rêve.
Sa voix ondoyante nous touche étrangement et nous embarque pour un bien curieux voyage émotionnel.
Sa voix-instrument nous parle de contes inconnus, d’un pays d’or retrouvé. Et de toutes ces caravanes qui viennent se perdre dans sa voix pour y boire.
Lancinant, authentique, surprenant par ses rencontres et ses frottements de sons, l’univers sonore de Senem s’enroule, intime, intemporel.
"Nous cherchons aux horizons rougissants des yeux de feu" disait Nazim - ce miel couleur de flamme, ces yeux, ces rêves de bien-aimée, semblent possibles grâce à la voix de Senem Diyici.
"Je suis kurde par ma mère. Mon père est d’Azerbaïdjan et d’Arménie. Je suis citoyenne du monde. Dans les chansons, je m’inspire des cultures de toutes les régions turques. Mon pays, c’est tous les pays ". Senem ce n’est pas le jazz turc ou oriental, c’est le jazz de toutes les bouches du monde. »
Gil Pressnitzer