Viktor Ullmann
L’empereur d’Atlantide
Viktor Ullmann fait partie des compositeurs que les nazis ont assassiné deux fois. Ne se ne contentant pas de l’exterminer à Auschwitz en 1944, ils ont même effacé la mémoire de ses œuvres. Ce n’est qu’en 1975, lorsque fut créé à Amsterdam l’opéra Der Kaiser von Atlantis, que son nom et son destin acquirent une certaine notoriété auprès d’un plus large public. Ullmann naquit en 1898 dans la ville, alors autrichienne, de Teschen.
Il reçut sa formation à Vienne, où il suivit entre autres les cours de composition de Schoenberg en 1918-1919. Ullmann fut adepte de l’anthroposophie, science spirituelle élaborée au début du XXe siècle par Rudolf Steiner, et en fut si impressionné qu’il abandonna pour un temps la composition et prit la direction d’une librairie de Stuttgart spécialisée dans les ouvrages d’anthroposophie (1931-1933).
En 1933, après l’arrivée des nazis au pouvoir, il se réfugia à Prague.
Dans cette ville, il se bâtit une nouvelle existence, travaillant comme professeur et critique musical, et récolta de nouveaux succès en tant que compositeur. En mars 1939, les Allemands occupèrent la République tchèque. Ullmann, comme tant d’autres, se vit imposer de sévères restrictions, mais ceci ne limita pratiquement pas son activité de compositeur.
Sur la cinquantaine d’œuvres qu’il composa avant sa déportation à Theresienstadt (en septembre 1942), seules 18 ont été conservées, dont deux opéras non encore montés jusqu’à ce jour, le "dionysiaque" Concerto pour piano opus 25, quatre sonates pour piano et plusieurs cycles de lieder.
À Theresienstadt, Ullmann était dispensé du travail obligatoire, de sorte qu’il pouvait se consacrer entièrement à la musique. Ses activités, très variées, comprenaient l’organisation de manifestations musicales (dont un Studio de musique contemporaine). Mais ce qui intéresse le plus les historiens de la musique aujourd’hui sont les 26 critiques de concerts qui nous sont parvenues et qui représentent un témoignage complet sur la vie musicale de Theresienstadt.
Ullmann consacrait le reste de son temps à la composition sur les œuvres composées au cours des deux dernières années de sa vie, 33 ont été conservées, dont quelques-unes imparfaitement.
Par rapport à son rythme de composition antérieur, ceci représentait un progrès considérable, ce qu’il ne manqua pas de noter, écrivant que son "travail musical" avait été "encouragé par Theresienstadt et non entravé". La plupart des œuvres furent composées pour des musiciens internés au camp entre autres trois sonates pour piano, dont deux devaient être l’ébauche de symphonies, des lieder, un quatuor à cordes et, son œuvre maîtresse, Der Kaiser von Atlantis.
Der Kaiser von Atlantis ou le refus de la mort
Viktor Ullmann est un compositeur autrichien né le 1er janvier 1898 à Teschen, et mort le 17 octobre 1944 à Auschwitz.
Viktor Ullmann a étudié la composition avec Schoenberg à Vienne vers 1920. De retour à Prague, il est nommé chef d’orchestre du Nouveau Théâtre Allemand, puis directeur de l’Opéra d’Aussig à partir de 1927. Il rencontre Alois Haba par le mouvement anthroposophique de Steiner, et suit ses cours de composition en quart de ton au Conservatoire de Prague (1935-1937). Il vécut dans cette ville jusqu’à son arrestation en 1942. Déporté à Terézin, puis à Auschwitz le 16 octobre 1944, il est exécuté dès son arrivée. Son œuvre, publiée à compte d’auteur, comporte trois opéras (Peer Gynt d’après Ibsen), Der Sturz des Antichrists (Albert Steffens), et Der Kaiser von Atlantis, oder die Tod-Werweigerung (1943), quelques pièces d’orchestre : Cinq Variations sur un thème d’A. Schoenberg, Concerto pour orchestre, Concerto pour piano, Ouverture « Don Quixote » ; des pièces de chambre dont trois quatuors à cordes, octuor, diverses sonates dont une pour clarinette en quart de ton (instrument construit à la demande d’Haba pour le Conservatoire de Prague), et de plus nombreuses pièces vocales sur des poèmes de Rilke, Trakl, Steffens, Hölderlin, Wedekind…
Il composera près beaucoup d’œuvres à Terézin, et une partie est parvenue jusqu’à nous. Il était dispensé de travail obligatoire et organisait des concerts, des animations dans le camp. Les musiciens internés jouaient ses œuvres. La musique permettait de survivre malgré tout, elle était le refus de la mort.
Der Kaiser von Atlantis a été composé par Viktor Ullmann en 1943 à Theresienstadt où il était déporté. La dernière date figurant sur le manuscrit est le 13 janvier 1944. Il était prévu de présenter l’œuvre vers mars 1944. Elle avait été répétée à Theresienstadt, mais fut interdite avant sa création. On ignore les raisons de son interdiction. Ullmann fut transporté le 16 octobre à Auschwitz où il fut exterminé probablement dès son arrivée avec de nombreux autres prisonniers. Il avait remis peu auparavant ses manuscrits, dont celui de l’opéra, à un ami qui survécut.
" Les droits d’exécution sont réservés par le compositeur jusqu’à sa mort", donc pas longtemps, écrit avec un humour ravageur Viktor Ullmann, le 22 août 1944.
Cet opéra fut composé en 1943. La dernière date figurant sur le manuscrit, le 13 janvier 1944, est inscrite à la fin de l’air d’adieu de l’empereur.
Dans le procès-verbal d’un entretien du 3 mars 1944, il est déjà fait état de la représentation de l’œuvre, prévue pour un peu plus tard. Le metteur en
scène et chanteur Karel Berman relate dans ses mémoires que les répétitions avaient eu lieu sur la scène de la maison dite de Sokol, mais que l’œuvre fut interdite avant sa création. On ignore des raisons de cette interdiction.
Ullmann fut transporté le 16 octobre à Auschwitz, où il fut probablement exterminé dès son arrivée avec de nombreux autres prisonniers.
Il avait remis peu auparavant ses manuscrits, dont celui de l’opéra, à un ami qui survécut. C’est ainsi qu’ils furent conservés. cette œuvre n’a pas vraiment de forme définitive.
La première représentation suivant le plus fidèlement possible la partition originale fut donnée en 1989 à Berlin, au Neukéllner Oper.
Que ce soit par le texte grinçant avec la caricature d’un empereur mégalo, Overall soit Uberalles, d’une musique qui cite le « Deutschland über alles » pendant les discours de l’empereur et donne à entendre toutes les musiques dégénérées, cet opéra comme plus tard la musique de Chostakovitch, reste une des plus virulentes dénonciations de l’oppression, un témoignage écrit au cœur de l’enfer et qui hurle son refus de la mort.
La partition
C’est une musique grinçante, quelque part entre Mahler et Weill. Ullmann a traité quelques parties du livret dans le mode parlé, soit comme dialogues, sans musique, soit comme récitatifs accompagnés par le seul piano, ou par l’orchestre.
Les numéros sont relativement courts et fortement différenciés. Les formes choisies vont du mélodrame (prologue) au grand air.
La musique regorge d’éléments stylistiques les plus divers, on trouve des réminiscences du jazz et de la musique légère des années vingt.
Par sa musique, Ullmann a encore accentué la teneur politique du livret. Et personne ne peut ignorer les allusions à la musique de compositeurs alors interdits. Tous ces éléments sont autant de signes de protestation.
Synopsis de l’œuvre
L’auteur du livret est l’artiste Peter Kien (né en 1919) et assassiné lui aussi à Auschwitz en 1944.
Argument
Premier tableau
Un lieu non précisé. Arlequin, incarnant le "principe de la vie", et la Mort se plaignent de cette époque malheureuse dans laquelle ils n’ont plus de place. Les hommes ne savent plus sourire et ne respectent même plus la Mort. Le tambour annonce le dernier décret de l’empereur la guerre générale entre tous ses sujets, tous contre tous. La Mort, se sentant bafouée, brise son épée les hommes ne pourront plus mourir.
Deuxième tableau
Dans le palais de l’empereur. Ce dernier se rend compte avec stupéfaction que les condamnés politiques qu’il a fait exécuter restent en vie. Retournant vite la situation à son profit, il fait annoncer à ses sujets que c’est à lui qu’ils doivent le secret de la vie éternelle.
Troisième tableau
La guerre générale. Personne ne se bat, puisqu’on ne peut plus se tuer. Un soldat et une jeune fille se retrouvent de nouveau face à face,comme des êtres humains - dans la compassion et l’amour.
Quatrième tableau
Dans le palais de l’empereur. Le pays se trouve sens dessus dessous. Arlequin fait ressurgir les souvenirs d’enfance de l’empereur qui devient fou. La Mort promet de délivrer le peuple de toute souffrance si l’empereur est prêt à mourir le premier.
L’empereur accepte.
Cette suite de tableaux est encadrée par un prologue où sont présentés les personnages et leurs motifs, et par un épilogue consacré à la Mort qui délivre les hommes de la souffrance (finale).
Le texte qui est primordial pour saisir la fable tragique. Voici ainsi la voix du haut-parleur :
Le haut-parleur
Attention, attention !
Vous allez entendre « L’empereur d’Atlantide », un genre d’opéra en quatre tableaux. Vous y verrez en personne l’Empereur d’Atlantide, sa Majesté Overall, que l’on n’avait plus vu depuis des années. En effet, s’était enfermé dans son gigantesque palais, tout seul, pour mieux pouvoir gouverner.
Le tambour, un personnage un peu irréel, comme la radio.
Le haut-parleur, que l’on entend sans le voir.
Un soldat et une jeune fille.
La Mort, un soldat congédié, et Arlequin, qui sait rire en pleurant et qui représente la Vie.
Le premier tableau se passe on ne sait où. La Mort et Arlequin sont mis à l’écart la Vie, qui ne
sait plus rire, et la Mort, qui ne sait plus pleurer, se retrouvent dans un monde qui ne sait plus se réjouir de la vie ni mourir de sa mort.
La Mort, offensée mortellement par l’agitation, le rythme exagéré et la mécanisation de la vie moderne, brise son épée et décide de donner une leçon à l’humanité désormais, nul ne pourra plus mourir.
Attention Attention Nous commençons l
La morale de cet opéra est la suivante :
Aussi effroyable que la folie de nos péchés est la punition, terribles sont les douleurs que nous devons endurer. Nous voulons les supporter et nous n’aurons de cesse que nous ayons extirpé de nos cœurs le dernier germe de haine et d’intolérance. de nos mains nues, nous détruirons les retranchements du Diable.
Le diable était Hitler, et cet opéra l’aura ridiculisé.
Gil Pressnitzer