Wolgang Amadeus Mozart
Sonate pour piano à quatre mains, K.381
Blanche et légère
Quand aujourd’hui je vais dans la rue et que la pluie glisse sur mon visage, je réapprends à naître, j’en reviens aux débuts, à la première connaissance du mortel de la vie. Ce mortel est rafraîchissant. - Comme Mozart - Tout à fait comme Mozart. (Christian Bobin, Mozart et la pluie)
C’est par cette approche que l’on peut suggérer la clé vibrante de l’univers de Mozart, la transparence. Transparence faite de pluie sans doute, de larmes si peu apparentes et de gaieté de mésanges.
Mozart chante encore, et ses trilles s’enroulent non pas comme un « chant céleste », béatement angélique, mais comme une belle ombre sonore avide de rires et de tendresse.Cette musique veut qu’on l’aime, et elle vient ronronner avec l’entêtement de l’enfant, la malice du fauve.
Il y a un silence de vie dans la musique de Mozart, tissée de fugacité et de refus d’éternité.Aucune envie de faire l’histoire, d’être novateur, de remettre en cause les formes musicales ; Mozart ne peut être enfermé dans le temps. Il est déjà ailleurs, haut perché comme une alouette loin des ordres et des désordres et hors des routes et des déroutes.
Simplement il chante clair, et dans cette œuvre qui peut sembler « galante du début à la fin » uniquement caressante et superficielle, il nous donne un moment lumineux, amoureux.Mozart connaît aussi bien la souffrance que l’enfance et dans cette limpidité offerte il nous parle seulement d’une histoire à rêver debout.
Si on prête l’oreille au-delà de la grâce, de la séduction l’on pourra entendre chuchoter, surtout dans le mouvement lent, des dialogues avec le silence, des luttes étouffées aussi. Mais place à la transparence, à la clarté, à la joie aussi
Mozart danse au bras de la lumière qui meurt. (Bobin).
Cette sonate en ré majeur n’est pas faite pour nous transporter, nous étreindre. La mélancolie ne s’envole pas du buisson des notes, ici Mozart est merveilleusement léger, il veut simplement être aimé.La tonalité tonifiante de ré majeur le pousse à la virtuosité souriante, à la "majesté" superficielle aussi.Cette sonate sera donc brillante, ondoyante comme une rivière, et sans autre image qu’une infinie tendresse, et un merveilleux moment passé avec sa sœur Nannerl.
Les œuvres pour piano à quatre mains ont été écrites d’abord pour donner à entendre la merveilleuse complicité qui liait Mozart à sa sœur Nannerl.
Comme il était plus spectaculaire de montrer deux animaux de cirque à la fois, il fallait un répertoire pour exhiber des génies en herbe. Et dès les voyages de Paris ou de Londres (1763-1766) des œuvres à quatre saisons furent proposées.
Plus que le genre musical, c’est cette enfance prolongée, cet « inceste » sonore qui fait le charme suranné et étrange de ses œuvres.
Mozart l’abandonnera bien vite d’ailleurs quand les possibilités pianistiques de sa sœur ne purent suivre, et seules les œuvres pour deux pianos virent le jour, hormis le corpus des sonates et des fantaisies.Le monde du piano de Mozart n’est pas si simple que cela à aborder. Ânonner, pianoter dès les premières études, tout est fait pour nous fermer ce jardin particulier qu’est le petit jardin secret du piano de Mozart.
Vivre, c’est survivre à un enfant mort. (Jean Genet).
Quand l’esprit d’enfance s’éloignera un temps de Mozart, quand la sœur complice des fous rires se fit plus lointaine, il n’y eut plus de nécessité de composer à deux cœurs, à quatre mains posées sur le même clavier.
Deux dernières sonates jumelles à quatre mains termineront le parcours, celle qui est en ré majeur K.381 (1772) et celle qui est en si bémol majeur un an après.Mozart improvisateur, Mozart tissait une correspondance secrète avec sa sœur, voilà ce qui constitue cette petite œuvre de quinze minutes.
Il ne faut pas la jauger, ni la juger autrement que comme un moment d’intimité, de partage.
Sonate en ré majeur pour piano à quatre mains K.381
1 - Allegro2 - Andante3 - Allegro Molto
Pourquoi être sérieux à 16 ans alors que l’on poursuit des jeux d’enfance ? Aussi cette sonate coule de source et s’amuse.
Commençant par des accords à l’unisson, elle enchaîne des notes qui fusent, des formes répétitives, et bien des cabrioles. Le thème est très bref, peu développé. Ce qui compte c’est le jeu entre les mouvements rapides et tout à coup de petites cellules thématiques comme des billets secrets entre frère et sœur apparaissent.Des passages à l’unisson pour montrer la fusion, et de curieux paysages sonores presque symphoniques constituent la suite de la trame.
Le deuxième mouvement se réserve le plaisir du chant et abandonne le côté compact des deux autres mouvements pour avancer en méandres.
Le dernier mouvement reprend le côté bloc d’improvisation du premier mouvement, et à travers sa souplesse mais aussi son absence de développement il conclut avec panache cette sonate.
Souvent qualifiée de réduction pour piano d’une "Sinfonia à l’Italienne", elle est plus que cela.
Pourtant une chose étonne et nous éclaire sur les rapports de Mozart avec sa sœur. Sur le seul clavier du piano les deux pianistes ne sont presque jamais en position de dialogue, mais côte à côte comme s’ils devaient tisser ensemble une dense écharpe de secrets. Mais l’un parle et le second se limite à recueillir la confidence dans son jeu de basse et d’accompagnement.Ce n’est donc pas une sonate pour piano, mais une lettre de Mozart à sa sœur, et c’est lui qui parle et conserve la parole.
Œuvre de maîtrise, de jaillissement et de caresses la sonate K 381 est une jolie fontaine où se rafraîchir.
Laissez la fraîcheur monter de vos mains à l’âme… Comme un enfant devant un grillon, écoutez l’eau qui passe, l’insolence claire du temps qui fuit : vous venez de sentir, de voir et d’entendre une sonate de Mozart.(Christian Bobin).
C’est ainsi qu’il faut écouter cette œuvre, seulement ainsi.
Gil Pressnitzer